Si l’œuvre bâtie par quelqu’un sur le fondement subsiste, il recevra une récompense. Si l’œuvre de quelqu’un est consumée, il perdra sa récompense. Pour lui, il sera sauvé mais comme au travers du feu.
Connaissez-vous la légende des moines musiciens ? En deux mots, la voici :
Jadis, des moines vivaient paisibles et cachés dans un monastère situé en pleine forêt, loin de l’agitation des villes. Matin et soir, à l’office, ils psalmodiaient avec ferveur les louanges du Seigneur, celui qui les avait tant aimés. Ces hommes, plutôt rustres, ne chantaient pas très justes et leurs voix discordantes lancées avec force conviction, allaient se perdre aussitôt — et tant mieux pour les oreilles ! — sous les voûtes sombres de la chapelle. Ces moines en étaient conscients, mais de chanter faux ne les affectait guère et ne diminuait nullement leur entrain et leur joie d’exalter le Seigneur.
La veille de Noël, on frappa bruyamment à la porte du monastère. C’était un jeune homme qui demandait asile pour la nuit car il s’était égaré dans la forêt, la neige ne cessant de tomber. Les habitants du lieu furent tout heureux d’avoir l’occasion de rendre service à un étranger, mais leur joie fut décuplée lors du service du soir, en entendant vibrer sa belle voix qui contrastait sérieusement avec la leur. Ce garçon chantait si magnifiquement que les moines se turent pour l’écouter ; la louange était si belle dans sa bouche qu’ils préféraient garder le silence, tous saisis d’émerveillement.
Ces religieux insistèrent pour que le jeune passât Noël en leur compagnie afin de chanter — à leur place — les beaux hymnes à la gloire d’Emmanuel. Ils pensèrent que le chant magnifique de l’étranger serait bien plus agréable au Seigneur que leurs mélodies encombrées de fausses notes. Le lendemain, et avant de les quitter, il fut invité par les moines à se produire une fois encore durant les mâtines, ce qu’il fit volontiers.
Or, ce même soir, lorsque ces hommes se rendirent à la chapelle comme à l’accoutumée, un ange leur apparut qui leur dit sur un ton de reproche :
— Mais pourquoi donc, le jour de Noël, aucune voix, aucune note n’est-elle montée vers le ciel ? Le Seigneur attendait avec impatience vos beaux cantiques car il n’y a, sur la terre, nul autre endroit où l’on perçoive plus douce musique. Pourquoi donc ce silence complet durant la fête ?
Les moines se regardèrent étonnés, un brin troublés.
— Mais ! mais !… de merveilleux cantiques ont été chantés admirablement ce jour-là, soir et matin.
Ils racontèrent alors à l’ange ce qui s’était passé et le plaisir qu’ils avaient éprouvé à entendre psalmodier le jeune homme gratifié d’une si belle voix : il valait la peine, pour Dieu, de lui laisser toute la place. Un chant si merveilleusement exécuté ne pouvait que réjouir le Créateur.
— Oh non ! répondit l’ange. La raison pour laquelle vos chants paraissent si beau et si doux dans le ciel, c’est que vous chantez sans songer à vous-mêmes, sans rechercher des bravos, mais seulement soucieux de plaire à Dieu par votre louange. Le jeune homme, en vérité, n’avait aucune pensée pour le Seigneur ; il était très préoccupé de faire entendre sa belle voix pour être admiré et approuvé des hommes. Pas une seule des notes qu’il a fait vibrer avec orgueil n’est sortie de la chapelle. Allons, allons ! Ne privez pas le ciel de la beauté de vos actions de grâces.
La leçon fut comprise. Grande fut la joie de ces moines d’apprendre que leurs modestes efforts étaient des plus agréables au Seigneur. Aussi, plus jamais ils ne demandèrent à d’autres personnes de chanter à leur place. Et c’est avec un entrain renouvelé, joyeux, en toute humilité, qu’ils offrirent désormais à Dieu la louange de leurs lèvres, assurés qu’elle montait jusqu’à lui en dépit de quelques entorses à la musique.
Bien que légende, ce récit vous a-t-il parlé ?
Une question vient à notre esprit : Peut-on savoir quelles sont les œuvres que Dieu ne peut accepter et qui, cela va sans dire, perdront leur récompense au grand jour des distributions ? Le chapitre 6 de Matthieu apporte quelque lumière sur la question. Dans ce texte (v. 1-18), Jésus parle successivement de l’aumône, de la prière et du jeûne, non pour fournir ici un enseignement sur ces actes importants, mais pour inciter ses auditeurs à les accomplir pour Dieu seul, sans recherche de soi, en toute humilité. C’est avec insistance qu’il les exhorte à agir dans le secret, c’est-à-dire avec désintéressement, sans tapage ou gloriole, loin des applaudissements.
Jésus connaît le cœur de l’homme, il sait que l’orgueil est dans tous les replis de son cœur et de son esprit. Soyons honnêtes et reconnaissons que cet orgueil nous habite aussi. Quel est, parmi nous, celui qui n’a jamais cédé à la vanité et au désir de paraître ? Avouons que les éloges ne nous laissent pas indifférents et que notre personne tient souvent une grande place dans nos conversations. Qu’il nous est difficile de taire nos succès, d’ignorer nos actions bonnes, de ne pas nous appesantir avec une ostensible satisfaction sur nos vertus et nos belles expériences de croyant ! Nous parlons volontiers et avec emphase de notre famille, de notre ministère dans la communauté et, — pourquoi pas ? — de notre église « qui bouge » et dont nous vantons la pureté de l’enseignement qui y est dispensé. Si, d’aventure, nous devons évoquer nos défaillances ou nos erreurs, c’est avec indulgence et à notre façon que nous en parlons. Nous trouvons des arguments pour justifier nos échecs ; et s’il le faut, pour nous grandir un peu, nous en rendons le prochain responsable. Enfin, lorsqu’on nous oublie ou nous méprise, vexés, nous ripostons avec aigreur… Ah ! Quel grave défaut que l’orgueil. On le confesse trop rarement et, le plus souvent, sans chercher vraiment à l’éradiquer.
Jésus nous rappelle que l’homme de Dieu qui jeûne pour être vu et admiré, reçoit sa récompense. Qui prie, rend témoignage, exerce la charité « en sonnant de la trompette » pour impressionner favorablement l’entourage, reçoit présentement la récompense recherchée sous forme de félicitations, de remarques élogieuses. Or, l’homme ne peut recevoir deux fois son salaire, être deux fois récompensé. Aussi, le chrétien doit-il constamment choisir entre un salaire immédiat (la louange des hommes) et un salaire à venir, dans l’au-delà (la récompense de Dieu). « C’est tout perdre, a dit un croyant, que de vouloir être payé comptant de la main des hommes. C’est s’enrichir pour jamais que de donner à Dieu à crédit. »
Pensons à l’apôtre Paul qui, devant les anciens d’Ephèse, avouait avec bonne conscience qu’il avait « servi le Seigneur en toute humilité » (Actes 20.19). Et c’était vrai ! Peu soucieux de sa réputation quoique « doué d’un grand savoir », il consentit, à cause de Christ, à passer pour un fou devant les grands de ce monde (26.24). Gratifié d’une expérience hors du commun (il fût transporté jusqu’au troisième ciel), l’apôtre attendit quatorze années avant de la divulguer, et quand il l’évoqua enfin dans sa deuxième lettre aux Corinthiens, il ne jugea pas utile de préciser qu’il en avait été lui-même le bénéficiaire, afin que personne n’ait à son sujet une opinion supérieure à ce qu’il avait vu en lui ou à ce qu’il avait entendu de lui (2 Corinthiens 12.1-6). Enfin, l’annonce de l’Evangile ne mettait pas le prédicateur en valeur car, disait-il, c’est dans des vases de terre que je porte ce trésor (4.7).
Tout chrétien, d’après l’Ecriture, est — ou devrait être — « ouvrier avec Dieu », un ouvrier que le Maître récompensera au grand jour des rétributions. Alors, l’œuvre de chacun sera éprouvée par « le feu », sans doute par le regard du Fils de Dieu dont les yeux sont semblables à des flammes de feu (Apocalypse 2.18). Quelqu’un a dit avec raison : « Le regard d’un homme saint peut devenir un feu insoutenable au méchant. Combien plus celui du Seigneur ! » Avez-vous songé que ce regard de sainteté se posera un jour sur votre service accompli sur la terre ? Cette seule pensée devrait nous alerter et nous inciter à nous exposer à la lumière de Dieu au terme de chaque journée afin qu’il examine nos actes et les mobiles qui les ont inspirés. Si nous sommes honnêtes devant lui, il nous révélera, s’il y a lieu, les insuffisances et les failles de notre service, non pour nous accabler ou nous décourager, mais pour que nous devenions des serviteurs qui n’ont pas à rougir de leur travail. Et puis, savez-vous que tout ce qui aura été jugé sur la terre ne le sera pas dans le ciel si ce jugement a été accepté et suivi d’effet ? Donc ne nous privons pas de sa lumière.
Le texte cité en exergue (le relire) précise qu’il y a une activité féconde et une autre inutile qui ne laissera que cendre et confusion. La même œuvre, répétons-le, peut être — ou ne pas être — un service que Dieu agrée. La légende des moines l’illustre clairement.
Ne peut servir le Maître et lui plaire que l’homme réconcilié avec Dieu par le sang de la croix.
QUESTIONS