Il nous reste à étudier l’histoire des principales doctrines chrétiennes pendant la première période. Nous rangerons ces doctrines sous deux chefs généraux : la doctrine de Dieu, — et la doctrine de l’homme et du salut. Nous commencerons par la doctrine de Dieu, non seulement parce qu’elle est au premier rang dans l’ordre logique, mais aussi et surtout parce qu’elle tient, à cette époque, la première place dans les préoccupations de l’Église, et qu’elle est le centre de tout le travail dogmatique accompli dans son sein.
Au reste, il ne faut pas nous attendre à trouver dans les documents des premiers siècles des formules dogmatiques achevées, précises et rigoureuses. Nous sommes encore à la période du combat, de la lutte pour la vie : l’heure de la réflexion scientifique viendra plus tard, avec le repos qu suivra la victoire. On ne s’attache d’abord à formuler la doctrine que dans la mesure où l’on y est contraint par les nécessités de l’apologétique et de la polémique.
Voilà pourquoi on s’occupe surtout des doctrines les plus caractéristiques, et par cela même les plus attaquées par les juifs et par les païens, la personne du Christ — sa divinité surtout, — et son œuvre, la rédemption. La première de ces doctrines est comme le pivot du mouvement théologique pendant toute cette période et la période suivante. Et cela se conçoit. D’une part, la doctrine du Logos était tout ensemble la plus distinctive, la plus attaquée de toutes les doctrines chrétiennes, et celle qui offrait le plus de points de contact avec les philosophies antérieures (juifs et païens, Philon et Platon). Et, d’autre part, cette doctrine devait modifier d’une manière profonde la notion de Dieu ; aussi voyons-nous s’élaborer le dogme de la Trinité, en même temps que se formule la doctrine du Logos.
Mais, avant d’établir la divinité de Jésus-Christ et les rapports entre le Logos et Dieu, les apologètes et les docteurs avaient à établir la doctrine du Dieu unique, vivant et vrai, créateur et providence du monde, — en face des païens et des gnostiques, par qui ces doctrines étaient défigurées ou niées. Ces questions tiennent une assez grande place dans les écrits des Pères : aussi devons-nous les passer rapidement en revue, avant d’en venir à la doctrine du Logos et à celle de la Trinité.
Le Christianisme en tant que religion positive, c’est-à-dire, fondée sur une révélation historique, n’a pas à démontrer l’existence de Dieu : il la suppose. Mais les premiers docteurs de l’Église furent conduits à établir l’existence de Dieu par les nécessités de l’apologétique et de la polémique en face des païens.
La question ne se posait pas entre les chrétiens et les juifs, car les uns et les autres adoraient et annonçaient le même Dieu, le Dieu qui s’était révélé dans l’Ancien Testament, le Dieu d’Abraham, de Moïse et des Prophètes, que les Chrétiens considéraient comme s’étant révélé de nouveau en Jésus-Christ. Mais la question se posait entre les chrétiens et les païens, et cela à un double point de vue.
1. Les chrétiens étaient accusés d’athéisme par les païens. Ne voyant chez eux ni temples, ni autels, ni statues, ni simulacres quelconques de la divinité, et incapables de comprendre la spiritualité de leur culte, les païens supposaient qu’ils n’avaient pas de Dieu et les appelaient athées — ἄθεοι — Il fallait, pour se laver de ce reproche, affirmer l’existence de Dieu.
2. De plus, c’étaient les païens qui méritaient, en réalité, le reproche d’athéisme. Non pas qu’ils n’eussent aucun dieu : ils en reconnaissaient, au contraire, un trop grand nombre ; ils étaient, comme dit saint Paul aux Athéniens, dévots à l’excès — δεισιδαιμονέστεροι. — Mais ils avaient morcelé la divinité en tant de dieux divers, que l’existence même de cette divinité s’en trouvait très compromise. Le polythéisme est une autre sorte d’athéisme. Aussi voyons-nous saint Paul, dans ce même discours, entreprendre devant les Athéniens une espèce de démonstration de l’existence de Dieu (Actes 17.24, 59). D’ailleurs, certains philosophes païens avaient nié formellement l’existence de Dieu, ou la mettaient sérieusement en doute. Le scepticisme et l’athéisme étaient fort répandus. Il fallait donc, en face de ces négations et de ces doutes, affirmer l’existence de Dieu.
C’est par cette double nécessité de la défense et de l’attaque que les Pères furent conduits à s’occuper de démontrer l’existence de Dieu, et à commencer leurs symboles par cette affirmation : « Je crois en Dieu. » Toutefois, il ne faut pas leur demander des preuves rigoureuses et scientifiques. Ils prétendent, en général, qu’une telle démonstration est impossible. « Dieu, dit Clément d’Alexandrie, ne peut être saisi par la démonstration, car toute démonstration part d’un principe plus élevé pour en tirer, par voie de conséquence, ce qu’il faut démontrer ; or, il n’y a point de principe supérieur à Dieu, qui est le principe de toutes choses » (Strom., V, 12).
Cependant, les Pères donnent en faveur de l’existence de Dieu les arguments classiques, ceux qu’on a donnés de tous temps.
1. Ainsi, ils invoquent le sentiment religieux et le décrivent souvent avec éloquence. L’innéité de ce témoignage spontané que l’âme humaine rend à Dieu a, à leurs yeux, la force démonstrative d’un véritable argument ; c’est même pour eux l’argument par excellence, celui auquel ils reviennent le plus souvent et le plus volontiers.
D’après Justin Martyr, cet instinct religieux de l’homme est une première révélation de Dieu, déposée par le Logos au fond de l’âme humaine. Aussi montre-t-il l’idée de Dieu gravée dans le cœur des païens : « L’exclamation ! ô Dieu ! n’est pas une parole vaine, dit-il, c’est l’expression d’un sentiment profondément enraciné dans le cœur humain » (II, Apol., 6).
Tertullien, dans son De testimonio animæ, insiste également sur le sentiment religieux inné à l’homme. L’existence de Dieu est l’objet essentiel de ce témoignage involontaire et spontané de l’âme, dont il se fait une arme en faveur du Christianisme, et il ajoute (c. 2) : « Si anima aut divina, aut a Deo data est, sine dubio datorem suum novit. » (En effet, si l’âme est divine, ou simplement si elle a été donnée par Dieu, à coup sûr elle connaît son auteur.)
Clément d’Alexandrie dit à son tour : « Tout homme sincère confesse qu’il y a un Dieu immortel et sans commencement (Coh. ad Græcos, VI). — Et ailleurs : « Si quelqu’un se connaît soi-même, il connaît aussi Dieu » (Pædag, III, 1).
Théophile d’Antioche écrit à Autolyque : « Si tu me dis : Montre-moi ton Dieu ! je te répondrai. Montre-toi toi-même à moi (mot à mot : Montre-moi ton homme), et je te montrerai mon Dieu. Montre-moi si les yeux de ton âme voient, et si les oreilles de ton cœur entendent. Car, comme l’œil voit le soleil, ainsi l’âme peut voir Dieu… »
2. A cet argument, le seul décisif après tout, les Pères en ajoutent un autre, qui n’est que le premier présenté sous une forme nouvelle : c’est l’argument tiré du consentement universel des peuples, ou de l’existence des religions, Tertullien (Apolog. 17), Cyprien (de idolorum vanitate), Clément (Strom, V), etc., invoquent en faveur de l’existence de Dieu le témoignage unanime du genre humain. Origène range l’idée de Dieu parmi les notions communes — κοιναὶ ἔννοαι — que l’on retrouve chez tous les peuples, et qui sont comme l’apanage distinctif de la nature humaine.
3. Les Pères invoquent enfin, mais sans lui donner une forme scientifique, l’argument tiré des œuvres de la création — ou la preuve cosmologique, application du principe de causalité. Cet argument est employé, en particulier, par Minutius Félix et par Théophile d’Antioche. Ils comparent le monde, le premier à une maison (c. 18), le second à un vaisseau (I, 5), où toutes choses sont bien disposées et en bon ordre, ce qui rend témoignage à l’habileté et à la puissance du constructeur. C’est seulement plus tard, avec Grégoire de Nysse et Athanase, que cet argument revêtit une forme rigoureuse.
Plus tard aussi, avec Augustin, apparut l’argument ontologique, tiré de l’idée de Dieu, argument repris au Moyen Age par Anselme et au xviiie siècle par Descartes.
Ce n’était pas seulement l’existence, c’était aussi et surtout l’unité de Dieu que les chrétiens avaient à établir, soit contre le polythéisme des païens, soit contre le dualisme des gnostiques et leur doctrine du Démiurge. Aussi, la première affirmation du symbole, sous sa forme primitive, était-elle : πιστεύομεν εἰς ἕνα θεόν.
On invoquait, pour démontrer l’unité de Dieu :
1° Le témoignage spontané de l’âme, lequel n’implique pas seulement que Dieu est, mais qu’il est unique. Tel est le sens des exclamations citées par Tertullien comme se retrouvant fréquemment sur les lèvres des païens, Deus videt ; Deo commendo ; Deus reddet. « Nous pouvons apprendre par nous-mêmes, dit Justin, qu’il y a un Dieu unique, ce qui est la première condition d’une piété véritable » (Cohort. ad Græcos, 36) ;
2° Le témoignage que certains philosophes grecs, comme Anaxagore, Socrate et Platon, ont rendu à l’existence d’un Être suprême, cause première et unique de toutes choses. — A ce témoignage des philosophes, Justin, Théophile et Clément joignent celui des plus anciens poètes, Linus, Orphée, Homère, Sophocle ;
3° Certains arguments particuliers, plus ingénieux que solides. Athénagore, par exemple, fait ce raisonnement (Legat, pro Christ., 8) : « S’il y avait deux ou plusieurs dieux, il faudrait, où qu’ils fussent dans le même lieu, et alors ils se confondraient, ou qu’ils fussent à des lieux différents, ce qui ne se peut comprendre, car le Dieu qui a formé le monde l’enveloppe et remplit tout l’espace : dans quel lieu placer l’autre ou les autres dieux ? » Ceci suppose une notion assez matérialiste de la divinité : on la confond avec l’étendue infinie. — Minutius Félix est mieux inspiré, mais n’est guère plus concluant, lorsqu’il invoque certaines analogies naturelles. « Les empires de la terre ne peuvent avoir deux maîtres. Vois d’ailleurs : les abeilles n’ont qu’une reine, les troupeaux qu’un berger. Et tu voudrais qu’il y eût plusieurs maîtres au ciel ; que, dans le seul empire véritable et divin, la royauté fut partagée ! » (c. 18). — Origène donne à cet argument une forme plus scientifique, lorsqu’il dit que l’ordre et l’harmonie de l’univers supposent une intelligence et une volonté uniques (contr. Cels.,). « Si plusieurs dieux gouvernaient le monde, ajoute Lactance, il y aurait de continuels désordres » (I, 3).
Mais ici, les chrétiens rencontraient les gnostiques, qui invoquaient précisément l’imperfection et les désordres du monde, pour conclure à l’existence de deux divinités opposées, ou, du moins, de deux principes contraires, la lumière et les ténèbres, l’esprit et la matière, et à l’existence d’un démiurge imparfait et impuissant, auteur du monde. — Les Pères, surtout Origène et Irénée, prouvent par les Écritures que le créateur du monde est le vrai Dieu, le Dieu suprême révélé par Christ. Mais ils sont moins heureux quand ils veulent combattre les gnostiques par des arguments philosophiques. Nous ne les suivrons pas sur ce terrain, où ils sont aussi faibles qu’ils sont forts sur celui de la révélation. Il leur manque la notion philosophique de la liberté, créée de Dieu, mais devenant à son tour créatrice, et instituant un commencement nouveau.
Il ne suffit pas à l’homme de savoir que Dieu est : il veut encore savoir ce qu’il est. Sans doute, il n’aspire pas à avoir de Dieu une connaissance parfaite. Il sait que, par l’essence de sa nature infinie, Dieu lui échappe. Un Dieu qui lui serait parfaitement intelligible ne serait pas pour lui véritablement Dieu. Mais il est certains caractères — les caractères moraux surtout — par où Dieu est accessible à l’homme, par où il lui ressemble et peut s’unir à lui. C’est là ce que l’homme veut connaître de lui, — savoir : ses rapports avec lui, ses volontés à son égard, ce qui lui est nécessaire pour la vie et le salut.
Toutes les religions positives prétendent révéler aux hommes ces caractères de la divinité. La Bible aussi, qui proclame l’incompréhensibilité de Dieu, nous révèle cependant sur son essence ce que nous avons besoin d’en savoir.
Nous retrouvons chez les Pères la même dualité de langage. D’un côté, ils exaltent les profondeurs insondables de Dieu, et, de l’autre, ils nous parlent de sa nature et de quelques-uns de ses attributs. Mais c’est toujours au point le vue religieux, plutôt que métaphysique.
1° Incompréhensibilité de Dieu. — Tous les Pères reconnaissent que la nature de Dieu est ineffable, incompréhensible, souverainement élevée au-dessus de l’intelligence et du langage de l’homme ; qu’on ne peut ni définir Dieu ni le nommer. Quand on demanda au martyr Attalus : « Quel est le nom de Dieu ? » il répondit : ὁ Θεὸς ὄνομα οὐκ ἔχει ὡς ἄνθρωπος (Eus. V, 1). Tous les docteurs des premiers siècles tiennent le même langage. Ainsi Minutius Félix : « Nec nomen Deo quæras : Deus nomen est » (c. 18). Justin dit aussi que, si Dieu n’a pas de nom, c’est qu’on peut lui donner des qualifications — προσφήσεις — mais non pas définir son essence (ce que doit faire le nom), parce que Dieu est au-dessus de toute essence, ou privé d’essence, immatériel — ἐπέκεινα πὰσης οὐσίας — ἀνούσιος — ὑπερούσιος — (II Apol, 6 ; dial. c. Tryph., 3, 4).
Les docteurs d’Alexandrie s’expriment d’une manière semblable. Clément reconnaît que nous ne pouvons ne pouvons nous élever qu’à une notion négative de Dieu, en éliminant par l’analyse — δι᾽ ἀναλύσεως — tous les éléments finis que renferme l’idée immédiate de Dieu. On arrive ainsi à l’unité pure ; mais Dieu est encore au-delà — ἐπέκεινα τοῦ ἑνος καὶ ὑπέρ αὐτὴν μονὰδα — Ainsi nous ne pouvons, par notre propre intelligence, nous faire de Dieu que des idées négatives ; nous savons ce qu’il n’est pas, et non ce qu’il est. Pour savoir sur Dieu quelque chose de positif, et sortir du domaine, vide de l’abstraction, il faut nous jeter — αποῤῥίψῶμεν ἑαυτούς ; — dans la plénitude du Christ, qui manifeste dans toute sa richesse la nature divine (Strom. V, 11, 12.). Origène affirme que, si nous pouvons connaître et comprendre quelque chose de Dieu, Dieu n’en demeure pas moins infiniment supérieur à cette connaissance que nous avons de lui (De princ, I, 1, 5).
2° Nature de Dieu. — Malgré cela, les Pères parlent de la nature divine, et les idées qu’ils s’en font sont diverses selon les tendances de leur esprit et leur culture philosophique. Ils se trouvaient placés entre deux extrêmes, qu’il fallait également éviter : l’anthropomorphisme excessif du polythéisme, que l’on rencontrait aussi chez certains juifs, et qui attribuait à Dieu une forme humaine, et l’idéalisme excessif de certaines philosophies et du gnosticisme, qui réduisait Dieu à une abstraction, l’être pur — τὸ ὃν, — dont on ne peut rien affirmer, et qui ressemble fort à un zéro, au néant. Les Pères durent maintenir la véritable notion chrétienne de Dieu entre ces deux tendances ; mais chacune d’elles agit sur eux, et on les retrouve l’une et l’autre, quoique fort adoucies, dans la théologie des premiers siècles.
A. Tendance réaliste (matérialiste ou anthropomorphique), — représentée par Méliton de Sardes, Tertullien, Cyprien, etc. Ces Pères insistent tellement sur la réelle substantialité de Dieu, qu’ils finissent par lui attribuer une forme corporelle, persuadés qu’il n’y a rien de réel que ce qui est corporel Ce principe faux les conduit, malgré leurs intentions excellentes, à des conséquences singulières.
Méliton de Sardes paraît être le premier qui ait attribué un corps à Dieu. Il écrivit un traité intitulé Περὶ ἐνσωμάτου θεοῦ, qui a été perdu, mais qui est cité par Origène (Comment in Genes.). Dans ce traité, Méliton s’appuyait sur Genèse 1.26, pour donner à Dieu une forme humaine.
Tertullien ne va pas aussi loin et son anthropomorphisme est moins grossier. Il fait de Dieu, comme de l’âme, une essence corporelle, mais cette corporalité n’a rien de commun avec notre nature physique. Ce n’est que la forme nécessaire de l’existence distincte et individuelle, quelque chose d’analogue au principe d’individuation des scolastiques. « Si elle existe, il faut qu’elle ait nécessairement la chose par laquelle elle existe. Si elle a la chose par laquelle elle existe, cette chose n’est rien moins que son corps. Tout ce qui existe est un corps de son espèce particulière: rien d’incorporel que ce qui n’existe pas. » (de Carne Christi, c. 11). Tertullien n’en affirme pas moins que Dieu, comme l’âme humaine, est esprit ; mais l’esprit n’est pour lui qu’un corps plus subtil, invisible à l’œil, impalpable à la main, et dont la seule propriété corporelle est d’être étendu et d’occuper un certain lieu dans l’espace.
Cyprien et Lactance tiennent le même langage.
Du reste, la plupart des Pères, les Alexandrins exceptés, partagent cette manière de voir. Ce qui le prouve, c’est la façon dont ils parlent de l’immensité de Dieu, entendant par là une étendue infinie, une extension illimitée dans l’espace. Ils suivent sur ce point l’exemple de Philon, qui appelait Dieu ὄρος τοῦ οὐρανου, et le représentait comme enfermant le ciel. Ils conçoivent Dieu comme enveloppant le monde de toutes parts, et l’emplissant tout l’espace où il flotte. Ainsi Théophile d’Antioche compare l’univers à une grenade, dont Dieu serait l’écorce et dont les créatures seraient les grains (ad Autol., I, 5). Nous avons vu qu’Athénagore démontrait l’unité de Dieu par cet argument : Puisque Dieu enveloppe le monde et remplit tout l’espace, il n’y a plus de place pour un autre ou pour d’autres dieux.
Aussi la plupart des Pères considèrent-ils Dieu comme étant le lieu de l’univers. « Prima tu causa es, locus rerum ac spatium », dit Arnobe. Et Théophile d’Alexandrie : Αὐτὸς ἑαυτοῦ τόπος ἐστίν, καὶ αὐτός ἐστι τόπος τῶν ὅλων(Ad Autol. II, 10).
B. Tendance idéaliste. — L’école d’Alexandrie proteste et réagit contre cette tendance matérialiste que nous venons de signaler. S’inspirant du spiritualisme platonicien, elle prend à tâche d’écarter de la notion de Dieu tout ce qui tend à la matérialiser et à faire ressembler Dieu à l’homme.
Clément, dans ses Stromates, s’élève avec force contre l’anthropomorphisme, qui est, dit-il, « mortel à toute vraie piété, parce qu’il donne de Dieu des idées indignes de lui. Dieu est au-dessus de l’espace et du temps — ὑπεράνω καὶ τόπου καὶ χρόνου ; il ne réside pas en un lieu quelconque, de manière à entourer ou à être entouré » — οὔτε περιέχων οὔτε περιἑχομενος.
Origène combat aussi l’opinion d’après laquelle Dieu enveloppe le monde et se trouve, à la façon de l’espace, le lieu de toutes choses. Il veut qu’on écarte de l’idée de Dieu tout élément matériel, qu’on le conçoive comme une substance absolument simple et indivisible, comme une intelligence pure, comme la monade absolue. Et il va si loin, en ce sens, qu’il arrive à une notion de Dieu passablement abstraite et vide (de Princ, I, 1 ; cont. Cels. VI. 7).
Clément et Origène ajoutent qu’on ne connaît vraiment Dieu que par le Verbe qui l’a révélé.
C. Tendance moyenne. — Entre ces deux tendances, où l’on surprend encore le matérialisme païen et l’idéalisme des néoplatoniciens et des gnostiques, se forma une tendance moyenne, dont le représentant est le sage Irénée. Irénée cherche à se tenir à égale distance des deux extrêmes, et pour cela, il renonce à se faire une notion métaphysique de Dieu. Il s’attache au côté moral de sa nature, et, ne pouvant connaître Dieu en lui-même, il se contente de le contempler dans ses ouvrages et dans son Fils, qui est son image parfaite et vivante.
A la nature de Dieu correspondent ses attributs. Ils ne furent pas, de la part des Pères de cette époque, l’objet de déterminations scientifiques bien précises. On s’en tint, en général, aux idées fournies par l’Ancien Testament, en s’attachant à relever surtout les attributs méconnus par les païens et les gnostiques.
1° Spiritualité. — Contre le grossier anthropomorphisme des païens l’invisibilité de Dieu est affirmée, aussi bien par les docteurs qui attribuaient à Dieu une sorte de corps que par les autres. C’est que ce corps était, nous l’avons vu, tout différent de notre corps matériel : il était considéré comme invisible et spirituel.
On faisait généralement, à ce sujet, une distinction entre Dieu et le Logos, distinction déjà établie par Philon. Dieu, disaient les Pères, est absolument invisible, et ne peut se rendre visible. Le Logos peut se rendre visible et apparaître aux hommes sous une forme corporelle. Les théophanies de l’Ancien Testament sont donc, en réalité, des logophanies.
2° Toute-présence. — Les Pères devaient affirmer la toute-présence de Dieu, car elle était méconnue par les païens ; remarquons seulement chez eux une double manière de concevoir cet attribut, correspondant aux idées différentes que l’on se faisait de la nature divine.
Les Pères de l’école réaliste expliquent la toute-présence de Dieu par ce fait, qu’il remplit tout l’espace et qu’il est le lieu de toutes choses.
Origène combat cette conception grossière. Selon lui, ce n’est pas Dieu lui-même qui pénètre, soutient et enferme l’univers en remplissant tout l’espace. Mais c’est par sa volonté toute-puissante, qu’il est présent partout, sans occuper pour cela aucun lieu dans l’espace.
3° Toute-puissance. — Les attributs divins que les Pères avaient surtout à relever, en face des païens et des gnostiques, étaient la toute-puissance, la justice et l’amour.
Les païens et les gnostiques méconnaissaient la toute-puissance divine. Les païens, parce que le polythéisme implique la négation de cette toute-puissance. S’il y a plusieurs dieux, ils se limitent mutuellement. De plus, à côté de ses divinités, le polythéisme place toujours la matière chaotique et incréée, qu’elles ne peuvent entièrement dompter. Enfin, au-dessus des dieux, il met le destin, le fatum, l’ἀνάγκη, ou l’ἐιμαρμένη, la loi aveugle à laquelle le Roi des dieux lui-même est soumis. — Quant aux gnostiques, à l’idée païenne d’une matière indépendante et rebelle, ils joignaient l’idée de deux principes éternels, qu’ils avaient empruntée au dualisme oriental, et qui limitait et détruisait la toute-puissance divine.
Aussi les docteurs de l’Église accentuèrent-ils avec force cette toute-puissance et l’inscrivirent-ils dans leurs symboles : « Je crois en Dieu, le Père tout-puissant… » Cette affirmation avait d’ailleurs pour eux un intérêt apologétique — elle servait à établir le grand surnaturel chrétien et un intérêt pratique — elle servait à donner aux fidèles persécutés le courage et la confiance dont ils avaient besoin. — Mais, par cela même, les Pères furent conduits à certaines exagérations fâcheuses. Ils ne surent pas mettre la toute-puissance de Dieu en rapport avec sa nature morale, et ils la confondirent avec l’arbitraire illimité, avec le caprice le plus absolu, prétendant que Dieu peut faire l’absurde, le contradictoire et le mal, et que le bien n’est bien que parce qu’il a plu à Dieu de le vouloir ainsi.
Celse adressa sur ce point de vifs reproches aux chrétiens, et Origène, sentant ce que ces reproches avaient de fondé, s’efforça de les écarter par des considérations qui ne sont pas sans valeur et qui rappellent nos idées modernes. Il établit une distinction entre la nature au sens idéal — qui est d’accord avec l’ordre voulu de Dieu, et qui n’est autre chose que la raison divine elle-même, — et la nature au sens réel — ou considérée dans ses manifestations extérieures, dans ses phénomènes. Si l’on parle de la nature au sens idéal, il est permis, d’après Origène, de dire que Dieu ne peut ni ne veut faire ce qui est contre nature, ce qui est irrationnel et inintelligible. Il n’en est plus ainsi si l’on parle de la nature phénoménale. Dieu ne peut pas être lié par ses lois. Il peut y avoir un point de vue supérieur qui les domine et d’après lequel Dieu agit ; et, en ce cas, bien qu’il paraisse agir contrairement à la nature, il agit en réalité conformément à une nature supérieure, qui est la vraie. De là une notion du miracle qui ne manque pas de profondeur. Le miracle est une action divine qui ne correspond pas aux lois de la nature phénoménale, mais qui correspond à un ordre supérieur, lequel est la vraie nature. Cet ordre supérieur, cette nature idéale et divine, constitue une limite à la toute-puissance de Dieu.
Il y a beaucoup de vrai dans tout cela. La question de la toute-puissance divine a été de tous temps la croix des théologiens et des philosophes. Je crois qu’il faut reconnaître une limite à cette toute-puissance, mais une limite qui n’a rien d’extérieur et qui ne diminue en rien la souveraine indépendance de Dieu. Cette limite, c’est la nature de Dieu, qui est constituée par son intelligence, sa sainteté et son amour. Dieu peut tout ce qu’il veut, mais il ne veut que conformément à sa sagesse, à sa sainteté et à son amour. Il ne veut que ce qu’il peut vouloir sans cesser d’être saint, sage, juste et bon, c’est-à-dire sans cesser d’être Dieu. Dieu respecte la nature qu’il s’est donnée à lui-même. Il se veut avec ses attributs. Il est causa sui. Dans ce sens, il est limité, mais c’est sa liberté qui se limite volontairement.
Au lieu de cette limite volontaire, qui n’est que la personnalité de Dieu s’affirmant elle-même, Origène assigne à la toute-puissance de Dieu une limite qui semble porter atteinte à sa divinité et nous ramener aux idées des religions et des philosophies païennes. « Dieu, dit-il, n’a créé que la quantité de matière qu’il a été en état de former et le nombre d’êtres qu’il est capable de gouverner. » « Il ne faut pas, en effet, ajoute-t-il, considérer sa puissance comme infinie, car, dans ce cas, il n’en aurait pas conscience, l’infini étant, de sa nature, absolument incompréhensible. Voilà pourquoi le monde est fini et non infini ; voilà pourquoi la puissance et la science de Dieu sont finies et non illimitées » (De Princip., II, 9 ; III, 5). Or, j’admets avec Origène que l’infini ne puisse être compris par le fini ; mais que l’infini ne puisse se comprendre lui-même, c’est ce que l’on ne saurait accorder, et il n’est pas permis d’attribuer à l’intelligence divine les limites de l’intelligence humaine. Gieseler pense qu’Origène est arrivé à cette étrange conclusion d’une puissance et d’une science de Dieu limitées en partant du fait et du principe que le monde est fini, — fait ou principe qu’il avait été amené à admettre par certaines raisons sur lesquelles il ne s’explique pas, — et que c’est pour rendre raison de ce fait qu’il a affirmé que Dieu ne pouvait connaître le monde s’il était infini. Nous préférons l’explication de Néander : Origène, d’après lui, aurait adopté comme une sorte d’axiome ce principe de la philosophie régnante : cela seul qui est limité est intelligible. Mais comme, d’autre part, il tenait beaucoup, et cela dans un intérêt religieux, à la notion d’un Dieu conscient de lui-même, connaissant toutes ses œuvres et prenant soin, par une providence spéciale, de ses moindres créatures, il conclut que Dieu n’a fait que juste le nombre de créatures qu’il pouvait suffire à embrasser du regard et à conduire de sa main.
4° Justice (ou sainteté) et amour. — C’est principalement la justice et l’amour de Dieu, et l’harmonie de ces deux attributs, que les docteurs de l’Église devaient affirmer en présence des juifs, des païens et des hérétiques.
L’Ancien Testament proclamait avec force la justice de Dieu, et les Juifs avaient eu le tort, en prenant à la lettre les mots de haine, de colère et autres expressions anthropomorphiques qui s’y rencontrent, de représenter cette justice sous des traits indignes d’elle. Cette manière de se figurer la justice de Dieu avait choqué les Païens, et ils s’en faisaient un prétexte pour repousser la vérité qui se cachait derrière ces expressions imagées. Mais ce grossier anthropomorphisme des juifs n’était pas la vraie raison qui empêchait les païens de croire à la justice de Dieu : cette vraie raison était plus profonde et tenait au caractère même de la religion païenne, qui la rendait incapable de comprendre le Dieu saint de l’Ancien Testament. Pour bien concevoir la justice et la sainteté de Dieu, il faut avoir un sentiment sérieux du péché : or, ce sentiment a toujours manqué au paganisme antique, pour lequel le péché n’était qu’une faiblesse, une imperfection naturelle et inévitable. — Enfin, les Gnostiques n’avaient guère mieux compris la justice de Dieu. Sans doute, ils ne niaient pas absolument, comme les païens, ce que l’Ancien Testament disait de cette justice ; mais ils l’attribuaient à un dieu inférieur, bien différent du Dieu chrétien, le Démiurge. Ainsi, ils opposaient d’une manière absolue la justice à l’amour et, n’admettant pas que ces deux attributs pussent appartenir à la même personne divine, ils statuaient une sorte de dualisme dans la révélation et dans les attributs de la divinité. C’était, d’un côté, le Dieu parfait, dont l’attribut essentiel est l’amour et qui se révèle par la rédemption, et, de l’autre, le Démiurge, dont l’attribut essentiel est la justice et qui se révèle par la loi. On retrouve déjà les traces de ce dualisme dans Philon, d’après lequel les bénédictions viennent directement de Dieu, tandis que les châtiments sont administrés par des esprits inférieurs qui sont ses serviteurs. Le dualisme est tout à fait accusé chez Marcion, où le θεὸς ἄγαθος, auteur de la rédemption, qui ne s’occupe que de ceux qui ont part au salut, est opposé au δημίουργος δίκαιος, à qui reviennent tous ceux qui ne sont pas rachetés.
Ainsi, la justice de Dieu était méconnue en dehors de l’Église chrétienne. L’amour de Dieu l’était également, car le Dieu libre était absent des systèmes païens ou gnostiques, et le Dieu libre seul est amour.
Il fallait donc affirmer le Dieu du christianisme, qui est à la fois sainteté et amour, et montrer comment ces deux attributs, en apparence contradictoires, se concilient dans l’Évangile. La double affirmation de la justice et de l’amour de Dieu se retrouve chez tous les docteurs de l’Église. Mais, quand il s’agit de concilier ensemble ces deux attributs, nous voyons apparaître certaines divergences de vues assez significatives.
I. Les Alexandrins font la conciliation aux dépens de la justice divine. Ils s’efforcent de corriger ce qu’avaient de choquant certaines expressions figurées, comme la colère ou la haine de Dieu, et, dans leur ardeur à combattre l’anthropomorphisme grossier qu’elles avaient engendré, ils méconnaissent quelquefois la réalité positive qui se cache sous ces expressions. Ils affaiblissent l’idée de la justice, jusqu’à la faire disparaître presque entièrement dans celle de l’amour. Clément déclare que Dieu est un être souverainement élevé au-dessus des sentiments et des affections humaines. Aussi, quand les prophètes nous parlent de sa colère contre les pécheurs et contre le péché, ils ne représentent pas Dieu tel qu’il est, mais tel que nous, hommes charnels, pouvons nous le figurer. Origène voit aussi dans l’Ancien Testament une accommodation à la faiblesse humaine, et il ajoute qu’il n’y a pas de colère de Dieu, mais que le méchant se représente Dieu comme courroucé contre lui, à cause de tous les maux qu’attire sur lui son éloignement de Dieu. Clément et Origène considèrent les châtiments de Dieu comme n’ayant pour but que l’amélioration des pécheurs. « Dieu ne punit pas, dit Clément, car la punition serait le mal rendu pour le mal : il corrige pour ramener à lui celui qu’il éprouve et pour avertir salutairement les autres » — Θεὸς δὲ οὐ τιμωρεῖται (ἔστι γὰρ ἡ τιμωρία κακοῦ ἀνταπόδοσις), κολάζει μέντοι πρὸς τὸ χρήσιμον καὶ κοινῇ καὶ ἰδίᾳ τοῖς κολαζομένοιςa. (Strom., VII, 16 ; Cf., IV, 24, et Pædag. I, 8). Origène compare Dieu à un médecin qui n’emploie pas seulement des remèdes faciles à prendre, mais qui administre aussi des remèdes violents et douloureux (de Princ. II, 10). Tous deux s’accordent à n’attribuer aux châtiments qu’une vertu médicinale ou curative ; pour eux la justice de Dieu n’est pas une justice distributive, qui rend à chacun selon le bien ou le mal qu’il a fait ; c’est une justice éducatrice, qui ne se propose pour but que l’amélioration et la conversion du pécheur, et qui n’est qu’une des faces de l’amour divin.
a – Dieu ne punit pas : la punition, sont les représailles de l’injure : il châtie en général comme en particulier, pour l’utilité de ceux qu’il éprouve. (ThéoTEX)
II. Les Occidentaux — les Africains surtout — relèvent au contraire avec force la justice distributive, et, pour ainsi dire, la justice judiciaire de Dieu. Ils considèrent le châtiment comme étant une punition en même temps qu’un remède. Tertullien veut qu’en proclamant la bonté de Dieu on reconnaisse aussi sa haine du péché et sa colère contre tout ce qui s’oppose à sa sainte volonté. « Dieu se doit à lui-même, dit-il, de maintenir sa loi et d’en punir les transgresseurs. Il serait plus indigne de lui d’épargner le mal que de le châtier. » Lactance tient le même langage dam son traité De ira Dei, dont le titre seul est significatif « Dieu, dit-il, doit haïr le mal comme il aime le bien, et c’est en vertu de cette haine qu’il doit haïr le méchant » (c. 4). Irénée, sans aller aussi loin que Tertullien et Lactance, combat aussi le point de vue alexandrin, et croit devoir insister sur l’idée de justice et sur celle de châtiment. Mais, envisageant toujours les choses par le côté moral, il fait avant tout du châtiment quelque chose d’intérieur, une souffrance qui a son siège dans la conscience, et qui suit partout le pécheur comme l’ombre suit le corps. Dieu est, d’après lui, la source du bonheur pour ceux qui vivent près de lui ; aussi n’y a-t-il que malheur pour les autres (Adv. hæres. V, 27).
Cette question des rapports de la justice et de l’amour en Dieu est une des plus hautes et des plus importantes de la théologie : toutes les autres y sont engagées, et de sa solution dépendent le caractère et la tendance générale de la dogmatique tout entière. La tentative de conciliation essayée par l’école d’Alexandrie a été renouvelée avec éclat de nos jours par l’école théologique, qui veut tout ramener à l’amour de Dieu (Sartorius ; de Pressensé, etc). Cette école considère la justice qui châtie comme une autre face de l’amour divin. L’amour repoussé est un feu consumant, et le châtiment est inspiré à Dieu par son amour envers ses créatures : c’est parce qu’il leur veut du bien, qu’il les empêche d’être heureuses loin de lui et les ramène à lui par la souffrance, conséquence naturelle et nécessaire de leur éloignement et de leur péché. — Cela est très vrai et excellent, mais incomplet, et jusqu’à un certain point dangereux. En raisonnant ainsi, on se place trop au point de vue de l’homme, pas assez au point de vue de Dieu.
1. Si Dieu est amour, il est aussi sainteté. Saint Jean dit dans son épître : ὁ θεὸς φῶς ἐστίν, avant de dire : ὁ θεὸς ἀγάπη ἐστίν (1 Jean 1.5 ; 4.8). L’amour de Dieu est un amour saint, un amour qui discerne son objet, et qui ne s’attache pas indifféremment sur toute chose. Ce n’est pas l’indulgente faiblesse du « Dieu des bonnes gens » : c’est l’amour sérieux de celui « dont les yeux sont trop purs pour voir le mal. » Exaltez donc l’amour de Dieu, dites qu’il est au-dessus de toutes ses œuvres, qu’il est le dernier mot de ses dispensations comme il est le dernier mot de sa vie elle-même ; mais ne l’exaltez pas aux dépens de sa sainteté : ce serait le compromettre gravement. Car si Dieu aimait sans distinguer l’objet de son affection, il cesserait de mériter qu’on l’aimât, et son amour ne serait plus de l’amour.
2. Qu’on ne dise pas non plus que le châtiment n’a d’autre raison d’être que le relèvement du pécheur. Sans doute, Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais sa conversion et sa vie, et c’est à ce but qu’il fait servir les châtiments qu’il a attachés à la pratique du péché. Mais ces châtiments sont aussi une sanction nécessaire de la loi, une réparation obligée de la désobéissance, un hommage contraint et douloureux que Dieu exige de ceux qui n’ont pas voulu lui rendre l’hommage joyeux et volontaire de l’obéissance. Le péché est une révolte contre Dieu ; c’est l’homme se dressant violemment en face de Dieu, opposant sa volonté à la volonté de Dieu, disant « non » là où Dieu dit « oui », niant Dieu et le supprimant autant qu’il est en lui. Le châtiment, c’est Dieu répliquant au péché et s’affirmant lui-même contre ceux qui le nient. Il y a là plus qu’une loi naturelle, analogue à celle en vertu de laquelle l’arbre porte des fruits : il y a un acte positif de Dieu, une sentence prononcée par sa justice. Ne pas y voir cela, c’est porter atteinte à la majesté, à la sainteté divine, qui se sent directement offensée par le péché et qui ne peut pas affirmer et rétablir ses droits en face de ceux qui les nient. C’est aussi accuser de mensonge la conscience, qui, en nous condamnant, nous rend témoignage que cette condamnation est celle de Dieu lui-même.
C’est pour avoir méconnu ces principes que l’école d’Alexandrie et celles qui ont suivi la même voie, n’ont pas su comprendre dans toute sa portée le fait de la rédemption.
Les deux doctrines de la Création et de la Providence étaient aussi des doctrines nouvelles pour le monde païen ; le christianisme les avait reçues du judaïsme, et il fallait les affirmer avec force.
I. Création. — L’antiquité païenne n’avait pas su s’élever à l’idée de création. Cette idée était aussi étrangère aux religions populaires qu’aux philosophies. D’une part, on ne trouvait que des cosmogonies fantastiques, ou plutôt des théogonies, où les éléments du monde divinisés ou livrés à eux-mêmes s’organisaient tout seuls. De l’autre, on n’était arrivé qu’à l’idée d’un Dieu suprême, organisant une matière éternelle comme lui, indépendante de lui et souvent rebelle, ou bien à celle d’atomes éternels se rencontrant et se coordonnant eux-mêmes. Nulle part la notion d’un acte créateur, souverain, absolu et libre ; partout, au contraire, celle d’une matière préexistante, qui est l’étoffe dont le monde est fait, et qui constitue une limite et un obstacle à la liberté et à la puissance divines.
De là cet autre principe, commun aux religions et aux philosophies antiques, qu’il y a, dans l’organisation du monde, une imperfection inévitable, laquelle est la source du mal. Nous retrouvons ici cette absence de la vraie notion du péché qui est l’un des caractères du paganisme : tant il est vrai que la notion du péché et celle de la création sont solidaires l’une de l’autre. D’un côté, quand on considère le mal comme une nécessité de la nature, on ne peut attribuer la nature elle-même à un acte absolu de la liberté divine, et l’on restreint cette liberté en la soumettant aux exigences d’une matière préexistante, dont Dieu fait, non ce qu’il veut, mais ce qu’il peut. Et, d’un autre côté, quand on voit dans la création l’œuvre d’un Dieu agissant sur une matière rebelle, le mal devient nécessaire, et la responsabilité diminue ou disparaît.
Cette idée de la matière éternelle, — dont Platon lui même n’est pas parvenu à s’affranchir, et qui subsiste chez les néoplatoniciens, bien qu’ils tirent tout leur système de la notion de l’absolu, — se retrouve aussi dans tous les systèmes gnostiques. La création n’y est qu’une organisation de la matière. Tantôt elle est une révolte, comme chez Saturnin, tantôt, comme chez Valentin, une conséquence de la chute et un premier acte du drame de la rédemption Mais toujours elle n’est que la mise en ordre d’une matière éternelle et chaotique — d’une ὕλη ou d’un κενῶμα — que le Démiurge, esprit inférieur, ne peut que très imparfaitement façonner.
En face du paganisme et du gnosticisme, l’Église affirma avec force le fait de la création. Aussi le trouvons-nous mentionné en tête de son plus ancien symbole : « Je crois en Dieu, le Père tout-puissant, créateur… ». On ajoutait, soit : « des cieux et de la terre… » (règles de foi d’Irénée et de Tertullien), soit « des choses visibles et des invisibles », ou quelque expression analogue.
Et pour préciser encore davantage cette affirmation, on déclarait généralement que Dieu avait créé « de rien » — ex nihilo — ἐξ οὐκ ὀντων — selon cette parole de Hébreux 11.3 : μὴ ἐκ φαινομένων τὸ βλεπόμενον γεγονέναι. Le terme ἐξ οὐκ ὀντων se trouvait d’ailleurs déjà dans un livre apocryphe de l’Ancien Testament (2Macchabées.7.28). Parmi les Pères de l’Église, Hermas est le premier à préciser ainsi et à employer cette expression, devenue plus tard en quelque sorte technique : εἷς ἐστιν ὁ θεός, καί ποιήσας ἐκ τοῦ μὴ ὄντος εἰς τὸ εἶναι τὰ πάντα (Past., præcept. 1).
On s’est beaucoup raillé de ce mot. Il serait puéril, en effet, si l’on prétendait donner par là une explication du fait de la création, comme si le néant était une étoffe dont on pût faire quelque chose, et dont Dieu eût tiré le monde. Il est évident, comme on l’a dit, qu’avec rien on ne fait rien : ex nihilo nihil. Le terme de creatio ex nihilo est donc impropre philosophiquement ; mais il est très commode, et, dans le sens où l’Église l’a employé, il est exact. C’est la simple affirmation de ce fait, que Dieu à créé le monde sans le tailler dans une matière préexistante, qu’il a appelé la matière elle-même du néant à l’être. En un mot, il a fait, par un acte souverain de sa volonté, que ce qui n’était pas, fût.
Voilà le fait, et ce fait, dit l’Église, est un mystère, dont le comment nous échappe. Il dépasse toutes nos conceptions et nos imaginations. Nous ne l’aurions pas découvert avec nos propres lumières. Aussi est-ce un fait de révélation, un objet de foi. « C’est par la foi, dit l’épître aux Hébreux, que nous savons que toutes choses ont été faites par la parole de Dieu — Πίστει νοοῦμεν κατηρτίσθαι τοὺς αἰῶνας ῥήματι θεοῦ (Hébreux 11.3). C’est aussi ce que déclare formellement Irénée : « Il ne faut pas vouloir tout expliquer. Dieu a tout créé par sa seule puissance, et le monde a commencé quand il a voulu qu’il commençât. Quant aux autres questions : comment Dieu a-t-il fait pour appeler le monde du néant à l’être ? — ou : que faisait Dieu avant le moment où il a créé ? ce sont des questions de pure curiosité, auxquelles Dieu seul pouvait répondre et auxquelles il n’a pas jugé bon de répondre dans les révélations qu’il nous adonnées. » (Adv. hær. II, 28).
Cependant on ne se bornait pas à constater le fait de la création, on le décrivait, et, en prenant pour guide le récit de la Genèse, on entrait dans certains détails explicatifs. Ici, comme partout, nous constatons deux grands courants. La plupart des Pères, comme Théophile d’Antioche — qui, le premier, commenta avec quelque étendue le récit mosaïque — et Tertullien, prenaient ce récit dans le sens le plus littéral, et voyaient dans chaque trait une haute signification allégorique et mystique. En particulier, ils prenaient au sens strict les six jours de la création. Mais les docteurs d’Alexandrie rejetaient cette interprétation littérale, parce qu’ils trouvaient dans le récit de Moïse une foule de traits indignes de la majesté divine. Clément, par exemple, n’admet pas la succession des six jours. Dieu, selon lui, a tout créé en même temps : quant aux six jours, ce n’est qu’une forme narrative imaginée pour la commodité du récit, et destinée aussi à marquer la valeur inégale des choses créées. Clément n’admet pas non plus le repos du septième jour : il y voit seulement l’indication de l’ordre qui succéda alors à la confusion primitive (Strom. VI, 16). Origène rejette aussi l’interprétation littérale, et donne du récit une interprétation analogue à celle de Clément. Le verset 1er se rapporte, d’après lui, à la création primitive, celle des esprits et de la matière ; les six jours ont trait à i’œuvre postérieure à la chute (De princ, II. 4 ; III, 5 ; IV, 16 ; etc.).
En affirmant le fait de la création ex nihilo, les Pères s’attachent à réfuter l’opinion païenne et gnostique de l’éternité de la matière. Leurs arguments sur ce point sont de valeur assez inégale.
Ainsi, nous retrouvons chez Méthodius, de Tyr, contemporain et adversaire d’Origène, un argument analogue à celui d’Athénagore en faveur de l’unité de Dieu. Dieu et la matière, dit-il, ne pourraient exister dans deux lieux séparés ; et ils ne pourraient exister dans le même lieu sans se confondre. Il fait remarquer aussi à ses contradicteurs que la matière éternelle est, selon eux, dépourvue de qualités : il a donc fallu que Dieu créât de rien ces qualités pour les attribuer à la matière, de sorte qu’il faut toujours en revenir à une certaine création ex nihilo.
Théophile et Lactance sont plus solides dans leur argumentation. « Si la matière est éternelle et incréée, dit Théophile, elle est égale à Dieu, et dès lors elle ne peut éprouver aucune modification, elle reste éternellement ce qu’elle est dès le commencement. » — Et Lactance : « Deux êtres éternels et opposés devraient nécessairement entrer en lutte et se combattre mutuellement jusqu’à ce que l’un des deux fût détruit » (Instit. div., II, 8).
Tertullien enfin consacre tout un traité à réfuter Hermogène, peintre de Carthage, qui paraît avoir été un platonicien converti au christianisme, et qui persistait, après sa conversion, à enseigner l’éternité de la matière. Voici comment raisonnait Hermogène. Dieu, disait-il, ne pouvait tirer le monde que de lui-même, du néant, ou de la matière. Or, il ne pouvait le tirer de lui-même, car il est indivisible. Il ne l’a pas tiré du néant, car, si le monde était le produit d’un acte immédiat et souverain de Dieu, il serait parfait comme Dieu lui-même. Il reste donc qu’il l’ait tiré d’une matière préexistante, d’un principe passif sur lequel Dieu agit comme principe actif. La résistance que cette matière oppose à Dieu est la source du mal dans le monde. — Tertullien objecte à cela que, donner à la matière l’attribut divin de l’éternité, c’est en faire un second Dieu.
Cette réponse de Tertullien prouve qu’il n’a pas compris la portée de l’argumentation d’Hermogène — qui était aussi celle des gnostiques — tirée de l’existence du mal. Oui, si le monde est l’œuvre immédiate de Dieu, il doit être bon ; et alors, d’où vient le mal ? — Le mal vient de l’excellence même du monde. Le monde le plus excellent, le plus digne de Dieu, le plus semblable à Dieu, est un monde de liberté, et c’est ce monde-là que Dieu a créé. Or, il est de l’essence de la liberté de devenir, à côté de Dieu, un agent nouveau, qui peut s’exercer contre Dieu aussi bien qu’avec Dieu : de là le mal. Ainsi le mal, loin de contredire l’optimisme, — qui n’est que le corollaire de la foi en Dieu, — le confirme au contraire. L’optimisme véritable est l’optimisme de la liberté.
Les Alexandrins combattent aussi l’éternité de la matière ; mais ils font à l’opinion païenne et gnostique une concession dont ils ne sentent pas le péril. Ils admettent, non pas l’éternité du monde que nous habitons, ni même l’éternité d’une matière distincte et indépendante de Dieu, mais l’éternité de la création ou, plus exactement, une éternelle activité créatrice de Dieu. Origène enseigne que Dieu est éternellement créateur. Il ne peut admettre que, pendant tout le temps qui a précédé la création — c’est-à-dire pendant toute une éternité — Dieu ait été immobile et inactif : otiosam enim et immobilem dicere naturam Dei, impium est simul et absurdum. Il ne peut admettre non plus en Dieu le passage de l’inaction à l’action, passage qui serait contraire à l’un de ses attributs les plus essentiels, l’immortalité. Il conclut donc que Dieu a de tous temps créé des mondes, qu’il évoque à l’existence une série infinie de mondes finis et non éternels, dont le nôtre est l’un des termes. Ainsi se concilient chez Origène deux opinions assez opposées. L’une, c’est que chaque monde est fini et commence dans le temps ; car, s’il était infini et éternel, Dieu ne pourrait le connaître et le gouverner. L’autre, c’est que ces mondes se succèdent en nombre infini et à travers l’éternité ; de tout temps il y en a eu et il y en aura toujours ; la série n’a pas eu de commencement et n’aura pas de fin.
Cette conception est dangereuse, car elle conduit logiquement au panthéisme et au fatalisme. Au panthéisme, car dès lors le monde devient indispensable à Dieu ; il est le produit de son activité nécessaire, le déploiement éternel sans lequel Dieu cesserait d’être Dieu ; une coexistence éternelle et nécessaire est statuée entre le fini et l’infini, entre la nature et Dieu. Et au fatalisme, car, si la création est nécessaire à Dieu, ce caractère de nécessité s’empreindra sur toutes ses œuvres ; il n’y aura plus de place dans le monde pour la liberté divine.
Si Origène et Clément se sont laissés aller à faire à leurs adversaires cette concession périlleuse, c’est qu’ils n’avaient pas compris la portée philosophique de la doctrine de la Trinité, qui met en Dieu la vie et le mouvement sans que, pour cela, il ait besoin du monde. Sans doute, le principe d’Origène est vrai : dire que Dieu reste oisif et inerte, c’est dire tout ensemble une impiété et une absurdité. Et c’est là ce qui fait la force du panthéisme : son Dieu est vivant ; c’est la vie, c’est l’activité même. Mais le Dieu du christianisme n’a pas besoin du monde pour être le Dieu vivant. Il n’a pas besoin d’être éternellement créateur pour être éternellement actif. Il a en son Fils un éternel objet d’activité et d’amour. Il l’engendre éternellement : il l’aime et il en est aimé. Et le lien vivant entre le Père et le Fils est le Saint-Esprit, qui ferme le cercle mystérieux de la vie divine. Voilà la vraie activité éternelle et nécessaire de Dieu. Voilà le déploiement ineffable de la vie de l’absolu. Voilà comment, sans sortir de lui-même, Dieu est amour.
Ici tombe la seconde difficulté qui arrêtait Origène. Le passage de l’activité intra-divine à l’activité créatrice extra-divine s’explique par un acte libre et souverain du Dieu vivant. Le monde est le produit de cet acte, de ce miracle de grâce et d’amour. Dieu a jugé bon de sortir de sa plénitude pour créer hors de lui quelque chose qui ne fût par lui-même, et cela non par un besoin de son être, mais pour le bien de ce qui allait être créé. Ainsi ont commencé la succession et le relatif.
Enfin, cet acte créateur étant absolument volontaire de la part de Dieu, la liberté rentre dans le système ; comme elle existe en Dieu, elle peut aussi exister dans sa créature.
Tout en attribuant la création au Dieu suprême, au Père, et en combattant par là la doctrine gnostique du Démiurge ; les docteurs de l’Église ajoutent que Dieu a créé par le moyen du Logos. Voilà pourquoi nous voyons la création attribuée tour à tour, dans leurs écrits, au Père et au Fils. Ils donnent aussi quelquefois au Saint-Esprit une part dans l’œuvre créatrice, en se fondant sur Genèse 1.2. Ainsi, Irénée compare le Fils et le Saint-Esprit à « deux mains avec lesquelles Dieu a fait toutes choses. »
Quelques Pères, marchant sur les traces de Philon, attribuent la création au seul Logos, le Père ne pouvant, à aucun degré, entrer en contact avec la matière : c’est le cas de Clément d’Alexandrie.
Enfin, quelques-uns distinguent deux actes dans la création :
1° La création de la matière informe, qu’ils attribuent à Dieu le Père (Genèse 1.1) ;
2° L’organisation de la matière informe en cosmos, venue beaucoup plus tard, et attribuée au Fils (Genèse 1.3).
C’est là l’opinion de Méthodius de Tyr, professée déjà par Justin Martyr et par son disciple Tatien. Voilà pourquoi Justin dit quelque part que Dieu a formé le monde ἐξ ἄμορφος ὕλη, ce qui semblerait contredire la doctrine de la création ex nihilo, si l’on ne savait pas que pour Justin, l’ἄμορφος ὕλη elle-même est créée de Dieu.
Quant au but et au motif de la création, les docteurs de l’Église s’accordent à dire que Dieu a créé pour le bien de ses créatures, spécialement en vue de l’homme et des créatures intelligentes. « Dieu, dit Justin, a formé toutes choses pour les hommes — δι᾽ ἀνθρώπους ». Et Origène, généralisant : ἐποίησε πάντα διὰ τὸ λογικὸν ζῶον.
II. Providence. — La doctrine de la création conduit à celle de la providence. Celle-ci n’était pas moins méconnue de l’antiquité païenne que celle-là. Les sectateurs des religions populaires croyaient à des faveurs ou à des inimitiés spéciales de tel ou tel dieu, mais non pas à une providence unique, à la fois universelle et particulière. Parmi les philosophes, les épicuriens ne croyaient qu’au hasard, ἡ τύχη ; les stoïciens, à la nécessité, ἡ ἀνάγκη ; les platoniciens à une providence générale et lointaine ; les néoplatoniciens, à une évolution nécessaire de l’absolu à la façon de Hegel. Enfin, les gnostiques, par suite de leur doctrine du Démiurge, admettaient deux providences au lieu d’une, celle du Dieu suprême, et celle du Démiurge, qui s’accordaient quelquefois et se contrariaient souvent. De plus ces providences étaient fort restreintes, car les gnostiques divisaient les hommes en trois classes, séparées entre elles par un abîme infranchissable : les hyliques, où domine la matière, et qui échappent à toute providence, les psychiques, qui appartiennent au Démiurge, et les pneumatiques, sur qui seuls s’exerce la providence du vrai Dieu.
L’Église avait donc à affirmer et à défendre la doctrine de la Providence comme celle de la Création. Quelques Pères écrivirent des traités spéciaux sur ce sujet, Lactance en particulier, qui composa un traité De opificio Dei. Tous s’accordent à affirmer que la Providence n’est pas seulement générale, mais aussi spéciale ; qu’elle prend soin des individus comme des espèces, et des détails comme de l’ensemble, que rien dans l’univers n’échappe à son action. « Aux yeux de Dieu, dit Clément d’Alexandrie, il n’y a point de différence entre le général et le particulier, car il embrasse d’un seul regard l’ensemble et les détails » (Strom. VI, 17). Ils sont unanimes aussi à reconnaître que l’action de la Providence laisse intacte la liberté humaine. Et ils s’attachent tout particulièrement à combattre les opinions et les superstitions païennes relatives à l’influence astres.
Toutefois, certains Pères — comme Origène — admettaient entre le cours des astres et les événements de l’histoire certaines correspondances, lesquelles donnaient lieu à des prédictions que l’événement justifiait. Les Anges et les Démons, en tant qu’intelligences supérieures à l’homme, sont surtout habiles, d’après Origène, à interpréter correspondances, et c’est là ce qui explique certains oracles païens qui se sont trouvés véridiques. Mais ces coïncidences ne sont pas des causes ; les astres n’exercent aucune action réelle ; ils sont des signes, qui accompagnent annoncent les grands événements, mais ne les produisent pas.