Mais le souverain sacrificateur dit : Ces choses sont-elles ainsi ?
Encore y a-t-il quelque fard et couleur d’équité au principal Sacrificateur, et en tous ceux du conseil. Et toutefois en ses paroles il y a un avancement de jugement très inique. Car il ne l’interroge point quelles causes il a eues d’enseigner en cette sorte ; et ne le reçoit point à ses justifications ; et toutefois cela était le principal. Mais il demande précisément, si saint Etienne a proféré ces paroles, quelles qu’elles soient. Comme les Papistes aujourd’hui ne peuvent prendre patience de demander quelle est la doctrine, et si on la peut prouver par les Écritures ; mais ils font seulement cette interrogation, à savoir s’il y a eu quelqu’un si hardi, qui ait osé ouvrir la bouche contre leurs superstitions, afin qu’ils le rendent convaincu sur-le-champ, et l’envoient tout incontinent au feu. Au reste, la réponse de saint Etienne pourrait sembler de prime abord absurde et mal propre. Premièrement, il prend son commencement de bien haut. De plus, il fait une longue narration, en laquelle il ne fait presque nulle mention de la cause présente. Or il n’y a rien plus vicieux, que de beaucoup parler, et faire des discours hors de l’affaire. Mais qui examinera ceci de plus près, il apercevra facilement qu’il n’y a rien de superflu en tout ce long discours, et que saint Etienne parle bien à propos, comme la matière le requiert. Il avait été accusé comme apostat, et comme s’il eût voulu renverser la religion, et abolir tout le service de Dieu. Il remontre donc soigneusement qu’il se veut tenir à ce Dieu, lequel les Pères ont toujours adoré. Ainsi il se purge de ce crime de révolte et apostasie, et montre que ses ennemis ne sont de rien moins émus que du zèle de la Loi. Car ils faisaient beau semblant qu’ils ne se proposaient rien devant leurs yeux que la gloire de Dieu, et ne demandaient que l’augmentation de celle-ci. Il leur arrache donc cette vaine vanterie. Or pour ce qu’ils avaient toujours les Pères en la bouche, et étaient enflés de la gloire de leur nation, S. Etienne montre aussi qu’ils n’ont nulle occasion de se glorifier pour cela ; mais plutôt que les vices de leurs Pères étaient si grands et en si grand nombre, qu’ils en devraient avoir honte, et s’humilier.
Quant au principal point et article de la cause, pour ce qu’il était question du temple et des cérémonies, il déclare expressément que Dieu avait élu leurs Pères pour son peuple particulier, avant que le temple existe, et que Moïse fut né. voilà pourquoi il a commencé sa préface de si loin. Il exhorte en second lieu, que toutes les cérémonies externes données de Dieu par la main de Moïse, ont été formées et copiées selon le patron céleste. Dont il s’ensuit que la Loi cérémoniale se rapporte à une autre fin ; et que ceux qui laissant la vérité s’arrêtent aux signes, font mal et follement. Si les lecteurs rapportent tout le sermon de saint Etienne à ces points, ils ne trouveront rien en celui-ci, qui ne convienne fort bien à la matière ; comme nous dirons encore en bref sur la fin. Cependant ce but de tout son sermon n’empêchera point que nous ne puissions éplucher de point en point ce qui sera digne d’être observé.
Et Etienne dit : Hommes frères et pères, écoutez : Le Dieu de gloire apparut à notre père Abraham, lorsqu’il était en Mésopotamie, avant qu’il demeurât à Charran ;
Assurément il voyait et savait bien que la plus grande partie d’entre eux étaient ennemis formels de l’Evangile, toutefois pour ce qu’ils avaient encore entre leurs mains le gouvernement ordinaire du peuple, et qu’ils étaient commis sur l’Eglise, que Dieu n’avait encore rejetée, saint Etienne ne fait aucune difficulté de les appeler par modestie Pères. Cependant il ne les flatte point pour acquérir leur faveur ; mais il porte cet honneur à l’ordre et gouvernement que Dieu avait institué, jusques à ce que l’état fut changé, et que la puissance et autorité leur fut ôtée. Toutefois la révérence du lieu qu’ils occupaient, ne lui ferme point la bouche, et ne l’empêche point de montrer franchement qu’il n’était point d’accord avec eux. Dont il apparaît combien les Papistes se montrent ridicules, qui nous veulent rendre tellement obligés à des titres injustifiés et du tout vains et forgés à plaisir, que nous soyons contraints de dire que leurs ordonnances, quelques méchantes qu’elles soient, sont bonnes.
Le Dieu de gloire s’apparut, etc. Par ce commencement il atteste qu’il ne se révolte point des Pères, ni de la vraie religion qu’ils ont suivie. Car toute la religion, le service de Dieu, la doctrine de la Loi, et toutes les Prophéties dépendaient de cette alliance que Dieu avait faite avec Abraham. Donc quand saint Etienne confesse que Dieu était apparu à Abraham, il comprend la Loi et les Prophètes, lesquels découlent de cette première révélation comme d’une fontaine. Et pourtant il l’appelle le Dieu de gloire, pour discerner d’avec les faux dieux que les hommes ont faits, celui à qui seul la gloire est due.
Du temps qu’il était en Mésopotamie, etc. On sait bien que cette région qui est entre ces deux rivières, le Tigre et l’Euphrate, est ainsi appelée. Or il dit, Avant qu’il habitât en Charran, d’autant qu’Abraham étant exhorté par oracle divin, partit de Chaldée pour aller en Charran ; qui est une ville renommée à cause de la déconfiture de Crassus et des Romains. Combien que Pline dit que c’est une ville d’Arabie. Or il ne se faut point s’étonner, si sous ce nom de Mésopotamie, la Chaldée est ici comprise. Car combien que la région qui est environnée de ces deux fleuves, Tigre et Euphrate, soit enclose entre deux eaux (ce que signifie en Grec le mot Mésopotamie) néanmoins tous les Géographes donnent ce nom à l’Assyrie et la Chaldée. La somme est qu’Abraham ayant un commandement exprès de Dieu, a délaissé son pays ; et ainsi que Dieu par sa pure bonté l’a prévenu, vu qu’il a cherché ce qui lui avait été offert auparavant gratuitement en sa maison. Voyez sur ceci le dernier chapitre de Josué. Mais il semble qu’il y ait quelque différence entre le récit de Moïse et celui-ci. Car après que Moïse a dit sur la fin de l’onzième chapitre, qu’Abraham ayant laissé sa maison, changea de pays, il ajoute au commencement du douzième, que Dieu parla à Abraham. La solution est facile. Car Moïse n’explique pas en ce dernier lieu que c’est qui est advenu après le départ d’Abraham ; mais afin que nul ne pense qu’Abraham eût laissé sa maison à la volée pour tracasser ça et là par pays étrangers, ainsi que font quelques fois plusieurs mal avisés et légers ; il rend la cause de son départ, que Dieu lui avait commandé d’aller habiter ailleurs, et ceci est signifié par les mots de la vision là exprimés. Car s’il eût été étranger en une autre terre, Dieu ne lui aurait pas commandé de partir du lieu de sa nativité, et laisser ses parents et la maison de son père. Nous voyons donc qu’il y a bon accord entre le passage de Moïse et celui-ci. Car après que Moïse a expliqué qu’Abraham s’en alla demeurer en Charran, afin qu’il montre que ce voyage ne fut pas entrepris par aucune légèreté humaine, mais par le commandement de Dieu, il entremêle le propos qu’il avait omis auparavant, qui est une manière d’écrire les propos fort familière aux Hébreux.
et il lui dit : Sors de ton pays et de ta parenté, et viens dans le pays que je te montrerai.
Comme si ce n’eut point été une chose assez dure et difficile de soi, d’être banni de son pays, Dieu use de beaucoup de paroles, pour navrer d’avantage le cœur d’Abraham. Et cela a servi pour éprouver sa foi ; comme aussi ceci, que Dieu ne lui assigne aucune terre, en laquelle il puisse habiter ; mais il le tient pour un temps en suspens et en doute. Or par cela l’obéissance d’Abraham est d’autant plus digne de grande louange ; car la douceur du pays de sa nativité ne le peut retenir ni empêcher qu’il ne se bannisse soi-même de son bon gré. Et ne fait nulle difficulté de suivre Dieu, combien qu’il ne voit aucun lieu certain pour s’arrêter, mais lui est commandé de se promener et ça et là pour quelque temps. Touchant ce que Dieu diffère de lui montrer la terre, il ne s’en faut pas beaucoup que cela ne soit autant comme s’il eût été frustré. Au reste, nous apprenons tous les jours par notre propre expérience, combien il a été utile à Abraham d’avoir été instruit par tels rudiments et apprentissages. Car plusieurs pourront être émus de zèle saint et bonne affection à entreprendre des choses grandes et hautes ; mais après que cette ardeur est refroidie, ils se repentent de leur entreprise, et tourneraient volontiers bride en arrière. Afin donc que la mémoire des choses qu’Abraham avait délaissées ne lui fît perdre courage au milieu du chemin, Dieu du commencement examina au vif son cœur, afin qu’il n’entreprenne rien légèrement et inconsidérément.
A ce propos tend la parabole que Jésus-Christ nous propose de celui qui voulait bâtir une tour, Luc 14.28. Car il enseigne qu’il faut premièrement compter quels pourront être les frais ; afin que ne soyons contraints de laisser à notre honte l’édifice que nous aurons commencé. Or combien que ceci ait été particulier à Abraham, qu’il lui a été commandé de sortir hors de son pays, et d’aller en terre lointaine, et que Dieu l’a fait tournoyer çà et là, toutefois il y a en ces paroles quelque figure de la vocation de nous tous. Il ne nous est point simplement commandé à tous de laisser notre pays ; mais il nous est commandé de renoncer à nous-mêmes. Nous n’avons pas commandement de sortir hors de la maison de nos pères ; mais nous avons commandement de quitter notre propre volonté et les désirs de notre chair. D’avantage, si nos pères, nos mères, nos femmes et enfants nous empêchent de suivre Dieu, il les faut tous abandonner. Simple commandement est fait à Abraham de sortir ; mais cela même nous est commandé sous condition. Car s’il advient que nous ne puissions servir à Dieu en quelque part, il faut plutôt choisir le bannissement, que de demeurer paresseux et oisifs dedans notre nid. Par quoi ayons toujours l’exemple d’Abraham devant les yeux. C’est le père des fidèles, tenté en toutes sortes ; et toutefois il oublie son pays, ses parents, voire soi-même, afin qu’il s’adonne du tout à Dieu. Que si nous voulons être réputés enfant de Dieu, il ne faut point que nous nous rendions indignes de lui, Romains 4.16-17.
Et viens en la terre que je te montrerai. Il faut noter ce que j’ai touché ci-dessus, qu’Abraham est tenu en suspens, afin que sa patience soit éprouvée. Et il faut aussi transférer ceci à notre usage ; afin que nous apprenions à dépendre entièrement de la parole de Dieu. Et de fait, ceci est le principal exercice de la foi, de nous lier en Dieu, même quand rien n’apparaît devant nos yeux. Il est vrai que Dieu nous montrera souvent la terre ou pays auquel il nous octroie l’habitation ; toutefois pour ce que nous sommes étrangers au monde, il n’y a point de lieu où nous ayons ferme demeure. D’avantage, notre vie est cachée (comme dit saint Paul, Colossiens 3.3) et étant semblables à gens morts, nous espérons le salut caché au ciel. Ainsi donc quant à l’habitation perpétuelle, Dieu veut que nous dépendions de sa promesse simple, quand il nous commande d’être comme pèlerins en ce monde. Afin qu’un tel délai ne nous fasse perdre courage, il nous faut retenir cette règle générale de la foi ; qu’il nous faut cheminer où Dieu nous appelle, quoi qu’il ne montre point encore ce qu’il promet.
Alors étant sorti du pays des Chaldéens, il vint demeurer à Charran. Et de là, après que son père fut mort, Dieu le fit passer dans ce pays que vous habitez maintenant ;
Par ces paroles est louée la promptitude de la foi d’Abraham. Car étant appelé, il ne remet point au lendemain, mais il dompte toutes ses affections pour les assujettir au commandement de Dieu. Or on ne saurait pas bien dire la cause pourquoi il s’est arrêté en Charran ; toutefois il se peut faire que la santé de son père l’ait retardé ; lequel mourut là incontinent après ; ou bien qu’il n’a osé passer outre, jusques à ce que Dieu lui eût montré le chemin. Il me semble que ceci est le plus probable, qu’il a été là détenu pour un peu de temps par la fatigue et maladie de son père ; d’autant que saint Etienne exprime nommément, qu’il sortit hors de là après la mort de son père.
et dans ce pays il ne lui donna aucune propriété, pas même de quoi poser le pied ; et il promit de lui en donner la possession, et à sa postérité après lui, quoiqu’il n’eût point d’enfant.
Il nous faut ici noter trois choses. Premièrement, que Dieu a exercé la patience de son serviteur ; d’autant qu’après l’avoir tiré hors de son pays, il l’a tenu comme étranger en la terre de Chanaan. Car Abraham n’a point eu de possession ou héritage pour asseoir seulement un pied, sinon ce qu’il acheta pour faire un sépulcre. Or ce qui n’appartient point à l’usage de la vie présente, n’est point réputé possession. D’avantage, puis que ce champ a été acheté à prix d’argent, saint Etienne dit à bon droit que le Seigneur ne donna nulle possession ou héritage à Abraham. Car ce qu’Abraham espérait de la promesse, ne devait point être acquis par argent, ni par quelque autre moyen humain.
Secondement, nous avons à noter, que combien que Dieu ne montrât point encore la chose par effet à Abraham, nonobstant il le fortifiait par sa Parole. Et c’est-ci notre appui ferme, quand Dieu nous promet qu’il y a quelque chose qui nous est gardée, laquelle toutefois nous ne tenons pas encore. Par quoi, comme ainsi soit qu’Abraham ne jouît point de la chose, à savoir de cet héritage promis, il eût la promesse de Dieu pour son appui, et se contentant de celle-ci, il ne désira rien en la terre de Chanaan qu’une habitation temporelle, et par manière de dire, un logis passager. Puis que le mot Grec qui est ici mis signifie simplement Promettre je ne trouve point de cause pourquoi il le faille tourner comme Erasme, qui a mis un mot Latin qui signifie Réitérer sa promesse, et la confirmer plus expressément. Car je résous ceci par forme de contrariété : Combien qu’il lui eût promis, etc. en sorte que ce soit pour noter obliquement qu’il se trouvait comme frustré. Sinon que par aventure on le voulut appliquer aux promesses, qui sont souvent réitérées, ce que je laisse en la liberté d’un chacun.
Tiercement, il nous faut noter, que la promesse a été telle, qu’elle n’était nullement, ou vraiment bien peu différente d’une pure moquerie. Dieu promit cette terre à la semence d’Abraham, lors qu’il avait 80 ans, et que sa femme était stérile, et que toute espérance d’avoir des enfant lui était ôtée. Ceci semble être plus que frivole. Car pourquoi ne lui promet-il plutôt que de lui donner semence ? Mais ceci a été une épreuve notable de sa foi, d’autant que ne s’enquérant point, et ne disputant point curieusement, il reçut paisiblement et en obéissance ce qu’il avait entendu de la bouche de Dieu. Souvenons-nous donc que Dieu redresse et console tellement l’Esprit de son serviteur par sa parole, que non seulement il diffère de manifester la chose, mais aussi il pourrait aucunement sembler qu’il se moque de lui. Comme il fait aussi envers nous quelquefois. Car combien qu’il nous prononce héritiers du monde, Jacques 2.5, toutefois il permet bien souvent que nous ayons faute de notre petite nourriture et telles aides nécessaires. Or il fait cela tout à propos, afin d’anéantir la prudence de notre chair, puis qu’autrement nous ne portons point un tel honneur à sa Parole que nous devrions.
Et Dieu parla ainsi : Sa postérité habitera dans un pays étranger et on l’asservira et on la maltraitera pendant quatre cents ans.
Saint Etienne rappelle aux Juifs, combien la condition de leurs pères était misérable et pleine d’opprobres, lors qu’ils étaient en Egypte ; et montre que cette servitude de laquelle ils avaient été opprimés n’est point advenue par cas fortuit pour ce qu’elle avait été longtemps auparavant prédite par le Seigneur. Or cette histoire leur devait servir, en partie pour dompter leurs esprits farouches, et pour leur apprendre à devenir modestes ; en partie pour la louange de la grâce de Dieu, d’autant qu’il a eu toujours soin de cette nation-là. Car c’est un bénéfice singulier, que le peuple est comme miraculeusement remis de mort à vie. Cependant les Juifs sont avertis, que l’Eglise de Dieu avait été ailleurs qu’en la terre en laquelle ils habitaient ; que leurs pères avaient été élus pour peuple particulier, et préservés sous la garde de Dieu, avant que le temple fut bâti, ou avant que les cérémonies externes de la Loi fussent ordonnées. Ces choses appartiennent au but général de tout ce sermon. Au surplus, on peut recueillir de ceci une admonition fort utile. La servitude est dure et difficile de soi ; et quand la cruauté des seigneurs y est conjointe, elle semble du tout intolérable. Par quoi il a bien fallu que le cœur de ce saint personnage ait été gravement navré, quand il entendit dire que sa postérité serait esclave, et qu’elle serait durement et inhumainement traitée. Joint que ce n’était point ici une petite tentation, vu qu’en apparence ces choses étaient contraires ; à savoir l’héritage de la terre de Chanaan, qui était déjà promise, et la servitude en terre étrange. Car qui est celui qui n’eut pensé que Dieu comme ayant mis en oubli sa première parole, vienne ici à dénoncer à Abraham la misérable servitude de sa génération ? Il dit au commencement qu’il donnera la terre à sa semence. Mais quoi ? Il n’y avait encore aucune semence ; et qui plus est, tout espoir d’avoir lignée était ôté.
Mais encore, quand promet-il de donner ? Après sa mort. Il ajoute incontinent après, que cette semence sera transportée ailleurs, pour servir à gens étrangers. Et combien de temps ? Par l’espace de quatre cents ans. Ne semble-il pas avis par ce moyen, qu’il retire sa main, afin qu’il n’accomplisse ce qu’il a promis ? sachons que cela n’a point été fait seulement une fois. Car Dieu travaille souvent en telle sorte avec nous, qu’il semble être répugnant à soi-même ; il parle aussi de telle façon, qu’on pourrait penser qu’il rétracte ce qu’il a promis. Il ne se peut donc faire que la chair ne le juge être contraire à soi-même. Mais la foi connaît bien que les paroles de Dieu s’accordent fort bien ensemble, et avec les œuvres de celui-ci. Et c’est-ci l’intention de Dieu, de montrer de loin ses promesses, comme mettant un long espace entre-deux, afin qu’il étende le regard de notre foi plus loin. C’est donc à nous de tendre et nous efforcer de parvenir au salut qui nous est proposé, par innombrables détours, par divers empêchements, par longue distance, par le milieu des abîmes, voire par la mort même. D’avantage, quand nous voyons que le peuple que Dieu avait élu pour soi, a servi aux Egyptiens, et a été cruellement affligé, il ne faut pas que nous perdions courage si une telle condition nous est aujourd’hui appareillée. Car ce n’est point une chose nouvelle ni étrange, que l’Eglise de Dieu soit opprimée sous tyrannie, et comme foulée par les pieds des méchants.
Et la nation à laquelle ils auront été asservis, je la jugerai, moi, dit Dieu ; et après cela ils sortiront et me serviront en ce lieu-ci.
Ce jugement est conjoint avec la délivrance du peuple. Car ce que Dieu prend vengeance de la tyrannie et cruauté des Egyptiens, il le fait pour l’amour de son peuple, lequel il a pris sous sa sauvegarde, afin qu’il soit connu le Sauveur de son Eglise. Par quoi, toutes les fois que nous sommes injustement affligés par les méchants, rappelons-nous que Dieu est le Juge du monde, qui ne laissera aucunes violences impunies. Et qu’un chacun pense ainsi en soi-même : Puisque je suis sous la protection de mon Dieu, qui est le Juge du monde, et que c’est son office de faire la vengeance de tous les outrages qui auront été faits, ceux qui me font maintenant fâcherie, n’éviteront point sa main. Il y a un semblable passage Deutéronome 32.35, où Dieu prononce que la vengeance lui appartient ; et de cela saint Paul recueille qu’il faut laisser agir la colère, Romains 12.19. Comme s’il disait, que ce que Dieu promet qu’il fera la vengeance, doit servir pour corriger notre impatience, et pour brider nos mauvaises affections. Car celui qui se venge, ravit à Dieu l’office qui lui appartient. Mais principalement n’oublions jamais ce que j’ai dit : Que Dieu est touché et induit d’un soin particulier à venger les torts faits aux siens ; comme il est dit Psaumes 105.15 : Ne blessez point mes oints, et ne molestez point mes Prophètes.
Et après cela ils sortirent, etc. La rédemption donc est advenue avant qu’il y eût jamais temple ni cérémonies de la Loi. Dont il s’en suit que la grâce de Dieu n’a point été attachée aux cérémonies. Cependant saint Etienne montre quelle était la fin de la délivrance, à savoir que Dieu avait choisi et élu un peuple et un lieu particulier, où son Nom fut purement honoré. Dont nous recueillons derechef, qu’il faut considérer diligemment que c’est que Dieu requiert et qu’il approuve. Il y avait bien d’autres nations qui avaient cette intention de servir Dieu ; mais pour ce que son service était partout abâtardi et corrompu, Dieu sépara les Juifs des autres nations, et leur assigna un lieu, où il fut purement et droitement honoré. Au reste, ce passage nous exhorte que tous les bénéfices de Dieu doivent être rapportés à cette fin, que les hommes s’adonnent du tout à son service. Maintenant depuis que Dieu a semé au long et au large par tout le monde les trésors de sa grâce, il faut que nous mettions peine en quelque endroit du monde que nous habitions, qu’en le servant purement et saintement il soit glorifié par nous et en nous.
Et il lui donna l’alliance de la circoncision ; et ainsi il engendra Isaac, et le circoncit le huitième jour ; et Isaac Jacob, et Jacob les douze patriarches.
Quand il confesse que la Circoncision est l’alliance de Dieu, il se justifie suffisamment de la calomnie qui lui avait été imposée ; cependant toutefois il montre que les Juifs ne font pas bien, s’ils constituent le commencement de leur salut en ce signe extérieur. Car si Abraham a été appelé, et si la terre et la délivrance a été promise à sa semence avant qu’il fut circoncis, on voit bien que la gloire de toute la nation ne dépend point de la Circoncision. Saint Paul aussi use d’un semblable argument Romains 4.11. Car vu qu’Abraham a obtenu justice, et a été agréable à Dieu avant qu’il fût circoncis, il recueille de cela que la Circoncision n’est point cause de la justice. Nous voyons donc que le récit de saint Etienne n’est point inutile, ni hors de propos ; d’autant que ceci servait grandement à la matière, que les Juifs eussent souvenance, comment eux et leurs pères avaient été adoptés de Dieu. Et il est vraisemblable que saint Etienne a exprimé ces deux choses distinctement, à savoir que combien que la Circoncision eût été divinement ordonnée, pour être un signe de la grâce de Dieu, néanmoins ils avaient été adoptés avant qu’ils fussent circoncis. Au reste, il n’est pas besoin de disputer et traiter ici plus longuement de la vertu et nature de la Circoncision. Seulement notons ceci, que Dieu promet premièrement à Abraham les choses qu’il conforme puis après par la Circoncision ; afin que nous sachions que si la Parole ne précède, les signes sont vains et inutiles. Notons aussi qu’il y a une doctrine fort utile comprise sous ce mot d’Alliance ; à savoir que Dieu contracte avec nous dans les sacrements, pour nous montrer l’amour qu’il nous porte. Que si cela est vrai, en premier lieu les Sacrements non seulement sont marques extérieures de notre profession devant les hommes, mais aussi servent au dedans devant Dieu pour confirmation de notre foi. D’avantage, ce ne sont point vaines figures ; car Dieu qui est véritable, ne figure rien en ceux-ci qu’il n’accomplisse.
Et les patriarches, jaloux de Joseph, le vendirent pour être emmené en Egypte. Et Dieu était avec lui ;
S’ensuit maintenant une grande méchanceté de la lignée d’Israël ; à savoir qu’ils ont fait entre eux une conspiration déloyale, pour opprimer leur frère, qui est une cruauté fort étrange, et que nature même a en horreur. Et les Juifs ne pouvaient pas répliquer que ce fut un crime particulier concernant peu de gens. Car le blâme et déshonneur atteint tout le peuple ; vu que tous les Patriarches, excepté Benjamin seul, se sont tous souillés en une lâcheté et méchanceté si étrange. Par quoi de ce que saint Etienne leur donne un nom si honorable, une plus grande honte rejaillit sur toute la nation. Ils se vantaient orgueilleusement de leurs pères. Il montre quels ont été les principaux d’entre eux ; à savoir homicides de leur frère, en tant qu’en eux était. Car outre que la servitude était une espèce de mort, nous savons quelle était leur délibération ; et puis le mauvais traitement et grands tourments que Joseph a endurés en Egypte, desquels tous ses frères étaient coupables. On voit clairement par ceci, que Dieu a usé de bénignité et de bienveillance envers eux contre leur propre volonté et gré. Car ils désiraient la mort et perdition de celui qui devait être ministre de leur salut. Par quoi il ne tient point à eux qu’ils ne renoncent à tous les bénéfices de Dieu. Ainsi dira-t-il ci-après, que Moïse a été rejeté d’eux ; combien que Dieu le leur offrît pour être leur rédempteur. Les Juifs donc n’ont nulle occasion de s’enorgueillir pour l’excellence de leur race ; mais ils ont ceci seulement de reste, qu’étant confus de honte, ils attribuent à la seule miséricorde de Dieu tout ce qu’ils font, et soient attentifs pour reconnaître que la Loi qui leur a été donnée est pour tant plus faire reluire sa bonté gratuite.
et il le délivra de toutes ses tribulations, et lui fit trouver grâce devant Pharaon, roi d’Egypte, et lui donna de la sagesse en sa présence ; et Pharaon l’établit gouverneur sur l’Egypte et sur toute sa maison.
Dieu ne lui a pas tellement assisté, qu’il ait toujours manifesté sa vertu à l’aider. Car ce n’est pas peu de chose que ce qui est dit Psaumes 105.18, que le fer a transpercé son âme. Il est certain qu’il a fallu qu’il fut navré d’une merveilleuse angoisse, quand se voyant destitué de toute aide, il sentait la dureté de la prison, et avec cela portait l’opprobre, comme soutenant la peine d’un homme méchant. Mais Dieu assiste souvent en telle façon aux siens, que cependant son assistance leur est cachée pour quelque temps. Or l’issue a été un témoignage manifeste de sa présence, laquelle Joseph ne voyait pas du commencement. Au reste, nous devons nous rappeler souvent, que Joseph n’a point été délivré pour avoir invoqué Dieu au temple, mais étant bien loin en Egypte. S. Etienne décrit le moyen : Pour ce que Dieu lui donna grâce devant Pharaon. Il est vrai que Dieu le pouvait tirer hors de sa misère par une autre façon ; mais son conseil regardait bien plus loin, à savoir, à ce que Joseph étant constitué principal gouverneur de tout le royaume, recueillît son père et toute sa famille. Au reste, quant à ces deux mots, Grâce et sagesse, c’est autant comme s’il disait, que la sagesse a acquis grâce à Joseph. Toutefois je confesse bien que c’étaient deux bénéfices distincts. Car combien que Joseph fut expositeur fidèle de songes, et qu’il fut rempli d’une prudence Divine ; nonobstant il n’eût jamais été élevé à si haute dignité par un tyran si orgueilleux, si Dieu n’eut fléchi le cœur de Pharaon d’un amour inhabituel. Mais toutefois il faut considérer cet ordre, par lequel Dieu lui fait trouver grâce. Ce mot de sagesse, ne signifie pas seulement le don de prophétie pour interpréter les songes, mais aussi la prudence qui lui était donnée pour bailler bon conseil ; car Moïse met l’un et l’autre. Car ce que saint Etienne explique ici d’un homme, s’étend à tous. Car tout ce qui est de dextérité dans les hommes, doit être réputé entre les dons de Dieu, voire dons spéciaux, selon qu’il en donne plus ou moins. C’est aussi lui-même qui donne autant de bonheur qu’il lui plaît ; afin que ses dons profitent à la fin pour laquelle il lui avait semblé bon de les donner. Ainsi donc, combien que Pharaon constitue Joseph principal gouverneur sur tout le Royaume d’Egypte, toutefois à parler proprement, il n’y a que la main de Dieu qui l’ait élevé à cet honneur.
Or il survint une famine dans toute l’Egypte et en Canaan, et une grande détresse, et nos pères ne trouvaient pas de nourriture.
Il apparaît par ceci que la délivrance de Joseph a été un bénéfice commun pour toute la famille de Jacob. Car comme ainsi soit que la famine dut venir, Joseph a été envoyé de bonne heure, lequel dut avoir des vivres en sa main pour nourrir les affamés ; comme aussi lui-même reconnaît en cet endroit un conseil admirable de Dieu. Cependant la bonté gratuite de Dieu reluit mieux en la personne de Joseph, quand il est ordonné père nourricier de ses frères, qui le vendant à prix d’argent, le chassèrent bien loin, et pensaient qu’il ne fut plus au monde, et quand il met la viande en la bouche de ceux, qui l’ayant jeté dedans une citerne, l’avaient privé de l’air et de respiration commune. Bref, il entretient la vie de ceux qui n’avaient fait nulle difficulté de lui ôter la sienne. Cependant saint Etienne rappelle aux Juifs, que leurs premiers pères ont été contraints de sortir hors de la terre qui leur avait été donnée en héritage, et qu’ils sont morts ailleurs. Ainsi donc, après avoir demeuré en celle-ci comme étrangers, ils en sont finalement bannis.
Mais Jacob, ayant appris qu’il y avait du blé en Egypte, y envoya nos pères une première fois.
Et la seconde fois, Joseph fut reconnu par ses frères, et Pharaon apprit quelle était la famille de Joseph.
Et Joseph envoya chercher son père Jacob et toute sa famille. Avec soixante et quinze personnes
Quant à ce qu’il dit que Jacob vint en Egypte avec septante-cinq personnes, cela ne s’accorde point avec les paroles de Moïse, Genèse 46.27. Car Moïse n’en met que septante. Saint Jérome pense que saint Luc n’a point expliqué de mot à mot ce que saint Etienne avait dit, mais qu’il a pris ce nombre de la traduction Grecque de Moïse ; pour ce qu’étant prosélyte, il n’a pas entendu la langue Hébraïque ; ou pour ce qu’il a bien voulu accorder ceci aux Gentils, entre lesquels cette lecture était reçue. Au surplus, on est en doute, si les traducteurs Grecs ont mis ce nombre de propos délibéré, ou s’il y a été mis depuis par ignorance. Cette dernière conjecture est bien vraisemblable, vu qu’il s’est pu aisément faire, d’autant que les Grecs ont accoutumé de marquer les nombres par lettres. Saint Augustin au 26me livre de la cité de Dieu, pense que les neveux et arrière-neveux de Joseph sont ici compris. Ainsi selon son opinion, ce mot de Descente, contient tout le temps que Jacob a vécu. Mais cette conjecture ne peut être nullement reçue. Car les autres Patriarches aussi eurent durant ce temps plusieurs enfants. De ma part, ceci me semble vraisemblable, que les septante traducteurs ont tourné à la vérité ce qui était en Moïse. Car on ne peut dire qu’ils se soient abusés, vu qu’au chapitre 10 du Deutéronome où le nombre de septante est encore répété, ils accordent avec Moïse ; pour le moins selon qu’on lisait le passage sans contredit du temps de saint Jérome. Car les exemplaires qui sont aujourd’hui imprimés, ont autrement. Je pense donc que cette discordance est procédée de la faute de ceux qui copiaient les livres. Cependant la chose n’était pas de si grande importance que saint Luc dût pourtant troubler les Gentils qui étaient accoutumés à la lecture Grecque. Et il se peut bien faire que lui ait mis le vrai nombre, mais que quelqu’un l’ait mal corrigé, le tirant de ce passage-là de Moïse, qui était déjà corrompu. Car nous savons que le nouveau Testament a été traité par ceux qui n’entendant rien en la langue Hébraïque, étaient seulement savants en la Grecque. Afin donc que les paroles de saint Etienne fussent accordantes avec le passage de Moïse, il est probable que ce faux nombre qu’on trouvait en la traduction Grecque de Genèse, ait été aussi transporté en ce passage. De laquelle chose si quelqu’un en veut débattre trop opiniâtrement, laissons-le à part avec sa sagesse démesurée ; et de notre côté réduisons en mémoire que S. Paul nous défend d’être par trop curieux touchant les généalogies.
Au demeurant, un si petit nombre est exprimé tout à propos, afin que la puissance de Dieu soit mieux connue en une telle multiplication de lignée, qui est advenue peu de temps après. Car en si peu de temps que de 250 ans, il ne se pouvait faire par une façon d’engendrer humaine, que d’une si petite poignée de gens il en sortît une si grande multitude que Moïse explique Exode 12.37. Nous devons plutôt considérer ce miracle que le Saint Esprit nous propose, que nous tourmenter curieusement d’une lettre, par laquelle le nombre a été changé. Le reste du texte nous engendre d’autres questions, voire plus difficiles à résoudre. S. Etienne dit que les Patriarches ont été transportés en la terre de Chanaan après leur mort. Mais Moïse ne fait mention que des os de Joseph. Et il est dit au ch. 24 de Josué, que les os de Joseph ont été enterrés, et n’est faite aucune mention des autres. Certains répondent à ceci, que Moïse nomme seulement Joseph par honneur ; d’autant que Joseph avait donné exprès mandement de ses os ; ce que nous ne lisons point avoir été fait par les autres. Et de fait, S. Jérome en la pérégrination de Paule, quand il explique qu’elle passait par Sichem, il dit qu’elle vit là les sépulcres des douze Patriarches ; mais en tous autres lieux il ne fait mention que du sépulcre de Joseph. Il se peut faire que là on ait dressé quelque mémorial aux autres. De moi, je n’ai rien que je puisse affirmer pour certain ; sinon que c’est une façon de parler qui comprend le tout pour une partie ; ou bien que ce que S. Luc rapporte, il ne l’a pas tant emprunté de Moïse, que du commun bruit ; comme les Juifs avaient jadis beaucoup de choses qu’ils avaient entendues de leurs Pères, et reçues comme de main en main. Or quant à ce qu’il ajoute, qu’ils ont été depuis mis au sépulcre, qu’Abraham avait acheté des enfants d’Emmor, on voit bien clairement qu’il y a eu faute au nom d’Abraham. Car Abraham acheta une fosse double d’Ephron Chetéen pour ensevelir sa femme. Mais Joseph a été enterré ailleurs, à savoir au champ que son père Jacob avait acheté cent pièces d’argent des enfants d’Emmor. Et pourtant il faut corriger ce passage.
Jacob descendit en Egypte ; et il mourut ainsi que nos pères.
Et ils furent transportés à Sichem et mis dans le sépulcre qu’Abraham avait acheté, à prix d’argent, des fils de Hémor, père de Sichem.
Mais à mesure que le temps approchait où devait s’accomplir la promesse que Dieu avait faite à Abraham, le peuple s’accrut et se multiplia en Egypte ;
Saint Etienne vient maintenant à parler de la délivrance du peuple, de laquelle a été comme un présage ou préparatif, cette tant grande génération, qui de manière inhabituelle fut accablée de travaux en si peu de temps. Il met donc ceci comme un singulier don et bénéfice de Dieu, que le peuple a été multiplié ; afin que nous entendions que cela n’a point été fait selon la commune façon, ou selon l’ordre accoutumé de nature. Mais d’autre côté, il semble bien avis que Dieu ôte toute espérance aux Juifs, d’autant qu’ils sont cruellement affligés par Pharaon, et leur servitude devient plus grande et plus dure tous les jours. Et quand l’ordonnance leur est faite d’exposer leurs enfant mâles à la mort, il semble que voilà la ruine présente de toute leur nation. Voici après leur est donné un autre signe de leur délivrance, quand Moïse se montre. Mais pour ce que tout incontinent il est rejeté, et est contraint de s’enfuir, comme étant banni, que restait-il plus que tout désespoir ? Or le résumé est, que Dieu se souvenant de sa promesse, augmenta le peuple quand il en fut temps, afin qu’il accomplît ce qu’il avait juré à Abraham ; mais que les Juifs par leur ingratitude et perversité ont rejeté la grâce de Dieu ; en sorte qu’il n’a point tenu à eux qu’ils ne se soient fermé le passage. Au surplus, il nous faut ici observer la providence de Dieu, en ce qu’il modère tellement le cours et les changements des temps, que ses œuvres ont toujours leur opportunité. Mais le » hommes qui en leurs désirs se hâtent toujours par trop, pour cette cause ne peuvent patiemment attendre et se tenir tranquilles, jusques à tant que Dieu montre sa main, d’autant qu’ils ne regardent point à cette conduite si bien compassée, de laquelle j’ai parlé.
Au reste, afin que Dieu exerce la foi des siens, toutes les fois qu’il apparaît avec des signes joyeux de sa grâce, il met à l’opposite d’autres choses qui nous ôtent soudainement l’espérance de venir à prospérer. Car qui est celui qui n’eût dit que c’en était fait totalement des Hébreux, quand l’édit du roi avait destiné tous les mâles à la mort ?
jusqu’à ce qu’il s’éleva sur l’Egypte un autre roi, qui n’avait point connu Joseph.
Ce roi, usant d’artifice contre notre race, maltraita nos pères, jusqu’à leur faire exposer leurs enfants, afin qu’ils ne demeurassent pas en vie.
Le traducteur Latin ancien n’a pas traduit ceci mal à propos par le mot de Circonvenir. Car saint Etienne signifie que le roi d’Egypte avait malicieusement excogité de nouveaux moyens et prétextes obliques, pour imposer toujours charges plus pesantes sur le peuple. Comme presque tous les tyrans, quelque chose qu’ils tourmentent iniquement leurs sujets, si est-ce qu’ils sont plus qu’ingénieux à inventer quelques prétextes. Et ne faut point douter que Pharaon n’ait abusé de cette honnête couverture, qu’il n’était point raisonnable que les Juifs qui étaient étrangers, habitassent pour néant en son royaume ; et vu qu’ils avaient de grandes commodités et profits, qu’ils fussent exemptés des charges. Ainsi par sa ruse il fit d’hommes libres des esclaves méprisables. Quand saint Etienne dit que ce tyran ne connaissait point Joseph, il apparaît par cela comment on oublie bientôt les bienfaits. Car combien que tous d’un accord détestent ingratitude, si est-ce qu’il n’y a rien de plus commun.
Afin d’en faire faillir la race. Selon mon jugement Erasme n’a pas traduit ceci assez proprement, disant : Afin que les enfants ne fussent viables. Le mot Grec emporte d’avantage. Car il vient de ce que le peuple, combien qu’une génération meure, suivie d’une autre, semble être toujours vivant à cause du lignage qui en demeure. Or saint Etienne ne raconte pas toutes les parties du mauvais traitement ; mais il met seulement un exemple d’une cruauté extrême, et duquel on peut aisément recueillir, comment toute la semence d’Abraham a été bien près d’être du tout ruinée. Car il semblait que Pharaon par cette ordonnance cruelle leur eût, par manière de dire, tout d’un coup coupé la gorge à tous. Mais une barbarie tant violente donne mieux à connaître la vertu de Dieu incroyable et non espérée, d’autant que quelque résistance que ce tyran fasse, toutefois il ne profite de rien à la fin.
En ce temps-là naquit Moïse, et il était beau aux yeux de Dieu. Il fut nourri trois mois dans la maison de son père.
Ce n’est point sans cause que S. Etienne note la circonstance du temps. Moïse naquit lorsque le roi commanda que tous les enfant mâles fussent exposés à mort. Ainsi donc, celui qui devait être ministre de la délivrance, semble être mort avant qu’il soit né. Mais Dieu trouve son opportunité de travailler lors principalement quand il n’y a nulle aide ni conseil du côté des hommes. Cependant toutefois on voit clairement comment Dieu parfait sa vertu en l’infirmité des hommes, 2 Corinthiens 12.9. Moïse est gardé par l’espace de trois mois ; mais à la fin ses parents pour sauver leur vie sont contraints de le jeter en la rivière. Tout le bien qu’ils lui font, c’est qu’ils le mettent dedans un petit coffret, afin qu’il ne périsse du premier coup. Quand il est recueilli par la fille de Pharaon, il est vrai qu’il évite la mort, mais c’est en telle sorte comme s’il était retranché du lignage d’Israël pour être d’une autre nation. Et qui plus est, il eût été mortel ennemi de sa nation, si Dieu n’eût retenu son courage. Avant qu’il montre un seul signe de bénévolence fraternelle, quarante ans se passent.
Quant à ce que saint Luc explique, qu’il a été instruit en toute la sagesse des Egyptiens, il est vrai qu’il met cela pour louange comme une partie de l’excellence de Moïse ; toutefois il en pouvait advenir comme on voit ordinairement, qu’étant enflé de sciences profanes, il vint à mépriser ce pauvre peuple dédaigné. Ce nonobstant pour ce que Dieu avait délibéré de racheter son peuple, il dispose cependant et le courage de Moïse, et toutes autres choses pour parfaire son œuvre. La raison charnelle murmurerait ici : Pourquoi est-ce que Dieu dissimule si longuement, ne faisant nul semblant de voir les afflictions de son peuple ? Pourquoi permet-il que la cruauté de Pharaon s’embrase de plus en plus et de jour en jour ? Pourquoi ne souffre-il que Moïse soit nourri et croisse entre ceux de sa nation ? Pourquoi est-ce que, par manière de dire, il le retranche du lignage d’Israël, le faisant adopter à la fille de Pharaon ? Pourquoi veut-il que jusques à quarante ans il soit à son aise au milieu des délices de la cour ? et pourquoi ne l’en retire-t-il plus tôt ? Mais l’issue apporte une si grande surprise, que nous sommes contraints de confesser que toutes ces choses ont été gouvernées par un conseil et ordre singulier, pour faire connaître la gloire de Dieu. Touchant ce que j’ai dit que saint Luc parle ici par honneur de la doctrine et instruction des Egyptiens, je ne l’entends pas comme s’il n’y eût eu rien de vicieux en celle-ci. Vu que l’Astrologie considère l’ouvrage admirable de Dieu, non seulement en la situation et diversité tant bien distincte des étoiles, mais aussi en leur mouvement, vertu et offices secrets, c’est une science fort utile et digne de grande louange. Les Egyptiens se sont grandement employés en celle-ci ; mais ne se contentant pas du simple ordre de nature, ils se sont aussi égarés en des spéculations vaines et folles, comme les Chaldéens. On est en doute si Moïse a été instruit en ces superstitions, ou non. Toutefois quelque chose qu’il y ait, nous voyons combien purement, familièrement et grossièrement Moïse nous propose en la fabrication du monde ce qui peut servir à la vraie religion. C’est certes une modestie notable, que celui qui pouvait subtilement disputer des secrets de nature avec gens savants et aigus, non seulement omet les plus hautes subtilités, mais descend jusques à la capacité vulgaire du plus petit qui soit, et d’un style populaire prêche aux ignorants les choses qu’ils entendent par usage.
Justin faisant des contes de Moïse, dit que c’était un Magicien qui avait fait le passage au peuple au travers de la mer rouge par ses charmes et sorcelleries. Ainsi Satan s’est efforcé non seulement d’ensevelir la vertu de Dieu, mais aussi lui bailler une marque ignominieuse. Mais nous savons que Moïse n’a point combattu par art magique contre les enchanteurs, mais seulement a exécuté ce que Dieu lui avait enjoint. Les Egyptiens aussi avaient une théologie pleine de mystères pour donner couverture à leurs sottes inventions et rêveries, et à leurs monstrueuses abominations ; comme s’ils eussent voulu montrer qu’il y avait raison en leurs folies. Comme les Papistes, combien qu’ils jouent des tours de passe-passe en leur Messe, et que les autres cérémonies ne soient que sottes prestidigitations, toutefois ils inventent des mystères, afin qu’ils persuadent qu’il n’y a rien en tout cela qui ne soit Divin. Il est vrai que les petits curaillons ne montent point si haut ; mais ceux qui veulent être réputés les plus aigus et subtils entre eux, n’omettent point un seul badinage, auquel ils ne forgent quelque mystère spirituel. Sur cela ils ont une sotte rapetasserie, qu’ils appellent, Rationale divinorum officiorum. Mais d’autant qu’il n’y avait que les prêtres Egyptiens qui traitassent entre eux ces folles rêveries, il n’est point vraisemblable que Moïse ait étudié en celles-ci (d’autant que son instruction a été comme d’un enfant royal) mais plutôt qu’il a été instruit dans de bonnes sciences.
Était puissant en dits et en faits. Selon les Hébreux cette forme de parler signifie double excellence, quand celui qui a bon entendement et doctrine, est en même temps propre à faire actes vertueux. Saine Etienne donc entend que Moïse était homme doué de vertus excellentes, en sorte que tous l’estimaient un grand personnage. Au reste, vu qu’il était en telle réputation, tant moins d’espérance donnait-il aux Juifs, qu’il dût être ministre de leur rédemption.
Mais ayant été exposé, la fille de Pharaon le recueillit, et l’éleva pour en faire son fils.
Et Moïse fut instruit dans toute la sagesse des Egyptiens ; et il était puissant dans ses paroles et dans ses œuvres.
Mais quand il eut atteint l’âge de quarante ans, il lui monta au cœur de visiter ses frères, les fils d’Israël.
Plusieurs prennent conjecture de cela, que Moïse n’eut jamais le courage détourné de sa nation. Mais les paroles de saint Etienne inclinent plutôt tout le contraire ; à savoir que l’Esprit de Dieu lui a finalement réveillé son cœur, comme s’il eût été endormi, à ce qu’il allât visiter ses frères, desquels il n’avait tenu compte auparavant. Certes il n’est pas vraisemblable qu’il ait été ignorant quelle était son origine, de laquelle il portait la marque en sa chair, et de laquelle il avait eu grand bruit en la cour, vu que la fille du Roi ne le pouvait pas adopter sans soupçon de paillardise, sinon qu’on sût d’où il était venu. Toutefois pendant longtemps il n’a pas eu si bon cœur, que d’oser montrer ouvertement l’amour qu’il portait à sa nation. Or ceci sert grandement à augmenter la gloire de Dieu, que Moïse ne sachant quelle était sa vocation, demeure longtemps oisif en la cour du roi. Puis après il est appelé de Dieu tout en un coup contre son espérance, et contre l’opinion de tous. Ainsi donc ce soin nouveau de ses frères, qui lui est venu en l’entendement, est procédé d’un mouvement nouveau et non accoutumé du Saint Esprit.
Et en ayant vu un qu’on maltraitait, il prit sa défense, et vengea celui qui était opprimé, en frappant l’Egyptien.
Un tel spectacle n’a point été présenté à Moïse par cas fortuit ; mais vu que Dieu l’avait destiné pour rédempteur à son peuple, il a voulu montrer par sa main cette épreuve et ce coup d’essai. Car S. Etienne déclare ouvertement que Moïse n’a rien follement attenté ; mais sachant bien quelle était sa vocation, il a fait ce qui était séant à un libérateur du peuple. Car si Dieu ne lui eût mis le glaive en la main, il ne lui eût point été licite de tuer un homme, tant méchant et coupable fût-il. C’est une œuvre sainte et digne de grande louange, de résister aux méchants, de réprimer leur violence, de maintenir les bons et innocents contre leurs injures et outrages. Mais il n’appartient pas à un homme privé de faire la vengeance. Il n’a donc été licite à Moïse de tuer l’Egyptien, sinon d’autant que le glaive lui était mis en la main par le Seigneur, selon le droit de sa vocation. Mais cette magnanimité héroïque était une œuvre du Saint Esprit ; d’autant que Dieu montre puissamment sa vertu en ceux qu’il ordonne pour faire choses grandes et excellentes, afin qu’ils puissent venir à bout de leur charge. En somme, S. Etienne entend que dès lors Moïse fut offert au peuple pour ministre de leur délivrance, quand le jour de celle-ci approchait suivant la promesse faite à Abraham ; mais que le peuple n’attendait rien moins.
Or il pensait que ses frères comprendraient que Dieu leur accordait la délivrance par sa main, mais ils ne le comprirent point.
Le jour suivant, il parut au milieu d’eux comme ils se battaient, et il les exhortait à la paix, disant : Hommes, vous êtes frères ; pourquoi vous maltraitez-vous l’un l’autre ?
Saint Etienne montre maintenant que les Pères non seulement ont méprisé la grâce de Dieu, mais aussi l’ont malicieusement repoussée. Car combien que le mal duquel il parle, soit procédé d’un homme seul, toutefois il impute la faute justement à tous. Car s’ils n’eussent point été ingrats envers Dieu, ils devaient aussi réprimer l’arrogance de ce rustre ; mais ils se taisent tous, et souffrent que reproche soit fait à Moïse, du bien qu’il leur avait fait, et autant qu’il est en leur pouvoir, ils exposent à la mort celui pour la défense duquel ils devraient employer leurs propres vies. Ce propos donc tend à ce but, qu’il n’a tenu qu’au peuple qu’il n’ait plutôt senti quelque allégement. Ainsi advient-il souvent que les hommes par leur perversité retardent la bonté de Dieu. Il est prêt certainement d’aider les siens à heure et temps ; mais nous repoussons sa main arrière de nous par divers empêchements ; puis après nous nous plaignons injustement et à grand tort qu’il tarde trop. Ainsi donc cette ingratitude a été par trop vilaine envers Dieu, et trop cruelle envers Moïse. Ils devaient rendre grâces à Dieu, de ce qu’il leur avait donné un protecteur si fidèle en la cour du roi. Moïse était digne d’être aimé et honoré ; et voici le beau salaire qu’il en a rapporté, à savoir opprobres et menaces.
D’avantage, ceci doit bien être imputé à déloyauté au peuple, que ce cas a été rapporté au roi. Tout ainsi donc que depuis le peuple s’est fermé l’entrée, ayant déjà la terre de Chanaan devant ses yeux ; aussi rejetant maintenant la grâce de Dieu en la personne d’un homme, il retarde le temps de sa rédemption l’espace de quarante ans. Car combien que Dieu eût ordonné ce qu’il devait faire, toutefois la faute du retardement est à bon droit rejetée sur ceux qui empêchent et troublent Moïse en son office.
Hommes, vous êtes frères. Il est bien vrai qu’il y a une conjonction générale entre les hommes, en sorte qu’ils doivent exercer humanité les uns envers les autres, et s’abstenir de tous outrages ; mais ceci est encore plus vilain et moins tolérable, quand ceux qui sont conjoints entre eux d’un lien plus étroit, se font outrage l’un à l’autre. Par quoi Moïse non seulement propose une raison générale pour amener à douceur ces gens qui étaient piqués et incités à se faire mal l’un l’autre, mais aussi invoquait le parentage et l’alliance du sang pour amollir leur cruauté. Toutefois il ne profite de rien. Car celui qui outrageait son prochain, le reboute fièrement et avec menaces. Et on voit ceci coutumièrement, qu’une mauvaise conscience pousse les hommes à fureur ; et d’autant plus que quelqu’un aura mauvaise cause, tant plus aussi s’élèvera-t-il audacieusement et cruellement. Mais quelle excuse a celui qui avait mauvaise cause, de s’élever ainsi fièrement contre Moïse ? Il dit qu’il n’est point son juge. Mais Moïse ne l’avait point repris d’autorité ; mais seulement les avait aimablement exhortés. N’y en a-t-il point d’autres à qui il appartienne de nous exhorter quand nous sommes en faute que le juge ? Ce vice est commun à tous rebelles et obstinés, de ne vouloir écouter aucunes remontrances, sinon quand on les contraint par force et autorité. Et qui pis est, ils sont comme gens frénétiques, qui se ruent furieusement contre leurs médecins. Ceci nous doit inciter d’avantage à brider nos cupidités ; afin que nous ne nous jetions furieusement contre ceux qui veulent guérir nos vices.
Nous sommes aussi enseignés par cet exemple, que les serviteurs de Dieu ne peuvent tellement faire leur devoir et office au milieu de tant de perversités et corruptions qu’ils voient dans les hommes, que en même temps ils n’endurent beaucoup d’injures et outrages, qu’ils n’encourent beaucoup de mauvaises grâces, et se mettent en beaucoup de dangers, et principalement qu’on ne médise d’eux pour bien faire. Mais il faut qu’ils avalent doucement telles vilaines inhumanités, afin qu’ils ne laissent pour cela de faire ce qu’ils savent bien leur être enjoint par le Seigneur, et par conséquent lui être agréable. Moïse est ici chargé d’une grave calomnie, qu’il s’usurpe le droit du magistrat ; et on lui intente par ce moyen crime de lèse-majesté. D’avantage, on lui met en avant par opprobre, qu’il avait pris vengeance d’un homme Egyptien. L’un et l’autre était fort odieux. Dont nous pouvons recueillir de quelle tentation périlleuse a été touché le cœur de ce saint Personnage. Or quand nous voyons qu’il n’a point perdu courage ne par son bannissement, ni par les autres maux et fâcheries, en sorte qu’il se soit repenti d’avoir bien fait ; apprenons aussi par son exemple d’avoir un cœur ferme et invincible contre toutes telles machinations de Satan.
Mais celui qui maltraitait son prochain le repoussa en disant : Qui t’a établi chef et juge sur nous ?
Veux-tu me tuer comme tu as tué hier l’Egyptien ?
Or Moïse s’enfuit à cette parole, et il demeura comme étranger au pays de Madian, où il engendra deux fils.
Et quarante ans s’étant écoulés, un ange lui apparut dans le désert du mont Sinaï, dans la flamme de feu d’un buisson.
Comme Moïse n’était point un homme stupide, aussi un chacun de nous peut facilement penser que beaucoup de choses lui ont pu venir en l’entendement pour ébranler la certitude de sa vocation. Les ruses de Satan sont pleines d’astuce ; et nous de notre nature, nous sommes plus qu’enclins à la défiance ; et par ce moyen tous doutes qui nous surviennent de la parole de Dieu, nous les recevons facilement. C’était un changement bien étrange, que d’être réduit de la façon de vivre de la cour tant délicate et brave, à une charge de paître les brebis fort sale et pénible ; et sur tout que pouvait penser Moïse autre chose, voyant couler un si long espace de temps, et cependant banni de la compagnie des siens, sinon que ce que Dieu lui avait promis, était une chose vaine et frustratoire ? Vu qu’ayant déjà octante ans, il s’amusait à paître le troupeau de son beau-père, quand est-ce qu’il eût espéré que son industrie eût pu profiter pour la délivrance du peuple ? Il est bon de méditer assiduellement tels combats qui adviennent coutumièrement aux fidèles, jusques à ce qu’ils soient vivement imprimés en notre mémoire ; afin que nos cœurs ne se laissent couler, s’il advient quelque fois que Dieu nous tienne plus longuement en suspens que nous ne désirons. D’autre part Moïse montre un enseignement notable de modestie, en ce que durant tout le temps entre deux il n’est point bruyant, et ne suscite point des tumultes, et ne s’ingère nullement a occuper la principauté comme les mutins ont accoutumé de faire ; mais il n’est pas moins attentif à garder les bêtes, que s’il n’eut jamais été appelé à plus grande charge. Or tandis qu’il attend ainsi en repos, le Seigneur lui apparaît en temps opportun.
L’Ange du Seigneur lui apparut. On fait ici premièrement une question, qui était cet Ange ? secondement, pourquoi il s’est montré visible sous une telle figure ? Car après que S. Luc l’a appelé Ange, il l’introduit tout soudain ainsi parlant, Je suis le Dieu d’Abraham. Certains répondent, que tout ainsi que Dieu attribue et communique quelque fois à ses ministres les choses qui lui sont principalement propres, aussi n’y a-t-il nul inconvénient, si son nom est transféré aux dits ministres. Mais vu que l’Ange prononce ici ouvertement qu’il est le Dieu éternel, qui est seul Dieu, et en qui toutes choses subsistent, il faut nécessairement retreindre ce témoignage à l’essence de Dieu ; car il ne pourrait aucunement être approprié aux Anges. On pourrait dire plus proprement, que d’autant que l’Ange parle au nom de Dieu, aussi il prend sa personne ; comme s’il parlait par la bouche de Dieu, rapportant son mandement de mot a mot. Laquelle façon de parler est aussi assez commune aux Prophètes. Mais pour ce que S. Luc dira ci-après, que cet Ange était celui même, sous la conduite et protection duquel Moïse délivra le peuple ; et que S. Paul en 1 Corinthiens 10.1-4, prononce que Jésus-Christ a été ce conducteur ; il ne faut plus que nous nous ébahissions, si l’Ange s’attribue ce qui est propre à un seul Dieu. Concluons donc en premier lieu, que dès le commencement même il n’y a eu nulle communication de Dieu avec les hommes, sinon par Jésus-Christ. Car nous n’avons nulle accointance avec Dieu, si le Médiateur ne survient, qui nous fasse entrer en sa grâce.
Ainsi ce passage rend témoignage manifeste à la Divinité éternelle de Jésus-Christ ; et montre clairement qu’il est d’une même essence avec le Père. Au reste, il est appelé Ange, non seulement pour ce qu’il a eu toujours des Anges pour l’accompagner, et comme ses satellites ; mais d’autant que cette délivrance du peuple a figure la délivrance de nous tous, pour laquelle le Père devait envoyer Jésus-Christ, afin qu’il vêtît la forme d’un serviteur avec notre chair. Il est bien certain que Dieu n’apparut jamais aux hommes tel qu’il est ; mais sous quelque espèce qui fut convenable à leur capacité. Toutefois, comme j’ai dit, Jésus-Christ est ainsi appelé pour une autre raison ; pour ce qu’étant destiné ministre de salut aux hommes par le conseil éternel du Père, il apparaît à Moïse à cette fin. Et ce qui est dit en Hébreux 2.16, ne répugne point à cette doctrine ; à savoir que Jésus-Christ n’a jamais pris les Anges, mais a pris la semence d’Abraham. Car combien que pour quelque temps il ait pris la forme d’un Ange, néanmoins il n’a jamais pris la nature Angélique ; comme nous savons qu’il a été vraiment fait homme.
Il reste maintenant que nous disions quelque chose du buisson ardent. Ceci est tout commun, que Dieu par certaine similitude approprie les signes aux choses qu’ils signifient. Et c’est-ci une considération commune à tous Sacrements. Or rien ne pouvait être montré à Moïse en ce présent sujet, qui fut plus propre pour confirmer sa foi. Il savait en quel état il avait laissé sa nation. Combien qu’elle ait augmenté en un nombre infini de gens, toutefois elle était quasi semblable à un buisson. Car tout ainsi qu’un buisson tant plus qu’il est épais et garni de petits arbrisseaux serrés et entassés, tant plus aussi est-il sujet à recevoir la flamme, pour flamber de tous côtés ; semblablement la multitude du peuple d’Israël était fragile, exposée à tous outrages ; et ce grand nombre faible accablé comme de son propre fardeau avait embrasé la cruauté de Pharaon, et seulement à cause de l’issue heureuse de son accroissement. Le peuple donc opprimé d’une pesante tyrannie était comme un monceau de bois, lequel brûlait de tous côtés. Et rien n’empêche que bientôt il ne soit totalement réduit en cendres ; sinon que le Seigneur y est assis au milieu. Or combien que pour ce temps-là il y eut un feu étrange de persécutions allumé, toutefois pour ce que l’Eglise de Dieu n’est jamais du tout exempte des afflictions en ce monde, ici est aucunement décrite la condition perpétuelle de celle-ci. Car que sommes-nous sinon la pâture pour la flamme ? Or Satan jette des flambeaux innombrables pour mettre le feu à nos corps et à nos âmes ; mais le Seigneur nous garde d’être consumés par une grâce merveilleuse et singulière. Il faut donc nécessairement que le feu soit ardent, par lequel nous soyons brûlés en cette vie. Nonobstant pour ce que le Seigneur habite au milieu de nous, il fera que les afflictions ne nous nuiront point ; ainsi qu’il est assuré Psaumes 46.3.
Et Moïse, voyant cela, s’étonnait de cette vision ; et comme il s’approchait pour regarder, la voix du Seigneur se fit entendre :
Sachons que Dieu a travaillé en telle sorte avec les Pères, qu’ils étaient certifiés de la présence de sa majesté. Car il a voulu qu’il y eût différence manifeste entre les visions qu’il donnait, et les illusions de Satan. Et cette certitude est plus que nécessaire. Car sans cela, quelle certitude y aurait-il aux révélations de Dieu, dans lesquelles est contenue l’alliance de la vie bienheureuse et éternelle ? Vu donc que c’est le seul vrai appui de la foi d’avoir Dieu pour garant, il faut nécessairement qu’il montre que c’est indubitablement lui qui parle. D’avantage, vu que Satan rôde ça et là incessamment, et se fourre parmi nous par ruses merveilleuses, et a tant de moyens pour tromper, et surtout qu’il se couvre faussement du nom de Dieu, à cette cause il nous faut bien soigneusement garder de ses illusions. Nous voyons comme il a anciennement abusé tous les Païens, et même les Papistes. Car toutes les superstitions monstrueuses, et autant qu’il y eût jamais de rêveries d’erreurs, et qui règnent encore aujourd’hui en la Papauté, ont pris leur origine, des illusions et fausses révélations. Les Anabaptistes aussi ont leurs illusions. Par quoi il n’y a que ce seul remède, que Dieu imprime quelques certaines marques dans les visions et révélations qu’il donne à ses fidèles. Car quand il nous manifeste sa majesté, lors nous sommes hors de tous dangers d’errer. Pour cette raison le cœur de Moïse est frappé d’admiration ; puis après il s’approche pour considérer ; et quand il s’est ainsi approché de plus près, le Seigneur le touche d’un plus vif sentiment de sa présence, en sorte qu’il en est épouvanté. Je confesse bien qu’il n’y a rien de toutes ces choses que Satan ne contrefasse ; mais toute son imitation n’est qu’une singerie. Et notre Seigneur non seulement se manifeste par tels signes, mais aussi en même temps aide à notre éblouissement en nous ouvrant les yeux, afin que ne soyons abusés. D’avantage, le saint Esprit engrave dedans nos cœurs des marques et signes de sa présence divine, afin qu’il n’y ait plus aucune doute de reste.
Je suis le Dieu de tes pères, le Dieu d’Abraham et d’Isaac et de Jacob. Mais Moïse, tout tremblant, n’osait regarder.
Nous voyons maintenant à quel propos la vision a été présentée à Moïse, à savoir afin que la parole de Dieu eût son autorité. Car les visions nues ne profiteraient pas de beaucoup, si la doctrine n’y était adjointe. Or elle y est adjointe, non point comme partie inférieure, mais comme la cause et la fin de toutes les visions. Or quant à ce qu’il se nomme le Dieu d’Abraham, d’Isaac, et de Jacob, il y a double raison pourquoi il s’appelle ainsi. Selon que la majesté de Dieu est infinie, si nous la voulons comprendre, elle engloutit plutôt tous nos sens ; et si nous essayons de l’atteindre, nous nous évanouissons. Il s’orne donc de titres, par lesquels nous le puissions comprendre. Mais il faut noter que Dieu choisit pour soi des titres, par lesquels il nous ramène à la Parole. Car la raison pourquoi il est appelé le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, est, pour ce qu’il leur avait donné en garde la doctrine de salut, par laquelle il fut manifesté au monde. Toutefois Dieu a proprement regardé à la circonstance présente, quand il a ainsi parlé à Moïse. Car cette vision, et l’espérance de délivrer le peuple, et le mandement qu’il devait donner à Moïse, dépendaient de l’alliance qu’il avait jadis faite avec les Pères. Ainsi tout soupçon de nouveauté est ôté, et le cœur de Moïse est redressé à espérer la délivrance, qui est fondée en l’ancienne promesse de Dieu. Ce titre donc emporte autant comme si Dieu eût dit, moi qui ai anciennement promis à vos Pères que j’aurai soin de votre salut, qui ai reçu sous ma protection la lignée d’Abraham par alliance gratuite, et même qui ai prédéterminé ce temps-ci pour mettre fin à une servitude, je me manifeste maintenant a toi pour montrer que mes paroles sont véritables. Comme aujourd’hui, si nous voulons que toutes les promesses de Dieu nous soient stables et fermes, il nous faut appuyer sur ce fondement, que Dieu nous a adoptés en Jésus-Christ, et nous a promis qu’il serait notre Dieu et notre Père.
Au reste, ce n’est point sans bonne raison que Jésus-Christ recueille de ce passage, que les fidèles vivent après leur mort, Mathieu 22.32. Car si l’homme périt tout entier en la mort, ce serait une sotte façon de parler, Je suit le Dieu d’Abraham. Prenons le cas qu’il n’y ait plus de Rome ; celui qui s’appellera consul Romain, ne se rendra-il pas ridicule ? Car la relation requiert cela, que les membres soient correspondant. Il faut aussi considérer une autre raison ; que vu que Dieu a la vie et la mort en sa puissance, il est certain que ceux auxquels il veut être Père, et lesquels il répute pour ses enfants, il les garde et préserve en vie. Combien donc qu’Abraham, Isaac et Jacob soient morts selon la chair toutefois ils vivent devant Dieu selon l’Esprit.
Et Moïse tremblait. Ceci pourrait bien sembler absurde, qu’une parole pleine de consolation rend Moïse tremblant, plutôt qu’elle ne le réjouit. Mais il a été bon et profitable à Moïse, d’avoir été ainsi épouvanté de la présence de Dieu, afin qu’il se disposât à plus grande crainte et révérence. Car ce n’est point seulement la parole de Dieu qui touche son cœur au vif, mais aussi la majesté de celui-ci, de laquelle il voyait le signe au buisson ardent. Et se faut-il étonner si un homme tremble ayant Dieu devant soi ? Mais principalement retenons ceci, que les esprits sont préparés à crainte et révérence par ce moyen ; comme il est dit Exode 20.20 : Tu as entendu le son de la trompette, tu as vu les signes, afin que tu apprennes à craindre Dieu. Mais quelqu’un répliquera ; Pourquoi est-ce que Moïse étant épouvanté n’ose maintenant considérer, vu qu’il ne faisait auparavant difficulté de s’approcher ? A cela je réponds que tant plus près que nous approchons de Dieu, selon que sa gloire reluit d’avantage ; aussi sommes-nous à bon droit touchés de plus grande crainte, Au reste, Dieu n’épouvante Moïse pour autre raison, sinon afin qu’il le rende obéissant. Et cette crainte a été un préparatif propre pour lui faire concevoir plus grande confiance. Et ce qui s’ensuit, tend à ce but même, quand il dit : Déchausse les souliers de tes pieds. Car il est exhorté par ce signe, de recevoir les commandements de Dieu en toute humilité et révérence, et lui rendre en toutes sortes la gloire qui lui appartient.
Et le Seigneur lui dit : Ote les souliers de tes pieds ; car le lieu sur lequel tu te tiens est une terre sainte.
Dieu a voulu par ce titre ou témoignage du lieu (par manière de dire) élever le cœur de Moïse jusques au ciel, afin qu’il ne pensât rien qui fût trop terrestre. Que s’il a fallu que Moïse ait été piqué de tant d’aiguillons, afin qu’oubliant la terre, il se rende attentif à Dieu, ne faut-il pas bien que nous soyons comme percés de toutes parts, vu que nous sommes cent fois plus tardifs ? Toutefois on fait ici une question, D’où vient la sainteté de ce lieu ? Car devant ce jour-là ce lieu n’avait point été plus saint que les autres. Je réponds que cet honneur est donné à la présence de Dieu, et non point au lieu ; et que le lieu est appelé saint pour l’amour des hommes. Car si la présence de Dieu sanctifie la terre, combien est-il plus raisonnable que les hommes sentent plus grande vertu de celle-ci ? En même temps toutefois il nous faut noter, que ce lieu a été temporairement orné de sainteté, que cependant Dieu n’a point attaché sa gloire en celui-ci. Comme aussi Jacob dressa un autel au Seigneur en Béthel, après qu’il lui eût là donné un signe de sa présence. Or ses successeurs ont été pervers imitateurs, quand ils ont voulu offrir service à Dieu en ce même lieu. Finalement ce lieu est appelé saint, à cause de Moïse seul, afin qu’il se dispose mieux à honorer et craindre Dieu, et qu’il s’adonne à lui rendre plus prompte obéissance. Maintenant vu que Dieu se montre par tout présent en son Fils Jésus-Christ, et qu’il se manifeste, non point en figures obscures, mais en pleine lumière et vérité ferme, non seulement il faut que nous déchaussions les souliers de nos pieds, mais aussi que nous nous dépouillions entièrement.
J’ai vu, j’ai vu l’oppression de mon peuple en Egypte, et j’ai entendu leur gémissement, et je suis descendu pour les délivrer. Et maintenant viens, que je t’envoie en Egypte.
Dieu promet maintenant qu’il sera libérateur du peuple, afin d’ordonner de nouveau Moïse ministre de cette délivrance. Car l’élection précédente avait été comme interrompue par le long laps de temps. Car il est dit que Dieu regarde nos maux, quand il a égard à nous, et quand il prend la charge de notre salut ; comme aussi au contraire, il est dit qu’il ferme les yeux, et nous tourne le dos, quand il semble qu’il ne tient compte de notre affaire. Il y a une même raison en ce qui est dit qu’il est descendu, il n’est nullement nécessaire que Dieu se remue et bouge de sa place pour donner secours ; car sa main est étendue par tout le ciel et la terre. Mais ceci est rapporté à notre sens. Car quand il ne soulageait point l’affliction du peuple, il pouvait sembler qu’il était loin, et qu’il avait d’autres affaires au ciel. Tout revient à ce but, que Moïse étant rendu certain de la volonté de Dieu, ne fasse nulle difficulté de suivre la conduite de celui-ci, et de s’employer de plus grande confiance pour la délivrance du peuple, laquelle il connaît être une œuvre de Dieu. Il nous faut aussi observer que le Seigneur dit qu’il a entendu leurs pleurs et gémissements. Car combien qu’il ait égard à ceux qui sont injustement oppressés, toutefois il est principalement ému à pitié, quand nous déchargeons nos gémissements et complaintes en son soin. Combien que ce mot se peut prendre, comme souvent ailleurs, pour des plaintes confuses et de gens étourdis, lesquelles ne sont pas adressées à Dieu.
Ce Moïse qu’ils avaient renié, en disant : Qui t’a établi chef et juge ? c’est lui que Dieu envoya comme chef et comme libérateur, avec l’assistance de l’ange qui lui était apparu dans le buisson.
Saint Etienne laisse beaucoup de choses, d’autant qu’il se hâte pour venir à ce but, que les Juifs entendent que la raison pourquoi leurs Pères ont été délivrés, n’est point pour ce qu’ils en fussent dignes par leur sainteté ; mais que ce bien leur a été fait comme à gens qui ne l’avaient nullement mérité. Quand Moïse étant ordonné de Dieu pour être leur protecteur et libérateur était sur le point de les délivrer, ils lui fermèrent le chemin. Maintenant donc Dieu les délivre comme malgré eux. Quant à ce qui est ajouté des miracles et signes, il se rapporte tant à la louange de la grâce de Dieu, que pour donner à connaître la vocation de Moïse. C’est bien certes une charge digne d’admiration, que Dieu daigne montrer ouvertement sa vertu par divers miracles pour un peuple si ingrat. Mais cependant il donne autorité a son serviteur. Par quoi, en ce que les Juifs ne lui portent pas grand honneur puis après, que tantôt ils contestent contre lui, tantôt ils murmurent, tantôt ils s’élèvent d’une impétuosité contre lui ; ils montrent plus clairement leur malice, et un mépris malheureux de la grâce de Dieu. Ainsi la méchanceté est toujours augmentée, en sorte qu’il a fallu que Dieu ait usé d’une merveilleuse patience pour surmonter la malice de ce peuple tant obstiné et pervers.
Pour prince et rédempteur. Il y a en ceci des antithèses ou oppositions tacites. Ils eussent obéi à Moïse, s’il eût été commis gouverneur par le tyran Pharaon ; mais d’autant que Dieu l’avait ordonné, voire pour leur rédempteur, ils le méprisent et rejettent fièrement. Ainsi en méprisant l’autorité et domination de Moïse, ils ont été méchants, et en rejettent la grâce qu’il leur apportait se sont montrés même ingrats. Or quant à ce qu’un titre si excellent et si honorable est attribué à Moïse, en cela Dieu ne transfère point a un homme l’honneur qui lui est du, en sorte que rien de son droit soit diminué. Car Moïse n’est point appelé rédempteur, sinon en tant qu’il a été ministre de Dieu. Et par ce moyen la gloire entière de toute cette œuvre demeure à Dieu seul. Toutes les fois donc que Dieu orne les hommes de ses titres, apprenons qu’il n’est pour cela nullement dépouillé de son honneur, mais que l’œuvre qu’il exécute par leurs mains, est ainsi louée. A ceci appartient ce que dit saint Etienne, à savoir que cet office et charge lui a été donnée en la main de l’Ange. Car par ce moyen Moïse est assujetti à Jésus-Christ, afin que sous la conduite et guide de celui-ci il serve à Dieu. Car ce mot de Main, est ici pris pour principauté, et non point pour ministère. Par quoi Dieu s’est tellement servi de Moïse, que la vertu de Jésus-Christ était éminente par-dessus lui. Comme aujourd’hui il est le souverain conducteur et gouverneur à parachever le salut de l’Eglise. Et qui plus est, il met les hommes tellement en travail, que la vertu et efficace dépend de lui seul.
C’est lui qui les fit sortir en faisant des prodiges et des miracles en Egypte et dans la mer Rouge et au désert pendant quarante ans.
C’est ce Moïse qui a dit aux fils d’Israël : Dieu vous suscitera un prophète d’entre vos frères, comme moi.
Il ne faut point douter que saint Etienne n’ait voulu prouver par ces paroles, que Jésus-Christ est la fin de la Loi, combien qu’il n’exprime ceci ouvertement. Et de fait, comme nous avons déjà dit, saint Luc ne explique pas ici de mot a mot tout ce que saint Etienne a dit, mais il se contente de noter les principaux articles. Au surplus, nous avons dit ci-dessus au chapitre 3, que ce témoignage est bien approprié à notre Seigneur Jésus, en sorte toutefois qu’il convient aussi aux autres Prophètes. Car après que Moïse a défendu au peuple de se laisser transporter ça et là par les vaines et folles superstitions des Gentils, il lui montre ce qu’il doit suivre. Il ne faut point, dit-il, que tu désires ni les sorciers, ni les devins. Car Dieu ne te laissera jamais sans Prophètes, par lesquels tu seras fidèlement enseigné. Or maintenant il est certain que le ministère et office des Prophètes a été temporel, comme aussi le ministère et office de la Loi, jusques à ce que Jésus-Christ apportât au monde la pleine perfection de sagesse. Le propos donc de saint Etienne tend à ce but, que quand Moïse propose un autre docteur, il ne veut point que le peuple se tienne arrêté à lui seul. Il est bien vrai que les Prophètes ont été expositeurs de la Loi, et que toute leur doctrine a été comme une dépendance des choses qui avaient été enseignées par Moïse. Nonobstant puisqu’il était aussi bien certain que Christ devait apporter une façon de doctrine plus parfaite, comme celui qui devait mettre fin à toutes les prophéties, il s’ensuit qu’il est constitué au plus haut lieu, et que la principale maîtrise lui est maintenue, afin qu’on ne fasse nulle doute d’ajouter foi à l’Evangile. Nous entendons bien maintenant à quel propos saint Etienne a ici inséré le témoignage de Moïse ; à savoir afin qu’il montre que Moïse duquel ils se vantaient à pleine bouche qu’il était leur Docteur unique, n’est pas moins vilainement méprisé des Juifs après sa mort, qu’il a été jadis orgueilleusement et infidèlement rejeté par eux, quand il vivait. Car celui qui ajoutera foi à Moïse, ne refusera point d’être disciple de Jésus-Christ, duquel Moïse a été héraut et ambassadeur. On pourra voir le reste en ce qui a été dit au chapitre 3.
C’est lui qui, dans l’assemblée, au désert, fut avec l’ange qui lui parlait sur le mont Sinaï et avec nos pères ; c’est lui qui reçut des oracles vivants pour nous les donner.
Saint Etienne poursuit à raconter la perversité du peuple, lequel combien qu’il eût été provoqué par tant de bénéfices de Dieu, nonobstant a toujours continué à le repousser malicieusement avec toutes ses grâces. S’ils avaient été auparavant désobéissants et ingrats à la bonté de Dieu, pour le moins cette délivrance tant admirable les devait faire retourner à leur bon sens. Mais saint Etienne montre qu’ils ont été toujours semblables à eux-mêmes. Vraiment il était bien raisonnable que non seulement tant de miracles leur fussent gravés dedans leurs cœurs, mais aussi qu’ils les eussent devant les yeux incessamment. Mais ayant mis tous ces miracles en oubli, ils se transportent soudain aux superstitions d’Egypte. La mémoire de leur dure servitude était encore fraîche, de laquelle ils avaient échappé en passant la mer ; mais ils préfèrent à leur rédempteur des tyrans, par lesquels ils avaient été plus qu’inhumainement traités. C’a été donc le comble d’une impiété désespérée, que leur rébellion n’a pu être amollie et vaincue par tant de bénéfices de Dieu, qu’ils ne soient toujours retournés à leur première nature perverse. Ce que saint Etienne ajoute, augmente bien l’énormité de leur crime ; à savoir, que Moïse était pour lors avec eux au désert. Car outre ce qu’ici apparaît une bonté inestimable de Dieu, quand il les endure tant patiemment et bénignement ; ils se montrent du tout inexcusables, quand au milieu de tant de dangers dont ils se voyaient assiégés, et de maux qui les pressaient, ayant Moïse pour conducteur de leur chemin, et pour fidèle gardien de leur vie, néanmoins ils se révoltent de Dieu vilainement et déloyalement. Bref, il apparaît qu’ils ont ressemblé à des bêtes farouches, vu que Dieu par tant de liens et brides ne les a pu retenir en obéissance. Par quoi, ce que Moïse n’a cessé de les gouverner par le désert sous la guide et conduite de l’Ange, on peut facilement recueillir de cette circonstance de temps, combien leur perversité a été dure et obstinée, voire du tout incurable ; comme aussi c’était une rébellion monstrueuse, quand ils ne se sont pu humilier ayant tant de maux, et voyant même la mort devant leurs yeux.
Quant à ce qu’il dit que Moïse a été avec l’Ange et les Pères, il y a bien autre raison en l’un qu’en l’autre. Car il a été avec les Pères, afin qu’il fut leur conducteur et guide selon le commandement de Dieu ; il a été avec l’Ange comme ministre. Dont s’ensuit que ce n’a point été à un homme particulier qu’ils ont fait injure, mais au gouvernement de Dieu, quand la révérence de l’un et de l’autre n’a pu empêcher le peuple de se révolter en une déloyauté plus que méchante. Touchant l’Ange, nous en avons traité ci-dessus. Mais le mot Grec a une signification ambiguë. Car il se peut entendre de la première vision, par laquelle Moïse a été appelé pour délivrer le peuple ; ou bien des propos que Dieu tint à Moïse après qu’ils eurent passé la mer rouge. Mais pour ce que les deux fois Jésus-Christ a certifié qu’il était auteur de la délivrance, il n’y a pas grand intérêt en cela, lequel des deux nous élisions. Et même il n’y a rien qui nous empêche de l’étendre à tous les deux. Car celui qui avait parlé à Moïse dès le commencement pour l’envoyer en Egypte, celui-ci même a toujours continué sa Parole, jusques à ce que l’œuvre fut parachevée.
Lequel a reçu les oracles vifs ; Erasme a traduit : La parole vive. Mais ceux qui entendent le Grec, connaîtront bien que j’ai mieux traduit ce que dit saint Etienne. Car il y a plus grande majesté dans les oracles qu’en la parole. Je parle seulement du mot. Car je sais bien que tout ce qui procède de la bouche de Dieu, est oracle. Au reste, il donne autorité à la doctrine de Moïse par ces paroles ; d’autant que Moïse n’a rien mis en avant qui ne soit venu de Dieu. Dont il s’ensuit que ce n’est pas tant à Moïse que les Juifs ont été rebelles, qu’à Dieu même en la personne de Moïse, en quoi se découvre tant plus leur perversité obstinée jusques au bout. Or voici la règle générale pour confirmer et établir la doctrine, à savoir quand les hommes n’enseignent rien qui ne leur ait été ordonné de Dieu. Car y a-t-il homme qui s’ose préférer à Moïse ? Et toutefois le saint Esprit prononce, que foi ne lui doit être ajoutée pour autre raison, sinon d’autant qu’il a fidèlement exposé au peuple la doctrine qu’il avait reçue de Dieu. Mais on demande pourquoi c’est qu’il appelle la Loi, parole vive. Car il semble que ce titre ne convient pas bien aux paroles de S. Paul, d’autant qu’il dit que la Loi est ministère de mort, qu’elle engendre colère, et qu’elle est la force du péché, 2 Corinthiens 3.7. Si nous entendons la parole vive, c’est-à-dire ayant efficace, et qui ne peut être annulée par le mépris des hommes, il n’y aura nulle répugnance. Mais quant à moi je l’interprète en signification active, pour parole vivifiante. Car vu que la Loi est la règle de bien et saintement vivre, et qu’elle montre la justice de Dieu, elle est réputée à bon droit doctrine de vie et de salut. A quoi appartient cette protestation solennelle que fait Moïse, quand il adjure le ciel et la terre, qu’il a proposé la voie de vie et de mort Deutéronome 29. En ce sens aussi Dieu se plaint au chap. 20 d’Ezéchiel, que sa Loi sainte et bonne a été violée, et qu’on avait corrompu ses commandements bons et sains, desquels il avait dit : Qui aura fait ces choses, vivra en celles-ci.
La Loi donc contient la vie en soi. Toutefois si quelqu’un aime mieux prendre Parole vive, pour pleine de vertu et efficace, je n’en débattrai pas fort. Mais quant à ce qu’elle est appelée ministère de mort, c’est par accident, à cause de la nature corrompue des hommes. Car ce n’est pas elle qui engendre le péché ; mais elle le trouve en nous. Elle nous offre la vie ; mais pour ce que nous sommes vicieux, nous ne pouvons rien rapporter de celle-ci que la mort. Par quoi elle n’est point mortelle sinon au regard des hommes. Combien que saint Etienne a ici regardé plus haut. Car il ne parle point des commandements nus, mais il comprend toute la doctrine de Moïse, en laquelle les promesses gratuites sont encloses, voire Jésus-Christ lui-même, qui est la seule vie et le seul salut des hommes. Il nous faut souvenir à quelle manière de gens S. Etienne avait à faire. Ils étaient zélateurs de la Loi d’une façon mal réglée, et non point selon le vrai sens ; d’autant qu’ils s’arrêtaient seulement en la lettre morte et mortelle ; et cependant étaient enragés contre saint Etienne, de ce qu’il cherchait en la Loi Jésus-Christ, qui est la vraie âme de celle-ci. Reprenant donc obliquement leur ignorance perverse, il signifie qu’il y a quelque chose plus grande et plus excellente cachée en la Loi, que ce qu’ils avaient connu jusques alors. Car comme ils étaient charnels, aussi se contentaient-ils de l’apparence externe, et ne cherchaient rien en la Loi qui fut spirituel, et ne pouvaient même souffrir qu’on leur montrât.
Pour nous les donner. Ceci sert pour repousser la calomnie de laquelle on l’avait chargé. Car vu qu’il s’assujettit au joug de la Loi, et proteste qu’il est un des disciples de Moïse, il s’en faut beaucoup qu’il empêche les autres de lui ajouter foi. Mais plutôt il rejette le crime qu’on lui avait imposé, sur les auteurs de la calomnie. Car ce reproche touchait en quelque façon tout le peuple en commun, que les Pères n’avaient point voulu obtempérer à la Loi. Cependant toutefois il exhorte que Moïse n’a point été donné Prophète seulement pour son temps, mais aussi afin qu’après sa mort il fut en autorité entre ceux qui viendraient après. Car il n’est point convenable que la doctrine de Dieu meure et demeure ensevelie avec les ministres, quand ils sont ôtés de ce monde. Car quelle raison y a-t-il, qu’elle qui nous rend immortels, meure ? Et aujourd’hui encore il nous en faut ainsi résoudre, que comme les Prophètes et apôtres ont parlé aux hommes qui étaient de leur temps ; aussi nous ont-ils écrit, et la vigueur de leur doctrine est perpétuelle ; pour ce qu’elle représente plutôt Dieu qui en est l’auteur, que les hommes qui en ont été ministres. Cependant il nous donne bien à entendre, que ceux qui rejettent la Parole quand elle leur est adressée, rejettent le conseil de Dieu.
C’est à lui que nos pères ne voulurent point obéir, mais ils le repoussèrent et tournèrent leurs cœurs vers l’Egypte ;
Il dit que les Pères ont rejeté Moïse, et en même temps il dénote la cause, pour ce qu’ils se sont plutôt adonnés aux superstitions d’Egypte. Or c’a été ici une rage horrible et un merveilleux aveuglement, de convoiter les mœurs et façons de vivre d’Egypte, où naguère ils avaient enduré si grands tourments. Il dit que leurs cœurs étaient détournés pour aller en Egypte ; non pas qu’ils désirassent y retourner, mais pour ce qu’ils avaient de nouveau fixé leurs esprits à ces corruptions, desquelles la mémoire devait être du tout éteinte ; pour le moins la souvenance les leur devait faire avoir en horreur et exécration et haine. Il est vrai qu’il fut parlé une fois entre les Juifs de retourner ; mais saint Etienne ne touche point maintenant cette histoire. Au reste, il exprime encore plus leur rébellion, quand il dit qu’ils se détournèrent. Car étant entrés au droit chemin par la conduite de Dieu, ils se jettent soudain d’un autre côté, comme si un mauvais cheval ne pouvant souffrir que son maître le chevauche, tirait en arrière en regimbant.
en disant à Aaron : Fais-nous des dieux qui marcheront devant nous ; car ce Moïse qui nous a fait sortir du pays d’Egypte, nous ne savons ce qui lui est arrivé.
Comme ainsi soit que les Juifs se soient révoltés en diverses sortes, saint Etienne choisit ici un exemple de leur exécrable déloyauté, lequel est notable sur tous les autres ; à savoir quand ils se forgèrent un veau pour l’adorer au lieu de Dieu. Car pourrait-on imaginer chose plus vilaine que cette ingratitude ? Ils confessent bien qu’ils ont été délivrés d’Egypte, et ne dissimulent point que cela a été fait par la grâce de Dieu, et par le moyen de Moïse. Cependant ils rejettent hardiment l’auteur d’un si grand bien et le ministre de celui-ci. Et quelle couleur ont-ils ? Ils mettent en avant qu’ils ne savent ce qui est advenu de Moïse. Mais ils n’ignorent point qu’il est en la montagne. Quand il y allait, ils l’ont conduit de vue, jusqu’à ce que Dieu envoya une nuée entre-deux, et le reçut à soi. D’avantage, ils savent bien que que si Moïse est absent, c’est pour leur salut, et qu’il leur avait promis de retourner quand il en serait temps, pour leur apporter la Loi que Dieu lui aurait donnée. Seulement il leur avait commandé de se tenir cois pour un peu, et attendre en patience. Mais il n’y avait très peu de temps qu’il les avait laissés, et incontinent sans cause ils poussent des cris enragés. Mais pour déguiser leur rage de quelque apparence de raison, ou la parer honnêtement, ils disent qu’ils veulent avoir des dieux présents avec eux. Voire, comme si Dieu ne leur eût encore donné aucun signe de sa présence. Et si est-ce que sa gloire se montrait tous les jours en la nuée et en la colonne de feu. Nous voyons donc de quelle malignité ils se fâchent de Dieu, et courent à une idolâtrie ; je laisse à dire combien c’a été une ingratitude vilaine et méchante, d’avoir mis si tôt en oubli les miracles ; la mémoire desquels devait être célébrée jusqu’à la fin du monde, par quoi il apparaît assez par ce seul révoltement, combien ce peuple a été obstiné et difficile à manier.
Ajoutons qu’il servait à la cause de saint Etienne, que cette histoire de leur rébellion fut plutôt expliquée que les autres. Car le peuple renverse ouvertement le service de Dieu, il rejette la doctrine de la Loi, il introduit une religion profane et étrange. Au reste, voici un fort beau passage ; d’autant qu’il montre la source de laquelle toutes sortes de superstitions sont venues dès le commencement ; et principalement qui a été la première origine de forger les idoles ; à savoir que l’homme qui est charnel, veut toutefois avoir Dieu présent selon la rapacité de son sens charnel. Ceci est la cause pourquoi les hommes se sont en tous temps si follement excités à forger des idoles. Il est vrai que Dieu s’accommode à notre rudesse jusques-là, qu’il se présente parfois visible sous figures. Car sous la Loi il y avait plusieurs signes, pour rendre témoignage de sa présence. Et aujourd’hui il descend à nous par le baptême et par la Cène, et même par la prédication externe de la Parole. Mais les hommes pèchent ici en deux sortes. Premièrement, ne se contentant point des moyens que Dieu a ordonnés, ils s’en forgent de nouveaux hardiment. C’est déjà un grand vice, que ne pouvant garder aucune mesure ni moyen, toujours ils frétillent à chercher des inventions nouvelles ; et par ce moyen ne font nulle difficulté d’outrepasser les limites que Dieu avait mises.
Mais quelle image de Dieu pourrons-nous avoir devant les yeux, sinon celle que lui-même a instituée ? Toutes choses donc que les hommes forgent à leur appétit outre la parole de Dieu, sont fausses et contrefaites. S’ensuit puis après l’autre vice, qui est aussi peu tolérable ; que tout ainsi que l’entendement humain ne conçoit rien de Dieu qui ne soit lourd et terrien ; aussi transfère-t-il tous les signes et témoignages de la présence Divine, à une telle imagination grossière. Et non seulement il se joue follement en ses idoles qu’il a forgées, mais aussi il corrompt et déprave tout ce que Dieu avait ordonné, le détournant à une autre fin. Il est vrai que Dieu descend à nous, comme j’ai dit ; mais c’est afin qu’il nous élève au ciel. Mais nous qui sommes attachés à la terre, nous le voulons aussi avoir en la terre. Par ce moyen sa gloire céleste est défigurée ; et ce que disent ici les Israélites est vraiment accompli, à savoir : Fais-nous des dieux. Car quiconque n’adore Dieu spirituellement, celui-là se forge un nouveau dieu. Et toutefois si nous regardons le tout de bien près, les Israélites ne veulent point avoir un dieu qu’ils aient forgé eux-mêmes, mais plutôt ils pensent avoir le vrai Dieu sous la figure du veau d’or. Car ils se trouvent à bon escient au sacrifice assigné ; et approuvent par leur consentement ce qu’Aaron prononce, que ce sont les dieux qui les ont tirés hors d’Egypte. Mais Dieu ne s’arrête point à ces imaginations frivoles ; mais il se plaint qu’on met à sa place des dieux étrangers, aussitôt que les hommes se détournent de sa parole, tant peu que ce soit.
Et, en ces jours-là, ils firent un veau et ils offrirent un sacrifice à l’idole, et ils se réjouissaient des œuvres de leurs mains.
On peut aisément recueillir par les paroles précédentes, pourquoi ils ont plutôt choisi cette figure. Car combien qu’Egypte fut remplie d’idoles innombrables, toutefois il est certain qu’ils ont honoré le bœuf par-dessus toutes les autres. Mais d’où vient aux Juifs la convoitise de cette idole, sinon qu’ils avaient leurs cœurs détournés en Egypte ? comme S. Etienne a déjà dit. Or il faut noter cette manière de parler, quand il dit qu’ils ont offert sacrifices à l’idole. Aaron fait un édit, que le peuple s’assemble pour adorer Dieu. Tous se trouvent là. Ils protestent donc qu’ils n’ont rien moins au cœur, que de frauder Dieu de son honneur pour le transférer au veau ; mais plutôt leur résolution est d’adorer Dieu en la figure du veau. Mais pour ce qu’en forgeant l’idole, ils ont délaissé le vrai Dieu, tout ce qui s’ensuit après est réputé comme donné à l’idole ; d’autant que Dieu rejette toutes adorations perverses. Car ce n’est pas raison qu’on lui veuille faire recevoir ce qu’il n’a pas commandé ; et puis qu’il a expressément défendu qu’on lui dresse aucune image visible, quelque semblant qu’on fasse après à son honneur, c’est sacrilège.
Et se réjouissaient dans les œuvres de leurs mains. Cette manière de parler est prise d’Esaïe, et même des autres Prophètes, qui répètent semblablement aux Juifs qu’ils se sont réjouis en leurs inventions. Et de fait, c’est une folie étrange quand les hommes s’attribuent tant peu que ce soit, touchant le service de Dieu. Or par cette réjouissance, j’entends la danse solennelle, de laquelle parle Moïse au chapitre 32 d’Exode. Toutefois saint Etienne reprend un vice commun, duquel tous idolâtres sont entachés. Car en lieu qu’il n’est licite aux hommes de rien entreprendre en la religion, que Dieu n’ait commandé, ils sont bien si hardis d’entreprendre et inventer tout ce qui leur semble bon, et délaisser la parole de Dieu pour aller choisir les œuvres de leurs mains. Or saint Etienne montre que tant plus qu’ils se plaisent en cette licence, tant plus ils déplaisent à Dieu. Par quoi si nous voulons que notre service soit approuvé, il nous faut nous détourner des œuvres de nos mains, c’est-à-dire de nos inventions. Car à la vérité tout ce que les hommes inventent d’eux-mêmes n’est qu’une profanation horrible et pleine de sacrilèges. Et de fait, l’idole est ainsi appelée proprement par reproche, comme chose de néant ; car c’est contre toute raison que l’homme puisse forger un dieu.
Mais Dieu se détourna, et les livra au culte de l’armée du ciel, comme il est écrit dans le livre des prophètes : M’avez-vous offert des victimes et des sacrifices durant quarante ans dans le désert, maison d’Israël ?
Et vous avez porté le tabernacle de Moloch et l’étoile du dieu Rephan, ces images que vous avez faites pour les adorer. Aussi vous transporterai-je au delà de Babylone.
S. Etienne montre ici que les Juifs n’ont cessé de pécher ; mais se sont toujours exorbitantes en leurs erreurs pervers ; en sorte que ce premier fourvoiement leur a été comme une ouverture pour entrer dedans un labyrinthe. Or il attribue à une juste vengeance de Dieu, ce que depuis ce temps-là leur rage a augmenté, en sorte que pour une idole ils en ont forgé sans nombre. Or nous sommes exhortés par cet exemple, d’être soigneux et attentifs à suivre la règle de Dieu. Car aussitôt que les hommes se sont détournés de celle-ci tant peu que ce soit, il faut nécessairement qu’ils soient transportés çà et là par diverses rêveries, qu’ils soient enveloppés en beaucoup du superstitions, et finalement du tout plongés en un vague amas d’erreurs. Et les hommes sont ainsi justement punis de Dieu, lesquels n’ont voulu obtempérer à sa parole. Et pourtant saint Etienne dit que Dieu s’est détourné d’eux ; laquelle manière de parler emporte autant comme s’il disait qu’il leur a tourné le dos. Car il avait, par manière de dire, les yeux dressés sur le peuple, quand il montrait un soin et sollicitude singulière à les conduire et gouverner, maintenant fâché et offensé de leur apostasie, il tourne ses yeux d’un autre côté. On peut semblablement recueillir de ceci, que nous ne pouvons pas autrement suivre le droit chemin, sinon quand le Seigneur veille pour nous conduire ; et quand il a détourné sa face, nous sommes incontinent tirés en erreurs, et poussés en fourvoiements.
Il est vrai que dès lors que les Israélites forgèrent le veau, ils étaient délaissés de Dieu ; mais S. Etienne a voulu exprimer combien la punition a été grave ; comme s’il eût dit que lors ils furent totalement mis en sens réprouvé ; ainsi que S. Paul enseigne, que ceux qui n’ont point donné à Dieu la gloire qui lui appartenait, quand il s’est manifesté à eux, ont été livrés par juste vengeance de Dieu en aveuglement et horrible stupidité, et cupidités infâmes, Romains 1.28. De là est advenu que depuis que la religion a commencé à être corrompue, abominations innombrables sont survenues après peu de superstitions, et monstres horribles d’idolâtrie ont succédé après quelques légères corruptions. Car d’autant que les hommes n’ont tenu compte de la lumière qui leur était allumée, ils ont été du tout abrutis par juste jugement de Dieu ; en sorte qu’ils n’ont eu ne sens ni avis, non plus que bêtes brutes. Il est vrai que l’idolâtrie n’est que trop fertile ; en sorte que d’un dieu forgé s’en engendrent cent puis après, et d’une superstition en naissent mille ; mais la cause de ce que les hommes sont si enragés est que Dieu se venge en les livrant à Satan. Car depuis que Dieu a pris la charge de nous gouverner, ce n’est pas de son côté qu’il advient changement, mais c’est une légèreté téméraire qui nous sépare de Lui.
Maison d’Israël, m’avez-vous offert. Ce passage-ci est pris de Amos 5.25. La façon de parler de laquelle use saint Etienne, montre que toutes les prophéties étaient recueillies en un volume. Au surplus, après qu’Amos en ce lieu-là s’est âprement courroucé contre l’idolâtrie et plusieurs autres péchés du peuple, il ajoute que ce mal n’est pas nouveau, que les Juifs soient rebelles à Dieu ; pour autant que leurs Pères dès lors mêmes qu’ils étaient au désert, s’étaient révoltés de la vraie religion. Au demeurant, il nie que sacrifices lui aient été offerts ; non pas qu’il n’y eût eu là aucuns sacrifices ; mais pour ce que Dieu rejetait ce sacrifice corrompu et bâtard. Comme aussi en Esaïe il reproche au peuple, qu’il n’a été honoré de lui par aucuns sacrifices ; Tu ne m’as point, dit-il, invoqué, ô Jacob, et ne m’as point honoré par tes oblations ; et je ne l’ai point fait servir en encensements ou offrandes. Tu ne m’as point acheté des odeurs, et ne m’as rassasié de graisse. Mais tu m’as été en charge en tes péchés, et m’as fait servir en tes iniquités Esaïe 43.22. Il est bien certain que toutes ces choses se faisaient tous les jours par les Juifs ; mais le Seigneur ne reçoit pour agréable aucun service des méchants et infidèles ; et puis il a en abomination tout ce qui est barbouillé de mélanges venant d’ailleurs. C’est en cette sorte qu’Amos aussi parle des pères apostats. Ce qui est ajouté incontinent après se peut rapporter auxdits pères, ou à leurs successeurs, quand il dit : Vous avez porté le tabernacle de Moloch. Il y a proprement : Et vous avez, etc ; mais certains prennent Et, pour mais, comme s’il eût dit : Mais plutôt vous avez porté honneur et révérence à l’idole. On le pourrait aussi résoudre en Car, ou pour ce que, en cette sorte, Vous ne m’avez point offert sacrifices, pour ce que vous avez dressé le tabernacle de Moloch. Mais je l’expose un peu autrement, à savoir que Dieu au commencement pour plus grande véhémence accuse les pères ; puis après il ajoute que leurs successeurs ont fait pire, en augmentant les superstitions, et se forgeant des idoles nouvelles et diverses. Comme si le Prophète eût parlé en cette sorte en la personne de Dieu : Si je commence dès le premier commencement à montrer comment votre génération s’est portée envers moi, ô maison d’Israël ; déjà dès lors que vos pères étaient au désert, ils ont commencé à corrompre et pervertir le service que j’avais institué ; mais vous avez surmonté leur impiété ; car vous avez introduit une tourbe infinie de dieux. Et certes cet ordre convient mieux au propos de saint Etienne. Car (comme il a été déjà dit) il veut prouver que depuis que les Israélites se sont abâtardis, et sont tombés en cérémonies étranges, ils n’ont cessé d’ajouter offense sur offense ; mais étant frappés d’aveuglement par le Seigneur, se sont pollués coup sur coup de nouvelles idolâtries, jusques à ce qu’ils sont venus au comble de toute impiété. S. Etienne donc confirme bien à propos cette sentence par le témoignage du Prophète, que les Juifs engendrés de pères infidèles et désobéissants, n’avaient toutefois jamais cessé d’aller de mal en pis.
Au reste, combien que les mots du Prophète soient un peu différents, néanmoins c’est un même sens. Il est probable que S. Etienne, qui adressait sa parole aux Juifs, ait expliqué de mot à mot en leur langue ce qui est écrit en Amos. S. Luc qui écrivait en Grec a suivi le traducteur Grec. Le Prophète dit : Vous avez honoré Succuth votre Roi, et Cijum votre idole, l’astre de vos dieux. En lieu que Succuth, dont use le Prophète, est le nom propre d’une idole, le traducteur Grec en a fait un nom appellatif et commun, a cause de la convenance qu’il a avec Succoth, qui signifie Tabernacle. Au reste, je ne sais où le traducteur Grec a pris son Remphan ; sinon qu’il se peut bien faire que ce nom était plus reçu en usage en ce temps-là.
Lesquelles figures vous avez faites. Le mot d’image ou de figure duquel use le Prophète, ne dénote nul vice de soi. Le nom Grec aussi Typus, est pris en bonne part. Car toutes les cérémonies que Dieu a instituées, sont dénotées par ce nom. Nonobstant le Prophète condamne expressément les figures que les Juifs avaient faites. Et pourquoi, sinon que Dieu ne veut point être adoré sous forme visible et externe ? Si on objecte, que mention est ici faite des astres, je confesse que cela est vrai. Mais je m’arrête seulement à cela, que combien que le Prophète donne un nom honnête aux idoles, nonobstant il condamne étroitement le service corrompu. Et par ceci est réfutée la chicane sotte et puérile des Papistes. Pour ce qu’ils nient que les images et statues qu’ils adorent, soient idoles, ils appellent le service, après lequel ils sont transportés de rage, Adoration d’images, et non point d’idoles. Vu qu’ils font les Sophistes devant Dieu, et se jouent ainsi de lui, il n’y a personne qui ait quelque sens commun, qui ne voie bien qu’ils se montrent plus que ridicules en tels badinages. Car laissons là le mot sans débattre, il est certain toutefois que ce mot de Figure, est plus honorable que le mot d’image. Et néanmoins ici sont condamnées simplement et absolument les figures que les hommes se forgent, et non seulement pour adorer, mais aussi pour se prosterner devant, c’est-à-dire y faire quelque signe d’honneur que ce soit. Voilà donc cette sotte distinction, en laquelle les Papistes pensent avoir un fin subterfuge, qui est mise bas.
Outre Babylone. Le Prophète nomme Damas ; et la traduction Grecque n’est point discordante à cela. Par quoi il se peut faire que ce mot de Babylone ait été ici mis par mégarde ; combien que quant à la substance du propos cela n’emporte point de diversité. Les Israélites devaient être transportés en Babylone ; mais pour ce qu’ils se constituaient une aide certaine et invincible au royaume de Syrie, duquel la ville capitale était Damas ; à cette cause le Prophète dénonce que Damas n’empêchera point que Dieu ne les pousse plus loin ; comme s’il disait : Tandis que vous avez Damas pour forteresse contre vos ennemis, il vous semble avis que vous êtes bien munis ; mais Dieu vous transportera plus outre, à savoir en Assyrie et Chaldée.
Nos pères avaient dans le désert le tabernacle du témoignage, comme l’avait ordonné Celui qui avait dit à Moïse de le faire selon le modèle qu’il avait vu.
Saint Etienne montre ici que la faute ne peut être imputée à Dieu, de ce que les Juifs se sont pollués de diverses superstitions ; comme s’il leur avait lâché la bride pour les laisser vaguer à leur appétit. Car il dit que Dieu avait ordonné comment il voulait être servi d’eux. Dont il s’ensuit qu’ils n’ont point été enveloppés en tant d’erreurs, sinon d’autant qu’ils n’ont point voulu suivre la forme que Dieu leur avait donnée, combien qu’il les taxe en deux sortes. Premièrement, de ce que ne se contentant point de la seule règle de Dieu, ils se sont follement forgé des services étrangers. Secondement, de ce qu’ils n’ont point regardé la droite fin au temple même, ni aux cérémonies instituées de Dieu. Car en lieu qu’ils devaient avoir les cérémonies pour les exercer au service spirituel de Dieu, toutefois selon que leur esprit était lourd et grossier, ils n’appréhendaient rien qui ne fut terrien et charnel ; c’est-à-dire, s’arrêtaient à l’ombre, au lieu du corps. Nous voyons donc qu’en premier lieu les Juifs sont repris de leur audace, de ce que ne se contentant point de la simple parole de Dieu, ils ont été enragés après leurs inventions. Puis après ils sont repris de ce qu’ils ont abusé tout au rebours du vrai et pur service de Dieu ; d’autant qu’au lieu de l’Esprit ils ont suivi la chair. Ils avaient, dit-il, le tabernacle du témoignage. Par quoi rien ne les a incités à pécher, sinon leur propre extravagance et témérité. Car vu qu’ils étaient très bien enseignés quelle était la droite façon de servir Dieu, toute excuse d’ignorance leur était ôtée. Ce qui est bien digne d’être noté. Car comme ainsi soit que Dieu, par manière de dire, nous mette une bride, en nous manifestant sa volonté, si après avoir reçu son mandement nous nous détournons ça et là, double condamnation nous est appareillée ; pour ce que le serviteur qui sait la volonté de son maître, et ne la fait pas, sera battu plus âprement. Et c’est la première marque, par laquelle le saint Esprit discerne tous les services bâtards et corrompus d’avec le vrai et pur service. Et même, A parler plus brièvement, la première différence qui est entre le pur service et l’idolâtrie est, que les fidèles n’entreprennent rien sinon suivant la parole de Dieu ; mais les autres pensent être licite tout ce qui leur semble bon ; et par ce moyen ils ont leur fantaisie et appétit pour Loi, en lieu que Dieu n’approuve rien sinon ce que lui-même a ordonné.
A ceci aussi se rapporte le nom de témoignage. Il est vrai que le mot hébreu Moed qui est en Moïse, signifie un lieu ou temps pré-établi, ou assemblée d’hommes ; mais la raison qui est exprimée par Moïse, montre bien que le Tabernacle est ainsi appelé pour une autre cause. Car Dieu répète ceci souvent en Moïse : Je conviendrai là avec vous. Le tabernacle donc était consacré par la parole et alliance du Seigneur, et sa voix retentissait là sans cesse.
Selon le patron qu’il avait vu. Ceci se rapporte au second point que j’ai touché. Car il se peut faire que quelqu’un n’usera que des cérémonies que le Seigneur aura ordonnées ; et toutefois le service qu’il présentera à Dieu, sera corrompu. Car Dieu ne s’arrête point aux cérémonies extérieures, sinon en tant qu’elles sont signes et figures de la vérité céleste. Ainsi il a voulu que le bâtiment du tabernacle ancien fut dressé selon le patron céleste, afin que les Juifs entendissent qu’il ne se faut point arrêter aux figures externes. Au reste, si on veut savoir ce que signifie ce patron ou figure, de laquelle est faite mention en Moïse, Exode 25.40, on le pourra voir en ce que nous avons déclaré en l’épître aux Hébreux, Hébreux 8.5. Seulement saint Etienne nous exhorte ici en bref, que le service que Dieu avait commandé aux Juifs, était spirituel ; mais qu’eux selon leur stupidité charnelle en ont été mauvais expositeurs. Ainsi donc, comme nous avons dit que Dieu n’approuve aucun service, s’il n’est fondé en son commandement ; aussi nous sommes ici enseignés que pour bien user de celui qu’il a commandé, il est requis que la vérité spirituelle y soit. Ce qu’étant présupposé, on voit bien que le différent était tel que nous en avons aujourd’hui, duquel (comme nous avons dit) le point était, à savoir vraiment si les ombres doivent pas donner lieu au corps, ou non. Quant à ce qui est dit, que Moïse a vu le patron, le saint Esprit signifie par cela, qu’il ne nous est point licite de forger des patrons à notre fantaisie ; mais il faut que tous nos sens soient arrêtés et attentifs au patron que Dieu nous a montre ; afin que toute la religion soit formée selon celui-ci. Il use du Grec Typus, qui signifie ici le premier portrait et patron, qui n’est autre chose que la vérité spirituelle.
L’ayant reçu à leur tour, nos pères, avec Josué, l’introduisirent dans le pays conquis sur les nations que Dieu chassa devant nos pères jusqu’aux jours de David ;
Ceci sert pour aggraver d’avantage l’obstination de ce peuple ; à savoir que combien que le tabernacle fut par devers eux, et qu’ils le portassent par tout où ils allaient, toutefois ils n’ont peu être retenus en l’alliance de Dieu, mais par une déloyale légèreté ils ont couru après des cérémonies étrangères et profanes, par ce moyen prétendant en portant le tabernacle, que Dieu habitait au milieu d’eux, duquel toutefois ils étaient tant éloignés, et lequel ils bannissaient de l’héritage qu’il leur avait donné. Attendu que Dieu enrichissait et autorisait son tabernacle de divers miracles. Car la dignité de celui-ci a été confirmée par les victoires obtenues par les Juifs ; comme il apparaît par plusieurs passages de l’Écriture. Par quoi il faut bien dire qu’ils étaient merveilleusement obstinés, vu qu’ils se sont tant de fois révoltés d’un service approuvé en tant de sortes.
Jusques aux jours de David. Combien que l’arche du Seigneur ait longtemps été en Silo, toutefois elle n’a point eu de siège arrêté jusques au royaume de David. Car il n’était licite aux hommes de lui dresser un lieu, mais elle devait être mise au lieu que Dieu aurait montré ; comme Moïse en fait souvent mention. Pour cette cause, David même n’a osé amener dedans l’aire d’Areuna, l’arche qui avait été recouvrée de la main des ennemis, jusques à ce que Dieu lui eût testifié du ciel par son Ange, que c’était là le lieu qu’il avait choisi, 2 Samuel 24.18. Or ce n’est point sans cause que saint Etienne met ceci pour un singulier bénéfice de Dieu, que le lieu a été montré à David, auquel les Israélites dussent servir Dieu dorénavant ; comme aussi au Psaume il s’en réjouit comme d’une chose bien grande et fort à priser : Je me suis réjoui avec ceux qui me disaient, Nous irons en la maison du Seigneur ; nos pieds seront arrêtés en tes parvis, Jérusalem, Psaumes 122.1. La Sacrificature était conjointe avec le royaume. Par quoi la fermeté et établissement du royaume est montré à David en l’assiette de l’arche. Pour cette cause est-il dit, qu’il a désiré cela de grande affection ; en sorte qu’il s’est obligé par un vœu solennel, qu’il ne demeurerait point en sa maison, qu’il ne laisserait sommeiller ses paupières, et ne donnerait repos à ses yeux, jusques à tant qu’il sut le lieu au Seigneur, et le tabernacle au Dieu de Jacob, Psaumes 132.3. Or le lieu donc a été montré à David ; mais à Salomon il a été permis d’édifier le temple, 1 Rois 5.5.
qui trouva grâce devant Dieu et demanda de trouver une demeure pour le Dieu de Jacob.
Mais ce fut Salomon qui lui bâtit une maison.
Il semble que saint Etienne reprenne ici Salomon obliquement, comme si en bâtissant le temple il n’eut point considéré le naturel de Dieu ; toutefois il n’a point entrepris cette œuvre-là sans le commandement de Dieu. La promesse aussi a été ajoutée, par laquelle Dieu a attesté qu’il assisterait en ce lieu-là aux siens. Je réponds, que quand saint Etienne dit que Dieu n’habite point dans un temple fait de mains d’homme, cela ne se rapporte point à Salomon, lequel savait bien qu’il fallait chercher Dieu au ciel, et que les esprits devaient là être élevés. Ce qu’aussi il a exprimé nommément en la préface de la prière solennelle, qu’il fit à la dédicace du temple, disant : Les cieux des cieux ne te peuvent comprendre, combien moins cette maison ? Mais il reprend la stupidité du peuple, qui abusait du temple, comme si Dieu lui eût été obligé. Ce qui est mieux connu par le témoignage d’Esaïe, lequel aussi il a ici conjoint ; Dieu, dit-il, a voulu qu’un temple lui fut édifié par Salomon ; mais ceux qui ont pensé qu’il fut comme enfermé et enclos dedans un tel bâtiment, se sont lourdement abusés. Comme il se plaint par son Prophète, que le peuple lui fait injure, en imaginant qu’il soit attaché en certain lieu.
Au reste, le Prophète ne se courrouce pas seulement contre les Juifs, d’autant qu’ils le servaient superstitieusement, pensant que sa Divinité fut attachée au temple ; mais aussi pour ce que le mesurant selon leur affection, après s’être acquittés de leurs sacrifices et pompes externes, ils se faisaient à croire qu’ils l’avaient apaisé par ce moyen, voire qu’il était bien tenu a eux. Cette erreur a été commune presque à tous siècles, que les hommes ont pensé qu’un tas de cérémonies froides étaient plus que suffisantes pour faire service à Dieu. Et la raison est, pour ce qu’ils sont charnels et adonnés au monde, ils pensent que Dieu soit semblable à eux. Afin donc que Dieu leur arrache cette stupidité, il dit qu’il remplit toutes choses. Car ce qu’il dit que le ciel est son trône, et que la terre est le marchepied de ses pieds, ne doit point être tellement entendu comme s’il était corporel, ou comme s’il pouvait être divisé par portions à la façon des hommes. Mais pour ce qu’il est infini, il dit qu’il n’y a nul espace de lieux qui le puissent contenir. Ceux donc qui mesurent Dieu ou son service selon leur nature, s’abusent grandement. Or pour ce que le Prophète a affaire à des hypocrites, il ne dispute pas seulement de l’essence de Dieu, mais il enseigne en général, qu’il est bien d’autre nature que les hommes, et qu’il ne s’arrête point comme eux à la splendeur vaine de ce monde.
Ici derechef se présente la question ; pourquoi c’est que le Prophète dit que Dieu n’a au monde aucun lieu de repos, vu toutefois que le saint Esprit prononce ouvertement tout le contraire ailleurs, (Psaumes 132.14) C’est-ci mon repos à perpétuité. Et même Esaïe orne l’Eglise de ce même titre, qu’elle est le repos glorieux de Dieu, à savoir faisant allusion au temple. A cela je réponds que quand Dieu a institué anciennement des signes de sa présence au temple et dans les sacrifices, il n’a pas fait cela pour s’y attacher, ni sa vertu. L’imagination donc des Israélites était perverse, quand ayant leurs esprits fichés sur les signes, ils se sont forgé un dieu terrestre. Ils ont mal fait aussi, en ce que sous cette couverture ils ont pris une licence de pécher ; comme s’ils eussent eu un moyen facile et prompt de l’apaiser en leurs cérémonies nues. Ainsi le monde a accoutumé de se jouer avec Dieu. Quand Dieu assure que par signes externes il se montrera présent à ses fidèles pour habiter au milieu d’eux, il les veut élever en haut, afin qu’ils le cherchent d’une façon spirituelle. Les hypocrites qui sont entortillés au monde, veulent plutôt tirer Dieu du ciel ; et combien qu’ils n’aient rien que des figures nues, toutefois étant enflés d’une folle assurance, se lâchent hardiment la bride à pécher.
Ainsi aujourd’hui en la Papauté ils enferment Jésus-Christ au pain et au vin par leur imagination. Puis après ayant bien joué leur badinage devant leur idole, ils s’élèvent fièrement, comme si c’était là une sainteté toute Angélique. Il nous faut diligemment noter ces deux vices ; que les hommes se forgent superstitieusement un dieu mondain et charnel, lequel descende tellement à eux, qu’ils demeurent fichés en terre, et qu’ils n’aspirent nullement au ciel ; puis après, ils imaginent que Dieu est apaisé par services frivoles. De là vient qu’ils demeurent tout abrutis dans les signes visibles ; et avec ce que ne se souciant de profiter en la crainte de Dieu et amendement de vie, ils tâchent d’apaiser Dieu, et acquérir sa grâce d’une façon puérile, et avec des choses de néant. Nous entendons maintenant en quel sens le Prophète dit que Dieu n’a au monde aucun lieu de repos. Il est vrai qu’il avait voulu que le temple fût un signe et gage de sa présence ; mais c’était seulement aux fidèles, qui monteraient de cœur au ciel, et qui le serviraient spirituellement en pureté de foi. Mais il n’a point lieu de repos entre les superstitieux, qui l’attachent aux éléments du monde par leurs imaginations lourdes et terrestres, ou lui dressent follement un service terrien. Il n’a point aussi lieu de repos entre les hypocrites, qui sont enivrés d’une folle confiance, comme s’ils s’étaient bien acquittés envers Dieu, après qu’ils se sont bien joués en leurs badinages. En somme, la promesse reçue par foi fait que Dieu nous exauce au temple comme s’il y était présent, et qu’il démontre sa vertu dans les Sacrements. Mais si nous ne nous élevons à lui par foi, il ne nous sera nullement présent. Nous pouvons facilement recueillir de ceci, que quand Dieu habite au milieu de ses fidèles, il n’est point attaché à la terre, et ainsi ne peut être compris en aucun lieu ; d’autant qu’ils le cherchent au ciel spirituellement.
Toutefois le Très-Haut n’habite point dans des temples faits par la main des hommes, comme le prophète le dit :
Le ciel est mon trône, et la terre est le marchepied de mes pieds : Quelle maison me bâtirez-vous, dit le Seigneur, ou quel sera le lieu de mon repos ?
N’est-ce pas ma main qui fait toutes ces choses ?
Le Prophète montre par ces paroles, que Dieu n’a que faire d’or ni de sacrifices, et n’a nul besoin que le temple soit précieusement orné. Dont il s’ensuit que le vrai service de celui-ci ne consiste point en cérémonies. Car il n’a que faire pour soi de rien de toutes les choses que nous lui offrons ; mais seulement il le fait pour nous exercer en la vraie religion et crainte de son saint Nom ; comme il en est parlé plus amplement au Psaume 50. Car combien que ce soit une niaiserie pleine de moquerie, de vouloir repaître Dieu de sacrifices ; si est-ce que si les hypocrites n’étaient du tout plongés en telle sottise, ils ne feraient point grand cas de leurs menus fatras ; car tout ce qui ne s’accorde avec le service spirituel de Dieu, est fade et de nulle saveur devant celui-ci. Par quoi sachant que Dieu nous demande nous-mêmes, et non pas nos biens, lesquels nous avons de lui par emprunt seulement. Et par ceci il apparaît en même temps, combien il y a grande différence entre la vraie religion et les inventions charnelles des nommes.
Hommes de col roide, et incirconcis de cœur et d’oreilles, vous vous opposez toujours à l’Esprit saint, vous aussi, comme vos pères !
Vu que saint Estienne ne répond point ouvertement aux points de l’accusation qu’on faisait contre lui, je m’accorde volontiers avec ceux qui pensent qu’il eût dit plus de choses, si l’émotion furieuse qu’on fit ne lui eût rompu son propos. Car nous savons quels juges étaient là assis pour connaître de sa cause. Par quoi il ne faut pas s’étonner s’ils l’ont contraint de se taire par leurs tumultes et cris enragés. Et nous voyons aussi comment tout à propos il a usé de longs détours pour les adoucir, comme s’il eût eu à faire à des bêtes farouches. Mais il est vraisemblable que leur rage s’est alors embrasée, quand il montrait que la Loi avait été faussement corrompue par eux, que leur temple était pollué de superstitions et qu’il n’y avait rien de pur ni d’entier entre eux ; d’autant que s’arrêtant en figures nues, ils n’adoraient point Dieu spirituellement, pour ce qu’ils ne rapportaient point les cérémonies au patron céleste. Au reste, combien que S. Etienne ne soit entré de droit fil en matière, ainsi a tâché d’adoucir petit à petit ces cœurs inhumains ; néanmoins il a déduit sa matière bien à propos pour se purger du crime qu’on lui avait imposé.
Les deux principaux points de l’affaire étaient (comme, il a été dit) que S. Etienne avait prononcé paroles blasphématoires contre Dieu et son temple ; et qu’il s’était efforcé d’abolir la Loi. Or S. Etienne pour se purger de ces calomnies, commençant par la vocation d’Abraham, a montré que les Juifs ne sont point plus excellents que les Gentils de leur nature, ni de leur propre droit, ni par les mérites de leurs œuvres ; mais par privilège gratuit, d’autant que Dieu les avait adoptés en la personne d’Abraham. Ceci sert semblablement à la matière, que l’alliance de salut était contractée avec Abraham, avant que le temple fut, avant qu’il y eût jamais aucune cérémonie, voire avant la Circoncision ; de toutes lesquelles choses les Juifs se glorifiaient tellement, qu’ils disaient que sans celles-ci il n’y avait nul service de Dieu, ni aucune sainteté. Après cela il a raconté combien grande et admirable avait été la bonté de Dieu envers la lignée d’Abraham ; et combien le peuple s’était montré pervers au contraire, et de quelle malice et ingratitude il avait vilainement repoussé la grâce de Dieu, tant qu’il pouvait. Dont il apparaît que ce qu’il est réputé pour peuple de Dieu, ne peut être attribué à ses mérites ; mais que c’est d’autant que Dieu l’avait élu de son bon gré, et n’a cessé de leur bien-faire, combien qu’ils en fussent indignes et ingrats. C’était un moyen bien propre pour dompter et ranger à humilité leurs grands cœurs hautains et enflés d’orgueil, à ce que mettant hors tout ce vent de folle gloire, ils eussent leur recours au Médiateur.
Pour le troisième, il a exposé que l’Ange présidait quand la Loi fut donnée, et quand le peuple fut délivré, et que Moïse a tellement exécuté son office, qu’il disait que pour l’avenir il y aurait d’autres Prophètes ; entre lesquels toutefois il fallait nécessairement qu’il y en eût un souverain par-dessus les autres, qui dut mettre fin à toutes révélations et Prophéties, et apporter un parfait accomplissement. Dont il faut conclure que ceux qui rejettent la doctrine promise et approuvée en la Loi, et en même temps l’auteur de celle-ci, ne sont rien moins que disciples de Moïse. Il a montré finalement, que tout le service ancien qui était institué par Moïse, ne doit pas être pris simplement et séparément ; mais plutôt doit être rapporté à une autre fin ; pour ce qu’il avait été dressé selon le principal patron céleste ; mais que les Juifs ont toujours été mauvais expositeurs de la Loi, d’autant qu’ils ne concevaient rien que de charnel et terrien. Il s’ensuit de cela, que nulle injure n’est faite à la Loi ni au temple, quand Jésus-Christ est mis en avant comme la fin et vérité de la Loi et du temple. Au surplus, pour ce que le nœud de la matière consistait principalement en cela : Que le service de Dieu ne consiste point proprement en sacrifices et autres choses, et que toutes les cérémonies n’étaient que figures de Christ ; l’intention de S. Etienne était de s’arrêter sur ceci principalement, si les Juifs l’eussent souffert. Mais pour ce que quand c’est venu au plus fort de la matière, ils se sont enflammés de rage, et n’ont peu supporter que S. Etienne ait parlé d’avantage, il y a faute de l’application des choses qu’il avait dites pour servir à la présente matière. Et en lieu de faire conclusion, il a été contraint d’ajouter une répréhension rigoureuse.
Gens de col roide, dit-il. Nous voyous comment il se courrouce tout soudainement contre eux d’un saint zèle ; mais pour ce qu’il voyait qu’il avait à faire à gens sourds, et qu’il ne faisait autre chose que battre l’air de ses paroles, il rompt le fil de sa doctrine commencée. Or c’est une similitude prise des chevaux ou des bœufs, de laquelle Moïse use souvent, quand il veut dire que son peuple est opiniâtre et rebelle à Dieu, voire tel qu’il ne peut être dompté. Le reproche qui s’ensuit, a eu plus grande véhémence envers eux. Car la Circoncision leur servait de voile pour couvrir tous leurs vices. Par quoi quand il les appelle Incirconcis de cœur, il ne signifie pas seulement qu’ils sont rebelles à Dieu et du tout obstinés, mais aussi qu’ils sont trouvés déloyaux, et ayant faussé l’alliance en ce signe même, duquel ils se vantaient et glorifiaient. Et ainsi ce de quoi ils se vantaient à leur gloire, il le leur tourne bien à propos à déshonneur. Car ceci vaut autant comme s’il eût dit qu’ils ont abâtardi l’alliance du Seigneur, en sorte que leur Circoncision était vaine et profane. Or cette façon de parler est prise de la Loi et des Prophètes. Car tout ainsi que Dieu a ordonné le signe, aussi a-t-il voulu que les Juifs entendissent à quelle fin ils étaient circoncis ; à savoir afin que leurs cœurs et toutes mauvaises affections fussent circoncises au Seigneur ; comme il est dit : Maintenant donc circoncisez vos cœurs au Seigneur. Et pourtant la lettre de la Circoncision (comme S. Paul la nomme, Romains 2.28) n’est rien devant Dieu qu’un masque vain et inutile. Ainsi aujourd’hui comme ainsi soit que la vérité de notre baptême est une purification spirituelle, nous devons bien craindre qu’on nous puisse reprocher à bon droit, que nous ne sommes nullement participant du baptême, pour ce que nous avons le corps et l’âme souillés de vilaines ordures.
Vous vous opposez toujours, etc. Saint Etienne leur avait bien fait cet honneur au commencement, de les appeler pères et frères ; et maintenant il se courrouce si âprement contre eux. Tandis donc qu’il y avait espérance qu’ils pourraient être fléchis à mansuétude et bénignité, il ne les a point seulement traités aimablement, mais les a honorés, et a parlé à eux eu toute révérence. Mais maintenant voyant qu’ils étaient désespérément obstinés, non seulement il leur ôte tout honneur, mais afin qu’il n’ait rien de commun avec eux, il parle à eux comme s’ils étaient sortis d’une autre génération. Vous êtes, dit-il, semblables à vos pères, qui ont été toujours rebelles au saint Esprit. Mais quoi ? lui-même était sorti de ces mêmes pères. Cela est vrai ; mais pour se ranger à Christ il oublie sa génération en tant qu’elle avait été méchante. Il ne faut pas toutefois prendre ceci comme s’il les voulait tous mettre d’un rang, mais il parle en général à l’assemblée. Au reste, il est dit qu’ils résistent au saint Esprit, entant qu’avec obstination ils le rejettent parlant en ses Prophètes. Car il n’est point ici question des révélations secrètes, lesquelles Dieu inspire à un chacun au-dedans ; mais du ministère externe. Ce qu’il nous faut diligemment noter. Il veut ôter toute couleur d’excuse aux Juifs ; et pourtant il leur reproche qu’ils ont été rebelles à Dieu de propos délibéré, et non point par ignorance. Dont il apparaît combien Dieu estime sa Parole, et de quelle révérence il veut que nous la recevions. Par quoi afin que nous ne fassions la guerre à Dieu comme des géants, apprenons à paisiblement ouïr les ministres, par la bouche desquels il nous enseigne.
Lequel des prophètes vos pères n’ont-ils pas persécuté ? Et ils ont tué ceux qui avaient annoncé d’avance la venue du Juste, que vous maintenant vous avez livré et dont vous êtes devenus les meurtriers ;
Vu qu’ils ne devaient soutenir le blâme du crime de leurs pères, il semble que S. Etienne soit inique, de mettre ceci entre les crimes et forfaits de ceux auxquels il parle. Mais il a eu justes causes de ce faire. Premièrement, pour ce qu’ils se vantaient orgueilleusement d’être la sainte lignée d’Abraham, il était besoin de leur montrer devant les yeux combien c’était une grande vanité ; comme si S. Etienne disait qu’il ne fallait point qu’ils se glorifiassent de leur génération, vu qu’ils étaient engendrés de méchants meurtriers et homicides des Prophètes. Par cela il touche obliquement ce qui est écrit plus manifestement dans les Prophètes ; à savoir qu’ils ne sont point fils des Prophètes, mais une génération bâtarde, semence de Chanaan, etc. Ce que nous pouvons aujourd’hui reprocher à bon droit aux Papistes, toutes les fois qu’ils nous magnifient leurs pères. En second lieu, ceci sert d’amplification, quand il dit que ce ne leur est point une chose nouvelle, de résister à la vérité ; mais qu’ils avaient cette malice comme par héritage de leurs pères. Aussi il fallait par ce moyen leur ôter le titre d’Eglise, qui n’était qu’un masque, et duquel cependant ils grevaient S. Etienne. C’était bien une chose contre raison, quand pour préjudicier à la doctrine de l’Evangile, ils se glorifiaient et se vantaient d’être l’Eglise de Dieu, et s’attribuaient ce titre de longue succession. Saint Etienne donc vient au-devant, et remontre que leurs pères n’ont point eu moins en dédain et haine la pure doctrine qu’eux, et n’ont point été moins embrasés de rage contre les Prophètes. Finalement, l’Écriture a toujours accoutumé d’accoupler les enfants en la condamnation de leurs pères, quand ils s’enveloppent en mêmes crimes et péchés. Et à ceci convient bien la sentence de Christ : Remplissez la mesure de vos pères, afin que le sang juste vienne sur vous depuis Abel jusqu’à Zacharie Matthieu 23.32-35.
Qui ont prédit de l’avènement, etc. On peut recueillir de ceci, que tous les Prophètes ont tendu à ce but, d’adresser ceux de leur nation à Jésus-Christ ; comme aussi il est la fin de la Loi. Ce serait une chose trop longue maintenant de recueillir toutes les Prophéties, par lesquelles l’avènement de Christ ou Messie a été prédit. Qu’il nous suffise de retenir en général, que les Prophètes ont eu cet office commun, de promettre salut par la grâce de Christ. Le nom de Juste, est ici attribué à Jésus-Christ, non seulement pour dénoncer son innocence, mais aussi pour ce que son propre office est d’établir justice au monde. Or en ce lieu saint Etienne rédargue les Juifs comme plus qu’indignes du bénéfice de la rédemption, d’autant que déjà dès longtemps leurs pères non seulement ont rejeté ce qui leur était attesté par les Prophètes, mais aussi ont cruellement occis les messagers de grâce, et leurs enfants se sont efforcés d’anéantir l’auteur de justice et salut qui leur était offert. Qui est une comparaison par laquelle Christ remontre que la conspiration maudite de ses adversaires est le comble de toutes impiétés.
vous qui avez reçu la loi dans des ordonnances d’anges, et qui ne l’avez point gardée !...
Ils appelaient zèle de la Loi, cette rage de laquelle ils étaient embrasés contre saint Etienne ; comme si lui étant apostat et délaissant la Loi, induisait les autres à un même révoltement. Il avait délibéré de se purger de cette fausse accusation ; mais il ne vint pas jusques à ce point de sa réponse ; car on ne lui donnait nulle audience, et c’eut été aussi temps perdu de parler à des sourds. Il se contente donc de leur arracher en un mot la fausse couverture qu’ils prenaient ; On voit bien, dit-il, que vous mentez, quand vous proposez que vous êtes zélateurs de la Loi ; car vous ne cessez de la transgresser et violer. Et tout ainsi que naguère il leur a reproché que par trahison ils avaient mis à mort le juste, aussi il leur reproche maintenant leur révoltement de la Loi. On pourra dire que la cause de S. Etienne n’est point faite meilleure pour dire que les Juifs pèchent contre la Loi. Mais (comme nous avons dit) S. Etienne ne les reprend pas comme si le principal point de sa défense fut en cela ; mais c’est afin qu’ils ne se plaisent en une folle et vaine vanterie. Car voilà comment on doit traiter les hypocrites, lesquels combien qu’ils méprisent Dieu sans se soucier de rien, toutefois veulent être estimés vaillant zélateurs de sa gloire. Il y a aussi en ceci un refrain qui a bonne grâce, quand il dit qu’ils avaient fait semblant de recevoir la Loi que Dieu leur avait donnée comme en garde, laquelle toutefois a été par eux vilainement méprisée.
Par la disposition des Anges. Il ne nous faut point chercher un autre expositeur de ceci que saint Paul, qui nous enseigne que la Loi a été disposée par les Anges, ou ordonnée, Galates 3.19 ; car il use là d’un mot qui vient d’une même source que celui qui est ici mis. Or il entend que les Anges de Dieu ont été messagers et témoins en la publication de la Loi ; afin que son autorité fut ferme et stable. Comme ainsi soit donc que Dieu ait appelé ses Anges pour être témoins de la protestation solennelle qui fut faite quand il donna sa Loi aux Juifs ; ces mêmes Auges aussi seront témoins de leur déloyauté. Et saint Etienne a ici fait mention des Anges, afin de convaincre devant eux les Juifs d’avoir transgressé la Loi. On peut recueillir de ceci comment il en prendra aux contempteurs de l’Evangile, lequel est si excellent par-dessus la Loi, que par manière de dire il obscurcit la gloire de celle-ci ; comme saint Paul le traite au chap. 3 de la 2me aux Corinthiens.
Entendant ces choses, ils frémissaient de fureur dans leurs cœurs, et ils grinçaient des dents contre lui.
Le commencement de leur procédure avait quelque apparence de justice ; mais à la fin ces beaux juges ne peuvent contenir leur rage. Il se lève premièrement contre lui un bruit et murmure qui lui rompt son propos. Maintenant ils crient à haute voix, faisant encore plus grand tumulte, afin que la voix de S. Etienne ne vienne jusques à leurs oreilles. Finalement ils tirent le saint Personnage à la mort. Or S. Luc exprime fort bien quelle force a Satan à émouvoir les adversaires de la Parole. Quand il dit qu’ils crevaient, il signifie qu’ils n’étaient point simplement courroucés et dépités, mais qu’ils étaient transportés de furie. Et cette rage s’échauffe tellement, qu’elle vient jusques à grincement de dents. Comme un feu impétueux ne peut qu’il ne sorte hors, et que la flamme ne s’en ensuive ; ainsi faut-il que tous les réprouvés, sur lesquels Satan domine, soient émus quand ils aient la parole de Dieu. Et la condition de l’Evangile est telle, que les hypocrites qui auparavant voulaient être réputés modestes et bénins, en sont poussés à rage quand ils l’entendent. Et voilà pourquoi Siméon attribue à Christ comme propre, de mettre en évidence les pensées de plusieurs, qui étaient cachées en leurs cœurs, Luc 2.35. Toutefois si ne faut-il pas que nous imputions cela à la doctrine de salut, laquelle plutôt a ce but proposé, de dompter les cœurs des hommes, et de les former en la vraie obéissance de Dieu. Mais quand Satan a saisi les cœurs, s’ils sont pressés par la Parole, il ne se pourra faire que l’impiété ne se montre par dehors. Ce mal donc advient par accident, et non pas de la nature de la Parole.
Cependant il nous est remontré par ces exemples, qu’il ne nous faut pas espérer que tous les hommes soient amenés à amendement par la parole de Dieu. Qui est une doctrine qui nous est grandement nécessaire pour nous tenir en bonne constance. Ceux qui ont la charge d’enseigner ne la pourront fidèlement exécuter, qu’ils ne s’opposent hardiment contre les contempteurs de Dieu. Et comme ainsi soit qu’il n’y ait jamais faute de méchants, par lesquels la haute majesté de Dieu est méprisée, il nous faut bien souvent recourir à cette véhémence de saint Etienne. Car il ne faut point fermer les yeux, quand on ravit à Dieu l’honneur et gloire qui lui appartient. Mais qu’adviendra-il de cela ? La rage et impiété des méchants sera d’autant plus enflammée. Ainsi il semblera que nous jetions de l’huile dedans le feu pour le rendre plus ardent. Mais quoi qu’il en advienne, il ne faut pas épargner les méchants mais les presser de près ; voire quand ils devraient dégorger toutes les furies d’enfer. Et cela est tout certain, que ceux qui veulent qu’on parle doucement aux méchants, ne sont point tant soigneux de quelque avancement, qu’efféminés de crainte de leur peau. Or quant à nous, combien que l’issue ne soit pas toujours telle que nous désirerions bien, toutefois sachons que la constance à maintenir la doctrine de vraie religion, est un sacrifice de bonne odeur devant Dieu.
Mais lui, rempli d’Esprit saint, les yeux fixés au ciel, vit la gloire de Dieu, et Jésus debout à la droite de Dieu.
A grand peine pourrait-on exprimer de combien dures angoisses ce bon serviteur de Christ était serré en son cœur, se voyant ainsi environné de tous côtés d’ennemis enragés, voyant sa cause qui était juste et bonne, ainsi opprimée, en partie par calomnies et malice, en partie par violence et cris furieux, voyant de tous côtés des faces enflammées de cruauté, se voyant aussi traîner à une mort cruelle et horrible ; et cependant n’apercevait d’aucun lieu aucune aide ou soulagement. Ainsi étant destitué entièrement du secours des hommes, il se retire à Dieu. Il nous faut noter en premier lieu, que saint Etienne en cette extrémité désespérée, n’apercevant rien devant soi que la mort, se détournant du regard du monde et des hommes, dresse sa vue à Dieu, en la main duquel est tant la mort que la vie. D’avantage, il nous faut ajouter en même temps, qu’il n’a point été frustré de son attente ; car Christ lui est apparu tout incontinent. Combien que S. Luc signifie que déjà il était armé de la vertu invincible de l’Esprit, à ce que rien ne l’empêche de dresser sa vue au ciel. Saint Etienne donc jette les yeux au ciel, afin que s’appuyant sur le regard de Christ, il reprenne courage, et qu’en mourant il surmonte la mort, et qu’il triomphe magnifiquement. Mais vu que nous sommes trop fichés en la terre, il ne se faut étonner si Jésus-Christ ne se montre point à nous. Cela fait que le cœur nous fait défaut non seulement en la mort, mais à quelque bruit léger de quelque petit danger, voire quand seulement nous entendons le bruit d’une feuille tombant en terre. Et à bon droit ; car où est notre force sinon en Jésus-Christ ? Or nous laissons là le ciel, comme si nous n’avions secours qu’au monde. Au reste, ce vice ne peut être autrement corrigé, sinon que l’Esprit de Dieu nous élève en haut, nous, dis-je, qui sommes naturellement ici-bas attachés.
Pourtant saint Luc assigne cette cause pourquoi S. Etienne a levé les yeux au ciel ; à savoir pour ce qu’il était rempli du saint Esprit. Il nous faut aussi élever nos esprits au ciel guidé d’un tel conducteur, toutes les fois que nous sommes opprimés de maux et adversités. Et de fait, nous n’avons pas les yeux si clairvoyants qu’ils puissent parvenir jusques au ciel, sinon qu’il ouvre et éclaire notre vue. Et qui pis est, les yeux de la chair sont si hébétés et faibles, qu’ils ne peuvent chercher le ciel.
Vit la gloire de Dieu. Saint Luc signifie, comme j’ai dit, que depuis que saint Etienne a levé les yeux au ciel, aussitôt Jésus-Christ s’est montré à lui. Mais il exhorte qu’il a premièrement reçu d’autres yeux que terriens, vu que la vigueur de ceux-ci pénètre jusques à la gloire de Dieu. Dont nous recueillons une consolation générale, que Dieu nous assistera aussi bien, moyennant que nous délaissions le monde, et que tous nos sens tendent à lui. Non pas qu’il nous apparaisse par vision externe, comme il a fait à saint Etienne ; mais il se manifestera tellement à nous dedans nos cœurs, que nous sentirons vraiment sa présence. Et cette façon de voir nous doit suffire, quand non seulement Dieu démontre qu’il nous est prochain par sa vertu et grâce, mais aussi quand il nous rend certain témoignage qu’il habite en nous.
Et il dit : Voici, je contemple les cieux ouverts, et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu.
Dieu n’a point seulement voulu montrer qu’il avait soin de son serviteur en particulier, mais aussi dépiter et faire goûter l’enfer à ses ennemis ; comme saint Etienne se lève de grand courage contre eux, annonçant publiquement le miracle qui lui a été offert. Mais on fait ici une question, comment les cieux ont été ouverts ? Quant à moi, je pense qu’il n’y a rien eu de changé en la nature des cieux ; mais que saint Etienne reçut une vue nouvelle, laquelle passa outre tous les empêchements, et parvint jusques à la gloire invisible du royaume céleste. Car encore que nous accordions que les cieux aient été aucunement entrouverts et fendus ; toutefois l’œil de l’homme ne monterait jamais jusques-là. D’avantage, la gloire de Dieu n’a été vue que de saint Etienne. Car non seulement un tel spectacle était caché aux méchants et infidèles qui étaient en ce même lieu, mais étant aveuglés au dedans d’eux ils ne voyaient pas la lumière manifeste de la vérité. C’est donc en ce sens qu’il dit que les cieux lui sont ouverts, à savoir pour ce que rien ne l’empêche de voir la gloire de Dieu. Dont il s’ensuit que le miracle a été fait plutôt en ses yeux qu’aux cieux. Par quoi il n’est point question ici de disputer beaucoup si c’a été une vision physique ; car il est certain qu’il n’a point vu Jésus-Christ d’un ordre ou moyen naturel, mais d’une façon nouvelle et singulière.
Mais, je vous prie, quelles couleurs avait la gloire de Dieu, qui pussent être aperçues des yeux charnels d’un homme ? Il ne faut donc penser chose en cette vision, qui ne soit Divine. De plus, il est bon de noter que la gloire de Dieu n’est point apparue à saint Etienne telle qu’elle est entièrement, mais autant que sa capacité humaine pouvait porter. Car cette majesté et gloire infinie ne peut être comprise par créature quelconque.
Et le Fils de l’homme étant à la dextre. Il voit Jésus-Christ régnant en la chair, en laquelle il avait été anéanti ; comme de fait la victoire consistait en cela seul. Ce donc que Jésus-Christ lui est apparu, n’est point chose superflue. Et pour cette cause il l’appelle le Fils de l’homme. Comme s’il disait, cet homme que vous pensez être anéanti par mort, je le vois régnant au ciel, et jouir de l’empire céleste. Et pourtant grincez les dents tant que vous voudrez ; il n’y a rien pourquoi je fasse difficulté de combattre pour son nom jusques à la dernière goutte de mon sang ; car il maintiendra sa cause, et sera protecteur de mon salut. Toutefois on fait ici une question, pourquoi l’a-t-il vu debout, vu qu’il est dit ailleurs qu’il est assis. Saint Augustin (comme quelque fois il est subtil, et plus qu’il ne serait de besoin) dit qu’il est assis comme juge, mais que lors il était debout comme avocat. Mais de ma part, combien que ces façons de parler soient diverses, néanmoins je pense qu’elles ne signifient qu’une même chose. Car ce que Jésus-Christ est assis, ou ce qu’il est debout, ne dénote pas la situation de son corps, mais ceci se rapporte à sa puissance et à son Royaume. Car où lui assignerons-nous un trône, auquel il soit assis à la dextre du Père, vu que Dieu remplit tellement toutes choses, qu’on ne doit imaginer aucun lieu pour sa dextre ? Ainsi donc, il y a métaphore en tout le propos, quand il est dit que le Fils de l’homme est debout ou assis à la dextre du Père. Par quoi on doit entendre ceci simplement en cette sorte, que toute puissance a été donnée à Jésus-Christ, afin qu’il règne au nom du Père en la chair en laquelle il a été humilié, et qu’il soit comme son lieutenant.
Au surplus, combien que cette puissance ait son étendue par tout le ciel et la terre, néanmoins certains imaginent faussement que le Fils de Dieu Jésus-Christ soit par tout, et remplisse tout en sa nature humaine. Car ce qu’il est contenu en certain lieu, n’empêche point qu’il ne manifeste sa vertu par tout le monde. Par quoi, si nous désirons de le sentir présent par l’efficace de sa grâce, il nous le faut chercher au ciel ; comme il s’est manifesté de là à saint Etienne. De plus, il y en a certains qui débattent follement de ce passage, qu’il s’approcha de saint Etienne, afin qu’il le put voir. Car les yeux de saint Etienne (comme déjà nous avons dit) ont été haut élevés par la vertu du saint Esprit, et par le moyen de la foi, en sorte que sa vue n’a été empêchée par aucune distance de lieux. Je confesse bien qu’à parler proprement, c’est-à-dire selon les raisons de Philosophie, il n’y a point de lieu pardessus les cieux. Mais il me suffit que c’est une rêverie perverse, de situer le Fils de Dieu ailleurs qu’au ciel, et sur tous les éléments du monde.
Or, poussant de grands cris, ils se bouchèrent les oreilles et se précipitèrent tous ensemble sur lui ;
Ou ceci a été une ostentation de zèle, (comme presque toujours l’ambition pousse les hypocrites, en sorte qu’ils bouillent d’une ferveur excessive. Comme Caïphe si tôt que Christ a prononcé ces mots : Vous verrez par ci-après le Fils de l’homme assis à la dextre, etc. Matthieu 26.65, déchira ses vêtements en signe de dépit, comme si c’eut été un blasphème insupportable) ou bien le témoignage que saint Etienne a rendu de la gloire de Jésus-Christ leur a été un si grand tourment, qu’il faut nécessairement qu’ils crèvent de rage. Et cette opinion dernière me plaît plus. Car saint Luc dit puis après, qu’ils ont été comme ravis d’impétuosité ; comme ceux qui ne se peuvent modérer, ont accoutumé de se jeter soudainement et sans mesure.
et l’ayant jeté hors de la ville, ils le lapidaient. Et les témoins déposèrent leurs vêtements aux pieds d’un jeune homme nommé Saul.
Dieu avait ordonné en la Loi cette façon de punition contre les faux-prophètes ; comme on peut voir Deutéronome 13.10. Mais aussi Dieu montre là qui sont ceux qui doivent être réputés de ce nombre ; à savoir ceux qui ont tâché de détourner le peuple pour le faire servir aux dieux étrangers. S. Etienne donc a été lapidé injustement et à grand tort, d’autant qu’il a été faussement condamné. Ainsi il faut que les Martyrs de Jésus-Christ souffrent une même peine que feront les méchants ; il n’y a que la cause qui y mette différence. Mais cette différence est d’importance si grande devant Dieu et ses Anges, que les ignominies et opprobres des Martyrs surmontent en dignité toutes les grandes et hautes gloires du monde. Toutefois on peut ici faire une question, Comment a-il été licite aux Juifs de lapider S. Etienne, vu que la domination leur était ôtée ? Car en la cause de Jésus-Christ ils répondent : Il ne nous est licite de mettre personne à mort, Jean 18.31. Je réponds qu’ils ont fait ceci par violence et sédition. Or quant à ce que le gouverneur n’a point fait punition de ce forfait, il se peut bien faire que voyant ce peuple qui était mutin, et lequel on ne pouvait dompter, il a dissimulé et laissé passer beaucoup de choses, afin de n’attirer sur soi la haine qui était contre le nom de Christ. Nous voyons que principalement les gouverneurs Romains ont tout à propos dissimulé les discordes mutuelles de ce peuple, afin que s’étant ruinés l’un l’autre, ils fussent plus faciles à subjuguer.
Et les témoins, etc. Saint Luc signifie qu’en ce bruit et grand tumulte il y eut toutefois quelque forme de justice gardée. Ceci n’avait point été ordonné sans cause, que les témoins jetassent les premières pierres ; pour ce que plusieurs ont moins en horreur de couper la gorge aux innocents par leurs parjurements et faux témoignages, que de mettre la main par glaive ou autrement. Mais cependant nous recueillons de ceci, combien l’impiété de ceux-ci a été aveuglée et forcenée, vu qu’étant déjà meurtriers de langue, ils ne font encore difficulté de souiller leurs mains du sang de cet homme innocent. Quant à ce qui est dit que les habillements furent mis aux pieds d’un jeune homme nommé Saul, il est montré que si ce n’avait été la grâce de Dieu, il aurait été comme les autres rangé parmi les réprouvés et perdu. Car qui ne l’eut prononcé désespéré, vu qu’il avait son adolescence instruite d’un tel apprentissage ? Car l’âge n’est point ici exprimé pour amoindrir son péché ; comme aucuns ignorant se travaillent en ceci. Car il était déjà parvenu jusques à tel âge, que l’ignorance ne le pouvait excuser. Et S. Luc expliquera bientôt après, qu’il a été envoyé par le souverain Sacrificateur pour persécuter les fidèles. Il était donc déjà assez grand pour être réputé entre ceux qui sont déjà hommes. Pourquoi donc est-il dit qu’il était jeune homme ? Afin qu’un chacun considère à part soi, combien de dommage il eût pu faire à l’Eglise, si le Fils de Dieu ne l’eut arrêté de bonne heure. Et en cela voyons-nous reluire un plus clair témoignage tant de la puissance que de la grâce de Dieu, qui a dompté en une minute d’heure une bête farouche, qui était en sa grande ferveur ; et qui a élevé en si grand honneur un meurtrier si misérable, qui par son péché était presque complètement plongé jusques au profond des enfers.
Et ils lapidaient Etienne, qui priait et disait : Seigneur Jésus, reçois mon esprit !
Pour ce que déjà il avait perdu assez de temps à parler aux hommes, à bon droit il se tourne vers Dieu, et se munit par prières pour endurer tout le tourment jusques au bout. Car comme ainsi soit qu’en tout le cours de notre vie, qui n’est autre chose qu’une condition de guerroyer, il nous soit nécessaire de recourir à l’aide de Dieu à toutes heures ; surtout au dernier combat qui est le plus fâcheux de tous, l’invocation de Dieu y est nécessaire tant et plus. Or saint Luc exprime derechef de quelle rage bouillante ils ont été transportés ; que combien qu’ils vissent ce serviteur de Dieu priant humblement, étant à genoux, toutefois leur cruauté n’a point été adoucie. Au reste, la prière de saint Etienne contient deux membres. Le premier, où il recommande son Esprit à Jésus-Christ, il montre la constance et fermeté de sa foi ; au second, où il prie pour ses ennemis, il rend témoignage de sa charité et vraie dilection envers les hommes. Vu que toute la perfection de sainteté et vraie religion réside en ces deux parties, nous avons en la mort de saint Etienne un exemple singulier de bien et saintement mourir. Or il est bien facile à croire, qu’il a usé de plusieurs autres paroles, mais la somme revenait là, Seigneur Jésus, reçois mon, Esprit.
Cette oraison (comme j’ai déjà dit) a rendu témoignage de sa constance et hardiesse. Et de fait, il a montré en cela une grande magnanimité et fort excellente, que voyant déjà voler les pierres, desquelles il devait bientôt être accablé, entendant jeter de tous côtés des malédictions horribles et opprobres exécrables sur sa tête, toutefois il ne laisse de se reposer assurément sur la grâce de Jésus-Christ. Ainsi quelque fois advient-il que le Seigneur permet que ses serviteurs soient presque réduits à néant, afin que leur conservation soit plus admirable. Mais de notre part, limitons et interprétons cette conservation par la foi, et non point selon le sens de notre chair. Et nous voyons comment cet homme de Dieu saint Etienne ne lâche nullement la bride au jugement de la chair ; mais plutôt ayant confiance qu’en la mort il sera en sûreté, endure la mort de bon courage. Car il ne faut point douter qu’il ne portât cela planté en son cœur, que notre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ, Colossiens 3.3. Par quoi, ne se souciant plus de son corps, il se contente de mettre son âme en dépôt et garde entre les mains de Jésus-Christ. Car il ne pouvait prier de bon cœur en cette sorte, sinon qu’il eût mis la vie présente en oubli, et entièrement rejeté la sollicitude de celle-ci.
Tandis que nous conversons en ce monde, pour ce que nous sommes à toutes heures assiégés de mille morts, nous devons tous les jours avec David recommander nos esprits entre les mains de Dieu, Psaumes 31.5 ; afin qu’il délivre notre vie de tous dangers. Mais quand nous voyons la mort devant les yeux, et quand nous sommes certainement appelés à elle, il nous faut recourir à cette prière, que le Seigneur Jésus reçoive notre esprit. Car il a lui-même à cette fin mis son esprit en dépôt et garde entre les mains de son Père, qu’il soit lui-même perpétuel gardien des nôtres. C’est une consolation inestimable, que nous sommes bien certains que nos âmes ne vaguent point à l’aventure quand elles sortent hors de nos corps, mais que Jésus-christ les reçoit pour les garder fidèlement ; pourvu que nous les remettions en ses mains. Cette assurance nous doit façonner à endurer paisiblement la mort. Et qui plus est, quiconque recommande son âme à bon escient et d’une vraie affection de foi à Jésus-Christ, il faut nécessairement qu’il lui résigne du tout en obéissance, pour en faire comme bon lui semblera.
Au surplus, ce passage nous rend évident témoignage, que l’âme de l’homme n’est point un souffle évanescent (comme aucuns fantastiques ont songé) mais est un Esprit essentiel qui vit encore après cette vie. D’avantage, nous sommes enseignés par ceci, que Jésus-Christ est à bon droit et dûment invoqué de nous ; d’autant que pour cette cause son Père lui a donné toute puissance, afin que tous se retirent sous sa protection et sauvegarde.
Puis, s’étant mis à genoux, il s’écria d’une voix forte : Seigneur, ne leur impute point ce péché. Et quand il eut dit cela, il s’endormit.
C’est la seconde partie de la prière de saint Etienne, en laquelle il conjoint l’amour des hommes avec la foi en Jésus-Christ. Et de fait, si nous voulons être associés avec Jésus-Christ à salut, il nous faut avoir cette affection. Saint Etienne priant pour ses ennemis, voire ennemis mortels, et même à l’heure que leur cruauté le pouvait inciter à convoiter la vengeance contre eux, déclare assez de quelle affection il était envers tous les autres. Or nous savons que ce que saint Luc explique avoir été fait par saint Etienne, nous est commandé à tous par Jésus-Christ, Matthieu 5.44. Mais à grand-peine trouvera-t-on chose plus difficile, que de pardonner ainsi les outrages et injures, pour prier pour ceux qui désirent notre ruine ; a cette cause il nous faut incessamment proposer devant nos yeux saint Etienne pour exemple. Il est bien vrai qu’il crie à haute voix ; mais il ne montre rien en apparence devant les hommes, que Dieu lui-même ne soit témoin qu’il le dit d’un bon cœur, et en rondeur de conscience. Toutefois il élève sa voix, afin de ne laisser rien de ce qui pouvait servir pour adoucir la grande inhumanité de ses ennemis. Le fruit n’est point apparu tout incontinent ; il est certain toutefois qu’il n’a point prié en vain. Et saint Paul nous est un beau témoignage, que ce péché n’a point été imputé à tous. Je ne dirai pas avec S. Augustin que : si Etienne n’eût prié, l’Eglise n’aurait point Paul. Car cela est un peu dur ; mais je dis seulement, que ce que Dieu a pardonné à S. Paul, donne bien à connaître que la prière de S. Etienne n’a point été inutile.
Ici se présente une question : Comment se fait-il que S. Etienne prie pour ceux lesquels il disait naguère être rebelles au Saint Esprit. Or il semble que ce soit un péché contre le saint Esprit, lequel est hors de tout espoir de pardon. La réponse est facile, que ce qui convient seulement à plusieurs, est prononcé de tous en général. Ainsi S. Etienne n’a pas dit en ce sens le corps du peuple être rebelle, que cependant il n’en exceptât aucuns. De plus, j’ai exposé ci-dessus, quelle espèce de résistance il condamnait là. Car il ne s’ensuit pas tout incontinent, que ceux qui résistent au Saint Esprit pour quelque temps, pèchent contre lui. Quand il prie que Dieu ne leur impute point ce péché, il entend que la condamnation ne leur en demeure point.
Et quand il eut dit cela, il s’endormit. Ceci est ajouté, afin que nous sachions que cette parole a été prononcée lors qu’il n’avait presque que le dernier soupir à rendre. Ce qui est un signe de constance merveilleuse. Le mot de Dormir aussi signifie une façon de mourir douce et paisible. Au reste, vu qu’il a fait cette prière étant déjà prêt à rendre l’Esprit, ce n’était point l’espérance d’échapper et avoir grâce, qui l’incitait a être si soigneux d’amollir ses ennemis ; mais seulement le désir qu’il avait qu’ils se repentissent. Quant à ce mot de Dormir, quand il est pris en l’Écriture pour Mourir, il se doit rapporter au corps ; afin que nul n’imagine que les âmes dorment aussi, comme certain ignorants le pensent.