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Mon fils, donne-moi ton cœur.
Les définitions n’ont pas manqué à la nature humaine ; point de philosophe qui n’ait essayé de la sienne : l’homme en a-t-il été beaucoup mieux connu ? La Bible, le plus pratique des livres et le moins systématique, suit une marche inverse : au lieu de définir l’homme sans le révéler, elle le révèle sans le définir. Le voici peint dans mon texte, indirectement, occasionnellement, d’un seul trait, mais d’un trait qui porte la lumière jusqu’à la racine des choses, et où vous allez vous reconnaître tout entier : l’homme est une créature qui a un cœur à donner.
Le fond de l’homme, c’est l’homme moral ; et le fond de l’homme moral, c’est le cœur. Par le cœur, je n’entends pas ici les affections tendres, encore moins les vives démonstrations ; je prends ce mot dans une acception plus mâle et plus sérieuse, qui comprend tous les caractères, tous les âges, tous les degrés de culture : le cœur est pour moi le siège du sentiment, de la conscience, de l’amour. Tout cela appartient à cette région du dedans, qui est comme le terrain primitif et substantiel de la nature humaine : l’intelligence et la logique, avec leurs clartés admirables (Proverbes 20.27), pénètrent moins avant. Oui, il y a moins de l’homme dans l’intelligence qui fait la critique approfondie d’un texte sacré ou d’un livre du canon, que dans la foi du cœur qui se lance au sein du vide, sans autre appui qu’une « parole sortie de la bouche de Dieu. » Il y a moins de l’homme dans la logique qui discute les rapports de l’homme à Dieu et de Dieu à l’homme, que dans la repentance du cœur qui dit à Dieu : « J’ai péché contre toi, contre toi proprement, » ou dans le besoin du cœur qui lui crie : « Mon âme a soif de toi, dans cette terre déserte, altérée et sans eau. »
Mais ce cœur qui est en nous, qui plus que tout le reste est nous, il aspire à se donner, disons plus, il ne se trouve qu’en se donnant : être aimé, c’est sa joie, mais aimer, c’est sa vie. Là s’applique dans toute sa vérité cette parole du Seigneur : « Mieux vaut donner que recevoir ; » ou plutôt, pour le cœur, donner, c’est recevoir ; donner libéralement, c’est recevoir abondamment ; et pour se posséder tout entier, il faut se donner sans réserve. Faute de cette nourriture naturelle, notre cœur se replie sur nous-mêmes, je devrais dire contre nous-mêmes, et, tournant à l’égoïsme, ronge, sans se rassasier, le sein qui le renferme : donné, il nous porterait, gardé, il nous pèse ; donné, il nous ferait vivre, gardé, il nous tue. Aussi n’y a-t-il personne qui ne cherche un lieu de repos pour son cœur ; et si l’homme intérieur de tous ceux qui sont rassemblés devant moi venait à s’ouvrir en ce moment, ce temple, et j’en pourrais dire autant du monde entier, apparaîtrait comme un grand théâtre où chacun apporte son cœur, cherchant à qui le donner.
C’est au cœur engagé dans cette recherche que Dieu répond dans mon texte : à moi ; réponse plus sensible encore et plus touchante dans une traduction toute littérale : « Donne, mon fils, ton cœur à moi. » Hélas ! cet à moi n’est ni le seul que le cœur ait entendu, ni le premier qu’il ait écouté. A moi, a dit le péché avec ses convoitises ; et beaucoup de cœurs se sont jetés dans cette voie tout ouverte, jusqu’à ce qu’une expérience tardive leur ait appris que le péché ne flatte les besoins du cœur que pour les irriter, et que la séduction la plus entraînante est suivie du retour le plus amer : est-ce vrai ? A moi, a dit le monde avec ses pompes et ses plaisirs ; et trop de cœurs encore se sont pris à cette amorce, jusqu’à ce qu’ils aient reconnu que le monde, même innocent — s’il l’était jamais n’a pour remplir le vide du cœur que son vide à lui, qui s’ajoute à l’autre au lieu de le combler : est-ce vrai ? A moi, a dit l’affection naturelle, sous la forme d’une mère, d’une épouse, d’un enfant ; et que de cœurs se sont livrés sans défiance à un penchant qui avait pour lui le cri de la nature et l’approbation de Dieu même, jusqu’à ce qu’ils aient trouvé qu’il n’y a pas de créature au monde qui puisse donner le repos à une autre créature — hélas ! et si elle pouvait le lui donner, quel repos, réduit à compter de jour en jour avec les accidents possibles, avec la maladie probable, avec la mort certaine ! est-ce vrai ? … C’est alors que Dieu vient, disons plutôt, car il était venu le premier, mais sans trouver d’accès, c’est alors que Dieu revient miséricordieusement après tous les autres, content de prendre cette humble place pourvu qu’il soit accueilli à la fin, fût-ce comme un pis-aller : « Donne, mon fils, ton cœur à moi. »
Dieu, dis-je, mais quel Dieu ? Question étrange, mais trop nécessaire, aujourd’hui que ce nom sacré est tourné à des usages si divers, dirai-je, ou si profanes, par les systèmes et par les partis. Le Dieu qui vous demande votre cœur, c’est le Dieu qui se révèle dans l’Écriture, le Dieu de Jésus-Christ ; le Dieu Père, Fils, et Saint-Esprit ne traitez pas cette doctrine de spéculation théologique ; c’est un mystère, plus encore, c’est « le mystère, » mais un mystère tout « de piété (1 Timothée 3.16). » Père, qui nous a tant aimés que de frapper son Fils unique pour nous épargner, bien qu’il ait tant haï le péché que de ne nous épargner qu’en frappant son Fils unique ; Fils, qui a fait habiter au milieu de nous toute la plénitude de la divinité, revêtue d’un corps mortel, dans lequel aussi il a porté nos péchés sur le bois ; Saint-Esprit, qui, venant demeurer en nous, nous fait un avec le Fils comme il est un avec le Père, et nous rend participants de la nature divine (Jean 17.22 ; 2 Pierre 1.4). Que ce soit là le Dieu qui vous parle dans mon texte, il le fait assez connaître par le nom seul qu’il vous y nomme : Mon fils. Car ce nom n’a sa vérité que dans la bouche de ce Dieu trois fois saint et trois fois bon : pauvres créatures déchues et rebelles, nous ne sommes fils, que parce que le Père nous a « adoptés en son Fils bien-aimé ; » nous ne sommes fils, que parce que le Fils ne « prend point à honte de nous appeler ses frères (Hébreux 2.14) ; » nous ne sommes fils, que parce que le Saint-Esprit nous a scellés du sceau paternel, et instruits à crier : « Abba, Père ! » Voilà, voilà le Dieu, le seul Dieu qui nous demande notre cœur : le Dieu personnel, disons mieux encore avec l’Écriture, « le Dieu vivant et vrai ; » le Dieu qui veut entretenir avec nous des rapports de sentiment, parce qu’il a un cœur qui répond au nôtre et qui cherche le nôtrea ; le Dieu fait homme, que nous pouvons aimer aussi réellement, aussi naturellement que nous aimons un frère ou un ami, et tout ensemble, par une combinaison merveilleuse, le Dieu spirituel qui entre dans une communion intérieure avec nous, que nous ne pouvons connaître, ni concevoir, avec aucune créature.
a – Juges 10.16 ; 1 Samuel 13.14, etc.
Votre cœur : eh ! quel autre Dieu que celui-là s’en soucie ? Ce n’est pas le Dieu du pharisaïsme, qui se tient amplement, surérogatoirement satisfait, si votre corps est assidu à son culte, si votre genou ploie jusqu’en terre, si votre chair est amaigrie par le jeûne, si votre bouche a prononcé quelques prières apprises, ou si votre main se répand en aumônes méritoires. Ce n’est pas le Dieu du panthéisme, qui, se confondant tour à tour avec l’esprit humain ou avec la nature inanimée, n’a point d’existence propre, combien moins de sentiment personnel, et pour lequel recevoir et donner, aimer et être aimé, créer et être créé n’ont plus de sens distinct ; que dis-je ? pour lequel le vrai et le faux, le bien et le mal, l’être et le non être se mêlent, ou plutôt se perdent dans une négation universelle, décorée du nom superbe d’unité absolue. Ce n’est pas le Dieu du déisme, qui, donnant la vie sans se donner lui-même et créant comme pour se décharger, traite l’ouvrage de ses mains ainsi que l’autruche « ses œufs, qu’elle abandonne sur la terre sans s’inquiéter du pied qui les écrasera, cruelle envers ses petits comme s’ils n’étaient pas à elle (Job 39.17-20) ; » ce Dieu, distant de ses créatures à perte de vue — et de vie — qui, fixé dans les glaces hyperboréennes d’une création sans paternité et d’une providence sans entrailles, fait de l’existence un hiver éternel et du monde un froid tombeau, dont il n’est lui-même que la statue. Je ne dis rien du Dieu du mahométisme, qui paie un dévouement sanguinaire et fataliste, avec l’impure monnaie d’une volupté égoïste et charnelle ; ni du Dieu du paganisme, je devrais dire de ses mille dieux, qui rendent avec usure à l’homme les leçons d’impiété et d’injustice qu’ils reçurent de lui ; ni de tant d’autres dieux que l’homme a créés, et créés à son image.
Aussi, en dehors de Jésus-Christ, (de Jésus-Christ venu ou attendu, peu importe : l’esprit qui inspire un saint Paul est aussi celui qui inspire un Salomon ou un David), aucune religion ne nous offre rien qui ressemble à l’invitation de mon texte : « Mon fils, donne-moi ton cœur. » Donne-moi tes pratiques, dit le Dieu du pharisaïsme. Donne-moi ta raison, dit le Dieu de Kant. Donne-moi ta personnalité, dit le Dieu d’Hegel. Donne-moi ton sabre, dit le Dieu de Mahomet. Donne-moi ta convoitise, dit le Dieu d’Homère ou de Virgile. Restait pour le Dieu de Jésus-Christ : Donne-moi ton cœur. Il le relève, ce rebut de tous les autres dieux, et en fait l’essence et la gloire de sa doctrine. Pour lui, donner son cœur à Dieu, ce cœur d’où « procèdent les sources de la vie, » ce n’est pas seulement une obligation de la piété, c’en est le fond même, c’en est le commencement, le milieu et la fin ; c’est le caractère non équivoque d’une conversion véritable. Vous me dites qu’un homme a cru à l’évangile de grâce : c’est bien, mais y a-t-il cru d’une foi vivante ? qu’il fait une profession irréprochable : mais cette profession est-elle sincère ? qu’il tient une conduite exemplaire devant ses semblables : mais cette conduite est-elle sainte devant Dieu ? qu’il est à la tête des œuvres chrétiennes : mais y apporte-t-il un esprit chrétien ? Mais dites-moi qu’il a donné son cœur à Dieu : toute autre question est superflue ; la foi, les œuvres, la grâce, la sainteté, la nouvelle création, tout est là.
Eh bien ! ce tout de l’évangile, vous qui ne l’avez pas, et qui sentez en vous-même qu’il vous manque (car c’est vous seul que j’en veux faire juge), il s’agit de savoir aujourd’hui si vous voulez enfin vous en mettre en possession. Je ne m’arrête pas à vous demander si vous croyez à l’inspiration des Écritures, à la vérité de l’évangile, à la divinité de Jésus-Christ, à la grâce qui réside en lui : je n’en ai pas le loisir, ni ne pense en avoir besoin. La religion résumée dans le cœur donné à Dieu, cela est si simple, si beau, si vrai, que ces quatre mots, « donne-moi ton cœur, » contiennent une apologétique tout entière. Qui ne sentirait pas battre dans cet appel le cœur du vrai Dieu, serait un homme sans cœur, sur lequel tous nos discours seraient perdus. Mais vous qui avez un cœur, et qui entendez Dieu dans mon texte, placez-vous sans distraction devant la question pratique qu’il soulève, et dites si vous voulez donner votre cœur au Dieu de Jésus-Christ. Et à qui donc le donnerez-vous, si vous ne le lui donnez ?
Donne, mon fils, ton cœur à moi : » à moi, en qui seul ton cœur peut se reposer, et à qui il aspire sans le connaître.
Mélange incompréhensible d’incrédulité et de foi, le cœur irrégénéré a toujours, comme la ville d’Athènes, un autel élevé « au Dieu inconnu, » qu’il « cherche comme en tâtonnant, quoiqu’il ne soit pas loin de chacun de nous, puisque c’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être. » Eh bien, ce Dieu inconnu « est celui que je vous annonce, comme saint Paul aux Athéniens. Tout ce que votre cœur réclame pour se donner sans réserve, et qui, manquant à toutes les créatures, l’a empêché de se donner ainsi à aucune d’elles, il le trouve dans le Dieu de Jésus-Christ, sans qui il ne verrait jamais ses besoins satisfaits, que dis-je ? sans qui il n’en serait jamais bien éclairci, car ce Dieu vivant les satisfait et nous les révèle tout à la fois. Prenez, entre les créatures, ce que vous connaissez de plus aimable et de plus aimé : n’est-il pas vrai que vous ne pouvez essayer de vous livrer à son amour, sans trouver bientôt une barrière qui arrête impitoyablement l’élan de votre cœur, et qui semble vous dire, avec un défi amer : « Tu viendras jusqu’ici, tu n’iras pas plus loin ? »
Pourquoi cela ? C’est que cette créature est mortelle. Pas un jour au matin duquel vous n’ayez sujet de vous dire : Elle peut m’être enlevée avant que le soir soit venu. Pour que cette forme visible qui est « le plaisir de mes yeux et le désir de mon âmeb, aille s’ajouter à « ces ossements de morts et à cette impureté » qui s’entassent, de génération en génération, dans le sein du sépulcre, que faut-il ? vous ne savez — c’est une question de temps… Mais si vous pouviez donner votre cœur à un objet dont rien au monde ne vous dût séparer, et auquel il vous fût permis de vous livrer avec la joie de la vie, avec la fraîcheur de la vie, avec la sûreté de la vie, avec la puissance immortelle de la vie ! Eh bien, ce Dieu que je vous annonce est ce que votre cœur demande : « Il est le même hier, aujourd’hui, éternellement. » Tenez-vous à lui, il ne vous échappera point ; appelez-le, il vous répondra toujours ; comptez sur lui, il ne vous manquera jamais ; et « quand vous viendrez à manquer » vous-même, ce sera pour aller ailleurs le contempler sans voile, et vous unir à lui sans empêchement.
b – Ézéch.24.16,24-25 ; version littérale.
Pourquoi encore ? C’est que cette créature, fût-elle immortelle, est finie : comment répondrait-elle aux besoins infinis de votre cœur ? Renfermée dans les étroites limites de la chair, contrainte dans sa volonté, bornée dans ses lumières, également incapable et de témoigner tout ce qu’elle sent, et de sentir tout ce que votre cœur attend du sien, qui est-elle pour vous suffire ? Dans un moment d’entraînement peut-être, touché de tant de dévouement, de tant d’attraits, de tant de mérites divers, vous pensez n’avoir rien à désirer dans votre bonheur que de le voir continuer : mais le moment d’après, rentré en vous-même et revenu de vos tendres illusions, ce cri vous échappe, en dépit de vos efforts pour le comprimer : Et pourtant, ce n’est pas cela ; mon cœur demande autre chose !… Eh bien, cet autre chose, cet infini qui remplira, qui débordera toute la capacité de votre cœur, vous le trouverez dans le Dieu que je vous annonce ; dans ce Dieu, qui possède sans mesure la lumière, la puissance, la vérité, la vie, que dis-je ? qui est lui-même tout cela, et du sein duquel découle, comme d’un trésor inépuisable, tout ce qui sur la terre a quelque part à ces noms sacrés. Fragments disséminés de « celui qui est (Exode 3.14), » la lumière, la puissance, la vérité, la vie, vous ramènent toutes à Dieu, comme autant de ruisseaux divergents à leur source commune ; et en vous attachant à lui, vous recueillerez la variété infinie de tous les dons, dans une immuable unité.
Pourquoi enfin ? C’est que cette créature est pécheresse, et réduite à dire avec vous, pour peu qu’elle se connaisse : « Je sais qu’en moi n’habite aucun bien. » Et vous pourriez vous abandonner à elle sans réserve ? Quoi ! cette créature déchue, pour qui vous avez à solliciter le pardon de Dieu comme pour vous, en qui vous retrouvez le même combat de l’Esprit contre la chair qui se livre en vous, chez qui vous avez à supporter chaque jour les infirmités et les faiblesses qu’elle a à supporter chez vous, c’est en elle que vous devriez chercher, que vous pourriez trouver ce que votre cœur demande ! Oh ! l’indigne pensée ! Donnez de l’air à ce malheureux qui se débat contre une atmosphère privée du principe de la vie ; donnez du jour à ce prisonnier qui gémit dans un cachot souterrain, loin de la douce clarté du soleil ; donnez du pain à qui a faim, de l’eau à qui a soif — et donnez au cœur de l’homme, pour objet de son attachement suprême, un être « saint, innocent, sans tache, séparé des pécheurs, » tel enfin que son amour soit la sainteté du cœur, et son service la sainteté de la vie ! Eh bien, à ces traits, comment méconnaître le Dieu que je vous annonce ?
Oui, mon frère, donnez, donnez votre cœur au Dieu de Jésus-Christ. Ce Dieu éternel, ce Dieu infini, ce Dieu saint, est seul fait pour votre cœur, et votre cœur pour lui seulc. C’est lui que votre cœur réclamait, avant de l’avoir connu ; et combien plus le réclamera-t-il, s’il a commencé de le connaître ? C’est assez que vous l’ayez seulement entrevu, pour qu’il vous soit désormais impossible de vous reposer ailleurs qu’en lui. Le cœur de l’homme est ainsi fait, grâces en soient rendues à celui qui l’a formé ! qu’il ne peut arrêter son attachement nulle part, s’il conçoit la possibilité de le porter plus haut. Vous aurez beau remonter toute l’échelle des créatures, de plus digne en plus digne, quelque chose vous pressera toujours de monter encore ; toujours, vous entendrez, comme les deux témoins de l’Apocalypse, une voix du ciel vous disant : « Monte ici ; » et tant qu’il y aura un Dieu dans l’univers, rien de moins ne saurait contenter votre cœur. Lui, ou personne ! lui, ou un vide affreux et un dégoût amer ! Je dis plus : lui pour la joie de votre cœur, ou lui pour son tourment ! Sa charité ne saurait vous permettre aucun repos loin de lui : votre ivresse, il la dissipera ; votre entraînement, il le glacera ; votre coupe de délices, il l’empoisonnera ; vos attachements idolâtres, il appellera contre eux la séparation, la maladie, la mort — jusqu’au jour que, dépris de la créature, vous vous jetterez enfin, fût-ce de fatigue, de soif, de désespoir, dans son sein paternel, et que vous apprendrez à vous écrier avec le Psalmiste : « Quel autre ai-je au ciel ? Aussi n’ai-je pris plaisir sur la terre qu’en toi seul. Que mon cœur et ma chair soient consumés : Dieu est le rocher de mon cœur et mon partage à toujours (Psaumes 73.25-26) ! » mon partage, parce qu’il est le rocher de mon cœur, où ce cœur peut appuyer de tout son poids sans craindre de le voir céder jamais !
c – « Il y a une place vide dans le cœur de l’homme, et Dieu seul la peut remplir » (Erskine).
Donne, mon fils, ton cœur à moi : à moi, qui, avant de te le demander, ai commencé par te donner le mien.
L’amour appelle l’amour ; et cet appel est le plus irrésistible de tous. On vous dit : « Vous êtes obligé d’aimer cette personne, » et votre cœur peut ne pas se rendre ; il peut même éprouver une tentation de résistance, par le secret plaisir qu’il trouve à constater sa liberté. On vous dit encore : « Cette personne est digne de tout votre amour, » et, tout en reconnaissant les droits qu’elle a sur vous, votre cœur peut se sentir retenu, comme en dépit de lui, par un défaut de sympathie naturelle. Mais qu’on vous dise : « Cette personne vous a aimé de l’amour le plus tendre ; sans calcul d’intérêt, ni même de retour, elle a hasardé pour vous sa fortune, sa santé, sa vie, » et voici votre cœur gagné du premier coup, par l’horreur instinctive que l’ingratitude inspire à la conscience humaine, même irrégénérée. Cette condition n’est jamais complètement réalisée par la créature, soit parce qu’elle ne trouve pas plus en vous, que vous en elle, tout ce qu’il faut à un cœur si grand, soit parce qu’il y a en elle, aussi bien qu’en vous, un fond de froideur, d’égoïsme, qui mêle la recherche du moi jusqu’aux dévouements les plus abandonnés. Mais Dieu l’a remplie, pleinement remplie ; car, si vous demandez ce qu’il est, saint Jean vous répond : « Dieu est amour ; » et si vous demandez ce qu’il a fait, le même saint Jean vous répond dans le même endroit : « Dieu vous a aimés le premier, » Voilà ce qui brise le cœur, quand le cœur a cru à l’évangile, c’est-à-dire à la bonne nouvelle de l’amour de Dieu en Jésus-Christ ; et ce qui fait les chrétiens à la saint Jean, passez-moi l’expression, c’est de pouvoir dire avec saint Jean : « Nous avons connu, et nous avons cru l’amour que Dieu a pour nous (1 Jean 4.16). »
Cet amour de Dieu, se donnant lui-même, se donnant le premier, se donnant sans réserve, vous le verriez partout et toujours, si vous aviez des yeux pour voir ; mais voulez-vous le trouver déclaré tout entier ? suivez l’apôtre de l’amour en Golgotha ; car c’est devant la croix qu’il a écrit ce que je viens de vous lire. Quelqu’un a dit : « Dans la création, Dieu nous montre sa main ; dans la rédemption, il nous donne son cœur. » Sans doute, cette antithèse a quelque chose de forcé ; je réclame en faveur de la création ; non, le cœur de Dieu n’est point absent de la nature : il palpite dans les mouvements de l’âme humaine, dans les battements du cœur maternel, dans le fruit précieux d’une terre féconde, dans les pluies du ciel et dans les saisons fertiles, et jusque dans la faim des petits oiseaux apaisée ; et que serait-ce donc, ô Dieu ! qui es amour, si au lieu « d’assujettir la création à la vanité, » l’homme l’avait laissée telle qu’elle est sortie de tes mains ! Aussi bien, le Dieu Sauveur n’est autre que le Dieu Créateur, et la rédemption n’a pu nous prodiguer d’amour que ce que la création en tenait enveloppé dès le commencement. Mais il est très vrai que les marques d’amour que Dieu nous a données dans la création pâlissent auprès de celles qu’il nous a données dans la rédemption, comme les feux de la nuit s’éteignent pour nous dans la clarté du jour, sans lui céder en réalité ; et nous ne ferons qu’imiter l’exemple de Saint-Jean, de tous les apôtres, en allant droit à la croix de Jésus-Christ, pour vous montrer « quel amour le Père nous a témoigné, » ou, selon une traduction plus littérale, « quel amour le Père nous a donné. » L’expression est étrange, je l’avoue ; je comprends que nos versions aient hésité à la transporter dans notre idiome exact et timide ; et pourtant, je le regrette. Le mot donner, ce mot favori de l’Évangile, ne se remplace par aucun autre ; et si Saint-Jean l’a choisi, c’est qu’il a vu dans l’amour de la croix plus qu’un sentiment qui se déclare : il y a vu un cœur qui se donne.
Mon cher auditeur, vous êtes-vous jamais placé, sérieusement, devant la croix de Jésus-Christ ? Vous êtes-vous jamais demandé, ce que Dieu vous a donné d’amour dans cette heure mystérieuse où retentit, au travers de l’espace immense et des siècles éternels, ce cri de l’amour qui s’immole : « Tout est accompli ? » On dit que le pieux réformateur des Moraves datait sa consécration à Dieu d’un jour que, traversant une galerie ornée de tableaux, il s’arrêta par hasard (« je parle selon les hommes ») devant un tableau où l’on voyait le Seigneur Jésus expirant sur la croix, avec ces mots écrits au-dessous : « Voilà ce que j’ai fait pour toi ; et toi, qu’as-tu fait pour moi ? » La pensée de ce que Dieu nous a donné sur cette croix, contemplée pour la première fois sérieusement, lui gagna ce jour-là le cœur de Zinzendorf, et par son cœur toute sa vie. Oh ! si ce discours pouvait être pour vous le tableau de Zinzendorf ! Et pourquoi ne le serait-il pas ? Pourquoi ne compterais-je pas avec vous sur la vérité de l’évangile, sur l’Esprit de Dieu, et sur votre cœur, si vous en avez un ? Pas de peinture oratoire des souffrances de votre Sauveur, pas d’appel pathétique à une sensibilité nerveuse ; le fait, le simple fait de la rédemption, parlant à votre sentiment, à votre raison, de ce que vous a donné le Dieu qui vous demande votre cœur : « Dieu signale son amour envers nous en ce que, lorsque nous étions encore pécheurs, Christ est mort pour nous (Romains 5.8). »
Christ est mort pour nous ; je n’en veux pas davantage. Christ : ce Fils de Dieu, son Fils unique et bien-aimé ; cet autre lui-même, « en qui il a mis tout son plaisir ; » ce Dieu devenu homme pour se donner sans empêchement à l’homme — qui nous dira son vrai nom ? qui nous dira sa gloire adorable ? qui nous dira son tendre rapport avec le Père ? qui nous le dira, quand les séraphins eux-mêmes se voilent la face de leurs ailes pour se dérober à l’éclat de sa majesté ? Pour nous, quand nous aurons essayé de concevoir l’amour le plus exalté, le plus sanctifié, du père le plus aimant pour le fils le plus aimable, et cet amour gravissant en silence une montagne de Morija, comment nous dissimuler que tout cela est autant au-dessous de la mystérieuse réalité que la terre est au-dessous du ciel, et l’homme au-dessous de Dieu ? O don ineffable ! — Christ est mort : cette mort, ce cruel déchirement du corps, qui vient à peine en mémoire auprès de cette amertume de l’âme, plus cruelle mille fois ; ce fardeau de tous les péchés du genre humain pesant sur une seule tête, et cette tête seule innocente ; cette malédiction de Sinaï fondant avec toutes ses terreurs sur « l’Agneau de Dieu, » et relevée tout à la fois par la sainteté humaine de la victime et par sa grandeur divine quelle mort terrestre en pourrait approcher, quelle sympathie terrestre y répondre, quelle imagination terrestre la concevoir ? et quand vous aurez tâché de rassembler en esprit tout ce que vous avez éprouvé, connu, entendu, rêvé de douleurs dans l’humanité, que deviendra cette goutte d’eau dans l’abîme d’angoisse où retentit ce cri lamentable : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » O sacrifice ineffable ! — Christ est mort pour nous : pour vous, pour moi, pour nous tous. Pour nous, saints, dociles, fidèles ? non, mais pour nous, pécheurs, rebelles, ennemis, qui ne vivions que pour l’offenser, et qui l’avons attaché par nos crimes à cette croix où il les vient expier. Pour nous, du moins, pénitents, croyants, priants ? non, mais pour nous, impénitents, incrédules, « sans Dieu et sans espérance au monde, » qui n’avons commencé de nous douter de notre injustice et de notre péril, qu’en apprenant à quel prix Dieu nous a rachetés de l’une et retirés de l’autre. « Est-ce là la manière d’agir des hommes ? » et que sont « nos voies auprès des voies » de cette grâce toute gratuite, et « nos pensées auprès de ses pensées ? » O miséricorde ineffable !
Mais me suivez-vous ? N’ai-je pas à craindre de ne pas trouver en vous ce cœur simple et ouvert que trouva en Zinzendorf son tableau ? Vos notions de Dieu et de sa justice, de vous-mêmes et de vos péchés, de Jésus et de son œuvre, sont si confuses et si incertaines, que ce qui perce le cœur du jeune réformateur ne vous apparaît peut-être, à vous, que comme une histoire apprise dès l’enfance, et qui ne vous parle plus qu’un langage effacé. Eh bien ! si votre sentiment est à ce point émoussé et votre lumière obscurcie, rapportez-vous en à d’autres, j’y consens ; tournez le dos à la croix, et lisez l’amour que Dieu vous y donne dans les impressions qu’elle produit sur des témoins plus capables de le comprendre et de l’apprécier. Rapportez-vous en au seul apôtre qui ait suivi le crucifié jusque-là, pour ne pas dire à l’Esprit de Dieu qui l’inspire : « En ceci est manifesté l’amour de Dieu envers nous, que Dieu a envoyé son Fils unique au monde en propitiation pour nos péchés (1 Jean 4.9-10). » Rapportez-vous en aux élus glorifiés, qui chantent le cantique : « Tu as été mis à mort, et tu nous as rachetés à Dieu par ton sang, de toute tribu, langue, peuple et nation (Apocalypse 5.9). » Rapportez-vous en aux anges saints, qui se courbent sur cette charité divine, comme les chérubins sur l’arche, et qui désespèrent d’y pouvoir « regarder jusqu’au fond. » Rapportez-vous en à la nature inanimée, que ce spectacle anime : à ces rochers qui se fendent, à cette terre qui rend ses morts, à ce soleil qui se couvre, à ce jour qui se change en nuit, à ce voile du temple qui se déchire, comme si tout l’ordre des choses humaines et divines était bouleversé. Mais plutôt, rapportez-vous en au crucifié lui-même, marchant vers sa croix : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle. » Et que ne puis-je, avec vous, remonter à la source première de l’amour révélé au monde par la croix, reculer jusqu’avant les siècles, pénétrer dans ces sanctuaires impénétrables où se tiennent les conseils du Dieu fort, et vous faire assister à cette délibération du Père, du Fils et du Saint-Esprit, où la rédemption de l’homme tombé est résolue dès les temps éternels, et l’œuvre d’amour partagée entre le Père qui nous appelle, le Fils qui nous rachète, et l’Esprit qui nous sanctifie ! Anges du ciel, présents dans les assemblées de l’Église, parlez : n’est-il rien venu jusqu’à vous de ce conseil d’amour ? aucune parole, aucune pensée, aucun rayon échappé, qui pût révéler le don de Dieu à ces cœurs que rien n’a pu toucher encore ? Que si les lois qui président à nos rapports avec vous, tandis que nous sommes renfermés dans ce corps mortel, ne vous permettent pas de porter du ciel en terre les nouvelles de cette délibération divine, venez, que je vous donne à porter de la terre au ciel la nouvelle d’une autre délibération, tout humaine, mais aussi merveilleuse pour le moins ! Allez dire aux intelligences célestes que, tandis que j’annonce ici, d’accord avec vous, avec l’Écriture, avec la vérité de Dieu et avec la conscience de l’homme, l’amour d’un Dieu qui a envoyé son Fils au monde, il y a là, devant moi, un pécheur perdu qui délibère avec lui-même s’il doit ou non donner son cœur au Dieu qui lui a donné son Fils ; qui attend, pour se déterminer, qu’il ait pu se soustraire à l’entraînement d’une parole trop maîtresse de lui ou trop peu maîtresse d’elle-même, et qui pourra vous dire demain à quel parti il s’est arrêté : allez le dire — et vous qui trouvâtes si souvent la terre incrédule à ce qui vient du ciel, vous allez trouver, pour la première fois, le ciel incrédule à ce qui vient de la terre !
« Donne, mon fils, ton cœur, à moi ; » à moi, qui te le demande.
Qui te le demande… Si je ne voulais ici que défendre les droits de Dieu sur ce cœur qu’il demande, il me suffirait de vous rappeler que c’est lui qui l’a fait, et qu’en le demandant, il ne demande qu’un bien qui vient de lui. Je disais tantôt que le Dieu de Jésus-Christ a commencé de nous donner son cœur dans la création ; il a fait plus, il l’a mis en nous. L’amour, qui est la plus belle définition de Dieu, est aussi le plus beau don que Dieu ait fait à l’homme : si la créature est aimante, c’est parce que le Créateur est amour. Et qui donc a les premiers droits sur cette puissance d’aimer, sinon celui qui l’a déposée en nous avec son image ? Quoi ! cette énergie de dévouement, cette chaleur d’affection, ce besoin de communion, tous ces sentiments à la fois si vifs et si tendres, par lesquels il s’est non seulement montré, mais peint au-dedans de nous, seraient pour tout le monde excepté pour lui ? Arrière cet égarement impie et cet excès d’ingratitude ! Mais plus il serait odieux, moins je crois nécessaire de m’y arrêter. C’est une considération plus délicate que j’ai à vous présenter ici, et je veux faire appel en finissant à ce qu’il y a de plus sensible et de plus intime dans le cœur de l’homme.
Quand Dieu se présente devant vous et vous dit : « Donne, mon fils, ton cœur à moi ; » quand il reconnaît en vous un cœur à donner, et qu’il vous invite, passez-moi l’expression, à lui accorder la préférence, ne vous semble-t-il pas que les rôles sont intervertis par une condescendance infinie ; que vous entendez aujourd’hui comme une prière de Dieu, qu’il appartient à l’homme d’exaucer ; et que vous êtes appelés, pour la première fois, à faire quelque chose pour celui qui a tout fait pour vous ? Loin, loin de nous, faut-il le dire ? toute pensée qui pourrait porter la moindre atteinte à la grandeur infinie, à la félicité immuable de ce Roi des rois, qui n’a pas soin de l’homme pour le servir, ni du Fils de l’homme pour lui venir en aide ! « Le Tout-Puissant reçoit-il quelque plaisir si tu es juste, ou quelque avantage si tu marches dans l’intégrité ? » Mais la grandeur de Dieu, après tout, n’est pas une grandeur d’insensibilité, ni la félicité de Dieu une félicité froide et impassible. Le Dieu de Jésus-Christ est un Dieu vivant, en qui se meut un esprit d’amour et de sympathie. Or, cet amour, cette sympathie, quel moyen avons-nous de nous les représenter que de transporter en Dieu les sentiments analogues qui sont dans l’homme, en les dégageant d’avec tout ce qui est du péché et de la chair, pour ne retenir que ce qui est essentiellement vivant et personnel ? Aussi bien, Dieu lui-même nous encourage à saisir ses traits dans ceux de l’homme qu’il a fait à sa ressemblance, lorsqu’il se révèle partout à nous sous le nom de Père ; et comment concevoir un père, sans un cœur paternel ? Mon texte est tout pénétré de cette pensée : Dieu s’y compare si véritablement à un père que l’on ne sait proprement si c’est un père terrestre ou le Père céleste qui parle ; et celui qui dit ici : « Donne, mon fils, ton cœur à moi, » est aussi celui qui dit ailleurs dans le même chapitre : « Mon fils, si ton cœur est sage, mon cœur, oui, mon propre cœur s’en réjouira. » Mais ce touchant langage est faible auprès de ces magnifiques paroles d’un prophète, qui dépassent tout ce que j’aurais osé dire, et où l’on ne sait ce qu’on doit le plus admirer, de la beauté du langage ou de la tendresse du sentiment : « L’Éternel ton Dieu est au milieu de toi, le Tout-Puissant, ton libérateur ; il se réjouira sur toi d’une grande joie ; il se taira à cause de son amour ; il s’égaiera sur toi avec chant de triomphe (Sophonie 3.17)… »
Toutefois, en contemplant ce prodige d’amour, un Dieu Créateur et Sauveur qui demande le cœur de sa créature pécheresse et perdue, craignons, comme Moïse devant le buisson ardent, d’approcher de trop près. Sans prétendre lever sur la nature divine un œil téméraire, reposons nos regards sur ce Dieu qui s’est fait homme tout exprès pour se mettre à notre portée, et contemplons le cœur du Père au travers du cœur humain de ce Fils qui nous a dit lui-même : « Celui qui m’a vu a vu mon Père (Jean 14.9). »
Eh bien ! pouvez-vous vous figurer Jésus impassible à la vue du pécheur pénitent qui vient lui donner son cœur ? Impassible ! lui, qui se compare au bon berger, « s’en allant après sa brebis perdue jusqu’à ce qu’il l’ait trouvée, et trouvée, la mettant sur ses épaules, bien joyeux, et de retour dans sa maison, appelant ses amis et ses voisins, et leur disant : Réjouissez-vous avec moi, car j’ai trouvé ma brebis qui était perdue ! » Cette joie, ne voulez-vous pas la lui donner ?
Quand Jésus, « fatigué du chemin » et assis près de la fontaine de Jacob, dit à la Samaritaine : « Donne-moi à boire, » quel est celui de vous qui n’envie à cette femme le privilège de pouvoir donner à son Sauveur un verre d’eau froide pour étancher sa soif ? Mais vous n’aurez rien à lui envier, si, par le don de votre cœur, vous répondez à cet autre « j’ai soif, » plus profond et plus spirituel, qui lui échappe sur la croix où il meurt pour vous. Quand Jésus dit à Zachée : « Descends, car il faut que je demeure aujourd’hui chez toi, » quel est celui de vous qui n’envie à Zachée le privilège de recevoir son Sauveur dans sa maison et de lui prodiguer tous ses soins ? Mais vous n’aurez rien à lui envier, si vous ouvrez votre cœur à ce même Sauveur, qui vous dit aujourd’hui : « Je me tiens à la porte, et je frappe : si quelqu’un entend ma voix et m’ouvre la porte, j’entrerai chez lui, je souperai avec lui et lui avec moi. » Quand Jésus succombe sous le pesant instrument de son supplice, qui de vous n’envie à Simon de Cyrène le privilège de porter quelques instants pour son Sauveur cette croix, sur laquelle il va bientôt « porter nos péchés en son corps » ? Mais vous n’aurez rien à lui envier, si vous êtes de ceux dans lesquels il recueille « le fruit du travail de son âme, » et si votre cœur fait partie de ce « butin précieux qu’il partage avec les puissants, pour avoir livré son âme à la mort. » Et quand ce même Jésus, déjà crucifié et à peine ressuscité, dit à Pierre : « Simon, fils de Jona, m’aimes-tu ? » quel est celui de vous qui n’envie à l’apôtre tombé, mais relevé, le privilège de verser dans les plaies qu’il a faites pour sa part au corps et à l’âme de son Sauveur, « l’huile et le vin » de sa repentance et de son amour ? Mais vous n’aurez rien à envier à l’apôtre lui-même, si, d’un cœur qui vole comme le sien au-devant de la question de son Maître et du vôtre, jaloux de causer quelque joie à celui auquel vous causâtes tant de douleurs, vous pouvez lui dire à votre tour : « Seigneur, tu sais toutes choses, tu sais que je t’aime. » Que s’il y a ici quelqu’un qui sente autrement là-dessus ; quelqu’un qui, à la place de la Samaritaine, eût refusé le verre d’eau froide ; quelqu’un qui, à la place de Zachée, eût tenu sa porte fermée ; quelqu’un qui, à la place de Simon de Cyrène, eût laissé la croix sur les épaules où elle était ; quelqu’un qui, à la place de Pierre, eût répondu autrement qu’il ne répondit — eh bien ! il ne sera que conséquent avec lui-même en résistant à l’invitation de mon texte, et en continuant de refuser son cœur au Dieu de Jésus-Christ qui le demande.
Le refuser ! et pourquoi ? Quand vous le lui aurez refusé, ce cœur qu’il demande, qu’en ferez-vous ? pensez-y, qu’en ferez-vous ? Car il faut en faire quelque chose ; il faut le donner à quelqu’un ; quand vous voudriez le garder pour vous seul, vous ne le pourriez pas : à qui donc le donnerez-vous ? Voyez, parlez, expliquez-vous : osez vous lever dans cet auditoire, et nous dire en faveur de quel objet plus digne vous dérobez à Dieu ce cœur qu’il réclame ? « O cieux ! soyez étonnés et séchez d’horreur, dit l’Éternel ; car mon peuple a fait deux maux : ils m’ont abandonné, moi la source des eaux vives, pour se creuser des citernes, des citernes crevassées, qui ne peuvent point contenir d’eau (Jérémie 2.11-12). » Oh ! que voilà bien votre indigne histoire, que voilà bien le sanglant outrage que vous faites au Dieu vivant et vrai ! Avec un cœur qui a besoin de se donner — avec un cœur prompt à se donner à la créature qui le demande à la créature même qui ne l’a pas demandé — que sais-je ? peut-être à la créature qui n’en veut pas — vous voici, mendiant, de porte en porte, un asile pour ce cœur, ici déçu, là repoussé, toujours agité et inquiet — malheureux ! et vous avez près de vous le Dieu de Jésus-Christ qui le demande, qui le sollicite, qui l’attend ! Pour expliquer le crime, l’énormité d’un tel renversement, il faudrait une simplicité qui manque à notre christianisme abâtardi. Qu’un de ces Bassoutos transportés tout à coup « des ténèbres à la lumière, de la mort à la vie et de la puissance de Satan à Dieu, » dont un pieux missionnaire nous racontait il y a peu de jours la touchante histoire, me prête sa voix : « Dieu a dit au soleil d’éclairer, et il a éclairé ; il a dit à l’herbe de germer, et elle a germé ; il a dit aux rivières de couler, et elles ont coulé ; il a dit à l’homme : Aime-moi, et l’homme a refusé d’obéir ! »
Mais que fais-je depuis une heure ? Je recueille les raisons les plus fortes, je choisis les expressions les plus touchantes, je presse, je conjure-qui, et de quoi ? Dieu, de pardonner à l’homme pécheur et de lui rendre son cœur, trop justement aliéné de nous ? non, mais l’homme pécheur de donner son cœur au Dieu de Jésus-Christ ; au Dieu dont ce cœur a faim et soif ; au Dieu qui nous a donné tout le sien ; au Dieu qui semble avoir besoin du nôtre pour compléter sa félicité d’amour. Eh ! n’est-ce pas prendre un soin superflu ? Hélas ! craignons plutôt que ce ne soit prendre un soin inutile. Il y faudrait des raisons plus décisives encore, des expressions plus touchantes encore, des instances et des supplications plus pressantes encore — ou plus d’un de ces pécheurs pour lesquels je parle va sortir d’ici tel qu’il y était entré, répondant à Dieu qui lui dit : « Donne-moi ton cœur, » sinon, je ne veux pas, du moins, je ne peux pas, même pensée exprimée seulement avec plus de ménagement ; ou bien, ce qui est moins compromettant, ne répondant rien, secouant la prière de Dieu de dessus ses épaules fatiguées, et impatient d’éteindre dans les occupations ou dans les entraînements de la vie la lueur importune qui vient de se faire jour dans le fond de son âme… Mais non, demeurez. Nous pouvons ne nous revoir jamais. Deux mots encore ; je vous les dis comme un homme qui peut mourir aujourd’hui, à des hommes qui peuvent mourir aujourd’hui : sachez du moins qui vous êtes, et connaissez-vous enfin vous-mêmes. Vous n’avez pas besoin pour cela d’attendre le jugement de la grande journée, où « les livres ouverts » dévoileront le secret des cœurs : c’est un cœur tout dévoilé, tout jugé, qu’un cœur froid pour Dieu. Encore s’il était froid pour tout ; mais non : vif pour tout le reste, vif pour la famille, vif pour le monde, vif pour l’argent, vif pour la convoitise, froid pour Dieu seul. Froid, c’est trop peu dire : avec le Dieu de Jésus-Christ, l’indifférence ne va jamais seule ; avec ce Dieu vivant, qui seul remplit notre cœur, l’indifférence est folie ; avec ce Dieu miséricordieux qui nous a donné son cœur, l’indifférence est ingratitude ; avec ce Dieu incarné qui sollicite notre cœur, l’indifférence est impiété ; point de milieu, avec le Dieu de Jésus-Christ, entre l’amour et l’inimitié. Or, l’inimitié de Dieu, savez-vous ce que c’est ? c’est l’enfer, tout ensemble prouvé et justifié ; c’est l’enfer sur la terre, en attendant que ce soit l’enfer dans l’enfer. « Ennemis de Dieu, voilà ce que vous êtes, je le dis après l’Écriture ; reculez d’effroi, si vous le voulez, mais sondez-vous, et vous serez d’accord avec moi. On est indifférent avec Dieu, pourquoi ? Parce qu’on est las de son service ; las de ses commandements ; las de ses importunités ; las peut-être de son amour. Cette lassitude, qu’est-elle autre chose que de l’inimitié secrète ? Encore une fois, ennemis de Dieu, voilà ce que vous êtes — je veux dire ce que vous avez été vous ne voulez plus être — ce que déjà vous n’êtes plus, si je lis bien dans vos cœurs ! Oh ! mon frère, oh ! ma sœur, donnez aujourd’hui au monde, en attendant que vous le donniez à l’univers au jour du jugement, le seul spectacle moral plus beau que celui d’un ange saint qui n’a jamais cessé d’aimer Dieu, le spectacle d’un pécheur, d’ennemi devenu ami ; d’un saint Pierre, naguère apostat, à qui Jésus dit : « M’aimes-tu ? » et qui répond : « Tu sais que je t’aime ; » d’une Marie-Magdeleine, possédée naguère de sept démons, à qui Jésus dit : « Marie, » et qui répond : « Rabboni ! » Oui, soyez ce saint Pierre, soyez cette Marie : vous le pouvez, si vous le voulez. L’homme refuse tous les jours le cœur de Dieu, mais Dieu ne refusa jamais le cœur de l’homme. Ce n’est pas pour le refuser qu’il le sollicite, qu’il le réveille, qu’il le touche : voulez seulement, et vous le donnerez — voulez, et vous l’avez déjà donné…
Entourez-le, cet enfant prodigue reprenant le chemin de la maison paternelle, frères aînés, qui y êtes rentrés avant lui ; « prévenez-le par amour ; » encouragez ses pas chancelants encore ; surtout, ah ! surtout, épargnez-lui le scandale de votre profession morte, et sachez bien si vous-mêmes avez donné véritablement vos cœurs à Dieu !
Et toi, qui le vois « quand il est encore bien loin, Père éternel, sors au-devant de lui ! et, tandis qu’il répand dans ton sein son humble confession : « Mon Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi, je ne suis plus digne d’être appelé ton fils, » qu’il sente battre ton cœur de père contre son cœur de fils, et qu’il entende sortir de ta bouche ce cri paternel : « Mon fils que voici était perdu, mais il est retrouvé ; il était mort, mais il est ressuscité ! » Amen.
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