C’est une mystérieuse parole que celle de l’apôtre Paul aux Ephésiens (Éphésiens 5.13) « Tout ce qui est manifesté, est lumière ». Il est vrai, toute révélation d’en haut est une lumière qui descend dans nos ténèbres et brille dans l’obscurité ; mais saint Paul ici parle non pas de ce qui est de Dieu, mais de ce qui est caché dans l’homme. On dirait qu’il s’est mépris et qu’il voulait dire, que tout ce qui est manifesté est ténèbres. Car qu’y a-t-il dans l’homme, sinon du péché, et que pourrait-il sortir d’autre de lui. « C’est du cœur de l’homme, dit le Seigneur, que viennent les mauvaises pensées, les meurtres, l’adultère, les fornications, les larcins, les faux témoignages, les médisances. » — Ainsi, tout ce qui est mis au grand jour est ténèbres ? — Nullement : l’apôtre dit : lumière, et sa parole subsiste. Vous le voyez, il y a là comme une énigme ; mais la solution en est consolante et douce. Tout ce qui est de nature en nous, est ténèbres : cela est vrai. Nos ténèbres restent telles, et sont condamnées et maudites aussi longtemps qu’elles demeurent cachées en nous et que nous les gardons dans le secret de notre âme. Mais si nous les portons avec sincérité au jour devant Dieu, si nous les avouons, les confessons sans feinte et les jugeons nous-mêmes, elles cessent aussitôt, à cause de Christ, d’être ténèbres et de nous condamner, et elles deviennent lumière aux yeux de Dieu ; « Et si vos péchés étaient rouges comme le sang, dit l’Eternel, ils seront blanchis comme la neige, et s’ils étaient comme le vermillon, ils seront blanchis comme la laine. »
L’incrédulité est en abomination devant Dieu ; mais elle cesse de l’être du moment que nous l’avouons en gémissant au Seigneur. Le doute et la méfiance envers le Tout-Puissant sont choses coupables ; elles ne le sont plus, aussitôt qu’elles sont présentées avec larmes devant le trône de la grâce. Nos passions charnelles méritent le feu de l’enfer ; elles ne nous condamneront point quand nous les aurons loyalement signalées au Seigneur. Nos pensées blasphématoires excitent au plus haut degré le courroux de l’Eternel ; mais il ne songe plus qu’à faire miséricorde, sitôt que nous les exposons à ses regards. C’est en ce sens que tout ce qui est ténèbres de soi, devient, par sa manifestation, lumière aux yeux de Dieu.
Quel puissant encouragement dans cette vérité, pour nous stimuler à marcher toujours l’âme ouverte devant le Seigneur, et à rejeter tout voile devant ses yeux ! Quelle exhortation pressante à nous mettre en relation incessante avec le gardien d’Israël, et à prier sans nous lasser jamais ! Ceci comme réflexion préliminaire à notre méditation d’aujourd’hui.
41 Puis Élie dit à Achab : Monte, mange et bois, car on entend le bruit d’une grande pluie. 42 Et quand Achab fut monté pour manger et pour boire, Élie monta au sommet du Carmel, et se penchant contre terre, il mit son visage entre ses genoux, 43 et il dit à son serviteur : Monte maintenant, et regarde vers la mer. Il monta donc, et regarda, et dit : Il n’y a rien. Et Élie lui dit : Retournes-y par sept fois. 44 A la septième fois, il dit : Voilà une petite nuée comme la paume de la main d’un homme, laquelle monte de la mer. Alors Élie lui dit : Monte et dis à Achab : Attelle ton chariot et descends, de peur que la pluie ne te surprenne. 45 Et avant qu’on y prît garde, les cieux s’obscurcirent de tous côtés de nuées accompagnées de vent, et il y eut une grande pluie ; mais Achab monta sur son chariot et vint à Jesreel. 46 Et la main de l’Eternel fut sur Élie, et il ceignit ses reins, et courut devant Achab jusqu’à l’entrée de Jesreel.
Le feu a témoigné, les torrents de pluie vont parler. Dieu s’épuise en manifestations diverses pour prouver que lui est le Seigneur, et non Bahal, et qu’un Dieu vivant règne en Israël. — Quand ces tonnerres de sa puissance vous réveilleront-ils de votre torpeur ?
La prière d’Élie fait aujourd’hui le sujet de notre méditation. Nous examinerons d’abord la préparation à la prière, puis la prière même, et enfin l’exaucement.
Transportons-nous en idée au pied du Carmel, dans la vallée où vient d’avoir lieu, la sanglante exécution. Les prêtres des idoles sont tombés sous le fer d’Élie et des nouveaux convertis, et leur sang ruisselle et descend avec les ondes du Kison vers la mer. Les épées fumantes ont été remises dans le fourreau, avec actions de grâces à Dieu, qui est saint dans toutes ses voies, et que le râle agonisant de ses ennemis glorifie tout aussi bien que l’alleluya de ses serviteurs ; car il n’est pas un être faible et mol qui craint de voir souffrir. Quand il s’irrite, sa colère est sérieuse et terrible ; et quand il fait grâce, il le fait sans mesure, de tout son cœur.
Trois ans et six mois se sont déjà écoulés depuis le jour où Élie avait dit :« Par le Dieu vivant d’Israël devant qui je me tiens, il n’y aura durant ces années ni pluie, ni rosée, que je ne le dise. Pendant trois ans et demi le ciel fermé, et pas une goutte d’eau de tombée sur le sol aride ! Vous pouvez facilement imaginer quel aspect devait avoir la Judée. Tout le pays comme incendié ; les hommes et les animaux semblables à des spectres, et toute chair flétrie comme l’herbe sèche. Ceux qui avaient appris alors à croire en Dieu, ne pouvaient l’adorer qu’avec terreur : ils avaient fait sa connaissance au milieu des foudres de son jugement, et quand son trône leur apparaissait, ce n’était que flammes et éclairs. La seule vue de ces brebis tremblantes devait donner à Élie un vif désir que son Dieu et Seigneur fit de nouveau briller quelques rayons de sa bonté pour ranimer les cœurs abattus. Aussitôt, pensait-il, qu’une brise suave succéderait à la tempête, plus d’un pauvre petit oiseau, maintenant muet de terreur en quelque trou ignoré, se reprendrait à chanter. Car il arrive fréquemment qu’une plante de Dieu qui a grandi au milieu des orages et n’a connu que les jours de la colère, ne s’épanouit dans toute sa beauté que lorsqu’il lui est enfin donné de se réchauffer aux célestes rayons de l’amour et de la grâce. Autant donc pour la gloire de Dieu que par amour pour le peuple, le prophète désirait vivement que le ciel s’ouvrît, et que la pluie promise en descendît pour mettre fin à cette longue époque de famine et de misère. Il doit en parler avec son Dieu, et la prière de la foi est pour lui ce que fut pour Moïse la baguette qui divisa les eaux de la mer Rouge et fit jaillir la source limpide du sein de l’aride rocher.
Cependant, parmi la foule réunie sur les bords du Kison se trouve aussi le roi Achab. Ce prince avait été témoin de tout ce qui venait de se passer : il avait même approuvé le massacre de ses prêtres ; car c’était un homme faible et sans caractère, une cire molle à laquelle les circonstances du moment donnaient toute espèce de forme, et qui pouvait en une heure changer dix fois de figure et de couleur. Le miracle sur le Carmel ; le cri unanime du peuple : « Le Seigneur est Dieu, » n’avaient pas laissé que de le toucher, mais son cœur n’avait été qu’effleuré. Il avait été peut-être jusqu’à dire, qu’il se pourrait bien que Jehovah fût Dieu ; mais il n’était pas converti, et s’il y avait en lui quelque foi, ce n’était qu’une foi du moment, née de la chair et du sang, et non point de l’Esprit. Dans des temps d’un grand réveil, lorsqu’un murmure extraordinaire de résurrection se fait ouïr parmi les os desséchés, il arrive que bien des âmes sont à demi saisies et ne savent ce qui leur arrive. On dirait un orage violent ; la foudre a frappé quelqu’un parmi la foule ; le mort demeure sur place ; les autres ont été jetés à terre sous le poids de la commotion ; mais ils se relèvent bientôt sains et saufs, et chacun retourne chez soi comme si de rien n’était. Ainsi fut pour Achab et pour bien d’autres le feu sur le Carmel.
Élie désirait prier. Achab avec sa suite le gênait. « Retourne sous ta tente, lui dit-il, va, mange et bois, car tu as jeûné longtemps ; d’ailleurs, j’entends déjà un son bruyant de pluie, tu n’as plus de temps à perdre si tu veux prendre ton repas paisiblement. » On ne peut méconnaître l’amère ironie de ces paroles par lesquelles Élie faisait sentir à ce misérable prince que lui et les siens lui étaient à charge, et qu’il voulait s’entretenir en paix avec son Dieu. Il n’est point rare que les enfants de ce monde soient invités de la même manière à se retirer du sanctuaire. Ce sont là des jugements qui les atteignent déjà ici-bas. Car n’est-ce pas un jugement que ces paroles qu’on nous adresse :« Voudrais-tu bien me laisser un moment seul, je désirerais me recueillir devant mon Dieu, » ou encore : « Retourne maintenant dans ta société, j’attends un frère pieux, et les choses que nous avons à traiter ensemble seraient pour toi de peu d’intérêt. » N’est-ce pas un fer rouge qui nous brûle, lorsque les enfants de Dieu se taisent soudain à notre arrivée, ou que pour nous plaire ils détournent aussitôt la conversation sur le beau temps, sur la politique et les nouvelles de la ville ? N’est-ce pas un soufflet de Dieu sur la face quand il nous revient à quel point nous leur sommes à charge, qu’ils nous donnent à entendre que nous nous sommes sans doute mépris en venant à eux, et qu’en effet nous nous sentons comme dans un élément qui nous est étranger ? Bannis du sanctuaire, exilés des temples, c’est là déjà un avant goût du jugement dernier. Et combien d’entre nous sont forcés journellement de dévorer ces justes affronts, et de s’entendre dire des paroles qui, sous une forme sans doute plus polie, signifient : « Retirez-vous, mangez et buvez, nous aimerions à être seuls ; nous ne saurions que faire de vous ; » ou encore : « Nous ne voudrions pas jeter les perles devant les pourceaux. » « Monte, dit Élie, et il ajoute : car on entend déjà un bruit comme si une grande pluie allait venir. » Il entend un murmure, un mugissement dans les airs, comme l’approche de l’orage dans la cime des forêts, ou sur l’étendue des eaux. Entendait-il ce bruit par la foi, avec les oreilles de l’esprit, ou Dieu avait-il rendu son ouïe assez subtile qu’il pût réellement saisir le mouvement qui s’opérait dans la nature, dans les hautes régions aériennes ? Nous l’ignorons, mais peu nous importe : il l’entendit, ce murmure lointain qui fut pour lui un appel à l’oraison, un amen anticipé aux prières qu’il allait présenter à Dieu, un témoignage que sa volonté, en demandant la pluie pour ce moment-là. était une avec celle du Seigneur, qui se disposait à l’envoyer. — Mes frères, s’il nous arrive aussi d’entendre par fois ce murmure précurseur ; qu’il nous soit, comme à Élie, une invitation à la prière. C’est dans ce but que Dieu nous le fait entendre. Un témoignage a-t-il été béni dans une église, et une prédication a-t-elle pénétré jusques aux cœurs ; tout s’émeut-il dans la paroisse, y a-t-il un grand tumulte et une grande rumeur, les larmes de l’émotion coulent-elles en abondance, les gens se disent-ils dans les groupes : Quelle grave et puissante parole nous avons entendue : c’est le bruit précurseur de la pluie, alors il est temps, enfants du Seigneur, d’élever vos mains à Dieu et de lui demander avec cris qu’après le bruit vienne la pluie. Dieu a-t-il exercé dans la ville un de ses jugements ; un figuier stérile a-t-il été subitement abattu sous nos yeux, ou quelque moqueur a-t-il été renversé par la main de Dieu ; toute la ville est-elle saisie d’effroi, et les incrédules même doivent-ils reconnaître la main de Dieu : c’est le bruit précurseur de la pluie qui se fait entendre dans nos murs ; prie, église de Dieu, prie que ce bruit ne se dissipe pas comme un vain son dans les airs. Remarques-tu qu’ici quelqu’un est altéré du lait de l’Evangile, que là un autre se lève du banc des moqueurs, et se presse vers l’assemblée des fidèles ; observes-tu que sous ton toit domestique on s’enquiert des choses éternelles, et que tes petits enfants commencent à entendre avec plaisir parler du Seigneur Jésus : c’est le bruit précurseur de la pluie qui frappe tes oreilles ; c’est le temps de joindre tes mains pour la prière. Veillez, enfants du Très-Haut, ne vous endormez point sur les créneaux de Sion ; épiez tout bruit de vie, ayez l’oreille tendue dans vos demeures et dans l’église, parmi vos amis et vos parents. Et quand vous entendrez un murmure dans les airs, quelque léger, quelque éloigne qu’il soit, hâtez-vous de gagner votre chambre, jetez-vous dans la poussière, tendez les mains, et vous écriez : « Seigneur, il bruit, nous ne te laisserons point qu’il ne pleuve. » Faites-en de même quand il commence à bruire, non pas en dehors de vous et chez les autres, mais en vous-même ; quand vos nuits sont sillonnées par l’éclair, quand une parole vous saisit, qu’un rayon de lumière tombe subitement dans votre âme, quand Christ se dévoile devant vos yeux, ou qu’un avant-goût de sa grâce vous est offert, alors appliquez-vous d’autant plus à affermir votre élection. Le bruit n’est pas la pluie, mais il l’annonce, et il vous appelle de la part de Dieu à la prière.
Élie ne tarda pas un instant ; sitôt qu’il eut entendu le murmure dans les airs, il renvoya sur-le-champ Achab et ses gens, et l’Ecriture dit : « Achab monta pour aller manger et boire. » Le pauvre homme ! Il se trouvait, après les scènes émouvantes de cette journée, dans la disposition d’esprit où l’on est après une pièce de théâtre, intéressante, il est vrai, mais un peu longue : on sent le besoin de se restaurer, et un bon repas fait plaisir. Mais, hélas, où ne trouve-ton pas de ces âmes d’Achab ? Plusieurs d’entre nous ne valent pas mieux que lui. Malheur à vous ! qui laissez passer devant vos yeux, comme des ombres contre la paroi, les plus puissants témoignages, les plus pressantes paroles d’amendement, et les faits de Dieu les plus saisissants ; qui, peut-être, vous en amusez comme d’une peinture curieuse, et qui ne rapportez dans vos maisons, au sortir de nos temples et de nos assemblées, que des expressions d’ennui sur la longueur du culte, le sujet de conversations futiles et de jugements présomptueux, un bon appétit pour le repas qui vous attend, et la perspective joyeuse des fêtes que vous apporte la soirée du sabbat ; et peut-être le matin même le Seigneur et son Esprit avaient-ils parlé en traits de feu à vos yeux et à vos oreilles. Mais nous ne voulons point vous retenir : allez, buvez et mangez.
Achab s’en étant allé, Élie, dit l’Ecriture, monta sur le sommet du Carmel. De corps il s’élevait donc dans la hauteur, ; mais en esprit il descendait dans les dernières profondeurs. Sur la cime du Carmel, Élie trouvait la solitude et le calme de sa cellule ; loin de tout hôte importun, il pouvait en paix se recueillir et parler avec son Dieu. De la hauteur du Carmel, comme d’un phare élevé, il embrassait d’un regard la terre et le ciel, et il apercevait de là, plus vite que d’aucun autre lieu, les premiers signes de l’exaucement de sa prière. Mais il ne paraît pas s’être arrêté un instant à contempler la vue qui s’offrait à lui ; car à peine arrivé, il se jette à genoux, il ferme les yeux, incline la tête jusqu’à terre et entre ses genoux, et commence à parler avec Dieu et à lui demander la pluie. Voyez-le ; est-ce le même homme qui, peu d’heures auparavant, commandait en représentant de Dieu sur cette montagne ? et le voilà prosterné comme un pauvre mendiant, et sa supplique est comme d’un ver dans la poudre ! Son attitude, qu’indique-t-elle, sinon la contrition, l’anéantissement ? De quoi témoigne-t-elle, sinon du sentiment intime de sa petitesse, de sa pauvreté, de son indignité, de son néant ? Mais le Seigneur a voulu nous montrer son prophète aussi dans un tel état d’abaissement ; il a voulu que nous le surprissions dans le secret de la solitude, et ainsi nous apprenons de lui où donc gît la puissance qu’il avait de faire tant d’œuvres extraordinaires, si c’est dans son bras ou dans la droite de son Dieu. Nous apprenons que, de toute ancienneté, l’Eternel a eu la coutume de ne faire ses œuvres qu’avec des instruments brisés et des bâtons froissés. Nous apprenons comment et où l’homme de Dieu a puisé sa force ; nous ne sommes plus tentés de poser la couronne sur la tête de la créature et de frustrer ainsi de la gloire Celui à qui seul elle appartient. Et nous acquérons ainsi, comme saint Jacques nous l’annonce, la consolante certitude qu’Élie était un homme comme nous. Devant le peuple, il était l’envoyé de Dieu ; là, il parlait et agissait en vertu de sa haute mission. Devant Dieu, il n’était plus qu’un misérable pécheur, un vermisseau qui ne vivait que de grâce, et qui, loin d’avoir droit à quelque chose, ne pouvait qu’implorer l’aumône de la main de Dieu.
Il paraît que sur la cime du Carmel le sentiment de son indignité avait acquis un degré tout particulier de force, et qu’il en était comme écrasé. Mais comment en aurait-il été autrement, quand il repassait les événements de cette journée et ceux de sa vie entière jusqu’à cet instant ? Tout lui avait réussi, tous ses désirs s’étaient accomplis. Que de secours ! que de protections ! que de prières exaucées ! Et qui avait éprouvé toutes ces grâces ! Nous, nous n’osons ni ne devons le dire ; mais Élie l’aura fait pour nous, et il aura certainement senti que devant Dieu, aussi bien que saint Paul, il n’était que le dernier des pécheurs. Et c’est dans cette conviction qu’il paraît devant son Seigneur pour solliciter un nouveau prodige, pendant que l’autel fumait encore du témoignage éclatant que le Seigneur à sa prière venait de rendre par le feu. S’étonnera-t-on que, brûlé comme il l’est par les rayons ardents d’une grâce si abondante (car la grâce divine, aussi, hâle et noircit l’homme), il se tord comme un ver dans la poudre, et n’ose, de honte et de confusion, proférer une seule parole, et prie dans une attitude qui dénote le plus misérable de tous les mendiants.
Élie lutta pendant quelque temps avec Dieu dans ce profond sentiment d’anéantissement et de péché, que peu d’entre nous connaissent sans doute par leur propre expérience ; car les fidèles ne sont pas tous appelés à passer par des périodes d’un aussi radical anéantissement. Puis il appela son serviteur, qui était peut-être le fils de la veuve de Sarepta, qu’il avait ressuscité, et dont il aurait fait un élève de prophète, et il lui dit : « Monte, maintenant, et regarde vers la mer. » Il plaça ainsi en sentinelle le jeune homme qui devait l’avertir quand sa prière serait exaucée, et que quelque signe de pluie apparaîtrait à l’horizon. Car il ne doutait point que la prière ne fût exaucée ; il avait foi en la parole de Celui qui, à Sarepta, lui avait dit :« Va, montre-toi à Achab, que je fasse pleuvoir sur la terre. » Et le serviteur partit, regarda au loin, porta l’œil tout autour de lui ; mais voici, le ciel était pur comme du cristal, nulle part le plus petit nuage. Il revint, et dit : « Il n’y a rien. » Rien de plus ordinaire que de ce qu’à notre premier cri le secours n’apparaisse pas incontinent, de ce que dans nos prières la moisson ne se fasse pas au moment même des semailles : c’est là l’une de nos expériences les plus journalières. Cette manière de faire de la part de Dieu ne nous plaît pas sans doute, mais elle nous est très salutaire. Qu’adviendrait-il à la fin, je vous prie, si au premier coup que nous heurtons à la porte tous les trésors de Dieu nous étaient immédiatement ouverts ? Nous nous croirions bientôt les administrateurs, les seigneurs de la ville de Dieu, et nous oublierions complètement que nous ne sommes que de pauvres mendiants. Ne serions-nous pas tentés aussi d’imiter Israël qui a adoré le serpent d’airain, de rendre un culte idolâtre à notre prière, de penser que c’est elle qui nous vaut les grâces divines, qu’elle possède un pouvoir magique, qu’elle est un talisman, qu’elle est une lettre de créance sur la bonté de Dieu ? Nous deviendrions si orgueilleux qu’il n’y aurait plus moyen de nous gouverner. Aussi Dieu ne se presse-t-il pas de nous répondre, quand nous nous présentons devant lui avec notre demande, mais il nous laisse ordinairement attendre un bon moment à la porte où nous pouvons entendre répéter plus d’une fois : « n’y a rien. » Là, nous rentrons en nous-mêmes, et nous nous ressouvenons que finalement l’homme n’a rien à prétendre, et que tout ce que Dieu donne est pure grâce. Si nous avons d’abord parlé de pains entiers, Dieu nous fait attendre jusqu’à ce que nous ne demandions plus que des morceaux, et enfin que des miettes. Si nous nous sommes présentés au commencement sur le seuil des cieux en qualité de justes, il nous retient ses faveurs jusqu’à ce que nous soyons devenus de pauvres pécheurs, d’indignes mendiants, et, plus encore, de pauvres petits chiens. Et si nous avons préludé joyeusement et librement dans le sentiment de notre propre force, il attend que les cordes soient un peu détendues, et que, humblement prosternés, nous finissions par des soupirs. Telle est sa manière.
« Il n’y a rien, » annonça le serviteur. Mais notre suppliant ne s’y trompa pas ; il persévéra dans sa prière. C’est le peu d’importance que nous mettons d’ordinaire à obtenir ce que nous demandons, qui fait que nous nous lassons si vite de demander. Celui qui voit l’enfer ouvert sous ses pas, ne cessera pas, je vous le certifie, si promptement de crier au secours ; celui qui sent la condamnation brûler dans son âme ne se lassera certainement pas de soupirer après le sang de l’Agneau, dût-il attendre pendant des années avant d’être exaucé.
Que répond Élie à son serviteur ? « Retournes-y par sept fois. » Pourquoi précisément sept fois ? Le prophète veut il simplement dire par là que la sentinelle doit plusieurs fois encore retourner et lui rapporter avis ? ou bien attachait-il à ce nombre de sept une importance particulière ? Il ignorait certainement qu’il ne serait exaucé qu’à la septième fois. Se rappelait-il peut-être cette parole :« Six jours tu travailleras, mais le septième est le repos de l’Eternel ? » Ou songeait-il à Jéricho, dont les murs tombèrent au septième tour qu’on fit autour de la ville avec les trompettes ? Ou pensait-il peut-être que Dieu, d’après sa manière accoutumée, ferait du retour de la pluie sur la Judée, le type d’événements infiniment plus importants, un type de cette grande effusion de l’Esprit, et de ces temps de rafraîchissement qui doivent arriver au septième âge du monde, à l’avènement du soixante-dixième siècle, ou du grand sabbat millénaire ? Qui peut, à ces questions, donner une réponse certaine ?
Mais pourquoi donc Élie n’épargne-t-il pas à son jeune serviteur d’inutiles allées et venues ? Que ne lui ordonnait-il de rester en place jusqu’à ce qu’il eût aperçu quelque signe de pluie ? A quoi lui servait-il de s’entendre répéter sept fois l’une après l’autre : « Il n’y a rien ? » De tels messages accroissaient la ferveur du prophète, et l’enflammaient à lutter avec plus de zèle contre Dieu ; il devenait ainsi toujours plus petit et plus humble, et ses soupirs s’exhalaient plus profonds de son âme brisée. Oh ! comme l’ardeur de la prière aura grandi de minute en minute ; on dirait qu’il veut escalader le ciel, et forcer la main de Dieu par ses instances plus véhémentes. Il est beaucoup plus doux, sans contredit ; d’être promptement exaucé. mais il est infiniment plus salutaire de devoir longtemps attendre. Les endroits les plus bénis de la terre sont ceux que les genoux du suppliant ont creusés, et que ses larmes brûlantes ont inondés. C’est là, dans ces voies de longs soupirs, que le vieil homme reçoit ses plus mortelles atteintes ; c’est alors que le cœur est labouré jusqu’au fond, et qu’il est rendu plus propre à la semence de la grâce ; c’est alors que tombent le plus aisément en pièces les derniers restes de notre volonté propre, alors que l’intérieur de la demeure est préparé comme il doit l’être pour que l’Agneau puisse y venir habiter et s’y mouvoir à volonté ; alors que le sol est tellement retourné qu’il ne reste pas pierre sur pierre, et que le fondement de l’édifice est posé dans la plus grande profondeur. Lorsque la délivrance arrive enfin, la joie est grande, et quand la parole de consolation et de paix se fait entendre, elle reste là inébranlable, enracinée dans l’âme. Ames heureuses et dignes d’envie, dont le cœur a été travaillé jusqu’au fond par la charrue divine, et qui n’êtes arrivées que par de telles voies d’abnégation vers les palmes d’Elim. Ah ! votre demeure repose sur le rocher.
Le serviteur revient pour la septième fois, et dit : « Voilà une petite nuée comme la paume de la main d’un homme, laquelle monte de la mer. » Bonne nouvelle ! la prière est exaucée. Sans doute il n’y a qu’un petit nuage, à peine visible ; mais Dieu donne-t-il un peu, tout le reste suivra ; car Dieu ne fait rien à demi. As-tu reçu quelque peu de la grâce, réjouis-toi, tu possèdes le gage qu’elle te sera donnée tout entière. Quelques étincelles de son Esprit en toi t’en assurent le don complet. Un seul péché t’est-il pardonné, tous les autres le seront aussi, ou plutôt, ils le sont tous déjà. Et l’œuvre de ton renouvellement a-t-elle commencé, elle se poursuivra et s’accomplira jusqu’au jour du Seigneur. Dieu donne tout ou rien ; ou bien il ne commence pas l’œuvre, ou il la mène au but ; c’est là sa manière. Qu’il se réjouisse donc celui qui n’a vu monter encore à l’horizon de sa vie qu’une petite nuée de la grâce divine : le temps vient où elle couvrira tout son ciel.
A peine Élie eut-il entendu qu’un nuage paraissait à l’horizon qu’il termine sa prière ; Dieu l’a exaucé d’un éclatant amen. Il se lève de terre et dit à son serviteur : « Monte, et dis à Achab : Attelle ton chariot et descends, de peur que la pluie ne te surprenne. » Ainsi s’accomplit à la lettre ce qu’Élie avait dit : « Il n’y aura ni rosée, ni pluie, si ce n’est à ma parole. » Et c’est pourquoi Dieu ne fit paraître d’abord qu’un nuage presque imperceptible, et n’envoya pas tout-à-coup les torrents inonder la terre : Élie devait avoir le temps d’annoncer au roi l’approche de la pluie, qui tombait ainsi à la parole du prophète, et l’on pouvait reconnaître de nouveau que le Dieu du prophète était le Dieu vivant.
L’enfant arrive à la tente royale comme le ciel était encore serein et que rien n’annonçait l’orage. Ainsi plusieurs d’entre nous voient à cette heure le ciel serein au dessus de leur tête ; mais si nous avions un jeune serviteur qui sût embrasser l’horizon entier de la vie, comme le serviteur d’Élie fit celui de la nature, qui sait à combien d’entre nous il dirait : « Attelle promptement, et descends ! descends dans les bas lieux de la repentance, de peur que l’orage ne t’atteigne, car sur ta tête plane le nuage de la mort, le glaive du jugement, la sentence de la réprobation ! »
« Attelle, s’écrie le serviteur du prophète, descends, de peur que la pluie ne te surprenne ! » La pluie ? s’écrient avec étonnement les convives. La pluie ! répète le peuple avec une joyeuse espérance, et à peine tous les yeux se sont-ils tournés vers le ciel, que, des quatre points de l’horizon, il est répondu : Oui, amen ! la pluie ! De lourds nuages s’élèvent coup sur coup du sein des mers, l’atmosphère s’assombrit, le vent rase la surface des eaux, et mugit dans les forêts, et des torrents de pluie inondent le sol. Salut, eaux bienfaisantes ! ondes si désirées ! La face de la terre se renouvelle, et la nature s’épanouit. Le souffle de la vie passe sur les guérêts, les champs et les bois se revêtent d’une jeune verdure. Les oiseaux recommencent leurs doux concerts. Hommes et animaux semblent naître de nouveau. Dans la cabane du juste se fait entendre l’action de grâce, et la joie remplit les cœurs pieux.
Achab est déjà monté dans son char, il se rend vers Jesreel, dans sa demeure royale. Mais la main du Très-Haut vient sur Élie, elle lui ceint les reins, fortifie ses membres fatigués, et le fait courir devant Achab. Il devance, comme sur l’aile du vent, le char du prince. Sa vue doit graver, pendant le chemin, dans la mémoire du monarque, les choses mémorables que le Dieu d’Israël a faites dans cette journée par son prophète. Achab devait ne pas les oublier et en rapporter les fraîches impressions à la reine Jézabel. Ainsi Élie courut devant lui à travers l’ouragan et les torrents de pluie, jusqu’à ce qu’il fût arrivé à Jesreel.
C’est ainsi que les cieux d’airain furent ouverts à la parole d’Élie le Tishbite.
« Élie était un homme semblable à nous, nous déclare l’apôtre Jacques. Il demanda par ses prières qu’il ne plût point, et pendant trois ans et six mois il ne tomba pas de pluie sur la terre ; il pria derechef et le ciel donna de la pluie, et la terre produisit des fruits. » Que veut dire l’apôtre par ces mots ? Que nos prières, si nous voulions prier avec foi, seraient exaucées aussi bien que celle d’Élie. « Car la prière du juste, faite avec zèle, a une grande efficace. » Qui peut compter les miracles de Dieu, qui, depuis le commencement des temps, ont eu lieu sur la terre aux sons de la prière ? Par la prière, Moïse détourna d’Israël le courroux du Tout-Puissant, et détruisit, par ses mains levées vers le ciel, l’armée d’Amaleck. Manoah attira par les chaînes de la prière l’homme de Jehovah qui lui apparut dans les champs. Par la prière, Samuel, de sa demeure, battit l’armée des Philistins, et dirigeait les foudres de la terreur sur les ennemis du peuple de Dieu. Le roi Joas, malgré ses péchés, repoussa par le glaive de la prière les puissants Syriens que le fer n’avait pu vaincre. Par la prière, Josias mourut dans la paix. Par la prière, quinze années furent ajoutées aux jours d’Ezéchias, et les rois hommes conservés dans la fournaise ardente. A Daniel il fut dit : « Depuis le premier jour que tu as appliqué ton cœur à comprendre les choses cachées, tes paroles ont été exaucées, et c’est à cause de tes paroles que je suis venu. » Ce fut à la prière des fidèles que le ciel s’ouvrit le jour de la Pentecôte ; et une autre fois, à leurs soupirs, le lieu où ils étaient rassemblés trembla, et ils furent tous remplis de l’Esprit saint. La prière rompit les chaînes de saint Pierre, et fit ouvrir la porte de son cachot. La prière a calmé des tempêtes, rétabli des malades, fait sortir des morts de leurs tombeaux. Que dirai-je de la puissance de la prière et de ses miracles ? Toute l’Ecriture en est remplie. Et notre église et toute la chrétienté en seraient pleines aussi, s’il y avait plus de prière en Israël, plus d’encens fumant sur les autels de Juda. Mais la prière sommeille parmi nous. Car l’oraison avant le repas, celle du matin, celle du soir, comme elles se font d’ordinaire, sont longues, froides, lourdes, de simples phrases récitées sans ferveur, elles ne méritent pas le nom de prière. Gardez pour vous ces vains compliments, le Seigneur n’en a que faire. La voix des vermisseaux dans la poussière, les soupirs qui montent des abîmes d’un cœur contrit et brisé, voilà ce qui se nomme prière dans le langage du ciel ; des yeux enflés par les larmes, des mains faites aux luttes de l’âme, et des genoux durcis contre le sol, voilà, voilà les insignes du suppliant que Dieu se plaît à exaucer. Mais vos genoux sont encore unis, et vos mains encore délicates ; elles ne se sont pas blessées aux cordes qui mettent en branle la cloche de la prière. Aussi vos Notre Père se dissipent dans les airs comme la fumée, ils s’évaporent comme la nuée du matin. Avez-vous vu une vapeur s’élever quelque peu au dessus du sol pour y retomber bientôt : voilà le sort journalier de mille et mille prières.
Mes frères, demandez l’onction, demandez l’Esprit de grâce et de prière, et alors demandez tout ce que vous voudrez, et il vous sera donné. Telle est la promesse qu’a fait Celui qui ne peut mentir. Nous avons aussi un Carmel de la cime duquel nous pouvons désirer ce que nous voulons, et nous serons exaucés. Elève-toi sur la montagne des mérites de ton Sauveur et médiateur, de Jésus-Christ en qui tu es comme la prunelle de l’œil de Dieu et son enfant chéri. Cramponne-toi par la foi à l’éternelle fidélité qui ne bronche pas, et repose-toi sur le rocher immuable des promesses divines. Alors tu habiteras sur le vrai Carmel, dans le lieu de l’exaucement. Là, soupire, invoque et pleure, et puis place une sentinelle au sommet pour qu’elle regarde au loin et t’avertisse de ce qui se passe. Viendrait-elle six fois te répéter :« Il n’y a rien », renvoie-là pour la septième fois, et rallume ta ferveur ; et si tu as prié jusqu’alors comme un ver, prie maintenant comme le dernier des vermisseaux. A la septième fois, il te sera dit : » Voici, il s’élève de la mer un nuage comme la main d’un homme, il va pleuvoir. « Souvent il arrive que nous ne voyons point l’accomplissement de nos prières. Si nous pouvions placer, ainsi qu’Élie, un serviteur soit auprès du lit de douleur de ceux pour qui nous demandons soulagement et consolation, soit au milieu des amis absents pour lesquels nous implorons la protection divine, soit au berceau de nos petits enfants pour qui nous sollicitons la garde des anges, combien souvent nous apprendrions avec un joyeux étonnement que, dans le moment même où nous ployions pour eux les genoux en terre, l’aide dans la détresse était avec eux, et leur faisait selon nos vœux.
Qu’elle retentisse donc avec un nouvel éclat parmi nous, la cloche de la prière, et que l’adversaire lui-même apprenne, à la gloire de Dieu, que nous avons juré fidélité au drapeau d’un Dieu vivant, d’un maître qui exauce la prière. Priez avec force, priez dans la poudre, priez pour vous, et priez pour tous, priez avec espérance. Car sur le rocher immuable est gravée cette grande parole qui survivra aux cieux et à la terre :
« En vérité, en vérité, je vous le dis : Si vous demandez à mon Père quelque chose en mon nom, il vous le donnera. » Amen !