1.[1] Abram, n'ayant pas d'enfant légitime, adopte Lôt, fils d'Aran[2] son frère et frère de sa femme Sarra ; il quitte la Chaldée à l'âge de soixante-quinze ans ; Dieu lui ayant enjoint de se rendre en Chananée, il s'établit là et laissa le pays à ses descendants. Ce fut un homme d'une vive intelligence dans toutes les matières, sachant persuader ceux qui l'écoutaient et infaillible dans ses conjectures. Ces qualités exaltèrent son sentiment de supériorité morale et il entreprit de renouveler et de réformer les idées qu’on avait alors communément au sujet de la divinité. Le premier il osa montrer que Dieu, créateur de l'univers, est un ; quant à tous les autres êtres, tout ce qui de leur part vient contribuer à notre prospérité, ils l'accomplissent en vertu des décrets divins, et nullement en vertu d'une puissance propre. Ces conceptions lui sont inspirées par les révolutions de la terre et de la mer, par le cours du soleil et de la lune et tous les phénomènes célestes si tous ces corps avaient une puissance propre, ils sauraient pourvoir eux-mêmes à leur bon ordre ; que si cette puissance leur fait défaut, il apparaît que tous les avantages que ces corps nous procurent, ils n'ont pas en eux-mêmes la force de les produire, mais qu'ils n'agissent que par les ordres souverains d'un maître, auquel seul il convient d'adresser nos hommages et nos actions de grâce.
Ce furent ces idées précisément qui soulevèrent contre lui les Chaldéens et les autres peuples de la Mésopotamie ; il crut donc bon d'émigrer[3] et, avec la volonté et l'appui de Dieu, il occupa le pays de Chananée[4]. Établi là, il bâtit un autel et offrit un sacrifice à Dieu.
[1] Genèse, XII, 1.
[2] Dans le Talmud (Sanhédrin, 69 b), Loth est donné aussi comme étant fils de Haran.
[3] Les motifs pour lesquels Abraham quitte la Chaldée se trouvent aussi chez Philon, Quis rerum div. her., § 20, M., I, p 486 ; De migrat. Abr., § 32, M., I, p. 463 sqq., et De Abrahamo, M., II, p. 11 : les Chaldéens, très versés dans l'astronomie, se trompaient en attribuant une puissance divine au monde visible. Aussi Dieu engage Abraham à quitter la Chaldée, c'est-à-dire à s'affranchir des erreurs Chaldéennes. Le Midrash s'occupe également des motifs du départ d'Abraham (Gen. R., XLIV ; Sabbat, 156 a ; Nedarim, 32 a).
[4] Je suis porté à croire que dans cet article Josèphe s'est inspiré du Pseudo-Hécatée sur Abraham [T. R.]
2. Bérose fait mention de notre ancêtre Abram sans le nommer ; il en parle en ces termes : « Après le déluge, dans la dixième génération, il y eut chez les Chaldéens un homme juste, illustre et versé dans la connaissance des choses célestes[5] ». Hécatée, lui, fait plus que de le mentionner : il a laissé tout un livre, composé sur lui[6]. Nicolas de Damas, dans le quatrième livre de ses Histoires, s'exprime ainsi : « Abram(ès) régna à Damas ; il était venu en conquérant avec une armée de la contrée située au-dessus de Babylone, appelée Chaldée. Peu de temps après, il quitta également cette contrée avec tout son peuple et se fixa dans la Judée d'aujourd'hui, qu'on appelait alors Chananée : c'est là qu'il habita ainsi que ses descendants qui s'y multiplièrent et dont je raconterai l'histoire ailleurs. Le nom d'Abram est encore célébré aujourd'hui dans la Damascène ; on y montre un village qui s'appelle en souvenir de lui demeure d'Abram[7] ».
[5] Bérose, fr. 8 Müller (Textes, p. 34). Josèphe omet de dire sur quoi se fonde son identification entre ce « sage chaldéen » et Abraham. Il faut observer, en outre, que d'après la Bible, Abraham était le onzième et non le dixième descendant de Noé [T. R.]
[6] Hécatée d'Abdère, philosophe et historien qui vécut en Égypte sous le premier Ptolémée (vers 300 av. J. C.). Mais l'ouvrage sur Abraham, où se trouvaient notamment des vers apocryphes de Sophocle, est sûrement une fraude juive de l'époque hasmonéenne (Textes, p. 236) [T. R.]
[7] Nicolas, fr. 30 Müller (Textes, p. 78). Trogue Pompée citait également Abraham parmi les rois de Damas. Ces traditions ont dû prendre naissance à l'époque des rapports intimes entre Damas et Israël [T. R.]