L’épître de Jacques en 25 sermons

La foi et les œuvres

Mes frères, que sert-il à un homme de dire qu’il a la foi, s’il n’a pas les œuvres ? Cette foi pourra-t-elle le sauver ? Si un frère ou une sœur sont dépourvus de vêtements et qu’ils manquent de la nourriture quotidienne, et que l’un de vous dise : « Allez en paix, chauffez-vous et vous rassasiez », sans leur donner ce qui est nécessaire au corps, à quoi cela sert-il ? De même aussi la foi qui n’a pas les œuvres, est morte. Mais quelqu’un dira : « Tu as la foi, moi, j’ai les œuvres. » — Montre-moi ta foi sans œuvres ; moi, je te montrerai ma foi par mes œuvres. Tu crois qu’il n’y a qu’un Dieu, tu fais bien ; les démons le croient aussi… et ils tremblent. Veux-tu te convaincre, ô homme vain, que la foi sans les œuvres est inutile ? Abraham, notre père, ne fut-il pas justifié par les œuvres, lorsqu’il offrit son fils Isaac sur l’autel ? Tu vois que la foi agissait concurremment avec ses œuvres, et que, par ses œuvres, sa foi fut rendue parfaite : ainsi s’accomplit la parole de l’Écriture : « Abraham eut foi en Dieu, et cela lui fut imputé à justice ; » et il fut appelé « ami de Dieu ». Vous voyez que c’est par les œuvres que l’homme est justifié, et non par la foi seulement. N’est-ce pas également par les œuvres que Rahab, la femme de mauvaise vie, fut aussi justifiée, parce qu’elle accueillit les messagers, et les fit partir par un autre chemin ? De même que le corps sans âme est mort, de même la foi sans les œuvres est morte.

Jacques 2.14-26

La page de l’Écriture, dont vous venez, mes frères, d’entendre la lecture, a eu, dans l’Église protestante, la plus singulière fortune. Passionnément attaquée, sous prétexte qu’elle contenait des enseignements contraires à ceux de Saint-Paul, elle a trouvé des défenseurs non moins convaincus, non moins décidés. Luther, par exemple, professait peu de respect pour l’épître de Saint-Jacques, qu’il traitait d’épître de paille ; ce qui le poussait à prononcer sur elle un jugement aussi défavorable, c’est précisément qu’il trouvait, entre les grandes lettres de l’apôtre des Gentils et les versets que nous méditons à cette heure, une irréductible opposition. L’on vit même un de ses trop zélés disciples aller jusqu’à prétendre que les bonnes œuvres étaient nuisibles au salut !

Que prouvent d’aussi étranges aberrations, sinon à quel point sont nécessaires et toujours actuelles des exhortations comme celles que nous méditons maintenant ? qui pourrait prétendre que de nos jours elles soient inutiles ? Il est, dans nos Églises, nous ne le savons que trop, des descendants des Pharisiens de Jérusalem, qui se croient en règle avec Dieu pour avoir accompli un certain nombre d’œuvres pies, considérées comme méritoires ; ils s’endorment tranquilles, comptant que le bien qu’ils auront fait leur vaudra, lorsqu’ils devront comparaître au tribunal de Christ, l’absolution pour le mal commis. Oui, il est des Pharisiens, auxquels il ne faut se lasser de redire avec Saint-Paul : « L’homme est justifié par la foi sans les œuvres de la loi ! » (Galates 2.16 ; Romains 5.1).

Mais, il est aussi, dans nos troupeaux (qui le niera ?), des disciples fidèles des Sadducéens d’autrefois, qui prennent part, extérieurement du moins, aux actes du culte, mais se figurent avoir achevé leur tâche de chrétiens, lorsqu’ils ont chanté quelques cantiques et prononcé, du bout des lèvres, quelques phrases édifiantes ; à ceux-là, nous répétons avec Saint-Jacques : « La foi sans les œuvres est morte. »

Méditons donc ensemble, sous le regard de Dieu, la leçon austère, éternellement vraie, des paroles de mon texte. Que Dieu, dans sa bonté, nous donne les lumières de son Esprit, pour que nous écoutions et mettions en pratique les conseils de son saint livre, afin de pouvoir être proclamés bienheureux par notre Sauveur (Luc 11.28). Tout homme qui entend et met en pratique ce qu’il entend de la bouche du Maître est comparé par Jésus lui-même à un homme sensé, qui a bâti sa maison sur le roc. La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont déchaînés contre cette maison ; elle n’est point tombée, parce qu’elle était fondée sur le roc ! (Matthieu 7.24-27).

Puissions-nous être tous au nombre de ces hommes avisés, dont la maison spirituelle, reposant sur Christ, subsiste jusque dans l’éternité, malgré les ouragans qu’elle voit s’abattre sur elle.

I

La pensée centrale du passage ne saurait être douteuse ; l’auteur prend soin de l’indiquer, on ne peut plus clairement : Une foi sans œuvres est une foi morte. ; elle ne sauve point l’homme. Il démontre sa thèse par trois arguments différents.

Cette foi est en premier lieu condamnée par l’expérience, parce qu’elle est inutile, « Si un frère ou une sœur sont dépourvus de vêtements et qu’ils manquent de la nourriture quotidienne et que l’un de vous leur dise : Allez en paix, chauffez-vous et vous rassasiez, sans leur donner ce qui est nécessaire au corps, à quoi cela sert-il ? » C’est là le langage de l’égoïste, de l’homme qui ne veut point secourir d’une manière efficace un frère dans la détresse ; c’est surtout celui de l’hypocrite, désireux de passer pour pieux (de là, les souhaits bienveillants, les bonnes paroles qu’il adresse au malheureux qui cherche à émouvoir sa pitié), mais resté, au fond de son cœur, profondément indifférent à la misère de celui qui l’implore ; c’est pourquoi il se refuse à consentir à un sacrifice quelconque, fût-il très minime, pour le soulager.

Hélas ! n’entendons-nous pas souvent de tels discours ? ne sommes-nous pas, dans maintes occasions, les témoins attristés de semblable conduite ? que chacun de nous rentre sérieusement en lui-même et se demande s’il n’a jamais agi de cette manière-là ? Vous avez vu venir frapper à votre porte un de vos frères, gémissant sous le poids de cette terrible épreuve, qui s’appelle la misère ; il vous a conté ses soucis que vous n’avez écoutés qu’avec une impatience mal dissimulée. Puis, au lieu de lui tendre une main secourable pour que sa famille et lui-même fussent préservés du froid et de la faim, vous vous êtes contenté de le congédier, avec de bonnes paroles : « Allez en paix, chauffez-vous et vous rassasiez ! » — sans lui donner ce qui lui eût été nécessaire. La foi sans les œuvres est morte.

L’apôtre passe ensuite à un second argument ; cette foi sans œuvres est néant, parce qu’elle ne saurait fournir la preuve de sa réalité. « Quelqu’un dira : Tu as la foi, moi, j’ai les œuvres. Montre-moi ta foi sans œuvres ; moi, je te montrerai ma foi par les œuvres. » Il veut démontrer ainsi l’incontestable supériorité de la foi qui produit des œuvres. En effet, celui qui prétend avoir la foi, mais qui ne peut, pour attester son affirmation, invoquer autre chose que son propre témoignage, est contraint de se faire croire sur parole. Il est radicalement impuissant à convaincre qui que ce soit de la vérité de sa déclaration. Et, au contraire, celui qui peut prouver sa foi par ses œuvres ne trouvera personne pour mettre en doute la sincérité de ses convictions religieuses, puisque sa vie tout entière, sa vie privée comme aussi sa vie publique, est là pour confirmer le témoignage de ses lèvres.

Tu prétends croire, s’écrie Saint-Jacques, tu le dis, du moins ; tu penses que cela suffit ! détrompe-toi, les démons croient aussi… et ils tremblent ! Si ta foi n’est qu’une simple profession de ta bouche, si ta foi n’est pas une union intime avec ton Dieu, un abandon de ta volonté à la sienne, le point de départ d’une vie de consécration à son service, elle est parfaitement inutile au salut. Les habitants du monde infernal, l’armée soumise à Satan, les serviteurs du prince des ténèbres eux-mêmes, sont contraints de reconnaître qu’il y a un Dieu, mais à quoi cela leur sert-il de croire ? ils tremblent, ils ne se soumettent point à ses desseins, ils ne se prosternent pas devant lui dans un élan d’amour et d’adoration et la pensée de Dieu n’éveille dans leur âme aucun autre sentiment que celui de la peur, leur foi ne les sauve pas. Toute foi vivante, toute foi, digne de ce nom, produit des œuvres, cette foi-là permet à l’homme de parvenir au salut ; mais une foi morte, une foi qui, par conséquent, ressemble à celle des démons, ne saurait avoir semblable résultat ; la foi sans les œuvres est morte, morte, c’est-à-dire inutile.

Enfin, Saint-Jacques affirme — et c’est là son troisième argument — que cette foi sans œuvres est contraire à l’Écriture et, pour le prouver, il cite deux exemples empruntés à l’histoire de son peuple : d’abord l’exemple d’Abraham, le père des croyants. Chacun sait quelle fut la foi du patriarche ; arraché par un ordre de Dieu à sa famille et à la maison de son père, il se dirigea vers l’Occident, sans savoir exactement où il plairait au Seigneur de le conduire. Arrivé au pays de Canaan, il reçoit la promesse qu’un jour il aurait une postérité aussi nombreuse que le sable de la mer et les étoiles des cieux et que cette postérité posséderait ce pays même où il venait de parvenir. La foi du patriarche était ainsi mise à une dure épreuve, puisqu’au moment où il recevait ces promesses, il n’avait point d’enfant et était déjà avancé en âge (Genèse 12.17 ; 15.5-6 ; 17.4-9). Elle passe par une crise plus redoutable encore, après la naissance d’Isaac, alors que Dieu demande à Abraham d’offrir en sacrifice son fils bien-aimé, celui-là même qui devait être l’héritier de sa piété et de ses biens (Genèse 22.2). Abraham n’a point douté, Abraham a cru, Abraham a obéi, Abraham a prouvé la réalité de sa foi, en ne se refusant pas au sacrifice le plus pénible que l’on puisse exiger d’un père et c’est parce que sa foi a agi concurremment avec ses œuvres, c’est parce que, grâce à ses œuvres, sa foi fut rendue parfaite, que l’Écriture déclare ceci : « Abraham crut à Dieu et cela lui fut imputé à justice. » (Genèse 15.6) La simple profession de sa foi n’aurait point suffi pour qu’il fût justifié ; les œuvres étaient nécessaires et comme complément de cette foi elle-même et comme l’irrécusable preuve de sa réalité.

L’auteur arrive au même résultat en prenant un exemple qui fait contraste avec le précédent : après le père vénéré du peuple d’Israël, Rahab, la femme de mauvaise vie. Rahab avait reçu les deux espions envoyés à Jéricho par Josué ; elle les avait cachés sous des tiges de lin, sur le toit de son habitation. Puis, comme on avait fermé les portes de la ville, les espions avaient pu s’enfuir dans la montagne et échapper ainsi à ceux qui les poursuivaient. En retour, Rahab et sa famille avaient eu la vie sauve (Josué 2.4-21). Si Rahab échappa à la ruine qui fondit sur sa ville et sur ses compatriotes, seule épargnée de toute une population, si elle fut justifiée, ce n’est pas seulement, dit Saint-Jacques, parce qu’elle a cru à l’Éternel, qu’elle a reconnu que l’Éternel était Dieu, en haut dans les cieux et en bas sur la terre (v. 11), parce qu’elle est arrivée à la conviction que toute résistance était inutile et même coupable, le Créateur de l’univers ayant décidé de livrer à son peuple la ville de Jéricho, mais c’est parce qu’elle a agi conformément à sa foi et qu’elle en a fourni ainsi la plus éclatante démonstration, « De même que le corps sans âme est mort, de même la foi sans les œuvres est morte ! » écrit l’apôtre, résumant toute sa pensée et concluant son argumentation.

« Comme un corps dont la vie a disparu est mort et par conséquent ne peut plus se livrer à aucun travail, ne peut plus aller et venir pour vaquer à ses devoirs, ainsi, une foi qui ne produit pas des œuvres est un cadavre ! Un cadavre conserve parfois l’apparence de la vie ; il semble que l’homme est endormi d’un paisible sommeil et qu’il va se lever pour agir ; ainsi, la foi morte peut conserver l’apparence de la vraie foi, mais en la voyant demeurer stérile, nous comprenons que la vie en est absente ; c’est la mort ! »a

a – Stockmayer : Der Brief des Jacobus.

II

En entendant les explications qui précèdent et que la difficulté de notre passage m’a paru rendre nécessaires, votre pensée s’est reportée, j’en suis persuadé, sur certaines déclarations de l’apôtre Saint-Paul, qui ne paraissent guère pouvoir s’harmoniser avec les paroles de Saint-Jacques : « L’homme est justifié par la foi sans les œuvres de la loi » (Romains 3.28), lisons-nous dans Saint-Paul et dans Saint-Jacques : « C’est par les œuvres que l’homme est justifié et non par la foi seulement. »

Que faut-il penser de ces déclarations ? sont-elles opposées les unes aux autres ? sont-elles inconciliables ? il le semble au premier abord. Et, si elles le sont véritablement, lequel des deux a raison, est-ce Saint-Paul, est-ce Saint-Jacques ? questions qui sont de nature à troubler notre foi et auxquelles il importe de trouver une réponse quelque peu satisfaisante. Le problème n’est point sans difficulté ; cherchons pourtant à le résoudre avec l’aide de Dieu.

Observons d’abord que les termes mêmes dont ils se servent n’ont pas le même sens sous la plume de chacun des deux apôtres : lorsque Saint-Paul parle de la foi qui sauve, il entend désigner ainsi le sentiment par lequel nous nous unissons à Dieu et à Christ, manifestation suprême de l’amour de Dieu pour nous et cette foi justifie : unis à notre Sauveur, nous participons, en effet, en vertu de cette union même, à la justice de Christ, devenue ainsi la nôtre. Si Saint-Jacques dit au contraire que c’est par les œuvres que l’homme est justifié, et non par la foi seulement, c’est que, pour lui, la foi est avant tout la certitude de l’existence des choses invisibles. Cette foi-là, qui n’est pas autre chose qu’une conviction de l’esprit, est insuffisante pour procurer le salut, aussi longtemps qu’elle n’a pas fourni elle-même la preuve de sa réalité, par des œuvres de sainteté et d’amour.

Les œuvres dont Saint-Paul déclare qu’elles ne sauraient procurer à l’homme la paix avec Dieu, ce sont les œuvres de la loi que les Pharisiens accomplissaient dans la pensée de parvenir, en vertu de leurs propres efforts, à la justification. Les œuvres que Saint-Jacques exhorte les chrétiens à produire, ce sont les œuvres de justice, au sens du Sermon sur la Montagne ; ce sont les devoirs que l’homme a à remplir à l’égard des veuves et des orphelins, à l’égard des pauvres et des malheureux en général.

Et comme on l’a fait remarquer avec raison, ils portent dans leurs enseignements respectifs, des points de vue différents : Saint-Jacques est un moraliste populaireb ; il voit des gens qui prétendent être disciples de Christ, héritiers des promesses de Dieu, membres du peuple de la Nouvelle-Alliance et qui se contentent de professer du bout des lèvres certaines convictions religieuses. Peu leur importe que les actes de leur vie ne soient pas le moins du monde en harmonie avec leur prétendue piété ! L’apôtre cherche alors à leur faire comprendre que Dieu demande plus et mieux que cela, qu’il veut une vie de pureté et de dévouement.

b – Reuss : Histoire de la théologie chrétienne au siècle apostolique. F. Chapuis : Epître de Saint-Jacques.

Saint-Paul est un penseur, placé sur le terrain de la théologie chrétienne ; aussi préoccupé de mettre en pleine lumière la personne et l’œuvre du Christ, compromises par l’enseignement des faux docteurs judaïsants, qui voudraient contraindre les chrétiens à se placer sous le joug de la loi, arrive-t-il à la conclusion que c’est la foi en Jésus et la foi seule qui procure à l’homme le salut et la justification. Car Christ nous a été fait de la part de Dieu sagesse, justice, sanctification et délivrance (1 Corinthiens 1.30).

Chacun d’eux a donc en vue des auditoires dont les besoins sont différents ; chacun expose le chemin du salut, selon qu’il le comprend à l’aide des lumières que l’Esprit lui a données et des facultés dont il dispose. On peut exagérer la thèse de Saint-Paul, oublier la valeur que l’apôtre accorde à la sanctification et croire que la piété chrétienne peut mériter ce nom, sans produire ces fruits d’amour, dont il parle dans le passage de l’épître aux Galates (v. 22). Alors il faut rappeler les énergiques avertissements de Saint-Jacques à ceux qui courent ce danger. D’un autre côté, on peut exagérer la thèse de ce dernier, en arriver peu à peu à envisager que ce sont nos bonnes actions qui, au jour du jugement, constitueront nos moyens de défense ; alors, il faut répéter avec Saint-Paul : « Si la justice s’obtient par la loi, Christ est mort pour « rien ! » (Galates 2.21).

Oui, répétons-le sans nous lasser : C’est la foi en Jésus, c’est la foi seule qui sauve ! mais cette foi, par le fait même qu’elle est le don de l’homme tout entier au Sauveur qui l’a racheté, est nécessairement le point de départ d’une consécration de notre être, avec ses facultés et ses activités, au règne de Dieu et à son avancement ; en d’autres termes, cette foi produira des œuvres qui prouveront sa réalité et sa sincérité même. La foi qui sauve, c’est la foi vivante, qui seule mérite ce beau nom de foi ; et c’est cette foi que nous voulons prêcher dans nos discours et par notre ministère.

[Disons encore au sujet de la conciliation de ces deux points de vue que le problème se résout plus aisément encore si nous admettons avec certains théologiens, comme Beyschlag, que Jacques écrit à une époque, où il pouvait espérer maintenir l’union entre la foi chrétienne et l’accomplissement des œuvres légales ; Paul au contraire écrit plus tard, alors que l’invasion d’un esprit pharisaïque dans quelques communautés lui a montré qu’il était temps pour les chrétiens de choisir entre Jésus et la loi. La forme particulière de la piété chrétienne, qui s’offre à nous dans cette lettre s’accorde avec les renseignements que le livre des Actes des Apôtres nous fournit sur la personnalité de l’auteur (Voir en particulier Actes 15.13-21 ; 21.19-25).]

III

« La foi sans les œuvres est morte, » écrit notre apôtre. Ne vous contentez pas de parler de votre foi ; prouvez-la par des œuvres. Oui, il est beau de savoir confesser son Sauveur, de répondre à ceux qui attaquent l’évangile, au nom d’une prétendue science et en s’appuyant sur leur seule raison et de réfuter victorieusement les arguments de ceux qui cherchent à détourner les âmes de la piété chrétienne. — Il est beau pour l’enfant de Dieu de pouvoir parler de l’Écriture comme d’un livre familier, dont il a sondé les mystères, auquel il a arraché ses secrets et d’exposer les splendeurs de la foi chrétienne. — Il est beau de célébrer, en de sublimes cantiques, la béatitude d’un cœur dans lequel est toujours vivant l’amour pour Dieu et pour Christ et la joie que l’homme goûte dès qu’il est arrivé à une foi personnelle et sincère. Il est beau, il est utile de parler de sa foi, il ne l’est pas moins de savoir en prouver la réalité, en glorifiant Dieu par toute sa conduite.

Que votre foi produise des œuvres de sainteté et d’amour ! que ceux qui vous connaissent de près, le cercle de vos amis, les membres de votre famille, vous voient agir, comme il convient à un disciple de Christ ; que l’on vous sache époux fidèle et dévoué, père plein de tendresse pour les enfants que Dieu vous a donnés et que vous désirez en retour lui consacrer, ami fidèle dans l’épreuve comme dans la pauvreté, aussi bien qu’aux jours de la prospérité et du bonheur, fils respectueux des volontés de vos père et mère.

Que ceux qui vous voient dans l’exercice de votre carrière publique et dans la lutte de la vie, dans la mêlée des intérêts et des passions, rendent de vous un bon témoignage. Que l’on vous sache, dans les affaires, concurrent loyal, adversaire généreux ; que l’on ne vous trouve jamais uniquement préoccupé de vos propres intérêts et sans égard pour ceux de vos frères, sans entrailles pour les malheureux, ni sans pitié pour les faibles. Soyez toujours au contraire bienveillant, doux et ferme.

Enfin, que ceux qui vous rencontrent dans la sphère de l’église vous trouvent humble et fidèle dans les petites, comme dans les grandes choses, répandant autour de vous la bonne odeur de Christ et non point disputeur de parti pris. Et si vous me demandiez : Quelles œuvres produirai-je ? je vous répondrais en deux mots : Celles que Dieu demande de vous, celles qu’il place sur votre route pour que vous les accomplissiez ; des œuvres modestes, poursuivies avec persévérance, il les exige de chacun de nous, des œuvres plus grandes, plus bruyantes, glorieuses même peut-être, s’il vous y appelle.

Si vous obéissez à l’exhortation apostolique, il y aura une sublime harmonie entre le langage que vous tenez et la sainteté et la charité, dont vous faites constamment preuve, il n’y aura plus ce scandaleux contraste, que les chrétiens eux-mêmes quelquefois offrent au monde, qui les observe, entre une piété qui s’exprime par beaucoup de belles paroles et les sentiments de haine, d’orgueil et de jalousie qu’ils nourrissent au fond de leur cœur.

Si vous obéissez à l’exhortation apostolique, le règne de Dieu avancera. Qui saura jamais, avant, l’heure du grand jugement, tout le bien qu’il aura fait à ses frères, en leur donnant, dans la vie de tous les jours, l’exemple des vertus chrétiennes ? Quelle ne serait pas notre joie, si nous pouvions apprendre un jour que c’est pour nous avoir vu chercher à réaliser la vie sainte de Christ dans notre propre vie, qu’ils ont désiré suivre eux aussi notre Maître ; son Esprit nous avait transformés, faisant de nous de nouvelles créatures, ils ont voulu eux aussi passer par la même régénération. Pourquoi n’en serait-il pas ainsi pour beaucoup de nos amis et de nos frères, puisque, Dieu en soit loué, les bons exemples sont contagieux ? D’un autre côté, quelle ne serait pas notre douleur, si dans cet instant particulièrement solennel, où les livres seront ouverts, nous devions entendre nos frères avouer que c’est pour nous avoir trouvés si peu fidèles à la loi de Christ, qu’ils n’ont jamais consenti à se ranger sous son joug, se constituant ainsi nos accusateurs au tribunal du Dieu vivant, qui rendra à chacun selon ses œuvres et jugera sans acception de personnes ?

Si vous obéissez à l’exhortation apostolique, vous fermerez victorieusement la bouche à nos adversaires qui nous reprochent (hélas ! parfois avec raison, je le confesse à notre honte !) de n’être pas plus généreux, plus dévoués, plus désintéressés, plus charitables que ceux qui ne croient pas. Vous aurez démontré d’une manière absolument irréfutable la puissance de la foi et plus fait pour la propagation de l’Évangile et pour l’avancement du règne de Dieu que si vous aviez composé les plus harmonieux cantiques ou prononcé les plus éloquents sermons. Oui, mes frères, les œuvres avec la foi, car la foi sans les œuvres est morte.

Suivez-moi dans ce couvent silencieux, sous ces voûtes sonores où l’écho reproduira en les multipliant le bruit de nos pas. Ici vivent, en communauté et retirés du monde, des êtres humains, qui ont renoncé aux douceurs du commerce de leurs semblables, comme aux exigences de la lutte pour la vie. Ils se sont revêtus d’un costume spécial et ont adopté certains usages particuliers. Ils ne quittent que de temps à autre leur cloître pour apparaître, durant quelques instants très courts, au milieu de la société de leurs frères, puis ils reprennent leurs occupations monotones : l’étude et les travaux des champs. — Que font-ils ? ils prient, ou bien, seuls dans leurs cellules, ou bien, réunis à la chapelle, ils chantent des psaumes et des litanies, ils célèbrent la messe — et c’est tout. Il serait sûrement peu conforme à la réalité des faits de méconnaître le rôle civilisateur qu’ils ont si noblement rempli en d’autres temps ; ils ont défriché des contrées incultes et conservé dans leurs bibliothèques nombre de manuscrits d’un prix inestimable ; ils ont été les apôtres de nos pays. — Mais malgré les fruits magnifiques que la vie monacale a pu produire et que nul ne saurait méconnaître sans injustice, de nos jours ils sont inutiles, la plupart d’entre eux au moins, puisqu’ils se bornent à remplir certains devoirs religieux et à se soumettre à certaines macérations. Ils croient, puisqu’ils prient, mais leur foi ne les pousse pas à une activité généreuse et bienfaisante pour leurs frères ; elle est morte comme un corps sans âme !

Transportons-nous maintenant dans cette asile de la souffrance où des sœurs dévouées vaquent au soin des malades. Ah ! il leur a fallu une ample mesure de foi pour renoncer aux douceurs de l’amour partagé et de la vie de famille. Il leur en faut plus encore peut-être pour ne point se décourager, lorsqu’elles soignent des maladies rebutantes ou lavent des plaies hideuses.

Parfois, c’est l’ingratitude qu’elles recueillent en salaire pour leurs peines, parfois, elles sont traitées avec dureté par ceux-là même qu’elles cherchent à soulager, leur sacrifiant et leurs jours et leurs nuits. Quelle abnégation ! quel dévouement chrétien ne leur faut-il pas pour accepter d’être sans cesse placées en présence du plus triste spectacle que puisse contempler l’œil humain et de n’entendre plus autour d’elles que les plaintes de ceux qui souffrent, que le râle lugubre des agonisants !

C’est dans leur foi qu’elles trouvent la force de travailler sans relâche. Elles croient, et elles agissent, elles prient et elles travaillent. Sachons imiter leur foi, imiter le glorieux exemple qu’elles nous offrent.

Que notre foi soit comme la leur, agissante par la charité à la gloire de Dieu. Amen.

Ernest Morel

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