En disant : « Voulez-vous guérir ? » je fais appel à la volonté du malade, chose qu’on me reproche vivement :
– Mais vous oubliez que les dépressifs sont justement des sujets qui manquent de volonté. Ils en ont peu ou pas du tout.
Cette objection est en partie fondée car la volonté fait toujours défaut lorsqu’il s’agit de renoncer à ce qu’on aime, d’abandonner ce qui sécurise ou d’affronter ce qu’on redoute. L’ivrogne est faible devant sa bouteille. Le gourmand est sans caractère quand il doit observer un régime qui le prive des bonnes choses. De même le déprimé. Il subit passivement son mal pour de multiples motifs dont nous avons donné quelques exemples dans le chapitre précédent.
Cependant, ce manque de volonté ne signifie nullement absence de volonté. Il cache souvent un refus déguisé de vouloir ; en somme de la mauvaise volonté ou encore la volonté de ne pas vouloir, c’est-à-dire de rester passif. D’ailleurs, certaines personnes n’hésitent pas à me dire, pour se dispenser d’obéir : « Mais vous savez bien que je n’ai pas de volonté ! ». Ce à quoi je réponds : « Mais si, puisque vous vous obstinez à refuser la délivrance. »
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Voici Élisabeth, une jeune fille invitée à participer à une répétition de chant. On prépare Noël et l’on cherche des exécutants.
– Je n’ai pas le courage d’y aller cette fois, objecte-t-elle. Et en effet, la jeune fille – qui n’est pas nécessairement dépressive – paraît bien lasse et sans allant pour envisager d’affronter le vent glacé sur la neige. C’est sûrement trop pour ce soir. Et puis, Jeanne sa collègue de travail qu’elle jalouse un peu, a été désignée pour chanter en solo …
Au cours de la conversation, Élisabeth apprend que Jacques – un garçon pour qui elle a plus que de l’estime – sera là pour soutenir la basse. Alors, miracle ! Élisabeth trouve soudain un excellent prétexte et assez d’énergie pour enfiler son manteau et braver la neige.
Conclusion : le manque de volonté de la demoiselle n’était, en définitive, qu’un refus camouflé de prendre part à la répétition. Après tout, on trouve des forces pour ce qu’on aime … ou celui que l’on aime.
L’exemple ci-dessus nous enseigne tous, déprimés ou non. Nos explications, nos fatigues, notre travail, nos insomnies peuvent être autant d’alibis que nous invoquons pour décliner avec bonne conscience l’invitation du Seigneur. C’est pourquoi, même placé devant un malade effondré, nous ne devons pas céder trop vite à la pitié mais croire au contraire qu’il possède assez d’énergie pour dire, même dans l’état où il est : « J’accepte de dire non au tourment et oui à Celui qui délivre. Seigneur, je veux. Viens au secours de mon manque de volonté ».
Certes, il faut parfois aider le patient à rechercher la guérison, avec ménagement ou en le bousculant lorsqu’on discerne que les motifs de ses réticences sont égoïstes.
En entrant dans un foyer où m’attendait une malade, je fus arrêté par un spectacle que je revois encore : accoudée à la table, au centre de la salle de séjour, une femme pleure, le mouchoir sous les yeux. Dans un coin, le mari la regarde, immobile et abattu lui aussi. Près de la porte, deux enfants – dix et douze ans – observent avec douleur la maman qui gémit.
J’invite les enfants à se retirer mais la mère s’y oppose. Personnellement, je préfère les tête-à-tête, toutefois je n’insiste pas. Après une demi-heure d’entretien, suffisamment informé sur son cas, je questionne :
– Madame, voulez-vous acceptez de guérir aujourd’hui ?
La dame se perd en explications mais refuse le « oui » net et décidé que j’attends d’elle. Alors, j’attaque :
– Madame, je vous reproche de ne pas aimer les vôtres.
– Qui vous autorise à dire cela ?
– Personne … mais simplement ce spectacle.
Et je lui montre son mari et ses enfants.
– Que voulez-vous insinuer par là ?
– Regardez la tristesse de votre mari. De vos garçons. Croyez-vous que ce soit agréable pour eux que de devoir assister à vos lamentations du matin au soir et des mois durant ?
– Et que voulez-vous que je fasse ?
– Que vous disiez « oui » à ma question, ce que vous êtes en mesure de faire. Avec la dernière énergie, vous devriez dire : « Je refuse d’être dépressive et veux guérir maintenant parce que je désire le bonheur de ma famille. Aujourd’hui ! »
La dame baisse la tête, semble réfléchir, mais ne cède pas.
J’insiste. Finalement, Dieu a raison de ses réticences. Sans doute la pensée d’être une épreuve pour les siens et surtout d’attrister le Seigneur l’amène à capituler. Elle consent à dire dans un murmure : « J’accepte que le Christ me rétablisse maintenant » … Je devais apprendre quelques années plus tard que cette personne avait été réellement délivrée par le Seigneur ce jour-là.
Je reste persuadé qu’il appartient à cette catégorie de malades – et quel que soit leur état – de dire : « Je veux guérir parce que telle est la volonté du Seigneur. C’est pourquoi je lui demande instamment la grâce de retrouver mon équilibre et ma joie. »
Nous n’insisterons jamais assez en disant que chaque « oui » prononcé avec détermination, chaque : « Seigneur, je veux ce que tu veux pour moi » rend plus facile le « oui » de demain ou de l’instant qui suit. Chaque refus plus ou moins déguisé, m’endurcit et m’éloigne de la délivrance.
En conclusion, je dois être résolu à sortir du marasme pour quatre raisons au moins :