« Éternel, mon Dieu ! J’ai crié à toi et tu m’as guéri. »
« Ma grâce te suffit. »
Etrange réponse ! Et pourtant, elle satisfait l’apôtre. Sans doute s’attendait-il à tout autre chose de son Créateur ; il comptait sur une guérison physique radicale, la fin de cette pénible maladie ; bref ! la disparition de l’écharde. Or l’écharde est toujours là, aussi douloureuse et encombrante que par le passé ; mais, chose curieuse, Paul a cessé de lutter et paraît même se soumettre de bonne grâce. Pas un instant il ne se rebiffe ou accuse le Tout-Puissant de faillir à ses promesses. Pourquoi ce revirement ? Parce que Dieu a bel et bien accordé une guérison à son serviteur éprouvé ; une guérison d’un autre ordre sans doute, mais une vraie guérison qui l’apaise et le comble même.
N’’allons pas croire ici, comme d’aucuns le pensent, que Dieu a renvoyé l’apôtre avec un peu de “bla-bla-bla” du genre : « Courage ! Et que le Seigneur te bénisse. Puisque que tu as l’essentiel, son pardon, sa grâce, cela doit te suffire amplement. Elle te sera fort utile pour ta sanctification et te vaudra des récompenses dans le ciel. Soumets-toi donc, subis en silence ton épreuve en te remémorant sans cesse que « ma grâce te suffit »… Exhortation gratuite qui aurait laissé le patient dans son désarroi, ce qui est loin d’être le cas ici. Preuve en est le comportement de l’apôtre, suite à cette surprenante réponse.
« Ma grâce te suffit » !
Ma grâce ? De quelle grâce s’agit-il ici ? Du pardon des péchés ? De la vie éternelle ? Du salut en Jésus-Christ ? De la présence du Saint-Esprit ? Sans doute, mais plus que cela. La suite du récit éclaire cette expression et nous conduit à penser qu’il s’agit bien d’une grâce spéciale, d’une délivrance réelle. Relisez avec attention les versets 9 et 10 (2 Corinthiens 12) et vous noterez que la réponse divine produit un grand changement dans la vie de l’apôtre. Non seulement elle l’apaise mais, plus encore, elle le satisfait, le rend heureux, tellement heureux qu’il se complaît maintenant dans son épreuve jusqu’à tirer gloire de son infirmité. Cette écharde est devenue une compagne, un sujet de joie pour lui. Il n’a même plus envie de guérir. Preuve donc qu’il a reçu, en réponse à ses supplications, une grâce, un don bien spécifique, une puissance qui le rend capable de vivre avec son écharde comme avec une amie. Non pour quelques instants après un acte de soumission “à l’arraché”, mais durablement, pour le restant de ses jours. Il s’est donc passé quelque chose de profond chez Paul. Désormais, il ne subit plus son écharde, elle ne l’éprouve plus, il n’en fait plus cas ; il en est même fier et la juge utile. La grâce reçue lui suffit. Il est maintenant réconcilié avec son épreuve. Dieu en a enlevé tout le poids. A croire même que son mal a totalement disparu. N’est-ce pas une guérison après tout ? Ecoutons l’apôtre lui-même se complaire dans ses faiblesses d’ordre physique : « Le Seigneur m’a dit : Ma grâce te suffit car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse. Je me glorifierai donc bien plus volontiers de mes faiblesses afin que la puissance de Christ repose sur moi. C’est pourquoi je me plais dans les faiblesses, dans les outrages, dans les privations, dans les persécutions, dans les angoisses, pour Christ ; en effet, quand je suis faible, c’est alors que je suis fort » (2 Corinthiens 12.9-10).
Ce récit nous apprend que Dieu a deux façons de délivrer. Il a le pouvoir de mettre un terme à la maladie et de redonner pleine santé – c’est le souhait de tout malade – ou le pouvoir d’ôter le poids de cette maladie en accordant au patient la capacité de vivre avec l’épreuve sans être accablé ou malheureux. Dans les deux cas, Dieu intervient en réponse à la prière, d’où l’importance d’encourager celui qui souffre à demander avec foi la guérison. Qui admet cette alternative priera Dieu avec confiance puisque de toute manière, viendra une réponse d’en-haut : ou la guérison du corps, ou la capacité de dominer le mal, à la gloire de Dieu. Ce qui me permet d’affirmer qu’en réponse à la prière de la foi, Dieu guérit toujours même quand “il ne guérit pas”.
Dans les années cinquante je fus conduit vers une jeune maman affligée d’une terrible écharde, la sclérose en plaques. Fort atteinte, cette dame était incapable de chasser une mouche ou de tourner les pages d’un livre. Sa fillette, toujours présente auprès d’elle, devait lui venir en aide à tout instant. Or, en entrant dans la pièce je fus frappé par le regard paisible et rayonnant de cette personne qui, cependant, ne me tendit pas la main pour m’accueillir. Et pour cause ! Je fus d’emblée fasciné par ce visage… “angélique”. C’était bouleversant. A l’issue de la visite, le mari nous dit, en nous serrant la main :
– Quand il y a des visites, ma femme est comme ça, toujours heureuse. Et quand il n’y a pas de visites, elle est encore comme ça, paisible et reconnaissante, ne se plaignant jamais, nous encourageant au contraire par sa foi et son entière soumission.
Avant de la quitter, le chrétien qui m’accompagnait crut bon d’exhorter ainsi cette épouse paralysée depuis de longs mois : « Bon courage, chère sœur, tenez bon avec le Seigneur ! Certes, votre épreuve est grande mais elle sert à votre sanctification… » et autres paroles de ce genre, jugées stimulantes.
Gêné et agacé par ces propos mal venus, je ne pus que balbutier :
– Ah ! Madame, vous me touchez ! Personnellement, je n’ai rien à vous dire sinon : Merci ! Vous m’apportez beaucoup.
Je la regardai, un instant silencieux, puis, m’approchant d’elle, je lui glissai à l’oreille :
– Si Madame, j’ai quelque chose pour vous, de la part de Dieu.
– Ah ! Dites vite…
Et, me basant sur le premier chapitre de la deuxième lettre aux Corinthiens, j’ajoutai :
– Vous avez reçu un beau ministère, trop rarement exercé.
– Et lequel ? enchaîna-t-elle en souriant.
– Celui de la consolation. Sachez que pour consoler ceux qui souffrent, il faut sans doute connaître une épreuve analogue mais surtout, il importe d’avoir été soi-même consolé, c’est-à-dire d’avoir accepté et expérimenté la consolation divine. C’est votre cas. Sachez que vous faites du bien à ceux qui vous visitent. Ainsi, Dieu vous emploie…
J’appris que nombre de personnes se rendaient chez elle, non pour l’aider mais pour recevoir de sa part un peu du réconfort qui émanait de sa personne illuminée par l’Esprit divin. Elle était connue dans le village.
Il me semble que cette épouse ne luttait plus guère pour se dominer, ce que laissait supposer la réflexion du mari : « Quand il n’y a pas de visite, elle est toujours comme ça. » Je crois volontiers qu’après un temps de rude combat, de supplications et de doutes, elle s’était abandonnée au Seigneur et avait reçu en retour la grâce mentionnée plus haut, celle de vivre sereinement dans un si douloureux état. Ainsi délivrée, guérie en quelque sorte, elle ne souhaitait pas l’autre guérison que lui proposaient des frères compatissants et bien intentionnés.
Que conclure de cela ? Que Dieu répond toujours à la prière de la foi, et qu’il faut être assez simple pour s’approcher librement du Père en lui faisant connaître nos besoins quels qu’ils soient, avec pleine assurance (Hébreux 4.16). Personne, en effet, n’a en lui-même toute la force de caractère pour traverser victorieusement une grande épreuve. Les affirmations et les résolutions que nous formulons quand tout va bien sont loin de suffire quand les douleurs sont intenables et ne nous lâchent pas. Nous avons tous besoin de recevoir de Dieu une bonne dose de sa patience, “la grâce suffisante” pour demeurer paisible et soumis dans ces rudes moments. Quant aux chrétiens bien portants, qu’ils ne se contentent pas de prodiguer de pieux conseils à ceux qui sont réellement éprouvés ! Il vaut mieux les conduire à Jésus et les encourager à demander une délivrance à Celui qui tient ses promesses. Naturellement, ce qui est dit ici au sujet de la souffrance physique est valable pour toute épreuve, quelle qu’elle soit. Grâce à Dieu, il est même possible de les regarder toutes comme un sujet de joie complète (relisez Jacques 1.2).
À la fin d’un tel chapitre, des questions ne manqueront pas de se poser à certains de nos lecteurs. Par exemple, celles-ci : Comment Dieu a-t-il parlé à l’apôtre Paul ? Comment a-t-il en- tendu le « ma grâce te suffit » ?
Honnêtement, je l’ignore. Si la Bible nous éclairait là-dessus, nous serions tentés de chercher à reproduire l’expérience qu’a vécue l’apôtre, ce qui serait une erreur et nous égarerait sûrement car Dieu parle « tantôt d’une manière et tantôt d’une autre » (Job 33.14). Le Seigneur – « selon le bon plaisir de sa volonté » – peut donner à son enfant qui l’implore, soit une conviction intérieure, soit un apaisement qui le libère ; il peut encore se servir d’une parole de l’Écriture ou d’un ami, ou de circonstances particulières pour l’éclairer. Il peut même ne rien dire du tout ou ne rien manifester. Quoi qu’il en soit, ne soyons pas dans l’inquiétude à ce sujet : Dieu sait comment rendre sa créature qui l’aime en mesure de discerner “elle-même” Sa volonté et de l’accepter, pourvu qu’elle soit déterminée à Lui obéir.
Questions :