S’il est vrai, comme nous l’avançons, que la foi évangélique ramène le culte suivi par les patriarches qui ont devancé Moïse et que nous n’ayons qu’une même croyance et qu’une même connaissance de Dieu, on pourra nous demander pourquoi ceux-ci désiraient si fortement le mariage et la multiplication de leur famille, tandis que nous négligeons entièrement ce soin et pourquoi, tandis qu’il est écrit qu’ils se rendaient le Seigneur propice par l’immolation des victimes, nous évitons les sacrifices comme une impiété. Ces deux difficultés d’un assez grand poids semblent détruire ce que nous venons d’avancer, en montrant qu’en cela nous ne nous conformons pas aux usages de l’ancienne religion. Or, nous pouvons offrir la réponse suivante, tirée des livres des Hébreux et dire : Ceux qui, avant Moïse, ont mérité un illustre témoignage pour leur piété, ont vécu au commencement de la vie et des jours du monde ; mais les préceptes qui nous sont donnés tendent à la consommation de toutes choses. Aussi ces saints personnages cherchèrent-ils avec grand soin à augmenter le nombre de leurs héritiers ; car le temps accroissait et se développait, et le genre humain avançait jusqu’à la fleur de l’âge. Pour nous, ce n’est plus notre but ; car maintenant toutes choses déclinent et tendent à leur fin, la consommation générale approche ; voici la fin de la vie ; l’Évangile est prêché à nos portes, et l’on entend retentir la nouvelle de la rénovation et de la régénération du siècle futur qui approche.
Voilà notre première réponse ; en voici une autre.
Ces hommes des premiers jours, dont la vie était sans sollicitudes et libre d’obligations, n’éprouvaient nul obstacle à réunir leur famille et leurs enfants pour se livrer avec recueillement à l’adoration de la Divinité, avec leurs femmes, leurs enfants et leur famille, n’ayant point à craindre d’être distraits d’une si noble occupation par des étrangers, tandis que mille choses extérieures, mille privations étrangères nous assiègent et nous écartent de la pratique continuelle de ce qui plaît à Dieu. Une instruction évangélique nous apprend que tel est le motif de s’abstenir du mariage. « Voici donc ce que je vous dis, mes frères : le temps est court, et ainsi il faut que ceux mêmes qui ont des femmes soient comme n’en ayant point, et ceux qui pleurent, comme ne pleurant point, ceux qui se réjouissent comme ne se réjouissant point, ceux qui achètent comme ne possédant point ; enfin ceux qui usent de ce monde comme n’en usant point ; car la figure de ce monde passe. Je désire vous voir dégagés de soins et d’inquiétudes. Or, celui qui n’est pas marié s’occupe uniquement du soin des choses du Seigneur et de ce qu’il doit faire pour plaire au Seigneur ; mais celui qui est marié s’occupa du soin des choses du monde, et de ce qu’il doit faire pour plaire à sa femme, et ainsi se trouve partagé. De même une femme qui n’est pas mariée et une vierge s’occupent du soin des choses du Seigneur, afin d’être saintes de corps et d’esprit ; mais celle qui est mariée s’occupe du soin des choses du monde et de ce qu’elle doit faire pour plaire à son mari. Or, je vous dis cela pour votre avantage, non pour vous dresser un piège, mais pour vous porter à ce qui est plus parfait et qui vous donne un moyen plus facile de prier Dieu sans empêchement (I Cor., VII, 31).
En blâmant les ineptes futilités des circonstances et des choses extérieures, qui n’existaient pas pour les anciens, l’Apôtre fait connaître clairement pourquoi il faut s’abstenir du mariage.
Nous ajouterons une troisième raison de l’ardeur qu’eurent les anciens fidèles de voir multiplier leur race, tandis que les autres hommes se plongeaient dans le mal, que leurs mœurs devenaient cruelles, inhumaines et sauvages, que leur culte dégénérait en impies superstitions, ces hommes de foi, peu nombreux et faciles à compter, s’écartèrent de la vie commune et des usages du reste du monde. Séparés donc des autres nations et vivant loin d’elles, ils instituèrent des usages contraires, une vie conforme à la sagesse et à la vraie religion et sans aucun commerce avec les autres hommes. Afin donc de conserver à ceux qui viendraient après, comme une étincelle sacrée qui ranimât le culte qu’ils suivaient, et pour qu’à leur mort ne périt pas la sainte piété, ils durent former le dessein d’avoir des enfants et de les élever pour être les maîtres et les précepteurs de leur postérité, persuadés de l’obligation de laisser des héritiers de leur piété et de leur religion à ceux qui viendraient dans la suite des temps. C’est d’eux que descendent les nombreux prophètes, les justes, le Sauveur lui-même, ses disciples et ses apôtres. Si quelques-uns de leurs descendants ont été pervers, ainsi que la paille naît avec le bon grain, il ne faut pas accuser ceux qui furent leurs pères et leurs maîtres ; ne savons-nous pas que quelques disciples du Sauveur s’égarèrent par un écart de leur volonté.
Telle est la cause du dessein que formèrent les patriarches pour la multiplication de leur race, cause qui n’existe plus pour nous ; car aujourd’hui, dans les contrées, dans les villes, dans les campagnes, nous voyons de nos yeux une multitude de nations, des peuples innombrables entraînés par la grâce de Dieu à la lumière de l’Évangile, et animés du même esprit, s’empresser d’acquérir la connaissance de Dieu par les lumières de l’Évangile ; de sorte que les docteurs et les prédicateurs de la parole de vie peuvent à peine suffire, quoique dégagés de tout lien de la vie et de toute sollicitude. Or, l’affranchissement du lien du mariage les oblige à se livrer à des biens plus élevés, parce qu’ils préparent une naissance spirituelle et divine, et qu’ils sont chargés non pas de deux ou de trois enfants, mais d’une multitude innombrable, de leur éducation dans l’ordre de Dieu, et du soin, de diriger le reste de leur vie.
Enfin, si l’on examine la vie des anciens patriarches dont nous parlons, on trouvera que si dans leur jeunesse ils cherchaient à avoir des enfants, ils s’abstenaient de bonne heure du mariage. Il est écrit en effet (Gen., V, 22) qu’après avoir engendré Mathusala, Enoch plut au Seigneur. L’histoire sacrée désigne spécialement que c’est après la naissance de ce fils qu’Énoch plut au Seigneur, et ne dit pas qu’il avait engendré d’autres enfants. Lorsque après la naissance de ses fils, Noé, l’homme juste, qui échappé à la destruction générale seul avec sa famille, quoiqu’il vécût longtemps encore, cependant il n’eut plus d’enfants. Isaac, après le double enfantement de son épouse, ne s’en approcha plus. Joseph, quoiqu’il vécût en Égypte, ne fut père que de deux fils, que lui donna une seule épouse. Il est raconté de Moïse et d’Aaron son frère, qu’avant l’apparition dont ils furent favorisés, ils eurent des enfants ; mais on ne saurait trouver qu’ils en aient engendré après la révélation des desseins de Dieu. Que dire de Melchisédech ? Il apparut sans famille, sans race, sans héritier. Ainsi de Jésus, le successeur de Moïse, et d’un grand nombre de prophètes. Nous avons exposé au long, dans un autre lieu, le motif qui porta Abraham et Isaac à multiplier leur race ; c’est là que nous avons traité de la polygamie et de la nombreuse race des anciens fidèles, et nous y renvoyons le lecteur studieux en l’avertissant que les lois de la nouvelle alliance n’interdisent pas absolument le mariage, mais que leurs prescriptions sont semblables à celles des anciens fidèles. Il faut, dit l’Écriture, qu’un évêque n’ait épousé qu’une seule femme (1 Tim., III, 2). Ceux qui sont consacrés à Dieu, et qui se livrent à l’exercice du sacré ministère, doivent s’abstenir désormais de tout commerce avec leur épouse. Cependant les saintes lettres condescendent à la faiblesse de ceux qui ne sont pas jugés dignes d’un si grand honneur, mais elles les avertissent clairement que le mariage est honorable, et le lit nuptial inviolable (Hébr., XIII, 4) ; que Dieu jugera les fornicateurs et les adultères.
Telle est la réponse que nous faisons à la première difficulté.