Histoire ecclésiastique - Eusèbe de Césarée

LIVRE I

CHAPITRE VIII
ATTENTAT D'HÉRODE CONTRE LES ENFANTS ET QUELLE FUT LA TRISTE FIN DE SA VIE

[1] Le Christ était né selon les prophéties à Bethléem de Judée au temps que nous avons dit. Hérode fut interrogé par les mages d'Orient ; ils lui demandèrent où était le roi des Juifs qui venait de naître ; car ils avaient vu son étoile, ils avaient entrepris leur long voyage et ils avaient hâte d'adorer comme un dieu le nouveau né. Hérode ne fut pas médiocrement troublé de cette affaire ; dans sa pensée, elle mettait son trône en danger. Il s'informa donc auprès des docteurs de la loi où ils espéraient que le Christ devait naître. Quand il sut la prophétie de Michée annonçant que c'était à Bethléem, il ordonna par un édit de tuer les enfants à la mamelle dans cette ville et dans tout le pays limitrophe, depuis deux ans et au-dessous, à partir de l'époque exacte fixée par les mages. Il pensait que selon toute apparence Jésus partagerait à peu près sûrement le même sort que ses compagnons d'âge. [2] Mais l'enfant prévint le coup et fut emporté en Égypte. Ses parents avaient été instruits de ce qui devait arriver par l'apparition d'un ange. Du reste le récit sacré de l'Évangile nous apprend cela.

[3] A cette occasion, il est à propos de voir quel fut le châtiment de l'audacieuse cruauté d'Hérode contre le Christ et ceux de son âge. Aussitôt après, sans le moindre avertissement, la justice divine se mit à le poursuivre tandis qu'il était encore dans cette vie ; elle lui montra le prélude de ce qui lui était réservé au jour où il en sortirait. [4] Au moment même où tout lui paraissait prospère dans ses états, son étoile pâlit et les crimes se succédèrent dans sa maison. Il assassina sa femme, ses enfants, tous ses plus proches parents et ses meilleurs amis. Il est impossible de décrire ces horreurs, c'est un sujet qui ferait pâlir les tragédies ; Josèphe l'a du reste exposé tout au long dans ses Histoires. [5] Immédiatement après le crime commis contre notre Sauveur et les autres enfants, un fouet manié par une main divine s'acharna sur le coupable et le poussa vers la mort. Il ne sera pas hors de propos d'entendre le narrateur des crimes d'Hérode nous raconter dans le dix-septième livre de l'Antiquité juive, la triste tin de sa vie. Voici ses paroles :

« La maladie se fit sentir de jour en jour plus lourde pour Hérode. Dieu exerçait la vengeance des crimes qu'il avait commis. [6] Un feu lent, en effet, qu'on percevait peu au toucher, exerçait affreusement son action à l'intérieur de son corps ; il avait une faim dévorante que rien ne pouvait apaiser ; ses intestins étaient remplis d'ulcères ; de violentes coliques lui faisaient endurer de terribles douleurs ; ses pieds étaient enflés et couverts d'une humeur luisante. [7] Il avait les aînes dans le même état et les parties secrètes de son corps étaient en putréfaction et par suite remplies de vers. Il ne respirait qu'avec peine et en se dressant ; il exhalait une odeur insupportable à cause de la pesanteur et de la fréquence de son souffle. Des convulsions agitaient tous ses membres avec une violence intolérable. [8] Les devins, et ceux qui mettent leur sagesse à prédire ces sortes de choses, affirmaient que Dieu se vengeait ainsi des nombreuses impiétés de ce roi. »

Voilà ce qu'écrit Josèphe dans l'écrit mentionné. [9] Au second livre des Histoires, il apporte à peu près les mêmes choses en ces termes :

« Ensuite le mal se répandit dans tout son corps et lui fit endurer mille souffrances : il avait une fièvre lente, une démangeaison insupportable sur toute la peau et des coliques continues. Ses pieds étaient gonflés comme ceux d'un hydropique, il avait le bas ventre enflé et les parties secrètes de son corps étaient en putréfaction et pleines de vers. De plus, sa respiration était celle des asthmatiques et fort pénible ; tous ses membres en proie aux convulsions ; et de tels maux, au dire des devins, étaient un châtiment.

« [10] Luttant contre de telles souffrances, il s'attachait la vie, espérait une guérison, et cherchait des remèdes. Il franchit donc le Jourdain pour prendre les eaux de Callirrhoé : celles-ci coulent vers le lac Asphaltite et leur douceur les rend même potables. [11] Là les médecins pensèrent lui réchauffer tout le corps affaibli en le plongeant dans une baignoire pleine d'huile chaude, mais ce traitement l'épuisa et ses yeux se retournèrent comme dans une syncope. Au cri que firent ses serviteurs, il se remit, renonçant du reste à guérir. Il ordonna de distribuer à chaque soldat cinquante drachmes et de grandes sommes aux chefs et aux amis. [12] Il revint lui-même à Jéricho avec une humeur sombre et irritée ; puis, comme s'il eût voulu menacer la mort elle-même, il en vint à un piège et à une action atroce. Il fit assembler les notables de chacun des bourgs de toute la Judée et les enferma dans l'hippodrome. [13] Il appela alors sa sœur, Salomé, et Alexandre, son mari : « Je sais, dit-il, que les Juifs doivent fêter joyeusement ma mort ; mais je puis être pleuré par d'autres et avoir de brillantes funérailles si vous voulez exécuter mes ordres. Faites entourer par des soldats ces hommes que l'on garde, et après mon dernier soupir, mettez-les à mort aussitôt ; ainsi la Judée entière et chaque famille me pleurera malgré elle ».

[14] Josèphe ajoute un peu plus loin :

« Il était de nouveau tourmenté par la faim et secoué par une toux convulsive. Sous l'impression de la douleur, il résolut de prévenir le destin. Il prit une pomme et demanda un couteau, car il avait coutume de manger en coupant. Il regarda ensuite autour de lui afin d'être sûr que personne ne l'empêcherait, il leva la main pour se frapper. »

[15] En outre, le même historien raconte qu'avant sa fin, il donna l'ordre de faire périr le troisième de ses fils ; il avait déjà tué les deux autres ; enfin il termina subitement sa vie dans d'atroces souffrances. [16] Telle fut la fin d'Hérode ; il subit le juste châtiment du meurtre des enfants de Bethléem qu'il avait entrepris pour faire périr notre Sauveur. Après cette mort, un ange fut envoyé en songe à Joseph qui se trouvait alors en Égypte ; il lui ordonna de ramener l'enfant et sa mère en Judée, lui montrant que ceux qui en voulaient à la vie de l'enfant n'étaient plus. A cela l'évangélise ajoute : « Mais ayant appris qu'Archélaüs régnait à la place d'Hérode son père, il craignit de s'y rendre et averti par un songe, il partit pour le pays de Galilée. »

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