Προφητεύω est un vocable qui revient constamment dans le N. T. ; μαντεύομαι n’y apparaît qu’une fois, à savoir dans Actes 16.16, où il est dit de la servante, possédée d’un « esprit de divination » ou d’un « esprit de Python », qu’elle apportait un grand profit à ses maîtres en « devinant » (μαντευομένη). Que ce mot ne soit pas employé dans toutes les autres occasions, mais dans celle-ci, cela est très remarquable. Frappant exemple de cette sagesse instinctive avec laquelle les auteurs inspirés tiennent éloignés tous les termes dont l’emploi aurait contribué à détruire la séparation entre le paganisme et la religion révélée ! Ainsi εύδαιμονία, expression religieuse, même chez les païens, puisqu’elle attribue le bonheur à la faveur de la divinité, n’est pourtant jamais employée pour désigner la félicité chrétienne ; et elle ne pouvait guère l’être, car δαίμων, qui est à sa base, implique une erreur polythéiste. De même, ἀρετή le mot par excellence pour « vertu » en morale païenne, ne se rencontre que très rarement dans le N. T. On ne l’aperçoit qu’une seule fois dans tous les écrits de St. Paul (Philippiens 4.8) ; et ailleurs (c’est à dire dans les seules épîtres de St. Pierre) il a un sens bien différent de celui dans lequel Aristote l’emploiec. Citons encore ἤθη, qui nous donne « Ethique ». Il ne se trouve qu’une seule fois (d’où l’on peut inférer que son absence ailleurs n’est point accidentelle), et cette seule fois, dans une citation tirée d’un poète païen (1 Corinthiens 15.33).
c – « Verbum nimium humile (comme dit Théodore de Bèze, en rendant compte de son absence) si cum donis S. S. comparatur. »
Conformément à cette même loi de convenance morale dans l’admission ou l’exclusion de mots, nous rencontrons προφητεύειν comme le vocable qui exprime constamment, dans le N. T., l’action de prophétiser par l’Esprit de Dieu ; mais qu’un écrivain sacré soit dans le cas de parler de l’art mensonger de la divination païenne, aussitôt il laisse tomber προφητεύειν et le remplace par μαντεύεσθαι (cf. 1 Samuel 28.8 ; Deutéronome 18.10). Quand nous aurons considéré l’étymologie de l’un des deux mots, nous apercevrons mieux la différence essentielle qui existe entre ces deux choses, « prophétiser » et « deviner », « weissagen » et « wahrsagen », et nous comprendrons pourquoi il était nécessaire de les tenir distinctes et séparées au moyen d’appellations différentes. Μαντεύομαι, venant de μάντις, est uni par ce primitif, comme nous l’enseigne Platon, à μανία à μαίνομαι. D’où il suit que le mot se rapporte au trouble de l’esprit, à la furie, à la folie temporaire, que subissaient ceux que l’on supposait possédés par la divinité pendant qu’ils rendaient leurs oracles. Leurs yeux roulants, leurs lèvres écumantes, leurs cheveux flottants, et d’autres marques d’une agitation plus que naturelle, trahissaient chez eux la furie du devind. Il est très possible, qu’au moyen de drogues et d’autres stimulants artificiels, on produisît quelquefois ces symptômes de délire, comme, sans doute, on les augmentait souvent chez les voyants, les pythonisses, les sibylles et leurs semblables. Cependant il n’est personne qui, admettant que des forces spirituelles et réelles étaient au fond de toutes les formes de l’idolâtrie, n’admette aussi qu’il y avait souvent beaucoup plus que des tours d’adresse dans ces manifestations. Il n’est personne qui, connaissant tant soit peu les terribles mystères des cultes païens, ne croie aussi que ces symptômes étaient les preuves d’un rapport réel entre ces devins et un monde d’esprits, monde, sans doute, qui n’était pas au-dessus, mais au-dessous d’eux.
d – Cicéron, qui aime à produire, quand il le peut, des points où la langue latine l’emporte sur la langue grecque, met ici en avant, et je crois avec raison, un de ces points. En effet, le latin possède « divinatio », mot qui donne un corps au caractère divin de la prophétie et au fait que c’était un don des dieux, tandis que les Grecs n’ont que μαντική, qui, ne saisissant point la chose elle-même à un point central quelconque, se contente de mettre au dehors un des signes extérieurs qui accompagnaient ses fonctions (De Divin, i, 1) : « Ut alia nos melius multa quam Græci, sic huic præstantissimæ rei nomen nostri a divis ; Græci, ut Plato interpretatur, a furore duxerunt. »
La Révélation, d’un autre côté, ne connaît point cette furie du devin, si ce n’est pour la condamner. « Les esprits des prophètes sont soumis aux prophètes. » (1 Corinthiens 14.32 ; cf. Chrysostome, In Ep. 1 ad Cor. Hom. 29 sub init.) Le vrai prophète est ravi hors de lui-même ; il est « en Esprit » (Apocalypse 1.10) ; il est « en extase » (Actes 11.5), il est ὑπὸ Πνεύματος Ἁγίου φερόμενος ; (2 Pierre 1.21) ; ce qui dit bien plus qu’être « mû par le St. Esprit », c’est plutôt poussé « getrieben », comme l’a rendu De Wette (cf. Knapp, Script. Var. Argum., p. 33). N’allons pas aussi loin, dans notre opposition à l’erreur païenne et montaniste, que de nier ces phénomènes, comme l’ont fait quelques uns, surtout de ceux qui étaient engagés dans la controverse contre Montanus, Jérôme par exemple. Mais alors rappelons-nous que le prophète n’est pas hors de lui-même (beside himself) ; il s’élève au-dessus de son moi de tous les jours, il n’est pas à côté. Il n’y a là ni désaccord ni désordre, mais une harmonie supérieure ; un ordre plus divin s’est introduit dans l’âme du prophète, en sorte que ce n’est point quelqu’un accablé dans sa vie inférieure par des forces plus grandes que les siennes, par une sorte d’insurrection venant d’en bas, mais c’est un esprit qui monte des régions inférieures de la terre dans une atmosphère plus claire, dans une lumière plus céleste que celle dans laquelle il lui est permis de vivre en d’autres temps. Tout ce qu’il avait auparavant demeure encore en lui, seulement tout cela est purifié, exalté, vivifié par une puissance plus grande que la sienne, et qui cependant n’est pas contraire à celle-cie, car l’homme est le plus véritablement homme quand il est le plus rempli de la plénitude de Dieu. Même dans le paganisme, on reconnaissait la supériorité du προφήτης sur le μάντις, et on le faisait en s’appuyant sur la même base. C’est ainsi qu’il y a un passage bien connu et souvent cité dans le Timée de Platon (71 e, 72 a, b), où (précisément pour cette raison que le μάντις est quelqu’un chez qui toute parole raisonnable est suspendue, et qui, selon la dérivation du mot, s’agite avec de violents transports), le philosophe tire la ligne largement et distinctement entre le μάντις et le προφήτης, le premier étant subordonné au second et ses paroles ne pouvant passer qu’après avoir reçu le sceau de l’approbation de l’autre. La vérité, dont la meilleure philosophie païenne ne reflète ici qu’une lueur, a pris définitivement corps dans l’Eglise chrétienne lorsque celle-ci, réservant pour son propre usage le προφητεύειν, a attribué le μαντεύεσθαι au paganisme qu’elle était sur le point d’écarter et de renverser.
e – Voir John Smith, le platoniste de Cambridge, On Prophecy, ch. 4 : The difference of the true prophetical Spirit from all enthusiastical Imposture.