Hommes de l’époque – Frédéric le Sage – Maximilien – Dignitaires de l’Église – Les lettrés – Reuchlin – Reuchlin en Italie – Ses travaux – Lutte avec les dominicains
Nous avons signalé l’état des peuples et des princes : nous passons aux préparations de la Réforme qui se trouvaient dans la théologie et dans l’Église.
Mais, nous l’avons dit, c’est sur le vaste plateau de l’Allemagne, et particulièrement dans Wittemberg, cette ville centrale de l’Empire, que doit commencer le grand drame de la Réformation.
Voyons quels furent les personnages qui en formèrent comme le prologue, qui préparèrent l’œuvre dont Luther devait être dans la main de Dieu le héros, ou qui même en aidèrent les premiers efforts.
De tous les électeurs de l’Empire, le plus puissant était alors Frédéric de Saxe, surnommé le Sage. L’autorité dont il jouissait, ses richesses, sa libéralité, sa magnificence l’élevaient au-dessus de ses égauxa. Dieu le choisit pour être comme un arbre à l’abri duquel la semence de la vérité pût pousser son premier jet, sans être déracinée par les tempêtes du dehors.
a – Qui præ multis pollebat principibus aliis, auctoritate, opibus potentia, liberalite et magnificentia. (Cochlœus. Acta Lutheri, p. 5.)
Né à Torgau, en 1463, il montra dès sa jeunesse beaucoup d’amour pour les sciences, la philosophie et la piété. Parvenu en 1487, avec son frère Jean, au gouvernement des États héréditaires de sa famille, il reçut alors de l’empereur Frédéric III la dignité électorale. En 1493, il entreprit un pèlerinage à Jérusalem. Henri de Schaumbourg l’arma dans ce lieu vénéré « chevalier du Saint-Sépulcre. » Il revint en Saxe, dans le milieu de l’année suivante. En 1502, il fonda l’université de Wittemberg, qui devait être la pépinière de la Réformation.
Frédéric III de Saxe
Quand la lumière parut, Frédéric n’embrassa aucun parti, mais il se trouva là pour la garantir. Nul n’était plus propre à le faire ; il possédait l’estime générale et avait en particulier toute la confiance de l’Empereur. Il le remplaçait même, quand Maximilien était absent de l’Empire. Sa sagesse ne consistait pas dans les pratiques habiles d’une politique rusée, mais dans une prudence éclairée et prévoyante, dont la première loi était de ne jamais porter atteinte par intérêt aux lois de l’honneur et de la religion.
En même temps, il sentait en son cœur la puissance de la Parole de Dieu. Un jour que le vicaire général Staupitz se trouvait avec lui, la conversation tomba sur ceux qui font entendre au peuple de vaines déclamations : « Tous les discours, dit l’Électeur, qui ne sont remplis que de subtilités et de traditions humaines, sont admirablement froids, sans nerf et sans force, puisque l’on ne peut rien avancer de subtil qu’une autre subtilité ne puisse détruire. L’Écriture sainte seule est revêtue de tant de puissance et de majesté, que, détruisant toutes nos savantes machines à raisonnement, elle nous presse et nous oblige à dire : Jamais homme n’a ainsi parlé. » Staupitz ayant témoigné qu’il se rangeait tout à fait à cet avis, l’Électeur lui tendit cordialement la main, et lui dit : « Promettez-moi que vous penserez toujours de mêmeb. »
b – Luth. Epp.
Frédéric était précisément le prince qu’il fallait au commencement de la Réformation. Trop de faiblesse de la part des amis de cette œuvre eût permis de l’étouffer. Trop de précipitation eût fait trop tôt éclater l’orage, qui, dès son origine, commença sourdement à se former contre elle. Frédéric fut modéré, mais fort. Il eut cette vertu chrétienne que Dieu a demandée de tout temps à ceux qui adorent ses voies : il attendit Dieu. Il mit en pratique le sage avis de Gamaliel : Si ce dessein est un ouvrage des hommes, il se détruira de lui-même. S’il vient de Dieu, vous ne pourrez le détruire (Actes 5.34-39) « Les choses, disait ce prince à l’un des hommes les plus éclairés de son temps, à Spengler de Nuremberg, en sont venues à un tel point, que les hommes ne peuvent plus rien y faire ; Dieu seul doit agir. C’est pourquoi nous remettons en ses mains puissantes ces grands événements, qui sont trop difficiles pour nous. » La Providence fut admirable dans le choix qu’elle fit d’un tel prince pour protéger son œuvre naissante.
Maximilien Ier, qui porta la couronne impériale de 1493 à 1519, peut être placé au nombre de ceux qui contribuèrent à préparer la Réformation. Il donna aux autres princes de l’Empire et à toute l’Allemagne l’exemple de l’enthousiasme pour les lettres et pour les sciences. Il fut moins que tout autre amateur des papes, et eut même pendant quelque temps l’idée d’accaparer la papauté. On ne peut dire ce qu’elle fût devenue en ses mains ; mais on peut au moins supposer, d’après ce trait, qu’une puissance rivale du pape, telle que la Réformation, n’eût pas compté l’empereur d’Allemagne parmi ses adversaires les plus acharnés.
Maximilien Ier (1459-1519)
Même parmi les princes de l’Église romaine se trouvaient des hommes vénérables que de saintes études et une sincère piété avaient préparés à l’œuvre divine qui allait se faire dans le monde. Christophe de Stadion, évêque d’Augsbourg, connaissait et aimait la vérité ; mais il eût dû tout sacrifier pour en faire une profession courageuse… Laurent de Bibra, évêque de Wurzbourg, homme honnête, pieux et sage, honoré de l’Empereur et des princes, parlait franchement contre la corruption de l’Église ; mais il mourut en 1519, trop tôt pour la Réformation. Jean VI, évêque de Meissen, avait coutume de dire : « Toutes les fois que je lis la Bible, j’y trouve une autre religion que celle qu’on nous enseigne. » Jean Thurzo, évêque de Breslau, fut appelé par Luther « le meilleur de tous les évêques de son sièclec. » Mais il mourut en 1520. Guillaume Briçonnet, évêque de Meaux, contribua puissamment à la Réformation de la France. Qui peut dire à quel point la piété éclairée de ces évêques et de beaucoup d’autres aida à préparer dans leur diocèse, et plus loin encore, la grande œuvre de la Réforme ?
c – Luth. Ep. I, p. 534.
Toutefois il était réservé à ces hommes moins puissants d’être les principaux instruments de la providence de Dieu, pour préparer la Réformation. Ce furent les lettrés et les savants nommés les humanistes, qui exercèrent sur leur siècle la plus grande influence.
Il y avait alors guerre ouverte entre les disciples des lettres et les théologiens scolastiques. Ceux-ci voyaient avec effroi le mouvement qui s’opérait dans le domaine de l’intelligence, et pensaient que l’immobilité et les ténèbres seraient la garde la plus sûre de l’Église. C’était pour sauver Rome qu’ils combattaient la renaissance des lettres ; mais ils contribuèrent ainsi à la perdre. Rome y fut pour beaucoup. Un instant égarée sous le pontificat de Léon X, elle abandonna ses vieux amis et serra dans ses bras ses jeunes adversaires. La papauté et les lettres formèrent un accord qui semblait devoir rompre l’antique alliance du monachisme et de la hiérarchie. Les papes ne s’aperçurent pas au premier abord que ce qu’ils avaient pris pour un jouet était un glaive qui pouvait leur donner la mort. De même, dans le siècle dernier, on vit des princes accueillir à leur cour une politique et une philosophie qui, s’ils en eussent subi toute l’influence, auraient renversé leurs trônes. L’alliance ne dura pas longtemps. Les lettres avancèrent, sans se soucier nullement de ce qui pouvait porter atteinte à la puissance de leur patron. Les moines et les scolastiques comprirent qu’abandonner le pape c’était s’abandonner eux-mêmes. Et le pape, malgré le patronage passager qu’il accorda aux beaux-arts, n’en prit pas moins, quand il comprit le danger, les mesures les plus opposées à l’esprit du temps.
C’était un spectacle plein de vie que celui que présentait alors la renaissance des lettres. Esquissons quelques traits de ce tableau, et choisissons ceux qui se trouvent dans le rapport le plus intime avec la renaissance de la foi.
Pour que la vérité triomphât, il fallait d’abord que les armes par lesquelles elle devait vaincre, fussent sorties des arsenaux où depuis des siècles elles étaient enfouies. Ces armes, c’étaient les saintes écritures du Vieux et du Nouveau Testament. Il fallait ranimer dans la chrétienté l’amour et l’étude des saintes lettres grecques et hébraïques. L’homme que la providence de Dieu choisit pour cette œuvre, se nommait Jean Reuchlin.
Une très belle voix d’enfant se faisait remarquer dans le chœur de l’église de Pforzheim. Elle attira l’attention du margrave de Bade. C’était celle de Jean Reuchlin, jeune garçon, de manières agréables et d’un caractère enjoué, fils d’un honnête bourgeois du lieu. Le margrave lui accorda bientôt toute sa faveur, et le choisit en 1473 pour accompagner son fils Frédéric à l’université de Paris.
Le fils de l’huissier de Pforzheim arriva avec le prince, le cœur transporté de joie, dans cette école, la plus célèbre de tout l’Occident. Il y trouva le Spartiate Hermonymos, Jean Wessel, la lumière du monde, et il eut ainsi l’occasion d’étudier sous des maîtres habiles le grec et l’hébreu, dont il n’y avait alors aucun professeur en Allemagne, et dont un jour il devait être le restaurateur dans la patrie de la Réformation. Le jeune et pauvre Allemand copiait pour des étudiants riches les chants d’Homère, les discours d’Isocrate, et il gagnait ainsi de quoi continuer ses études et s’acheter des livres.
Mais voici d’autres choses qu’il entend de la bouche de Wessel, et qui font sur son esprit une impression puissante : « Les papes peuvent se tromper. Toutes satisfactions d’hommes sont un blasphème contre Christ, qui a réconcilié et justifié parfaitement l’espèce humaine. A Dieu seul appartient le pouvoir de donner une entière absolution. Il n’est pas nécessaire de confesser ses péchés aux prêtres. Il n’y a point de purgatoire, à moins que ce ne soit Dieu lui-même, qui est un feu dévorant et qui purifie de toute souillure. »
Reuchlin (1455-1522)
A peine âgé de vingt ans, Reuchlin enseigne à Bâle la philosophie, le grec et le latin, et l’on entend, ce qui était alors un prodige, un Allemand parler grec.
Les partisans de Rome commencent à s’inquiéter, en voyant des esprits généreux fouiller dans ces antiques trésors. « Les Romains font la moue, disait Reuchlin, et poussent, des cris, prétendant que tous ces travaux littéraires sont contraires à la piété romaine, puisque les Grecs sont schismatiques. Oh ! que de peines, que de souffrances à endurer, pour ramener enfin l’Allemagne à la sagesse et à la science ! »
Bientôt après, Eberhard de Wurtemberg appela Reuchlin à Tubingue, pour être l’ornement de cette université naissante. En 1483, il le mena avec lui en Italie. Chalcondylas, Aurispa, Jean Pic de la Mirandole, devinrent à Florence ses compagnons et ses amis. A Rome, lorsque Eberhard reçut du pape, entouré de ses cardinaux, une audience solennelle, Reuchlin prononça un discours d’une latinité si pure et si élégante, que l’assemblée, qui n’attendait rien de pareil d’un barbare Germain, fut dans le plus grand étonnement, et que le pape s’écria : « Certainement cet homme mérite d’être mis à côté des meilleurs orateurs de la France et de l’Italie. »
Dix ans plus tard, Reuchlin fut obligé de se réfugier à Heidelberg, à la cour de l’électeur Philippe, pour échapper à la vengeance du successeur d’Eberhard. Philippe, d’accord avec Jean de Dalberg, évêque de Worms, son ami et son chancelier, s’efforçait de répandre les lumières, qui commençaient à poindre de toutes parts en Allemagne. Dalberg avait fondé une bibliothèque, dont l’usage était permis à tous les savants. Reuchlin fit sur ce nouveau théâtre de grands efforts pour détruire la barbarie de son peuple.
Envoyé à Rome par l’Électeur, en 1498, pour une importante mission, il profita de tout le temps et de tout l’argent qui lui restèrent, soit pour faire de nouveaux progrès dans la langue hébraïque, auprès du savant israélite Abdias Sphorne, soit pour acheter tout ce qu’il put trouver de manuscrits hébreux et grecs, avec le dessein de s’en servir, comme autant de flambeaux, pour accroître dans sa patrie le jour qui commençait à paraître.
Un Grec illustre, Argyropolos, expliquait dans cette métropole à un auditoire nombreux les antiques merveilles de la littérature de son peuple. Le savant ambassadeur se rend avec sa suite à la salle où ce docteur enseignait, et au moment où il y entre, il salue le maître, et déplore le malheur de la Grèce expirante sous les coups des Ottomans. L’Hellène étonné demande à l’Allemand : « D’où es-tu, et comprends-tu le grec ? » Reuchlin répond : « Je suis un Germain, et je n’ignore pas entièrement ta langue. » Sur la demande d’Argyropolos, il lit et explique un morceau de Thucydide, que le professeur avait en ce moment sous les yeux. Alors Argyropolos, saisi d’étonnement et de douleur, s’écrie : « Hélas ! hélas ! la Grèce chassée et fugitive est allée se cacher au delà des Alpes ! »
C’est ainsi que les fils de la rude Germanie et ceux de l’antique et savante Grèce se rencontraient dans les palais de Rome, que l’Orient et l’Occident se donnaient la main dans ce rendez-vous du monde, et que l’un versait dans les bras de l’autre ces trésors intellectuels qu’il avait sauvés en toute hâte de la barbarie des Ottomans. Dieu, quand ses desseins le demandent, rapproche en un instant par quelque grande catastrophe ce qui semblait devoir demeurer toujours éloigné.
A son retour en Allemagne, Reuchlin put rentrer en Wurtemberg. C’est alors surtout qu’il accomplit ces travaux qui furent si utiles à Luther et à la Réformation. Cet homme qui, comme comte palatin, occupait une place éminente dans l’Empire, et qui, comme philosophe, contribua à abaisser Aristote et à élever Platon, fit un dictionnaire latin qui fit disparaître ceux des scolastiques, composa une grammaire grecque, qui facilita beaucoup l’étude de cette langue, traduisit et expliqua les psaumes pénitentiaux, corrigea la Vulgate, et, ce qui fit surtout son mérite et sa gloire, publia, le premier en Allemagne, une grammaire et un dictionnaire hébraïques ; Reuchlin rouvrit par ce travail les livres si longtemps fermés de l’ancienne alliance, et éleva ainsi un monument, comme il le dit lui-même, « plus durable que l’airain. »
Mais ce n’était pas seulement par ses écrits, c’était aussi par sa vie que Reuchlin cherchait à avancer le règne de la vérité. D’une taille élevée, d’un extérieur imposant, d’un abord affable, il gagnait aussitôt la confiance de ceux avec lesquels il avait affaire. Sa soif de connaissance n’était égalée que par son zèle à communiquer ce qu’il avait appris. Il n’épargnait ni argent ni peine, pour faire arriver en Allemagne les éditions des classiques, au moment où elles sortaient des presses de l’Italie ; et ainsi le fils d’un huissier faisait plus pour éclairer son peuple, que de riches municipalités ou de puissants princes. Son influence sur la jeunesse était grande, et qui peut mesurer à cet égard tout ce que lui doit la Réformation ? Nous n’en citerons qu’un exemple. Un jeune homme, son cousin, fils d’un artiste, célèbre comme fabricant d’armes, nommé Schwarzerd, vint loger chez sa sœur Elisabeth, afin d’étudier sous sa direction. Reuchlin, rempli de joie en voyant le génie et l’application du jeune disciple, l’adopta. Conseils, présents de livres, exemples, il n’épargna rien pour faire de son parent un homme utile à l’Église et à la patrie. Il se réjouissait de voir son œuvre prospérer sous ses yeux, et trouvant le nom allemand de Schwarzerd trop barbare, il le traduisit en grec, selon la coutume du temps, et nomma le jeune étudiant Mélanchton. C’est l’illustre ami de Luther.
Bientôt le pacifique Reuchlin se trouva entraîné, bien malgré lui, dans une guerre violente, qui fut un des préludes de la Réformation.
Il y avait à Cologne un rabbin baptisé, nommé Pfefferkorn, intimement lié avec l’inquisiteur Hochstraten. Cet homme et les dominicains sollicitèrent et obtinrent de l’empereur Maximilien, peut-être dans de bonnes intentions, un ordre en vertu duquel les Juifs devaient apporter tous leurs livres hébreux (la Bible exceptée) à la maison de ville du lieu où ils résidaient. Là ces écrits devaient être brûlés. On alléguait pour motif qu’ils étaient remplis de blasphèmes contre Jésus-Christ. Il faut avouer qu’ils étaient au moins pleins d’inepties, et que les Juifs eux-mêmes n’eussent pas perdu grand’chose à l’exécution qu’on préméditait.
L’Empereur invita Reuchlin à donner son avis sur ces ouvrages. Le savant docteur désigna expressément les livres écrits contre le christianisme, les livrant au sort qu’on leur destinait ; mais il chercha à sauver les autres : « Le meilleur moyen de convertir les Israélites, ajouta-t-il, serait d’établir dans chaque université deux maîtres de langue hébraïque, qui enseignassent aux théologiens à lire la Bible en hébreu et à réfuter ainsi les docteurs de ce peuple. » Les Juifs obtinrent par suite de cet avis qu’on leur restituât leurs livres.
Le prosélyte et l’inquisiteur, semblables à des corbeaux affamés qui voient échapper leur proie, poussèrent alors des cris de fureur. Ils choisirent divers passages de l’écrit de Reuchlin, en dénaturèrent le sens, proclamèrent l’auteur hérétique, l’accusèrent d’avoir une inclination secrète pour le judaïsme, et le menacèrent des chaînes de l’inquisition. Reuchlin se laissa d’abord épouvanter. Mais ces hommes devenant toujours plus orgueilleux et lui prescrivant des conditions honteuses, il publia en 1513 une « Défense contre ses détracteurs de Cologne, » dans laquelle il dépeignit tout ce parti sous de vives couleurs.
Les dominicains jurent d’en tirer vengeance, et espèrent, par un coup d’autorité, raffermir leur puissance chancelante. Hochstraten dresse à Mayence un tribunal contre Reuchlin. Les écrits du savant sont condamnés aux flammes. Alors les novateurs, les maîtres et les disciples de la nouvelle école, se sentant tous attaqués dans la personne de Reuchlin, se lèvent comme un seul homme. Les temps étaient changés. L’Allemagne et les lettres n’étaient pas l’Espagne et l’inquisition. Le grand mouvement littéraire avait créé une opinion publique. Le haut clergé lui-même était presque envahi par elle. Reuchlin en appelle à Léon X. Ce pape, qui n’aimait pas beaucoup les moines ignorants et fanatiques, remet toute l’affaire à l’évêque de Spire ; celui-ci déclare Reuchlin innocent, et condamne les moines aux frais du procès. Les dominicains, ces soutiens de la papauté, recourent, pleins de colère, à l’infaillible décision de Rome, et Léon X, ne sachant que faire entre ces deux puissances adverses, rend un mandat de supersedendo.
L’union des lettres avec la foi forme un des traits de la Réformation, et la distingue, soit de l’établissement du christianisme, soit du renouvellement religieux des jours actuels. Les chrétiens contemporains des apôtres eurent contre eux la culture de leur siècle ; et, à quelques exceptions près, il en est de même pour ceux de notre temps. La majorité des hommes lettrés fut avec les réformateurs. L’opinion même leur fut favorable. L’œuvre y gagna en étendue : peut-être y perdit-elle en profondeur.
Luther, reconnaissant tout ce qu’avait fait Reuchlin, lui écrivit, peu après sa victoire sur les dominicains : « Le Seigneur a agi en toi, afin que la lumière de l’Écriture sainte commençât à reluire dans cette Germanie où, depuis tant de siècles, hélas ! elle était non seulement étouffée, mais tout à fait éteinted. »
d – Maï Vita J. Reuchlin. (Francf., 1687.) Mayerhoff, J. Reuchlin und seine Zeit. (Berlin, 1830.)