– Vous refusez de croire à sa passion et à sa mort, parce que, selon vous, il n’avait pas été prédit que le Christ expirerait sur la croix. D’ailleurs, comment croire, ajoutez-vous, que Dieu ait livré son Fils à un genre de mort si honteux, quand il avait dit lui-même : « Maudit celui qui est suspendu au bois ! » – L’examen du fait doit précéder ici le sens de cette malédiction. Le Seigneur avait dit dans le Deutéronome : « Lorsqu’un homme aura commis un crime digne de mort, il mourra et vous le suspendrez au bois ; mais il sera enseveli le même jour, parce que celui qui est suspendu au bois est maudit de Dieu ; et vous prendrez garde de ne pas souiller la terre que le Seigneur votre Dieu vous aura donnée en possession. » Ce n’est donc pas Jésus-Christ que son Père maudit dans ce genre de mort. Loin de là, il a établi cette distinction, que tout homme qui, coupable d’un crime digne de mort, et condamné à mourir, expirerait suspendu au bois, serait maudit de Dieu, parce qu’il était suspendu au bois en punition de ses crimes. Mais d’ailleurs le Christ, dont le mensonge ne souilla jamais les lèvres, qui fut un modèle accompli de justice et d’humilité, ne fut pas livré à ce genre de mort comme châtiment de ses iniquités, ainsi que nous l’avons exposé plus haut, mais pour accomplir les prédictions des prophètes qui vous désignaient comme les instruments de sa mort ; témoin encore ce que l’Esprit du Christ chantait d’avance dans les Psaumes : « Ils me rendaient le bien pour le mal. – J’ai payé ce que je ne devais pas. – Ils ont percé mes pieds et mes mains. – Ils ont mêlé le fiel à mon breuvage, et ils ont présenté à ma soif du vinaigre. – Ils ont tiré au sort ma tunique, » et enfin les mille outrages dont il avait été prédit que vous l’abreuveriez. Il endura donc toutes ces indignités, non pas pour quelque œuvre qui lui fût personnelle, mais pour accomplir les Ecritures sorties de la bouche des prophètes. Il fallait donc que la prédiction retraçât d’avance le mystère de sa passion. Plus il contrariait la raison humaine, plus il devait exciter de scandale, annoncé sans voiles. Plus il était magnifique, plus il était nécessaire de le cacher sous de saintes ténèbres, afin que la difficulté de comprendre nous fît recourir à la grâce de Dieu. Voilà pourquoi, dès l’origine, Isaac, conduit par son père comme une victime, et portant lui-même le bois de l’immolation, figure la mort de Jésus-Christ, victime abandonnée par son Père et portant le bois de sa passion. Joseph est encore un symbole du Christ. Et ce n’est pas seulement, car je ne veux pas retarder ma course, ce n’est pas seulement dans Joseph, persécuté par ses frères, et vendu en Égypte pour la cause de Dieu, que nous retrouvons le Sauveur trahi et vendu par les Juifs, ses frères, dans la personne de Judas ; la ressemblance éclate jusque dans les bénédictions. « Sa beauté est celle du taureau premier-né, ses cornes sont celles de l’oryx ; avec elles, il frappera les peuples et les poussera jusqu’aux extrémités de la terre. »
Je le demande, est-ce quelque animal puissant, ou quelque monstre fabuleux que présage cet emblème ? Non sans doute. Ce taureau mystérieux, c’est Jésus-Christ, juge terrible pour les uns, rédempteur plein de mansuétude pour les autres. Ces cornes, ce sont les extrémités de la croix ; car dans l’antenne d’un navire, qui figure une partie du bois sacré, on donne le nom de cornes à ses extrémités. Enfin, l’oryx à la corne unique, désigne le tronc de l’arbre sur lequel il s’étendra. Cornes symboliques, c’est par leur vertu que mon Christ enlève tous les jours les nations par la foi, en les transportait de la terre au ciel, et qu’au dernier jour, il les précipitera, par le jugement, du ciel sur la terre.
Ce même taureau reparaîtra encore dans les mêmes Ecritures, lorsque Jacob étendant sa bénédiction sur Siméon et Lévi, c’est-à-dire sur les scribes et les pharisiens, car cette race est fille de Siméon et de Lévi, – le patriarche s’écrie d’une voix prophétique : « Siméon et Lévi ont consommé l’iniquité par leur secte, » la secte qui a persécuté Jésus-Christ. « Mon âme n’est point entrée dans leurs complots ; mon cœur ne s’est point uni à leurs assemblées, lorsque leur fureur a égorgé des hommes ; » quels hommes, sinon les prophètes ? « et que, dans leur vengeance, ils ont percé les membres du taureau, » c’est-à-dire du Christ qu’ils ont immolé comme les prophètes, et sur lequel ils ont assouvi leur haine en le clouant à un gibet. Au reste, leur reprocher, après le massacre des prophètes, d’avoir mis à mort quelque animal, serait par trop ridicule, s’il s’agissait ici d’un taureau vulgaire.
Que dire de Moïse, priant assis et les mains étendues, pendant que Josué ou Jésus combattait Amalec ? Pourquoi cette attitude, lorsque au milieu de la consternation publique, et pour rendre sa prière plus agréable, il aurait dû fléchir les genoux en terre, meurtrir sa poitrine, et rouler son visage dans la poussière ? Pourquoi ? sinon parce que là où combattait le nom de Jésus qui devait terrasser un jour le démon, il fallait arborer l’étendard de la croix, par laquelle Josué devait remporter la victoire. Que signifie encore le même Moïse, après la défense de se tailler aucune image, dressant un serpent d’airain au haut d’un bois, et livrant aux regards d’Israël le spectacle salutaire d’un crucifié, pendant que des milliers d’Hébreux étaient dévorés par les serpents en punition de leur idolâtrie ? C’est que là encore était représentée la puissance miraculeuse de la croix dont la vertu triomphait de l’antique dragon ; c’est que tout homme mordu par les serpents, c’ est-à-dire par les anges du démon, pour être guéri de la blessure de ses péchés, n’avait qu’à regarder et à croire ce mystérieux symbole de la croix de Jésus-Christ, qui lui promettait le salut.
Poursuivons ! Si tu as lu dans le Psalmiste : « Le Seigneur a régné du haut du bois, » j’attends l’explication de ce texte. Car tu ne me diras pas sans doute qu’il s’agit probablement de quelque roi des Juifs terminant ses jours sur un gibet, et non pas de Jésus-Christ qui a régné ensuite, en triomphant de la mort par la passion de la croix. De même, nous lisons dans Isaïe : « Un enfant nous est né. » Mais qu’y a-t-il là de nouveau, si ce n’est pas du Fils de Dieu lui-même qu’il nous dit : « Un enfant nous a été donné : il porte sur ses épaules le signe de sa domination ? » Parle ! où est le monarque qui porte sur ses épaules le signe de la domination, au lieu d’un diadème sur sa tête, ou d’un sceptre à sa main, ou de quelque marque distinctive dans ses habits ? Mais le roi nouveau des siècles nouveaux, Jésus-Christ, a seul porté sur ses épaules la puissance d’une gloire nouvelle et la preuve de sa grandeur, c’est-à-dire la croix, afin que, conformément à la prophétie précédente, « le Seigneur régnât du haut du bois. »
C’est encore de ce bois que vous deviez dire, ainsi que nous le montre Dieu par la bouche de Jérémie : « Venez ! jetons le bois sur son pain ; retranchons-le de la terre des vivants, afin que son nom soit effacé pour jamais. » En effet, le bois fut jeté sur son corps. Le Seigneur lui-même éclaircit dans la suite ce mystère, « quand il nomma son corps, » le même pain que le prophète avait appelé autrefois figurément son corps. Te faut-il d’autres preuves que la croix de notre Seigneur a été prédite ? Ouvre le psaume vingt-unième, où est contenue la passion du Christ, qui chante ainsi d’avance toute sa gloire : » Ils ont percé mes pieds et mes mains. » Voilà bien le supplice particulier de la croix. Il n’est pas moins clair quand il invoque le secours de son Père : « Sauvez-moi de la gueule du lion, » c’est-à-dire de la mort ; « détournez de ma faiblesse les cornes de l’oryx, » c’est-à-dire les extrémités de la croix, ainsi que nous l’avons exposé plus haut. Est-ce David qui fut attaché à un gibet ? Est-ce de quelque roi d’Israël ou de quelque prophète, que l’on perça les pieds et les mains ? Non ; point d’autre crucifié que celui qui fut crucifié par tout un peuple avec tant d’appareil !
Maintenant, si la dureté de votre cœur rejette ces explications et s’en moque, il me suffit, nous l’avons prouvé, que la mort de Jésus-Christ ait été prédite, pour que je sois en droit de conclure qu’elle s’est consommée par le supplice de la croix, quoique l’Ecriture ait gardé le silence sur le genre de mort, et que je ne puisse attribuer la mort de la croix qu’à celui dont la mort était annoncée. Je n’ai besoin que d’un mot d’Isaïe pour attester tout à la fois sa mort, sa passion et sa sépulture. « Il a été conduit à la mort par les crimes de mon peuple. – On lui réservait la sépulture de l’impie ; il a été enseveli dans le tombeau du riche, parce qu’il a ignoré l’iniquité, que le mensonge n’a jamais souillé ses lèvres, que le Seigneur a voulu délivrer son âme de la mort. » Il dit encore ailleurs : « Sa sépulture a été enlevée du milieu des hommes. » Point de sépulture sans mort ; point de sépulture enlevée du milieu-des hommes, sans résurrection. Enfin il ajoute aussitôt : « Voilà pourquoi je lui donnerai en partage un peuple nombreux ; il distribuera lui-même les dépouilles des forts. » De quel autre s’agit-il ? sinon de celui qui naquit, comme nous l’avons montré plus haut, « pour que son âme fut livrée à la mort. » Déclarer que cette grâce était le dédommagement de ses outrages et de sa mort, c’était déclarer en même temps qu’il arriverait à cette gloire par sa mort, c’est-à-dire après sa mort par sa résurrection.
Les ténèbres couvrirent la terre en plein midi le jour de sa mort. Le prophète Amos n’a pas oublié cette circonstance : « En ce jour-là, dit le Seigneur Dieu, je ferai disparaître le soleil en plein midi, et au milieu de la lumière, j’obscurcirai la face de le terre. Je changerai vos jours de fête en jours de deuil, et vos cantiques de joie en lamentations ; je couvrirai tous les reins d’un cilice ; je placerai l’ignominie sur toutes les têtes ; je plongerai Israël dans les larmes comme à la mort d’un fils unique, et tous ceux qui sont avec lui auront leur jour de douleur. » N’est-ce pas là ce que Moïse prophétisait que vous feriez au commencement du premier mois de l’année, lorsqu’il enjoignait à tout le peuple d’Israël d’immoler l’agneau vers le soir, et qu’il annonçait d’avance que vous célébreriez dans l’amertume la solennité de ce jour, c’est-à-dire la Pâque des azymes ? Car « c’est la Pâque du Seigneur, » ajoutait-il ; en d’autres termes, c’est la passion de Jésus-Christ. La prophétie a eu son accomplissement. Vous avez mis à mort Jésus-Christ, le premier jour des azymes. Et afin que la prédiction se vérifiât, le jour se convertit aussitôt en nuit ; des ténèbres couvrirent la face de la terre en plein midi ; et c’est ainsi que « Dieu changea vos jours de fête en deuil, et vos cantiques de joie en lamentations. » Que dirai-je encore ? La captivité et la dispersion qui vous frappèrent après la passion de Jésus-Christ, avait encore été prédite par l’Esprit saint.