L’Imitation de Jésus-Christ, traduite en vers français

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Qu’il faut fuir la vaine espérance et la présomption

O ciel ! que l’homme est vain qui met son espérance
            Aux hommes comme lui,
Qui sur la créature ose prendre assurance,
        Et se propose un ferme appui
        Sur une éternelle inconstance !
Sers pour l’amour de Dieu, mortel, sers ton prochain
            Sans en avoir de honte ;
Et quand tu parais pauvre, empêche que soudain
        La rougeur au front ne te monte
        Pour le paraître avec dédain.
Ne fais point fondement sur tes propres mérites ;
            Tiens ton espoir en Dieu ;
De lui dépend l’effet de quoi que tu médites.
        Et s’il ne te guide en tout lieu,
        En tout lieu tu te précipites.
Ne dors pas toutefois, et fais de ton côté
            Tout ce que tu peux faire,
Il ne manquera point d’agir avec bonté
        Et de fournir comme vrai père
        Des forces à ta volonté.
Mais ne t’assure point sur ta haute science,
            Ni sur celle d’autrui ;
Leur conduite souvent brouille la conscience,
        Et Dieu seul est le digne appui
        Que doit choisir ta confiance.
C’est lui qui nous fait voir l’humble et le vertueux
            Élevé par sa grâce ;
C’est lui qui nous fait voir son bras majestueux
        Terrasser l’insolente audace
        Dont s’enfle le présomptueux.
Soit donc qu’en ta maison la richesse s’épande,
            Soit que de tes amis
Le pouvoir en tous lieux pompeusement s’étende,
        Garde toujours un cœur soumis,
        Quelque honneur par là qu’on te rende.
Prends-en la gloire en Dieu, qui jamais n’est borné
            Dans son amour extrême,
En Dieu, qui donnant tout sans être importuné,
        Veut encor se donner soi-même,
        Après même avoir tout donné.
Souviens-toi que du corps la taille avantageuse
            Qui se fait admirer,
Ni de mille beautés l’union merveilleuse
        Pour qui chacun veut soupirer,
        Ne doit rendre une âme orgueilleuse.
Du temps l’inévitable et fière avidité
            En fait un prompt ravage,
Et souvent ayant lui la moindre infirmité
        Laisse à peine au plus beau visage
        Les marques de l’avoir été.
Si ton esprit est vif, judicieux, docile,
            N’en deviens pas plus vain ;
Tu déplairais à Dieu, qui te fait tout facile,
        Et n’a qu’à retirer sa main
        Pour te rendre un sens imbécile.
Ne te crois pas plus saint qu’aucun autre pécheur,
            Quoi qu’on te veuille dire ;
Dieu, qui connaît tout l’homme, et qui voit dans ton cœur,
        Souvent te répute le pire,
        Quand tu t’estimes le meilleur.
Ces bonnes actions sur qui chacun se fonde
            Pour t’élever aux cieux
Ne partent pas toujours d’une vertu profonde ;
        Et Dieu, qui voit par d’autres yeux,
        En juge autrement que le monde.
Non qu’il nous faille armer contre la vérité
            Pour juger mal des nôtres ;
Voyons-en tout le bien avec sincérité,
        Mais croyons encor mieux des autres,
        Pour conserver l’humilité.
Tu ne te nuis jamais quand tu les considères
            Pour te mettre au-dessous ;
Mais ton orgueil t’expose à d’étranges misères,
        Si tu peux choisir entre eux tous
        Un seul à qui tu te préfères.
C’est ainsi que chez l’humble une éternelle paix
            Fait une douce vie,
Tandis que le superbe est plongé pour jamais
        Dans le noir chagrin de l’envie.
        Qui trouble ses propres souhaits.

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