Notes sur les Paraboles de notre Seigneur

III.
Le grain de sénevé

Matthieu 13.31-32 ; Marc 4.30-32 ; Luc 13.18-19

Les quatre paraboles qui suivent forment deux groupes bien distincts. Celles du grain de sénevé et du levain forment le premier groupe, et peuvent sembler, à première vue, être une répétition de la même vérité ; mais quand on les examine de près, on ne tarde pas à reconnaître la différence qui existe entre elles. Toutes deux décrivent les petits commencements, les progrès et le développement complet de l’Église, ou, pour employer une autre image, nous y voyons comment la pierre devient une grande montagne et finit par remplir la terre (Daniel 2.34-35 ; Ézéchiel 47.1-5). Mais chacune a son caractère particulier. L’une se rapporte au royaume de Dieu encore caché, l’autre à ce même royaume dans sa manifestation extérieure. L’une montre la puissance de la vérité sur le monde ; l’autre la force expansive de cette même vérité.

Chrysostome établit très bien le rapport entre notre parabole et celles qui précèdent. Les disciples devaient apprendre par celle du semeur que la plus grande partie de la semence qu’ils répandraient serait perdue ; celle de l’ivraie leur faisait connaître les obstacles qui s’opposeraient au développement de la semence tombée dans une bonne terre ; et maintenant, pour les préserver du découragement, Jésus prononce les deux paraboles suivantes. Il semble leur dire : « Mon royaume surmontera tous ces obstacles ; il deviendra semblable à un arbre vigoureux, qui couvrira la terre de ses branches ; comme un levain puissant, il exercera son influence sur le monde entier. » Ce n’est pas la première fois que le développement d’un grand royaume est comparé à celui d’un arbre. Il en est parlé aussi dans l’Ancien Testament (Daniel 4.10-12 ; Ézéchiel 31.3-9 ; 17.22-24 ; Psaumes 80.8).

Mais pourquoi le Seigneur choisit-il ici, comme emblème, la plante qui sort du grain de sénevé ?e Il aurait pu parler d’autres plantes, telles que la vigne, ou d’arbres plus élevés, tels que le cèdre (1 Rois 4.33 ; Ézéchiel 17.3). Il a probablement choisi le grain de sénevé pour faire ressortir le contraste entre la petitesse de la semence et la grandeur de l’arbre auquel elle donne naissance. Il voulait enseigner à ses disciples que son royaume serait glorieux, malgré ses chétifs commencements. Le grain de sénevé, d’ailleurs, avait une valeur particulière dans l’antiquité. Les Pythagoriciens en parlent souvent ; on pensait qu’il possédait des vertus médicinales utiles contre la morsure des reptiles et contre les poisons. Les propriétés et qualités diverses de cette semence peuvent bien avoir déterminé le Seigneur à la choisir pour faire connaître les destinées de la parole du royaume, de la doctrine d’un Rédempteur crucifié, folie pour les Grecs, scandale pour les Juifs, mais puissance pour le salut. Christ est lui-même à la fois le grain de sénevé et celui qui le sème. Il est ce grain, car l’Église était renfermée en Lui et elle est sortie de Lui, étant dans une relation aussi étroite avec Lui que l’arbre avec la semence qui le produit ; Il est aussi le semeur de ce grain, car il s’est livré volontairement à la mort, par laquelle il devient une source de vie pour un grand nombref. Il a dit Lui-même : « Si le grain de blé tombé dans la terre ne meurt pas, il demeure seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jean 12.24). Le champ dans lequel Il a répandu cette semence est le monde, « son champ », ou, selon saint Luc : « son jardin » (Luc 13.19), car le monde a été fait par Lui ; en y descendant, « Il est venu chez les siens. » Cette semence est « la plus petite de toutes ; » ces paroles ont souvent embarrassé les interprètes, car il existe d’autres plus petites encore, ainsi celle du pavot. Mais cette difficulté ne doit pas nous arrêter ; il suffit de savoir que « petit comme un grain de sénevé » était une expression proverbiale parmi les Juifs pour désigner une chose presque imperceptibleg (Luc 17.6) Le Seigneur tenait compte du langage populaire dans son enseignement. Tel était le grain de sénevé, tel son royaume. Que pouvait-il y avoir, aux yeux de la chair, de moins éclatant que les commencements de ce royaume dans sa personne ?

e – Quelques interprètes modernes pensent qu’il s’agit ici du Salvadora Persica, appelé par les Syriens : Khardal. Cette plante a une saveur très aromatique, semblable à celle de la moutarde.

f – Didron (Iconographie chrétienne, p. 208) parle d’un symbole fréquent chez les premiers chrétiens : le Christ dans un tombeau ; de sa bouche sort un arbre, sur les branches duquel sont les apôtres.

g – Le Coran dit : « O mon fils, Dieu amènera à la lumière tout ce qui est caché, bon ou mauvais, quand même il serait aussi petit qu’un grain de sénevé, et qu’il serait caché dans les rochers, ou dans les cieux, ou dans la terre. »

Il a vécu dans une contrée méprisée jusqu’à l’âge de trente ans ; ensuite, Il a enseigné pendant trois ans dans les villes et villages environnants, et quelquefois à Jérusalem ; Il a fait quelques disciples, surtout parmi les pauvres et les ignorants ; enfin, tombant entre les mains de ses ennemis, Il mourut comme un malfaiteur, sur la croix. Tel fut le commencement du royaume universel de Dieu, bien différent de ceux du monde, qui ont souvent une fière origine et deviennent à la fin misérables, semblables à la tour de Babel. L’Église a une origine obscure, mais elle se développe rapidement et son couronnement sera glorieux. Il en est ainsi du royaume de Dieu dans le monde, dans chaque cœur ; là aussi, la parole de Christ est répandue comme une petite graine de sénevé, qui produit ensuite de merveilleux effets.

« C’est là, il est vrai, la plus petite de toutes les semences ; mais lorsqu’elle a poussé, elle est plus grande que les légumes et devient un arbre, de sorte que les oiseaux du ciel viennent et s’abritent dans ses branches. » Il n’y a ici aucune exagération. Dans les pays chauds, comme la Judée, la plante de sénevé atteint une grande hauteur ; un homme peut monter sur ses branches. Maldonat affirme qu’en Espagne on chauffe de grands fours avec ces branches ; il a souvent observé aussi que d’immenses vols d’oiseaux s’y rassemblent. Tout cela était probablement connu des auditeurs de Jésus.

Ces paroles sont aussi prophétiques. Ézéchiel, en annonçant le royaume de Dieu, (Ézéchiel 17.22, 24) dit, en parlant du tendre rameau que le Seigneur plantera, « qu’il produira des branches et fera du fruit, et il deviendra un excellent cèdre, et des oiseaux de tout plumage demeureront sous lui, et habiteront sous l’ombre de ses branches » ; ces derniers mots annoncent le refuge que les hommes trouveront dans l’Église de Dieu ; c’est aussi le sens de notre parabole. Le royaume de Christ attirera les multitudes par la protection qu’il leur offre ; là, elles trouveront un refuge contre les attaques du monde, contre le pouvoir du diable. Il sera l’arbre de vie dont les feuilles sont pour la guérison et dont le fruit sert de nourriture (Apocalypse 22.2) ; tous ceux qui désirent la guérison de leurs plaies et la satisfaction de leurs besoins spirituels s’y rassembleront.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant