I. Les chrétiens ont de Dieu le Père des idées plus sublimes que les Juifs. – II. La paternité de Dieu est prouvée par l’Ancien Testament. – III. Nous ne pouvons être en grâce avec le Père sans reconnaître le Fils. – IV. Le nom de Père suppose nécessairement celui de fils – V. Il n’est Père, par nature, que d’un Fils – VI. Le Dieu créateur du ciel est le même que Dieu Père de Jésus-Christ ; le temple de Jérusalem était consacré à Dieu Père de Jésus-Christ. – VII. Le Christ ne doit pas être confondu avec les justes, Le nom de Père a diverses acceptions. – VIII. Dieu, comme créateur, est le Père commun des hommes. – IX. Marie est nommée mère de S. Jean. – X. Dieu, père des orphelins, des hommes dans le temps, de son Fils avant le temps. – XI. De la vision des Anges. – XII. L’homme a abandonné Dieu son Père pour le chercher dans le bois et la pierre, dans Satan lui-même. – XIII. L’homme n’est naturellement ni sauvé ni réprouvé. – XIV. Nos œuvres ne sont méritoires que comme enfants de Dieu par adoption. – XV. Honneur dû à nos pères, selon la chair. – XVI. C’est la première vertu des chrétiens.
Hujus rei gratia flecto genua mea ad Patrem Domini nostri Jesu Christi, ex quo omnis paternitas in cœlis et in terrâ nominatur, etc. (Ephésiens 3.14.)
C’est pourquoi je fléchis les genoux devant Dieu le Père, principe de toute paternité au ciel et sur la terre.
Dans notre Instruction d’hier nous vous avons suffisamment expliqué la doctrine d’un Dieu seul et unique maître ; je dis : suffisamment, c’est-à-dire abstraction faite de la dignité du sujet qui est au-dessus de toute nature humaine, mais autant qu’il est donné à notre faiblesse de pouvoir en parler. Nous avons suivi dans leurs différents détours les nombreuses hérésies qui attaquent l’essence de la divinité. Nous les avons démasquées, nous vous avons fait connaître la lèpre hideuse qui les couvre, non pour vous scandaliser, mais dans l’espoir que retenant fidèlement ce que nous avons dit, vous, en concevriez plus d’horreur. Revenons à notre sujet, et continuons de développer les dogmes salutaires de la vraie foi. A la dignité d’un seul Dieu nous adjoignons encore la prérogative de la paternité, et nous croyons en un seul Dieu Père. Car il ne suffit pas de croire en un seul Dieu, mais il faut encore croire que ce même Dieu est le Père du Fils unique Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Car c’est en cela que notre doctrine est bien supérieure à celle des Juifs qui comprennent, il est vrai, dans leurs dogmes l’unité de Dieu, quoiqu’ils l’aient souvent abjurée par leur idolâtrie. Mais ils s’obstinent à ne pas reconnaître ce Dieu UN pour le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et se mettent ainsi en opposition directe avec leurs Prophètes qui ont dit : Le Seigneur m’a dit : Vous êtes mon Fils[1], je t’ai engendré aujourd’hui. (Psaumes 2.7.) A ce mot ils ont frémi et frémissent encore, ils se réunissent, ils se liguent contre le Seigneur et contre son Christ, pensant pouvoir plaire à Dieu et le glorifier sans rendre au Fils les hommages qui lui sont dus. Mais ils ne savent pas que nul ne peut aller au Père que par le Fils (Jean 14.6) qui a dit : Je suis la porte (Ibid. X, 9) et je suis la voie. (Jean 14.6.) Comment donc celui qui se détourne de la voie qui conduit au Père, de la porte qui introduit vers lui, pourra-t-il avoir accès près de lui ? Ils sont d’ailleurs en contradiction formelle avec ces paroles du Psalmiste : Lui-même m’invoquera et me dira : Vous êtes mon Père, mon Dieu, le protecteur de mon salut. Je l’établirai le premier-né, je le placerai au-dessus de tous les rois de la terre. (Psaumes 88.27-28.) S’ils s’obstinent à faire violence à ces mots et à en détourner le sens en faveur de David ou de Salomon ou de quelque autre de leurs successeurs, qu’ils nous montrent du moins comment le trône de celui que le Prophète signale selon eux est-il comme les jours du ciel, comme le soleil, comme la lune dans son plein, éternel en la présence de Dieu. (Ibid. 38.) Comment leurs yeux ne se décillent-ils pas à la vue de ces mots, Je vous ai engendré de mon sein dès le point du jour, avant que l’aurore n’eût humecté la terre (Psaumes 109.3) et sa durée doit égaler celle du soleil, de la lune et les générations des générations ? (Psaumes 72.5.) C’est le comble de l’ineptie, que dis-je, de l’impiété, que de rapporter à un homme quelconque des paroles qui en sont si manifestement éloignées.
[1] Le Seigneur m’a dit : Vous êtes mon Fils.
Ce que dit ici S. Cyrille de l’aveugle stupidité des Juifs ne peut s’adresser qu’aux Juifs modernes. Car les docteurs de la synagogue, antérieurement à la venue du Messie, n’ignoraient pas le mystère de la sainte Trinité. Le peuple juif était, avant et après la venue du Christ, trompé par les pharisiens qui lui cachaient le sens des traditions prophétiques, dont ils étaient seuls dépositaires ; et ce n’est que depuis la publication des targums par la voie de l’impression que l’on a pu les taxer d’aveugles stupides. Ils ont pu lire, et ils n’ont pas su lire. Au reste, si le mot stupide s’adresse aux chefs comme représentant toute la nation, ils sont plus que stupides, ils sont de la plus exécrable mauvaise foi. Je ne prends ici pour preuve que le texte produit par S. Cyrille. Or, nous lisons dans le livre Succa, au chap : Habelil hanila : « La tradition des Rabbanan, c’est-à-dire des maîtres, qui dit” (que le Messie fils de David, qui doit racheter le monde, le rachètera de nos jours, et que le Dieu saint et béni lui dira : Demande-moi quelque chose, et je te le donnerai, comme il est dit au Ps. II: Dieu m’a dit : Tu es mon fils, et je t’ai engendré aujourd’hui ; demande-moi, et je te donnerai toutes les nations en héritage, et pour possession tous les confins de la terre. »
« Et lorsqu’il aura vu le MESSIE Fils de Joseph, tué, il dira devant lui, c’est-à-dire Dieu Seigneur du siècle, je ne vous demande que la vie ; et le Dieu saint et béni lui dira : Tu me demandes la vie ? est-ce que ton père David n’a pas prophétisé sur toi (Psaumes 21 ou 20.5) Il t’a demandé la vie ; et tu lui as accordé des jours dans tous les siècles des siècles. »
Voilà ce que dit le Talmud, loco citato.
Il est peu de mystères de la foi catholique qui ne puissent se prouver comme ayant toujours fait partie de la foi hébraïque dans la synagogue. On peut là-dessus recueillir d’innombrables témoignages dans l’ouvrage de Wagenseil : Tela ignea Satana, et dans celui de Galatin : Arcana fidei catholicæ veritatis, et dans les lettres de M. Drach au peuple juif. Cette malheureuse nation traîne partout après elle les preuves les plus authentiques de sa criminelle stupidité. Elle colporte partout ses targums ou paraphrases chaldaïques, c’est-à-dire les commentaires de la synagogue sur les Livres saints, faits au retour de la captivité. Notamment le Zohar, le plus ancien de tous les livres après la Bible, prouve à chaque page que la synagogue croyait au mystère de la sainte Trinité, à l’incarnation future du Fils et au Saint-Esprit. Les Juifs ont tenu longtemps secrets ces livres qui déposaient contre eux. Il paraît que les Pères de l’Eglise ne les ont pas connus ; car on ne voit pas qu’ils en aient tiré parti pour combattre le pharisaïsme. Ce n’est que depuis l’invention de l’imprimerie que leurs livres ont pu être étudiés, et qu’on a pu opposer aux pharisiens modernes leurs propres armes et dire réellement d’eux avec S. Augustin : In cordibus hostes, in codicibus testes.
Voyez notre dissertation sur le secret, à la suite de la Procatéchèse. (Note du Traducteur.)
Mais laissons le Juif dans son incrédulité habituelle, laissons-le s’égarer, puisqu’il le veut, sur le texte de tels ou tels mots. Quant à nous, puisque déjà nous avons reçu avec piété le dogme d’un seul Dieu, adorons en lui le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; car il y aurait de l’impiété de méconnaître dans l’auteur de toute génération la faculté d’engendrer. Croyons d’abord en un seul Dieu Père, pour que, avant de nous engager dans la doctrine qui concerne Jésus-Christ, la foi dans le Fils unique soit bien établie dans nos cœurs, et qu’aucune idée de division ou de séparation entre ces deux mots ne s’élève dans votre esprit.
Le nom de Père emporte avec lui nécessairement l’idée de Fils, de même que le nom de Fils suppose celui de Père. S’il y a un Père, il y a nécessairement un Fils ; et s’il y a un Fils, il y a donc un Père. Et pour que de cette phrase : Nous croyons en un seul Dieu le Père tout-puissant, Créateur du ciel et de la terre, de tout ce qui est visible et invisible, ensuite et en un seul Seigneur Jésus-Christ, on ne puisse pas en conclure que l’un est inférieur à l’autre en sainteté, parce que son nom se trouve placé après ces mots : Le ciel et la terre, nous nommons d’abord, Dieu le Père, pour faire comprendre que, puisque nous nommons le Père, nous connaissons aussi le Fils. Car entre le Père et le Fils on ne peut admettre aucun terme moyen[2].
[2] On ne peut admettre aucun terme moyen.
Ces paroles semblent ici avoir un double but : 1° celui de combattre les Valentiniens et autres Gnostiques qui supposaient des séries de générations entre l’Eternel et Jésus-Christ, peut-être aussi pour détruire l’idée impie de cette sagesse et vertu du Père, distincte du Verbe, innée, incréée, créatrice et mère du Christ, que le sophiste Astérius avait rêvée, et dont parle S. Athanase. (De Synodis, n. 18. Orat. II, 37.) 2° Parce qu’entre le Père et le Fils il n’y a aucun intervalle de temps, aucun moment de non-connaissance et de réflexion. (Voyez Catéch. XI, 7,8.)
C’est donc par un abus de mots qu’on appelle Dieu, le Père de beaucoup de choses. Il n’est réellement Père en nature et en vérité que du seul et unique Fils Notre-Seigneur Jésus-Christ. Sa paternité n’a point de commencement ; car c’est de toute éternité qu’il a été le Père du Fils unique. Il n’a jamais existé sans progéniture ; ce n’est point par un changement de pensées qu’il est devenu Père. Mais il a eu la dignité paternelle avant toute substance, avant tout être sensible, avant tous les temps et tous les siècles, et c’est pour lui le plus glorieux de ses titres. La passion, l’adjonction d’un autre être, l’ignorance, la déperdition, n’ont pas été le principe de sa paternité[3]. Tout don parfait vient d’en haut et descend du Père des lumières, chez lequel il n’y a ni mutation ni ombre de révolution. (Jacques 1.17.) Ce Père parfait a engendré un Fils parfait, et l’a mis en possession de tout ce qui est. Car mon Père, dit-il, m’a remis toutes choses entre les mains (Matthieu 11.27) et le Père est honoré par le Fils. Car moi j’honore mon Père, a-t-il dit (Jean 8.49) comme j’ai moi-même gardé les commandements de mon Père, et que je demeure dans son amour. (Jean 15.10.)
[3] N’ont pas été le principe de sa paternité.
Duas res à divina generatione verbo passionis, excludunt Patres. 1° тò xαo’ hòοvà яálos, ut loquitur Gregorius Nyss. (Catech. Orat. cap. 16) illam videlicet in animâ perturbationis, ex voluptatis sensu, labem quæ humanæ generationis indivulsa est comes. 2° Illam etiam in corpore demutationem quæ tùm in patris corpore contingit. Hoc postremo sensu álos intelligit Athanasius, Orat. I, Cont. Arianos, n. 28. Gregorius Nazianz. (Orat. XXXVI, pag. 590.) Hic Cyrillus Arium intendit qui, ut generationem è divinis amoveret, hanc sine passione, deperditione, effluxu fieri posse negabat. Hæc omnia catholicæ sententiæ imputabat Arius in sud ad Alexandrum epistola. (Apud Athanasium de synod. n. 16.) C’est ce que Cyrille explique (Catéch. XI, 8) : Nimirùm qui homines in generando prolem quæ exse proditura ignorant, nec quem volunt, sed quem Deus concedit, generant. Sed dicere autem quòd Deus eum quem gignit ignoret, summa impietas est. Hæc contra Arianos.
Nous disons donc et nous le disons avec l’Apôtre : Béni soit le Dieu et le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation (2 Corinthiens 1.3) ; et nous fléchissons les genoux en présence du Père, auteur de toute paternité dans le ciel et sur la terre. (Ephésiens 3.14-15.) Nous le glorifions avec son Fils unique. Car qui nie le Père, nie le Fils (1 Jean 2.22) ; et quiconque confesse le Fils, reconnaît aussi le Père. (Ibid. 23.) Et nous savons que Notre-Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de Dieu son Père. (Philippiens 2.11.)
Nous adorons donc le Père du Christ, le créateur du ciel et de la terre, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu en l’honneur duquel ce temple fut d’abord érigé là vis-à-vis de nous[4]. Car nous combattrons tout hérétique qui scinde l’Ancien Testament du Nouveau, parce que nous croirons en Jésus-Christ, qui a dit en parlant du temple : Ignoriez-vous qu’il faut que je sois dans les propriétés de mon Père ? (Luc 2.49.) Et ailleurs : Sortez cela d’ici, et ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic. (Jean 2.16.)
[4] Erige là vis-à-vis de nous.
C’est du temple détruit par Tite que parle ici S. Cyrille, et dont il était encore facile de voir l’emplacement et les ruines situées à l’orient de la nouvelle ville d’Elia, bâtie par Adrien sur la montagne, des Oliviers, et qu’habitaient les Grecs et les Romains. Il restait encore l’an 348, époque où parlait S. Cyrille, des ruines considérables de l’ancien temple, qui ne disparurent totalement que l’an 363, sous Julien l’Apostat, lorsque les Juifs, de concert avec les païens, voulurent en tenter la reconstitution.
Voilà donc un aveu manifeste de la part de Jésus-Christ, que le temple, qui était alors jadis ici à Jérusalem, était celui de son Père. Si l’incrédulité récalcitrante exigeait de nouvelles preuves que le Père du Christ est le même que le Créateur du monde, qu’elle prête encore l’oreille à ces paroles du Sauveur : Deux passereaux ne se vendent-ils pas un sol ? Et cependant aucun ne tombera sur la terre sans la volonté de mon Père qui est dans les cieux. (Matthieu 10.29.) Voyez les oiseaux du ciel qui ne sèment point, qui ne moissonnent pas, qui ne font aucune provision ; et c’est mon Père céleste qui les nourrit. (Ibid. VI, 26.) Mon Père jusqu’ici agit, et moi aussi j’agis. (Jean 5.17.)
Mais pour que la simplicité ou la mauvaise foi ne puisse pas déduire de ces paroles du Sauveur Je monte vers mon Père et votre Père (Jean 20.17) que les justes sont égaux en dignité avec Jésus-Christ[5], je dois vous prévenir que le nom de Père est un, mais que sa vertu est multiple dans ses effets. Jésus-Christ ne l’ignorant pas, a dit très-sagement : Je vais vers mon Père et votre Père, et non pas vers notre Père ; car divisant sa pensée, il désigne d’abord ce qui lui est propre par nature, c’est-à-dire vers mon Père ; puis il ajoute : vers votre Père, vers celui qui est le vôtre par adoption. Et quoique dans nos prières il nous soit permis de dire : Notre Père qui êtes aux cieux, ce n’est pas que nous soyons selon l’ordre de la nature les enfants de Dieu qui est dans les cieux, mais c’est que par une grâce ineffable il nous a fait passer de l’état de servitude à la dignité d’enfants de Dieu par Jésus-Christ et le Saint-Esprit, et que nous sommes redevables de cet honneur à la grâce du Père et à son ineffable bonté envers les hommes.
[5] Que les justes sont égaux en dignité avec Jésus-Christ.
Les Ebioniens avaient dit d’abord que Jésus-Christ était fils de Joseph selon la chair ; ils n’en firent ensuite qu’un simple mortel, prophète à la vérité, mais qui, par ses vertus et ses relations avec Dieu, s’était acquis le surnom de Fils de Dieu. (Epiph. Hæres. Xxx 2,3.) Cette hérésie fut dans le principe commune aux Cérinthiens, Carpocratiens et Valentiniens. (Voy. Irénée, lib. 1, cap. 26,1.) Mais ces derniers sur-enchérirent sur leurs prédécesseurs, et prétendirent non-seulement s’égaler à Jésus-Christ en mérites, mais pouvoir lui être même supérieurs. Théodote le corroyeur, Artémon, Paul de Saanosate, enseignèrent aussi que le Christ n’était qu’un homme déifié en raison de ses vertus. Cette communauté de blasphèmes existe aujourd’hui entre les Musulmans, les Sociniens et les Calvinistes modernes, et tous nos Gnostiques ou illuminés qui changent de nom et de masques, mais qui s’agitent toujours dans le même cercle d’impiétés. (Voyez Catéch. XII, 5, et la note A.)
D’ailleurs, voulez-vous savoir à quel titre nous appelons Dieu notre Père ? Ecoutez ce que vous dit Moïse, cet excellent maître : N’est-ce pas votre Père celui qui vous a possédé (comme son héritage) qui vous a créé et qui vous a fait ? (Deutéronome 32.6.) Ecoutez encore le prophète Isaïe : Et maintenant, Seigneur, vous êtes notre Père ; pour nous, nous ne sommes tous que du limon pétri de vos mains. (Esaïe 64.8.) La grâce prophétique nous, a révélé en termes clairs et précis que si nous appelons Dieu notre Père, ce n’est point de la nature que nous tenons ce titre, mais de la grâce, mais du bienfait de l’adoption.
Pour vous mieux convaincre encore que ce n’est pas seulement au père naturel que les pages des Livres saints attribuent le titre de père, écoutez l’Apôtre lorsqu’il dit aux Corinthiens : Quand vous auriez dix mille maîtres en Jésus-Christ, vous n’avez pas néanmoins plusieurs pères, puisque c’est moi qui par l’Evangile vous ai engendrés en Jésus-Christ. (1 Corinthiens 4.15.) Or, ce n’était pas selon la chair que saint Paul était le père des Corinthiens, mais il était leur père pour les avoir régénérés par le Saint-Esprit dans la science de l’Evangile. J’étais le père des pauvres, disait Job. (Job 29.16.) Et certes, il ne prétendait pas les avoir engendrés dans l’ordre de la nature, mais il les avait nourris ; et c’est à се titre qu’il se disait leur père. Lorsque le Sauveur jetant les yeux du haut de sa croix sur sa mère selon la chair, et sur Jean son disciple bien-aimé, dit à celui-ci, Voilà votre Mère, et à Marie, Voilà votre Fils (Jean 19.26-27) c’était pour leur faire connaître les soins qu’ils devaient avoir l’un pour l’autre. C’est ainsi qu’il expliqua indirectement ces paroles de saint Luc : Et son père et sa mère étaient dans l’admiration (Luc 11.33) : paroles dont abusent les hérétiques, pour ne voir dans Marie et Joseph qu’un père et qu’une mère selon la chair.
Il est cependant évident que de même que Marie est dite mère de Jean à raison de son affection, Joseph est également appelé père de Jésus en raison des soins qu’il avait donnés à son enfance, et non pas à titre de paternité réelle. D’ailleurs, l’Evangile s’explique clairement lorsqu’il nous dit : Il ne l’avait pas connue lorsqu’elle enfanta son fils premier-né. (Matthieu 1.25.) Au reste, que cela soit dit en passant, et seulement par forme d’avis.
Achevons de démontrer que le titre de Père que les hommes donnent à Dieu est une pure métonymie. En peut-on trouver une preuve plus palpable que dans ces paroles qu’Isaïe adresse au Seigneur ? Vous êtes notre Père, puisque Abraham ne nous connaît pas, et que Sara ne nous a pas enfantés. (Esaïe 63.16.) Que peut-on dire de plus positif ? Et si le Psalmiste dit : Que nos ennemis soient remplis d’effroi à la vue de celui qui est le Père des orphelins, et le juge des veuves (Psaumes 67.6) n’est-il pas évident que les enfants qui viennent de perdre leurs parents et qui donnent à Dieu le nom de Père, ne voient pas dans lui l’auteur immédiat de leurs jours, mais bien un tuteur, un protecteur ?
Ainsi Dieu n’est que figurativement le Père des hommes, tandis qu’il est Père de Jésus-Christ selon la nature et non par adoption. Il est le Père des hommes dans le temps, et de Jésus-Christ avant le temps, comme celui-ci le dit lui-même : Et vous, mon Père, glorifiez-moi maintenant en vous-même de cette gloire que j’ai eue en vous avant que le monde fût. (Jean 17.5.)
Nous croyons donc en un seul Dieu Père dont nous ne pouvons ni scruter les pas, ni approfondir les voies, ni raconter les merveilles[6], qu’aucun homme n’a vu, et que le Fils unique nous à seul révélé. Car celui qui est de Dieu a vu lui-même Dieu. (Jean 6.46.) Les Anges le voient sans cesse face à face dans les cieux. (Matthieu 18.10.) Ils le voient, mais chacun dans la proportion du rang qu’ils occupent. Car il n’est donné qu’au Fils avec le Saint-Esprit de contempler le Père dans tout son éclat sans le plus léger nuage.
[6] Ni approfondir les voies, ni raconter les merveilles.
Investigabilem, inenarrabilem, sont ici des mots ajoutés au Credo, dans l’intention de combattre les Gnostiques qui faisaient une distinction entre Dieu créateur du monde et Dieu père du Christ ; en ce que le premier était visible et s’était souvent fait voir dans l’Ancien Testament, et que le dernier, au contraire, était invisible et incompréhensible. C’est ainsi qu’au concile d’Aquilée on ajouta au symbole, dit Ruffin, les mots d’invisible, d’impassible en opposition aux Sabelliens et Patropassiens.
Arrivé à cette partie de notre discours où nous vous disions, il n’y a qu’un instant, pourquoi nous donnions à Dieu le titre de Père des hommes, j’ai été saisi de stupeur, en me rappelant leur ingratitude. Quoi ! Dieu qui habite les cieux, qui a daigné dans son ineffable clémence se faire appeler le Père des hommes qui habitent la terre, lui qui est le Créateur de tout ce qui est ici-bas, des siècles, et de tout ce qui vit dans le temps, lui qui tient toute la terre dans le creux de sa main (Esaïe 40.2) aux yeux duquel tous les humains sont autant de sauterelles (Ibid. 22) Dieu a été oublié, abandonné de sa créature ! l’homme, détournant les yeux de dessus son Père céleste, a dit au bois : Tu es mon père (Jérémie 2.27) et à la pierre : Tu es ma mère (Ibid.) c’est sans doute ce qui a fait dire au Psalmiste s’adressant à toute l’humanité : Oubliez votre peuple et la maison de votre père (Psaumes 44.11) celui que vous vous êtes choisi, dans les bras duquel vous vous êtes refugiés pour votre perte et votre malheur.
Ce n’est pas seulement du bois, des pierres, qu’ils ont pris pour leur père ; c’est Satan lui-même, ce destructeur des âmes. C’était à ces hommes dénaturés que le Seigneur disait dans sa colère : Vous faites les œuvres de votre père. (Jean 7.41.) C’est-à-dire de Satan qui est en effet leur père, non par nature, mais par fourberie ; car, de même que les Corinthiens donnaient par respect et par reconnaissance le nom de Père à Paul (1 Corinthiens 4.15) de même aussi ces insensés donnent-ils par un esprit sympathique à Satan ce vénérable titre. Nous ne souffrirons pas parmi nous ceux qui pervertissent le sens de ces paroles[7]. C’est en cela que nous connaissons ceux qui sont enfants de Dieu et ceux qui sont enfants du diable (1 Jean 3.10) comme si parmi les hommes il y en avait qui dussent être par nature sauvés ou perdus. Car ce n’est pas une fatale nécessité, mais notre libre arbitre qui nous introduit dans cette divine adoption. Ce ne fut pas une aveugle nature qui fit de Judas un traître, un fils du diable, un enfant de perdition (Jean 17.12) ; car s’il eût été tel, il n’aurait pas dans le commencement chassé les démons au nom de Jésus-Christ, car Satan ne chasse pas Satan ; et Paul de persécuteur de l’Eglise ne serait pas devenu un apôtre de l’Evangile, si son adoption n’eût pas été pleinement volontaire. Nous ne devenons donc enfants de Dieu par adoption qu’autant que nous le voulons, selon ces paroles du disciple bien-aimé : Il a donné à tous ceux qui l’ont reçu, le pouvoir de devenir enfants de Dieu ainsi qu’à ceux qui croient en son nom. (Jean 1.12.) Car ce n’est pas avant leur foi, mais en conséquence de leur foi et de leur plein gré, qu’ils ont été gratifiés de la qualité d’enfants de Dieu.
[7] Ceux qui pervertissent le sens de ces paroles.
C’était, dit Didyme dans son commentaire sur ces paroles de S. Jean, que se fondaient les Valentiniens et autres Gnostiques ennemis déclarés de l’Ancien Testament et du Dieu créateur. Nous voyons dans Origène qu’Héraclion le Valentinien, pour prouver que quelques hommes étaient de même substance que le diable, citait ces mots : Vos ex patre diabolo estis, et desideria patris vestri vultis facere. (Jean 8.44.)
Manès se prévalait de ce même texte, comme nous le voyons dans sa dispute avec Archélaüs, n. 39, et dans Epiph. (Hæres. LXVI, 3.) Ce passage de S. Cyrille est directement contre Luther et Calvin et leurs sectaires qui partagent le genre humain en deux parts, l’une d’heureux, ou enfants de Dieu, l’autre de malheureux, enfants du diable, et cela en vertu d’un décret immuable et éternel de la sagesse divine. Quoique cette doctrine fasse horreur, elle est encore dominante chez les Calvinistes rigides, tels que ceux qu’on appelle Méthodistes.
Maintenant que nous connaissons comment nous pouvons acquérir cette dignité, travaillons sérieusement à notre conversion spirituelle. Car tous ceux qui se laissent conduire par l’esprit de Dieu sont enfants de Dieu. (Romains 8.14.) C’est en vain que nous nous dirons chrétiens[8], si les œuvres n’accompagnent pas notre foi, si nous ne voulons pas qu’on nous adresse un jour ces paroles : Si vous eussiez été les enfants d’Abraham, vous eussiez fait les œuvres d’Abraham. (Jean 8.39 ; 1 Pierre 1.17.) Si nous donnons le nom de Père à celui qui juge les œuvres d’un chacun sans acception de personnes, passons dans la crainte le temps de notre exil, sans nous attacher au monde ni aux choses de ce monde (1 Jean 2.15) ; car celui qui l’aime ne possède pas l’amour de Dieu. (Ibid.) C’est pourquoi, mes chers Enfants, glorifions notre Père céleste par nos œuvres, pour que nos bonnes œuvres voient, glorifient notre Père qui est dans les cieux (Matthieu 5.16) ; rejetons sur lui toutes nos inquiétudes (1 Pierre 5.7) ; car notre Père sait ce dont nous avons besoin. (Matthieu 6.8)
[8] C’est en vain que nous nous dirons chrétiens.
Tout ce paragraphe, jusqu’à ces mots : si nous donnons, se trouve reproduit textuellement par Anastase le Sinaïte, l’auteur présumé des 154 questions (Quest. 1re) sous le nom même de notre S. Cyrille, et par Philippe le Solitaire, de Dioptra (lib. I, cap. 1) sous le nom seulement de Cyrille. Il est étonnant, dit le Père Touttée, que le docteur Milles, dont nous avons parlé dans notre préface, en citant dans son appendice sur S. Cyrille ce passage d’Anastase, dise ne l’avoir jamais trouvé dans ses Catéchèses, et le jette au rebut. Quant à moi, je n’en suis pas étonné. Le Presbytéranisme a bien fait d’autres aveugles.
Mais en rendant à notre Père céleste les hommages qui lui sont dus, rendons aussi à nos parents selon la chair le respect que le Seigneur dans la loi et les Prophètes nous a prescrit en ces termes : Honorez votre père et votre mère, pour être heureux et vivre longtemps sur la terre. (Exode 20.12.) Vous qui m’écoutez, qui avez surtout le bonheur d’avoir encore vos pères et vos mères, retenez ce précepte de l’Apôtre : Enfants, obéissez à vos parents en toutes choses. (Ephésiens 6.1.) Telle est la volonté de Dieu. Car le Seigneur n’a pas dit : Qui aime son père et sa mère n’est pas digne de moi (Matthieu 10.37) ; mais pour ne laisser à l’ignorance aucune occasion de mal interpréter ses paroles, il a ajouté plus que moi, et ces derniers mots trouvent leur application rigoureuse, lorsque nos pères selon la chair sont dans leurs volontés en opposition avec celle du Père céleste. Mais lorsque ceux-ci n’apportent aucun obstacle à notre salut, et lorsque nous-mêmes emportés par un esprit de révolte et d’ingratitude, qu’oubliant leurs bienfaits nous les méprisons, c’est alors que nous trouvons notre condamnation dans ces paroles : Que celui qui aura maudit son père ou sa mère, soit frappé de mort. (Exode 21.17 ; Lévitique 20.9 ; Matthieu 15.4.)
La première vertu du chrétien, c’est la piété filiale, c’est son respect envers ses parents ; c’est dans nos soins à venir au-devant de tout ce qui peut contribuer à leur bien-être, que consiste la récompense de ceux qui nous ont donné le jour et l’éducation ; car quels que soient nos témoignages d’amour et de respect envers eux, jamais nous ne pourrons leur rendre la vie qu’ils nous ont donnée.
Enfin le chrétien veut que son père, en jouissant dans sa vieillesse des consolations de la vie, assure sur sa tête les bénédictions dont Jacob sut se mettre en possession aux dépens d’Esaü (Genèse 27.28-29) ; afin que notre Père céleste prenant en considération notre bonne volonté pour eux, daigne les ratifier, et que nous soyons un jour revêtus de l’éclat dont les justes jouissent dans le royaume éternel de celui à qui est la gloire avec Jésus-Christ son Fils unique notre Sauveur et avec le saint et vivifiant Esprit, maintenant, toujours et dans les siècles des siècles.
Ainsi soit-il.