1.[1] Quelque temps plus tard, une famine sévissant en Chananée, Abram, informé de la prospérité des Égyptiens, eut envie de se rendre chez eux pour profiter de leur abondance et pour entendre ce que leurs prêtres disaient des dieux ; s'il trouvait leur doctrine meilleure que la sienne, il s'y conformerait ; au contraire, il corrigerait leurs idées, si les siennes valaient mieux. Comme il emmenait Sarra et qu'il craignait la frénésie dont les Égyptiens font preuve à l'égard des femmes, pour empêcher que le roi ne le fit périr à cause de la beauté de son épouse, il imagina l'artifice suivant il feignit d'être son frère et, disant que leur intérêt l'exigeait, lui apprit à jouer son rôle. Quand ils arrivèrent en Égypte, tout se passa pour Abram comme il l'avait prévu ; la beauté de sa femme fut partout vantée ; aussi Pharaôthès[2], roi des Égyptiens, ne se contenta pas de l'entendre célébrer ; il désira vivement la voir et fut sur le point de s'emparer d'elle. Mais Dieu fait obstacle à cette passion coupable par une peste et des troubles politiques. Comme il sacrifiait pour savoir le remède à employer, les prêtres lui déclarèrent[3] que cette calamité était l'effet de la colère divine, parce qu'il avait voulu faire violence à la femme de son hôte. Terrifié, il demanda à Sarra qui elle était et qui l'accompagnait. Il apprit la vérité et alla s'excuser auprès d'Abram : c'est dans la supposition qu'elle était sa sœur et non sa femme qu'il s'était occupé d'elle ; il avait voulu contracter une alliance avec lui et non pas lui faire injure dans l'emportement de la passion. Puis il lui donne de grandes richesses et le fait entrer en relation avec les plus savants d'entre les Égyptiens ; sa vertu et sa réputation trouvèrent là une occasion de briller davantage.
[1] Genèse, XII, 10.
[2] En hébreu : Phar'ô ; LXX : Φαραώ. Josèphe conserve partout (sauf. Ant., VIII, § 151, Φαραών ou Φαραώης) la transcription Φαραώθης qu'on ne trouve que chez lui. Artapanos (cité apr Eusèbe, Praep. ev., IX, 18) écrit Φαρεθώθης. Voir, d'ailleurs, la notice que Josèphe consacre aux Pharaons dans Ant., VIII, §§ 155-159. D'après le Bellum Jud. (V, § 379), le roi égyptien qui voulait prendre Sara s’appelait Néchao.
[3] Cp. Eupolémos (dans Eus., Pr. ex., IX, 17 ; F. H. G., III, 212) : Μάντεις δὲ αὐτοῦ καλέσαντος τοῦτο φάναι, μὴ εἶναι χήραν τὴν γυναῖκα κτλ « Les devins, appelés par lui, déclarèrent que la femme n'était point libre ».
2. En effet, comme les Égyptiens avaient différentes manières de vivre et se moquaient mutuellement de leurs propres usages, de sorte que leurs rapports étaient fort tendus, Abram s'entretenant avec chacun d'eux et examinant les arguments qu'ils faisaient valoir en faveur de leurs opinions particulières, leur en montra clairement l'inanité et le manque absolu de fondement. Très admiré par eux dans leurs réunions comme un homme extrêmement intelligent et fort habile non seulement à concevoir, mais aussi à convaincre ceux qu'il tentait d'instruire, il leur fait connaître l'arithmétique et leur transmet ses notions en astronomie[4], car avant l’arrivée d’Abram, les Égyptiens étaient dans l’ignorance de ces sciences : elles passèrent donc des Chaldéens à l’Égypte, pour parvenir jusqu’aux Hellènes.
[4] Cp. Artapanos (Eus., Pr. ex., IX, 18 ; F. H. G., III, 213) : τοῦτον δέ φησι πανοικίᾳ ἐλθεῖν πρὸς τὸν τῶν Αἰγυπτίων βασιλέα Φαρεθώνην, καὶ τὴν ἀστρολογίαν αὐτὸν διδάξαι « il dit qu’Abraham vint avec tous les siens chez Pharétonés, roi d’Égypte, et lui apprit l’astronomie ».
3.[5] Revenu en Chananée, il partage le pays avec Lôt, car leurs bergers se querellaient à propos de terrains de pâture, mais il laissa choisir Lôt à son gré. Ayant pris la vallée que l’autre lui abandonne, il vient habiter la ville de Nabrô (Hébron) : elle est plus ancienne de sept ans que Tanis en Égypte. Quant à Lôt, il occupait le pays vers la plaine et le fleuve Jourdain, non loin de la ville des Sodomites, alors florissante, aujourd’hui anéantie par la volonté divine ; j’en indiquerai la raison en son lieu.
[5] Genèse, XIII, 1.