L’apologétique chrétienne est contemporaine de la naissance du christianisme lui-même ; elle est née avec lui. « Ce n’est pas seulement le mot, c’est déjà la chose qui figure dès les premières pages de l’histoire évangélique. Les discours de Jésus, surtout dans le quatrième Évangile, sont en grande partie apologétiques, relatifs à l’autorité de sa personne et à la divinité de sa missionb. » Plus la lutte devient aiguë, plus le ministère de Jésus approche de sa fin, plus son attitude devient celle de la défense et de la justification. Je vous engage à lire et à méditer — sous ce rapport les passages suivants : Jean 5.36 ; 7.16-17 ; Marc 2.9-11 ; Luc 11.17-23. Ils contiennent les principes permanents de toute apologie chrétienne. — A côté de ces passages, où il s’agit de la vérité religieuse en face de la nature humaine tout court, il y en a d’autres où Jésus défend telle de ses affirmations particulières devant des adversaires qui ont eux-mêmes avec lui une base commune spéciale : la foi aux Ecritures. Ainsi Matthieu 22.41-46 ; Marc 2.27 ; Luc 6.1-5 ; Jean 7.23. Ce sont des apologies partielles, où Jésus se conforme chaque fois à la situation précise dans laquelle il se trouve. Elles sont également bonnes à méditer. Leur méthode est la même. Leur résultat, ou du moins le résultat connu de quelques-unes d’entre elles, nous est rapporté par exemple dans Luc 20.40 : « Tous étaient confus et n’avaient plus rien à répliquer ». C’est le plus haut résultat auquel puisse parvenir l’apologétique, même l’apologétique agressive telle que la pratiquait Jésus. Son but ne saurait être, en effet, de convertir, mais seulement de désarmer, et en privant la volonté mauvaise des arguments qu’elle avance, de la laisser face à face avec sa propre perversionc.
b – Gretillat, ouvr. cité, p. 13.
c – A distinguer cependant l’apologétique oratoire, qui est d’un autre genre et qui vise à créer la conviction, parce qu’elle est entremêlée ou suivie d’un témoignage positif.
Les apôtres à leur tour font de l’apologie chrétienne tout en évangélisant. Pas plus que le Maître ils ne présentent un système d’apologétique (elle est tout occasionnelle), mais ils usent de la même méthode, bien que déjà avec moins de sûreté et moins d’audace ; moins de génie, si le terme est applicable ici. Je cite dans ce genre les discours des apôtres rapportés au livre des Actes et adressés soit aux Juifs (ch. 2 et 13), soit aux païens (Actes 14.15-18 ; 17.22-32). Ils montrent à la fois de quelles ressources multiples l’apologétique peut et doit user, et quel ton ou quelle allure elle doit revêtir. Il y avait un terrain commun entre le christianisme apostolique et le judaïsme : l’Ancien Testament ; et il y avait un autre terrain commun entre le christianisme apostolique et le paganisme : la révélation naturelle. Or nous constatons que dans les discours des Actes attribués à Paul, par exemple, ce dernier a toujours soin de prendre son point de départ dans l’Ancien Testament s’il s’adresse à des Juifs ; dans la révélation naturelle s’il s’adresse à des païens. Même les apologies personnelles que Paul prononce devant Félix (Actes ch. 24) et devant Festus et Agrippa (Actes ch. 26) deviennent entre ses mains des apologies de l’Evangile. En attestant son innocence personnelle, il attestait par là même la sainteté de son ministère et la valeur de son témoignage.
Remarquons, en passant, que si Paul est le plus apologiste des apôtres, parce qu’il en est aussi le plus dialecticien et le plus instruit, Jean, si nous nous bornons à ses épîtres, ne l’est en aucune manière. Il serait facile d’en indiquer les raisons : mystique, il saisit les choses dans leur opposition fondamentale, non à l’endroit où elles se touchent encore, mais à l’endroit où elles sont déjà séparées et irréductibles.