22 Devenez des observateurs de la parole et non des auditeurs seulement qui se trompent eux-mêmes. 23 En effet, si quelqu’un est auditeur de la parole sans en être observateur, il est semblable à un homme qui contemplerait dans un miroir ses traits physiques, 24 et qui, après s’être à peine contemplé, s’en va, et aussitôt oublie quel il était. 25 Mais celui qui plonge son regard dans la loi parfaite, celle de la liberté, et qui en même temps y persévère, cet homme-là, n’étant point un auditeur oublieux, mais un observateur pratique, cet homme-là sera heureux dans ce qu’il aura fait. 26 Si quelqu’un se persuade être pieux, sans mettre un frein à sa langue et tout en séduisant son cœur, la piété de cet homme est vaine. 27 Une piété sincère et sans tache devant Dieu notre père, la voici : visiter les orphelins et les veuves dans leur affliction ; se conserver pur des souillures du monde.
Jacques qui ne perd jamais de vue les péchés particuliers dont avaient à gémir les églises auxquelles il s’adresse, leur expose de nouveau les dangers du formalisme. Ne pensez pas, dit-il, qu’il suffise pour remplir les conditions de la vraie piété que nous venons d’indiquer, de connaître la parole de vérité et d’y appliquer son intelligence ; ce serait une illusion funeste ; ce n’est pas encore là l’acceptation intérieure et vivante de cette parole ; ce n’est pas encore là être chrétien. L’essentiel, c’est de la mettre en pratique ; c’est par la pratique seulement que se manifeste cette puissance intime et toujours active de la parole qui doit peu à peu s’étendre sur toute la vie. Soyez donc, leur dit-il, des observateurs de la parole, non des auditeurs seulement, en vous trompant vous-mêmes. Afin d’éclaircir sa pensée, il emploie une image frappante : celui qui n’a donné à la Parole de Dieu qu’une simple adhésion intellectuelle, sans l’appliquer à sa vie, est comparé à un homme qui s’est regardé dans un miroir, et qui aussitôt après l’avoir quitté a oublié quels sont ses traitsa. Il en est de même de l’homme qui n’a donné à la parole de Dieu qu’une attention superficielle à la lumière de la loi divine et de ses préceptes, il a appris à connaître sa propre vie ; elle lui est apparue sous son vrai jour ; il sait à la fois ce qu’il est et ce qu’il doit être ; mais bientôt se détournant de cette parole, emporté par le torrent du monde et par ses passions, il a tout oublié, comme l’homme qui avait contemplé son image dans un miroir, et tout ce qu’il a appris lui devient inutile. En effet, si quelqu’un est auditeur de la parole, sans en être observateur, il est semblable à un homme qui contemplerait dans un miroir ses traits physiques et qui, après s’être à peine contemplé, s’en va, et aussitôt oublie quel il était.
a – Les traits physiques reproduits par le miroir sont opposés aux traits moraux reproduits par la Parole de Dieu.
A celui qui se contente de jeter les yeux, à la légère, sur la parole de Dieu et dont la pratique est contraire à la théorie, Jacques oppose l’homme qui plonge son regard dans les profondeurs de la loi divine et qui vit dans cette sainte contemplation. En parlant de la loi, il a soin de distinguer la loi extérieure, celle de la lettre, et la loi intérieure, celle de l’esprit, devenue vivante au dedans de nous par l’Evangile. Celle-ci, il la nomme « la loi parfaite, » par opposition à la loi mosaïque, prise dans ce qu’elle a d’extérieur, et qui, en tant que loi de la lettre, ne peut rien amener à la perfection, mais laisse toutes choses dans leur premier étatb. Cette loi nouvelle, il l’appelle encore « loi de liberté, » parce que quiconque se laisse conduire par elle est affranchi de la servitude de la lettre. Une loi semblable, on ne peut se borner à l’écouter, comme un simple auditeur ; tout homme qui l’a reçue comme la loi parfaite, comme la loi de la liberté, se sentira pressé d’en montrer l’accomplissement dans sa conduite. Celui qui plonge son regard dans la loi parfaite, celle de la liberté, et qui en même temps y persévère, cet homme n’étant point un auditeur oublieux, mais un observateur pratique, cet homme-là, dit Jacques, sera heureux dans ce qu’il aura fait. On peut se demander comment s’accorde ce point de vue avec celui de Paul qui caractérise la loi par ces mots : « fais cela et tu vivras ; celui qui fera ces choses vivra par elles, » et l’Evangile par ceux-ci : « le juste vivra par la foi. » Si Jacques parlait de la loi dans le même sens que Paul, s’il voulait dire que par les œuvres de la loi l’on peut être sauvé, il y aurait, il est vrai, contradiction manifeste. Mais ce n’est nullement la pensée de Jacques. Il parle de la loi qui a été rendue vivante au dedans de nous par la foi en Jésus-Christ, de cette loi qu’expose le Seigneur dans le sermon sur la montagne et qui suppose déjà la foi existante ; c’est de cette loi-là qu’il déclare avec raison que personne ne la pratique sans se sentir heureux, et même qu’il est impossible de parvenir au bonheur promis par Christ aux croyants, sans la pratiquer. C’est la même pensée qu’exprime le Seigneur à la fin du sermon sur la montagne : « tout homme qui écoute les paroles que je dis et les met en pratique, je le comparerai à un homme prudent qui a édifié sa maison sur le rocher. » (Matthieu 7.24) Paul eût certainement été, sur ce point, en plein accord avec Jacques. Enseigner que celui-là seul peut expérimenter en lui la puissance divine de la foi et être sauvé par elle, qui en fait l’application constante dans sa vie, rien assurément ne peut être plus conforme à la doctrine de saint Paul ; pour lui aussi, la foi est ce principe intérieur qui renouvelle toute la vie ; la foi dont il parle est toujours celle qui est rendue active par l’amour : « Si j’avais toute la foi jusqu’à transporter les montagnes, mais que je n’aie pas l’amour, je ne serais rien. » (1 Corinthiens 13.2)
b – Voy. Hébreux 7.19. A cette loi ancienne Jacques oppose « la loi de liberté » ; sorte de jeu de mots qui recouvre un sens profond : la loi est encore dans la grâce, comme la grâce brillait déjà sous la loi.
Jacques, suivant sa coutume, passe de nouveau du général au particulier, et ce qu’il vient de dire de l’ensemble de la vie, il l’applique à un cas spécial que lui fournissent et les circonstances particulières où se trouvaient ces congrégations et les dangers spirituels qui les menaçaient. S’il s’était adressé à une autre église, il eût sans doute choisi d’autres exemples. Si quelqu’un se persuade être pieux, sans mettre un frein à sa langue et tout en séduisant son cœur, la piété de cet homme est vaine. Jacques, partant de ce principe chrétien que la religion doit embrasser toute la vie ; appelle illusoire, fausse et vaine celle qui laisserait subsister les anciennes habitudes de péché, comme par exemple, dans le cas actuel, les violences de langage et la difficulté à maîtriser sa langue. Quant à ceux qui continuent à vivre dans ces vices et néanmoins se persuadent être pieux, ils se trompent, se séduisent eux-mêmes leur piété est vaine. A cette religion fausse Jacques oppose la véritable, celle qui se montre dans la vie, et prend encore pour cela un exemple de détail, qu’il choisit tout exprès dans le but de répondre aux besoins particuliers de ces églises. Prendre soin des orphelins et des veuves, les protéger contre l’oppression cruelle des riches, telle est la marque d’une piété sincère et pure. Une piété sincère et sans tache devant Dieu notre père, la voici : visiter les orphelins et les veuves dans leur affliction ; se conserver pur des souillures du monde. C’est par cette réflexion générale, qui s’applique à l’ensemble de la vie chrétienne, qu’il termine ces avertissements ; En les exhortant à se garantir de toute souillure du monde, il n’entend pas parler d’une séparation extérieure et souvent si mal comprise d’avec le monde ; comment le chrétien pourrait-il être alors le sel de la terre, le levain du monde ? comment d’ailleurs s’accorderait cette maxime avec l’activité chrétienne exercée dans toutes les sphères de la vie et que Jacques recommande tout le long de son épître ? C’est intérieurement qu’il faut se garantir de tout contact avec les souillures du monde, de telle sorte que tout en agissant sur lui, on soit à l’abri de son influence impure, et qu’en même temps qu’on se mêle au monde pour l’améliorer, on reste néanmoins élevé au-dessus de lui.
La véritable piété se compose donc, d’après Jacques, de deux éléments étroitement unis : d’une part la lutte perpétuelle contre le mal qui est dans le monde, lutte d’activité et d’amour ; de l’autre, le soin de se conserver toujours pur soi-même des souillures qui y règnent. La pratique du premier de ces préceptes dépend de l’observation du second.