Ayant renoncé à la prétention d’offrir à nos lecteurs une histoire suivie de la littérature apostolique et post-apostolique, il semble que nous n’ayons d’autre ordre à suivre que le rang occupé par les livres sacrés dans le Canon lui-même. Mais cet ordre a un caractère très accidentel et il est loin d’avoir été toujours le même. Rien en effet ne varie davantage que l’ordre de ces livres dans les anciens documents. Le groupe des évangiles y est toujours en tête ; mais l’évangile de Jean est souvent placé le second, et celui de Luc le quatrième. Les Actes sont placés tantôt immédiatement après les évangiles, tantôt avec l’Apocalypse à la fin du Canon. Quant aux lettres, les épîtres catholiques se trouvent le plus souvent, dans les anciens manuscrits grecs, avant celles de Paul, tandis qu’en Occident celles de Paul suivent le groupe des évangiles et des Actes. L’épître aux Hébreux a occupé parmi les lettres de Paul des places très diverses.
L’ordre des livres dans le Canon ne s’impose donc en aucune manière. Et comme il est presque universellement admis à cette heure que les plus anciens monuments de la littérature chrétienne qui nous aient été conservés, sont les épîtres de Paul, nous croyons ne pas obéir à une inclination particulière en commençant, comme l’a fait Schleiermacher et comme le font maintenant plusieurs auteurs (Holtzmann, Weiss, etc.), par ce groupe d’écrits. Nous bénéficierons ainsi en quelque mesure des avantages que peut présenter la méthode historique.
Le groupe des évangiles et des Actes suivra naturellement, car les dernières des épîtres de Paul sont contemporaines de l’époque où a commencé l’historiographie évangélique. Ce sera le sujet de notre second volume.
Le groupe des épîtres catholiques, de l’épître aux Hébreux et de l’Apocalypse, qui n’est que comme un appendice des deux premiers, sera traité dans le troisième volume, qui doit terminer la première partie de notre ouvrage, l’Introduction particulière.
L’accord sur l’ordre chronologique à assigner aux différents groupes des épîtres de Paul est également assez bien établi pour que nous puissions sans inconvénients le supposer admis et nous y conformer. Ces écrits appartenant à la vie d’un seul et même homme, tout autre ordre nous condamnerait au double inconvénient des retours en arrière et des répétitions.
Nous commencerons par un coup d’œil sur la vie de l’apôtre jusqu’au moment où il écrivit ses premières épîtres. Après cela nous le suivrons dans le cours de son œuvre apostolique, en nous arrêtant à l’étude de chaque épître. Cette marche diffère de la marche historique de Reuss en ce que la narration ne forme point le tissu de l’ouvrage, mais uniquement le fil qui relie entr’elles les différentes parties du travail critique.
Quant à la méthode de Reuss, Hilgenfeld et autres, de traiter les écrits patristiques pêle-mêle avec les livres canoniques, c’est là une conséquence de la marche historique par laquelle est faussée, me semble-t-il, la vraie notion de la science critique. L’étude, assurément indispensable, de ces écrits me paraît avoir sa place dans l’Introduction générale, et devoir servir de préambule à l’Histoire de la formation du Canon ; car celle-ci suppose à chaque pas la connaissance de la littérature chrétienne postérieure au temps des apôtres.
Schleiermacher pensaitj que le but de l’Introduction particulière est de transporter le lecteur actuel dans la position des lecteurs primitifs, de sorte que par l’artifice de la science il puisse comprendre chaque livre aussi facilement et complètement que ces derniers, qui étaient naturellement au fait de toutes les circonstances auxquelles il se rapportait. C’est un bel idéal. Nous croyons cependant devoir nous en proposer un plus élevé encore : nous voudrions transporter à chaque fois le lecteur dans l’esprit même de l’auteur au moment où son œuvre allait en sortir, comme le métal en fusion sort du fourneau pour se verser dans le moule où il doit prendre la forme voulue. Il est clair que le but ainsi compris renferme celui qu’indiquait Schleiermacher, puisque l’un des éléments essentiels dont l’auteur a dû constamment tenir compte dans la méditation qui a précédé la composition de son écrit, était la position et l’état moral des lecteurs auxquels il le destinait. Il portait en lui, d’un côté, l’ensemble de la situation qui provoquait son écrit, de l’autre, l’ensemble de la vérité évangélique dont il devait appliquer un certain côté aux besoins de cette situation. Être initié à sa pensée, ce sera donc avoir la clef de son œuvre.
j – Einleitung, p. 6.