Il ne sera pas hors de propos d'introduire le présent chapitre en disant d'emblée avec la plus grande force que le don spirituel du discernement des esprits (I Cor. 12.10) n'a rien de commun avec l'esprit critique, tel qu'on le trouve sur le plan naturel. Nous le disons à regret : il nous est arrivé de rencontrer des personnes qui se plaisent à juger les intentions d'autrui, et qui essayent de se tromper elles-mêmes, sinon les autres, en disant avec satisfaction que leur don particulier est le discernement des esprits. C'est John Wesley qui a remarqué qu'on peut enfouir ce talent là dans la terre sans offenser le Maître.
C'est une erreur encore, mais une erreur plus respectable, que de confondre ce don avec une vive intuition de la nature humaine, que quelques personnes possèdent à un haut degré.
Il suffit de jeter un coup d'œil sur le nom même de ce don pour mieux comprendre son véritable caractère et sa portée : car il s'agit du discernement, des esprits, et non des hommes agissant par des motifs purement naturels.
Pour apprécier la valeur et le caractère de ce don, il faut se souvenir que l'Eglise primitive était, et que l'Eglise devrait toujours être, en contact constant avec le surnaturel dans ses services religieux aussi bien que dans la vie quotidienne de ses membres.
Il y avait, nous l'avons vu, des paroles inspirées données sans cesse par le ministère des prophètes et des docteurs ; il y avait encore d'autres manifestations de la puissance invisible dans la guérison des malades et l'opération des miracles. Qu'on se rappelle avec quelle ténacité Satan a copié les activités du Saint-Esprit et imité les plus belles œuvres de Dieu : on comprendra aisément quels dangers couraient les églises, du fait des esprits malins qui pouvaient imiter, en apparence, certains traits superficiels de l'œuvre réelle du Saint-Esprit. Qu'on n'oublie pas non plus que l'Eglise primitive comptait, — et le cas peut se reproduire de nos jours, — des convertis, vrais ou faux, qui avaient été saturés de paganisme, de spiritisme et de possessions démoniaques. Le danger n'en était que plus réel.
De nos jours plusieurs ont vu le danger, mais leur erreur fut de sous-estimer les précautions vigilantes et aimantes que le grand Chef de l'Eglise a prises lorsqu'il l'a armée contre les ruses subtiles. On est surpris et peiné de voir des maîtres compétents écrire et parler de manière à laisser croire que le Seigneur laisse son peuple racheté tomber sans défense au pouvoir de l'ennemi. Le don spirituel de discernement est une preuve de sa sollicitude ; affirmer que l'Eglise ne possède plus ce don aujourd'hui, c'est une prétention surprenante et sans aucun fondement dans l'Ecriture ou dans la raison. Ceux-là mêmes qui disent que Dieu n'accorde plus ce don, sont aussi ceux qui affirment que le danger causé par les esprits séducteurs devient de plus en plus grand, à mesure que l'on approche de la fin du monde. Combien gravement ils déshonorent Dieu, — inconsciemment peut-être, — en supposant que Dieu nous laisserait plus que jamais sans défense.
De plus, le don du discernement des esprits n'a pas seulement une valeur défensive. Il sert à attaquer aussi ; car, lorsque la présence d'un esprit malin a été reconnue dans une personne, celle-ci peut en être délivrée par la puissance du nom du Seigneur Jésus-Christ.
Nous savons déjà que ce don est un don de l'Esprit, don qui manifeste la présence de l'Esprit, et qui agit par sa puissance. On ne peut concevoir qu'un croyant qui ne serait pas rempli du Saint-Esprit (cf. le cas de Paul, Actes 13.9) se serve de ce don ; la chose serait du reste impossible.
Le mot discerner (en grec, diacrisis) signifie « juger à travers, percer à jour ». Robinson le définit l'acte de distinguer, de discerner clairement. La pensée centrale est l'acte de percer ce qui est purement extérieur, de voir jusqu'au fond ; ensuite de former un jugement fondé sur cette intuition. Le mot a beaucoup de netteté et de force.
Un don naturel d'intuition a son prix pour l'homme d'affaires ou l'homme politique. A combien plus forte raison un don d'intuition spirituelle pour celui qui croit à un monde spirituel, en particulier pour celui qui a sa part de responsabilités dans le gouvernement des églises.
Il n'est pas inutile de répéter, et de souligner, que ce don spirituel ne peut opérer que dans et par « l'homme spirituel », mais non par « l'homme charnel ». Cela est en conformité absolue avec le principe que pose I Cor. 2.14-15 : ce n'est que « spirituellement » que l'on peut juger des choses spirituelles. Nous avons déjà noté dans une précédente étude que ce sont les « autres » prophètes qui peuvent juger les paroles prophétiques (I Cor. 14.29). En somme, cela est juste et logique.
Des personnes peu spirituelles, ou pleines de préjugés, ont souvent fait beaucoup de mal et ont entravé sérieusement l'œuvre de Dieu, en jugeant et en condamnant des choses qui venaient réellement de lui, mais qui n'étaient pas conformes aux idées personnelles qu'elles entretenaient au sujet des modes d'action du Tout-Puissant.
Il y a eu des pasteurs et des chrétiens qui ont arrêté des Réveils, en s'opposant aux fortes émotions produites par l'Esprit de Dieu, qu'ils ont qualifiées à la légère d'excitations malsaines ou d'hystérie. Voici une expérience de John Wesley, telle qu'il la rapporte dans son Journal au 24 décembre 1739 : « Vers le matin, l'un d'eux fut rempli de joie et d'amour, et ne put s'empêcher de le manifester par des cris et des larmes. Alors un autre fut très mécontent et dit : Ce ne sont que des mouvements naturels, de l'imagination et des manifestations psychiques. — 0 Toi, Dieu jaloux, ne lui impute pas ce péché ; et ne permets pas que nous soyons plus sages que l'Ecriture-Sainte ! ». Wesley aurait quelquefois besoin de cette prière s'il revenait aujourd'hui !
Quelques chrétiens ont si peu d'intelligence du baptême du Saint-Esprit, que nous en avons vu aller chercher un verre d'eau pour tirer le frère de sa syncope. Syncope bénie ! Il faut mettre dans la même catégorie, je suppose, ceux qui attribuent la conversion de Saul sur le chemin de Damas à une crise d'épilepsie. Nous répétons, avec Joseph Parker : « Puisses-tu continuer, ô puissante épilepsie ! ».
Ceux qui prétendent juger des matières spirituelles doivent d'abord montrer les titres de leur propre expérience spirituelle. Malheureusement beaucoup de personnes condamnent en bloc les manifestations et les expériences qui ont trait au baptême du Saint-Esprit et à ses dons, et n'ont cependant aucune expérience personnelle de ces choses. Nous osons demander : Sont-elles en situation de juger ?
Le Nouveau Testament s'accorde avec le simple bon sens pour donner une réponse négative.
N'oublions pas qu'il y a aussi dans l'Ecriture d'autres critères pour éprouver les esprits (Matth. 7.15-23 ; I Cor. 12.3 ; I Jean 4.1-6) ; on peut s'en servir pour contrôler les jugements de ceux qui prétendent avoir un don de discernement spirituel. De plus, tout croyant peut employer ces critères, même s'il ne possède aucun don particulier de l'Esprit.
Revenons à notre étude du don de discernement des esprits. Nous voudrions montrer qu'il a sa source dans la puissance même de Dieu, laquelle se manifeste, par le Saint-Esprit, à travers le croyant.
Le discernement absolu de toutes choses, la puissance parfaite de discerner (diacrisis), est un des attributs divins les plus clairement révélés dans l'Ecriture-Sainte (cf. I Chroniques 28.9 ; Psaume 139 ; Jérémie 17.10 ; Hébreux 4.13, etc.). C'est grâce, entre autres, à cet attribut que Dieu est sans conteste le Juge de toute la terre. Cette puissance réside aussi dans sa Parole écrite (Héb. 4.12).
Cet attribut s'est manifesté dans le Fils d'une manière merveilleuse et frappante à la fois ; prenez par exemple le cas de Nathanaël (Jean 1.47-50) ; la manière toute différente dont il traite Nicodème (Jean 3.3) et la femme samaritaine (Jean 4.16). Le passage Jean 2.25, attribue au Seigneur d'une façon expresse le pouvoir de connaître les hommes par la puissance d'une intuition divine.
Y a-t-il rien d'étonnant dès lors à ce que le Saint-Esprit, ayant pris possession d'un homme, lui donne une petite étincelle de cette grande puissance, en vue de connaître non seulement les hommes mais les esprits, car tout est également nu et découvert aux yeux de Dieu ?
Il y a dans la Bible plusieurs exemples d'hommes qui ont possédé un discernement spirituel grâce auquel ils pénétraient au cœur même des choses. Il y eut Joseph, qui était célèbre par son pouvoir de, divination, que ses serviteurs faisaient remonter par erreur à je ne sais quelle source (Genèse 44.5) ; il y eut David, qui était « comme un ange de Dieu..., capable de discerner. » (II Samuel 14.17) : Salomon, son fils, demanda et reçut ce don (I Rois 3.9) ; la conduite d'Elisée envers Guéhazi témoigne d'un discernement vraiment surnaturel (II Rois 5.26).
Dans le Nouveau Testament, il y a l'exemple frappant de Pierre, traitant avec une si grande sévérité Ananias et Saphira (Actes 5) ; un peu plus loin, sa dénonciation également sévère de Simon le Magicien, fondée sur le discernement de l'état de son cœur (Actes 8.23) ; notez que Simon avait réussi à tromper tous les autres par son apparence (v. 13).
Les paroles de Pierre semblent bien indiquer qu'il discerna un mauvais esprit à l'œuvre dans et par Simon Pour finir, un exemple remarquable de la pratique du don de discernement des esprits nous est fourni par Paul il réprimande l'esprit qui avait pris possession d'une pauvre servante, à Philippes, incident qui devait le mener en prison (Actes 16.16-18). Remarquez que le témoignage très plausible que l'esprit rendait en apparence aux serviteurs de Dieu, ne réussit pas à tromper l'apôtre rempli du Saint-Esprit sur sa vraie nature.
Les Anciens qui possédaient ce don de l'Esprit devaient être tout désignés pour diriger les assemblées : aussi ce don correspond-il probablement à la charge de « gouverner » (I Cor 12.28). S'il en est ainsi, il est d'autant plus à supposer que le possesseur de ce don devait avoir aussi « l'amour de Dieu répandu dans son cœur par le Saint-Esprit qui lui avait été donné » ; loin d'exercer le don d'une manière dure et critique, il devait plutôt avoir une grande compassion pour les pauvres victimes des puissances mauvaises, et il cherchait pour elles, dans la grâce et la puissance du Seigneur Jésus, une prompte délivrance. En même temps il est à penser que le Dieu d'amour veille sur ses Eglises pour les préserver de toute ruse et de tout mal.
Quand on exerce ce don sous l'action du Saint-Esprit, il révèle donc avant tout la vraie nature, ou la source, de toute manifestation surnaturelle ; est-elle divine ou satanique ? Faut-il l'accepter ou la rejeter, s'y abandonner ou lui résister ? Non seulement on aura un puissant témoignage intérieur à ce sujet, mais une vision de l'esprit qui est à l’œuvre.
Il faut beaucoup de grâce pour garder la mesure quand on 'possède ce don, et pour l'employer à la gloire de Dieu.
Pour conclure, nous voudrions attirer l'attention sur ce fait que la simple existence d'un tel don présuppose qu'il y a réellement des esprits méchants et trompeurs, qui se manifestent par le moyen de la créature humaine. Il y a des chrétiens de nos jours qui se doutent à peine de l'existence de ces faits fondamentaux du monde spirituel.
Le monde spirituel tout entier devient très réel pour le croyant baptisé du Saint-Esprit et pour les églises où se manifestent les dons spirituels. Il s'ensuit inévitablement qu'on suivra d'un œil d'autant plus averti la réalité de la puissance satanique, qu'on aura acquis plus d'intuition spirituelle pour percevoir les choses de Dieu. Heureux le croyant, heureuse l'église qui acquièrent cette sensibilité spirituelle agrandie, tout en restant vigilants, et tout en gardant aussi la foi que Dieu protègera l'Eglise qu'il s'est acquise par son propre sang, et qu'il viendra à bout des attaques les plus subtiles de son grand ennemi.