Il y a quatre ans passés, mes chers et honorés frères, que nous fîmes imprimer un bref Accord de notre doctrine touchant les sacrements, lequel nous pensions bien être propre pour amortir les fâcheuses contentions (querelles) qui avaient jà trop longtemps été débattues entre gens savants et craignant Dieu. Et certes nous avions assez compris en ce petit sommaire pour apaiser et contenter tous bons esprits, comme de fait beaucoup de gens doctes et de bon cœur non seulement ont approuvé notre conseil, mais aussi ont déclaré que notre doctrine, ainsi qu'elle est là contenue, leur plaisait très bien.
Si aucuns, ou pour être un peu trop obstinés en leur fantaisie, ou bien comme il en advient après grands troubles, pour avoir quelque résidu de soupçons enraciné en leur cœur, n'ont pu si tôt condescendre en plein accord avec nous, si est-ce qu'en se taisant ils ont montré qu'ils ne trouvaient rien meilleur que de nourrir paix et amitié. Mais cependant aucuns ignorants et étourdis se donnent une telle licence de troubler les choses paisibles que, si on n'allait au-devant pour les réprimer, il serait à craindre qu'ils n'allumassent une nouvelle guerre. Vrai est, pource qu'ils sont en petit nombre et n'y a en eux nulle vertu qui leur donne autorité ni crédit, qui plus est, par leur sot babil, ils s'exposent à la haine et moquerie de tout le monde, qu'on les pourrait à bon droit mépriser, n'était qu'en faisant semblant d'être avocats de la cause publique, par telle couverture (prétexte), quelque vaine qu'elle soit, ils abusent les infirmes (faibles), qui ne sont point assez rusés.
Parquoi nous, voyant que leur audace nuit grandement et que, d'autant plus que nous sommes patients, qu'elle croît et se déborde, nous ne pouvons à moins que d'y résister, vu que la nécessité nous y contraint, je puis bien protester, combien que leurs livres volent par-ci, par-là, qui sont pour angoisser les bons, troubler les infirmes et armer les méchants à médire, que c'est avec grand regret et comme malgré moi que je me suis mis à rembarrer leur sottise. Mais pource que j'eusse pensé être cruel, sinon qu'en découvrant leur fallaces (tromperies), j'eusse délivré d'erreurs beaucoup de bonnes simples gens, je n'ai point douté (hésité) de m'opposer franchement à tels rustres qui ne demandent qu'à mettre tout en confusion. J'ai voulu aussi avertir les gens d'autorité et de savoir, desquels ces écervelés prétendent le nom, que c'est une honte à eux de lâcher la bride au mal par leur silence. Car outre ce que tous chrétiens doivent mettre peine à éteindre le feu que Satan tâche d'allumer par tels soufflets, les gens de savoir que ces brouillons enveloppent en leur querelle y ont plus d'intérêt que nous, tellement qu'ils se doivent efforcer au double de réprimer leur importunité, laquelle redonde (rejaillit) au déshonneur commun de beaucoup d'églises. Car ces écervelés que je dis, remuant les contentions (querelles) qui ont été touchant les sacrements, prétendent de soutenir la doctrine qui est prêchée au pays de Saxe et en la basse Allemagne.
Or, quand on oit (entend) cela et qu'on le croit, les uns sont troublés pour la révérence qu'ils portent à telles églises, les autres se moquent de tous les docteurs de ce quartier-là, vu qu'ils se servent de telles bêtes pour plaider leur cause ; plusieurs, sachant bien que la plus saine partie n'y consent pas, s'ébahissent de leur trop grande patience. Cependant les ennemis manifestes de Jésus-Christ s'éjouissent de nous voir entrebattre, comme on s'ébattrait à voir jouter des coqs. Or, puisque c'est une dissimulation perverse et vilaine quand on lâche la bride au mal, les gens de lettres et de renom qui sont en ces pays-là doivent bien penser à eux pour faire leur devoir, s'il leur est possible de réprimer la rage impétueuse de ceux qui troublent l'Eglise sans propos (allusion à Mélanchton ?).
Et pource que je désire de ramener au bon chemin ceux qui sont aucunement traitables ou qui ne se sont point encore trop jetés hors des gonds, même afin qu'il soit loisible à tous de se réduire paisiblement, je ne toucherai ici qu'un seul homme, voire sans le nommer. Ce folâtre, après s'être vanté bravement d'être un grand zélateur de la foi catholique, prie les gens savants et renommés (lesquels j'aime et honore, lui les nomme ses maîtres) pour se joindre à lui aider. Voilà le bel honneur qu'il leur fait pour les armer contre nous, c'est qu'eux étant docteurs excellents, suivent la témérité de leur disciple, comme les archers un homme d'armes. Or, à qui veut-il qu'on fasse la guerre ? Il répond, en un mot, que c'est aux Sacramentaires. Mais, quand il veut définir la chose, il proteste (affirme) de batailler contre ceux qui ne laissent au sacrement de la Cène, sinon des signes nus et vides. Si ainsi est, il se pouvait bien reposer et quitter (laisser) cet office à gens plus suffisants. Il y a des églises notables au pays des Suisses et des Grisons au rang desquelles la nôtre peut bien être mise ; pour le moins on trouvera entre nous beaucoup de meilleurs capitaines pour maintenir la dignité et vertu des sacrements que lui n'est bon gendarme. Qui plus est, il y a un nombre infini de gens qui fourniront mieux que lui à la défense de cette cause et s'y porteront assez fidèlement. Car qui est celui de nous qui ne travaille à montrer que les sacrements sont conjoints avec leur vérité et effet ?
Mais quand ce vénérable docteur, après avoir mis un si beau proème (préface), non seulement met en son rôle (enveloppe dans son accusation) plusieurs bons personnages qui sont aussi éloignés de ce crime comme le ciel de la terre, mais notamment allègue notre Accord, comme si là nous eussions consenti à l'erreur dont il parle, lequel y est tant expressément réprouvé, ne voilà point une contrariété trop impudente et une absurdité par trop lourde ? Il ne faut jà (pas) chercher de loin les arguments pour nous défendre, vu que ce veau récite un peu après nos propres mots, où nous confessons ouvertement que le corps de Jésus-Christ est vraiment communiqué aux fidèles en la Cène. Je vous prie, n'est-ce rien laisser, outre (sinon) les signes vides, quand on affirme que ce qui est figuré se donne quant et quant, et que l'effet s'accomplit ?
Lui, s'étant ravisé, échappe par un subterfuge si maigre et frivole que rien plus : c'est que nous parlons d'une façon de manger spirituelle. Comment donc ? Voudrait-il que la chair de Jésus-Christ se mangeât comme les bœufs de son pays ? Mais il ajoute qu'il ne pense point que nous parlions du vrai corps, comme si nous imaginions que le corps de Jésus-Christ fût un fantôme. Nous laissons cette rêverie à lui et à ses semblables. Car, en tenant ce point pour résolu que Jésus-Christ n'a qu'un corps vrai et naturel, nous disons que, comme une fois il a été sacrifié en la croix pour nous réconcilier avec Dieu, il nous est aussi journellement offert en la Cène. Car il faut que le Seigneur Jésus, pour nous communiquer la grâce du salut qu'il nous a acquis, premièrement soit fait nôtre et que sa chair nous soit viande et nourriture, puisque c'est d'elle que nous tirons vie. Voilà les mots dont clairement nous usons en notre Accord. Or ce bon contrerolleur (critique), alléguant ce que bon lui semble, laisse, comme traître et faussaire, cet article qui était le principal. Mais, puisqu'il avait protesté (affirmé) de réciter nos sentences de mot à mot, de quel droit ou à quel titre lui a-t-il été permis de séparer, voire déchirer les membres qui étaient conjoints, tellement que notre intention n'est pas mise en avant ? N'est-ce point faire (agir) en chien enragé, qui mord à l'aventure toutes les pierres qu'il rencontre ? Toutefois si ne se peut-il tenir de produire tantôt après nos témoignages touchant la vérité des sacrements, laquelle il fait faussement accroire que nous nions. Là-dessus ce brouillon nous charge (accuse) de finesse et astuce, d'autant, comme il dit, qu'en traitant amplement de recevoir Jésus-Christ d'une façon spirituelle, nous abusons les simples. Comme si nous pouvions spirituellement communiquer à Jésus-Christ, sans l'avoir demeurant en nous par la vertu de la foi et être unis en son corps pour vivre en lui. Ce qui ne peut être, que Jésus-Christ, en tant qu'il a été une fois offert en sacrifice pour nous, se donne à nous afin que nous jouissions de lui. Dont il s'ensuit que sa chair nous vivifie.
Or ce bon protecteur de la foi, ayant fait un si beau prologue pour spécifier l'erreur contre laquelle il combat, s'efforce de montrer qu'il y a grande diversité d'opinions entre nous, afin de nous rendre odieux par ce moyen. Il prend cette maxime que c'est le propre des hérétiques d'être discordants. Quand je lui aurai confessé ce qu'il demande, je dis que cela ne nous attouche point. Il réplique que nous sommes différents, en tant que selon les uns le pain signifie le corps, selon les autres c'est une marque ou un méreau (gage) du corps de Christ ; selon les autres, il en est signe ; selon les autres, il est figure ; selon les autres mémorial ; selon les autres, représentation ; selon les autres témoignage ou signature de la communion que nous avons avec Christ ; selon les autres, une mémoire du corps qui a été livré pour nous ; selon les autres, une assurance pour nous testifier (témoigner) la grâce spirituelle ; selon les autres, la communion que nous avons au corps du Christ. Qui est-ce qui ne pensera, je vous prie, qu'en parlant ainsi, il est un droit prévaricateur qui s'entend avec nous ? Car on ne pouvait mieux louer et approuver un bon accord et pleine conformité qu'en amassant toutes ces formes de parler qu'il oppose l'une à l'autre comme fort contraires, vu que chacun voit qu'elles tendent toutes à un but. Qui plus est, pour mieux faire du subtil, il ne s'est point contenté de faire un simple récit, mais a composé une table pour montrer la chose comme en peinture. Cependant, pource qu'il voyait bien que saint Matthieu, quant aux mots, est moins conforme à saint Paul, et saint Marc à saint Luc, que ne sont entre eux une douzaine d'expositeurs, lesquels il amène comme discordants, pour se dépêtrer de cette difficulté, il dit que non seulement nous différons de paroles, mais aussi sommes discordants au sens.
Faisons donc comparaison du tout pour juger si ainsi est. Ce que saint Matthieu et saint Marc appellent sang, saint Luc et saint Paul le nomment testament au sang. Voilà grande diversité. De notre part, que trouvera-t-il ? Certes les mots de signe, signification, figure, arrhes, mémorial, représentation, ne font point un sens contraire, vu qu'ils sont si bien liés ensemble que chacun attire le résidu après soi. Vous voyez de quelles raisons cet écervelé a été ému de forger en son cabinet des dards de feu pour enflamber toute l'Europe, s'il pouvait. Mais que répondra-t-il de soi et de ses compagnons ? En un lieu il affirme que les paroles de Christ sont assez claires de soi et n'ont besoin d'aucune glose, quand il dit que le pain est son corps ; tantôt après il ne nie point qu'il n'y ait quelque figure. Il n'est jà métier de nous enquérir plus outre contre qui il veut heurter, vu qu'il se rompt de soi-même en sa frénésie ; mais encore, pour le moins, qu'il nomme cette figure, laquelle il dit ne point empêcher que le pain ne soit proprement le corps de Christ. Car, quelle que soit la figure, déjà elle fait que le sens n'est ni simple ni littéral. Ici il est pris comme au trébuchet car, voulant mettre en avant son opinion, puisqu'il ne s'accorde point avec ceux qu'il appelle hérétiques, il s'ensuivra selon son argument que lui aussi est du nombre ; si d'aventure il ne montre que sa figure, laquelle il cache, est tellement sainte et sacrée qu'il n'est point licite d'en penser mal. Or, en la cachant, il use de finesse à ce qu'on n'en puisse juger. Il y a davantage : qu'il confesse que aucuns de nous usent des mêmes mots que ceux qu'il tient pour bons catholiques, mais que leur intention n'est point telle. Si ainsi est, que deviendra cette grande contrariété de paroles, laquelle seule, selon qu'il dit, fait les gens hérétiques, encore qu'ils soient contraints d'être différents d'avec les autres pour ne point consentir aux erreurs ? Certes c'est grand'honte qu'une impétuosité tant aveugle, qui ne serait point à pardonner à un jeune homme, transporte ainsi un pauvre vieillard pour se faire moquer des petits enfants.
Je ne veux point dissimuler qu'il n'amasse aussi quelques sentences de certains expositeurs, lesquelles ont apparence de ne point convenir l'une avec l'autre, combien qu'à la vérité on les puisse accorder ; mais le mal est qu'en premier lieu il détourne malicieusement ce qui est touché comme en passant de celui-ci ou de celui-là comme si c'était pour déterminer pleinement de toute la matière. Et puis c'est une trop grande tyrannie ou barbarie à lui de vouloir imposer loi à tous, de parler d'un même style et langage sans différer d'une seule syllabe, vu que chacun a sa façon propre de parler et que telle liberté doit être permise. L'un aura dit que le corps mystique de Jésus-Christ est ici figuré. Quoi ? saint Augustin n'a-t-il pas dit le semblable ? Voire même saint Paul en disant que nous sommes tous un pain. Un autre a dit que la Cène est une mémoire solennelle de la rédemption qui nous a été acquise. Quoi ?
Cela ne répond-il pas très bien à ce qui nous est enseigné tant par saint Paul que par le souverain Maître que ce sacrement nous est ordonné afin que sa mort y soit prêchée ? Il n'y avait nulle occasion de faire si grand bruit, ni d'émouvoir aucun trouble. Tant s'en faut qu'un homme, qui se dit ministre de paix, et de fait porte le message de réconciliation entre Dieu et les hommes, soit à excuser, quand il fait de telles alarmes sans propos. Mais posons le cas qu'il y ait eu par ci-devant quelques discors (désaccords) pource que la chose ne se pouvait pas du premier coup pleinement liquider ni vider, toutefois quelle humanité y a-t-il de renouveler une plaie qui était reprise et guérie ? Afin que les fidèles ne fussent distraits par les disputes qui n'ont que trop régné, nous leur avons proposé notre Accord auquel ils se pussent tenir. Ce bon zélateur voyait clairement que tous ceux qu'il intitule Sacramentaires ont une même foi et la confessent comme d'une même bouche et même, si les deux bons docteurs Zwingli et Œcolampade, qu'on a connus être fidèles serviteurs de Jésus-Christ, vivaient aujourd'hui, ils ne changeraient point un mot en notre doctrine. Car notre bon frère et de sainte mémoire Martin Bucer, après avoir vu notre Accord ci-dessus mentionné, m'écrivit que c'était un bien inestimable pour toute l'Eglise. Parquoi c'est tant plus grande malice à ce nouveau contrerolleur de nous en porter envie. De mon côté, non pas pour lui rendre bille pareille, mais pour repousser cette sotte calomnie dont il nous a voulu charger, je répliquerai en trois mots que c'est le propre du diable de calomnier, dont aussi il porte le nom ; que c'est aussi son propre d'obscurcir la clarté ; tiercement d'être père de noises (disputes) et discors en troublant la paix ; finalement de rompre et dissiper l'unité de la foi. Puisque toutes ces choses se trouvent en cet étourdi, il ne m'est jà besoin de le prononcer fils du diable, puisque la chose montre à grands et à petits quel il est.
Au reste, mes chers et honorés frères, puisque nous devons pour le moins autant prendre de peine à maintenir la vérité et à nourrir concorde que Satan s'efforce à ruiner l'une et l'autre, je m'y suis voulu employer de mon pouvoir et aussi essayer si d'aventure ceux qui jusqu'ici ont été de cerveau trop dur se pourront dompter, sinon que ceux qui sont de sain jugement soient munis de la défense de notre cause, pour les savoir mieux rembarrer. Or le moyen que j'ai ici tenu d'exprimer plus plein notre intention m'a semblé le plus propre. Car la trop grande brièveté de notre écrit premier est sujette a beaucoup de cavillations (ruses) et n'ôte point les scrupules qui sont enracinés trop avant. J'ai donc tellement dilaté le Sommaire qui a été par ci-devant imprimé, que j'ai fait une pareille confession en plus de mots pour la rendre plus claire. Ce brouillon, dont il me fâche de tant parler, nous reproche qu'il y a entre nous un tel abîme d'opinion que nul n'entend que veut dire son compagnon. Or il me semble que je connais tellement ce que vous croyez et tenez, que je me confie d'avoir ici couché par écrit ce que chacun de vous écrirait en son endroit. Car je n'ai point usurpé l'office de vous dicter ce que vous devez confesser à mon aveu, mais plutôt je remets le tout à votre discrétion. Cependant je me suis hardiment avancé à composer ce petit traité, pource que j'ai expérimenté par ci-devant combien mon labeur vous avait été agréable et qu'aussi vous l'avez assez testifié (témoigné). A Dieu mes frères, lequel je prie de vous gouverner par son Esprit et bénir la peine que vous prenez à édifier son Eglise. Mes compagnons ministres de la Parole vous saluent.
De Genève, le 28 de novembre 1554.
Ici sont reproduits, dans l'opuscule de 1555, les vingt-six articles de l'Accord de 1549 que nous avons imprimé ci-dessus aux pages 133-142. Puis Calvin fait suivre cet Accord des explications suivantes :
Pource que la contention (dispute) qui a été émue de notre temps touchant les sacrements a été fort fâcheuse à tous hommes craignant Dieu et de droit jugement, selon qu'ils voyaient que par icelle le cours de l'Evangile était retardé, non seulement ils ont toujours désiré qu'elle fût ensevelie ou assoupie par quelque bon moyen, mais aussi aucuns ont mis grand'peine à l'apaiser. Or, s'ils n'en sont venus du premier coup à bout, en cela voyons-nous combien il est difficile d'amortir un feu qui aura été allumé par l'artifice de Satan. Si est-ce que ces bonnes gens que je dis ont tant fait, que l'excès qui avait été trop ardent s'est apaisé et qu'on s'est adonné d'une part et d'autre à enseigner paisiblement, plutôt qu'à combattre. Toutefois, pource qu'on voyait encore quelques étincelles voler des charbons assoupis, et qu'il était à craindre que derechef il ne s'allumât un nouveau feu, nous les ministres et pasteurs des églises de Zurich et Genève, avec notre bon frère et fidèle serviteur de Jésus-Christ Guillaume Farel, avions tâché d'y mettre le remède que nous pensions être plus convenable pour abolir pleinement toutes occasions de discors, c'est en faisant imprimer un bref Sommaire contenant tellement la doctrine que nous prêchons que c'est aussi un témoignage qui comprend à la vérité et simplement ce qui se prêche au pays de Suisse et des Grisons, où l'Evangile est purement annoncé.
Nous, après avoir publié un tel témoignage, étions assez persuadés d'avoir du tout satisfait à ceux qui seraient équitables et de sens rassis ; pour le moins nous pensions bien que les plus chagrins et difficiles à contenter se tiendraient cois. Car, comme il sera montré tantôt, il y a là une déclaration si claire de tous les articles qui ont été par ci-devant débattus, que tous scrupules devraient bien être ôtés. De fait notre Seigneur s'est montré en cet endroit tant favorable envers nous qu'en grande partie nous avons obtenu ce que nous souhaitions, mais le diable étant fâché de notre tranquillité, nous a puis naguère derechef suscité nouveaux troubles. Car il n'y a doute que c'est lui qui pousse et enflambe certains écervelés pour nous faire donner des alarmes sans propos. Il semble proprement que telles gens se nourrissent de picques et noises (querelles) et ne faut point qu'ils se couvrent d'une ombre de bon zèle pour excuser leur rage ; nous savons bien qu'on ne doit point quitter la vérité pour racheter paix ; même je confesse qu'il vaudrait mieux que le ciel et la terre se mêlassent que de souffrir que la vraie doctrine soit mise sous le pied par faute d'être maintenue. Parquoi je n'ai garde de reprendre ceux qui s'opposent à toutes sophisteries et résistent vaillamment à toutes cavillations (ruses) qui sont pour farder et déguiser la pure simplicité des choses ou qui tendent à faire ressembler le noir au blanc.
Qui plus est, je me puis vanter que, s'il y en a aucuns au monde qui aiment une simple rondeur, je ne serai point trouvé le dernier. Parquoi il ne faut jà (pas) que ces écervelés qui nous troublent prétendent cette couleur (prétexte) qu'il vaut mieux aucunefois (parfois) émouvoir guerre que de trahir ou mettre sous le pied la vérité. Car, en premier lieu, je me fais fort de montrer qu'en cette matière nous n'avons rien enveloppé sous propos obscurs, nous n'avons rien caché par astuce, nous n'avons rien mis en oubli, ni laissé de ce qui était à dire. Secondement, notre intention n'a pas été d'empêcher que la vérité n'eût son cours libre, mais plutôt avons tâché, en tant qu'en nous était, à chercher le moyen comme on pourrait enseigner paisiblement, comme on pourrait parler des sacrements en édification et lire ce qui en serait écrit sans scandale. Mais je ne veux point ici user de langage ; seulement je prierai les lecteurs d'ouvrir les yeux et se rendre attentifs et dociles à recevoir ce que je leur montrerai au doigt. Premièrement, on ne peut nier qu'en traitant des sacrements il ne faille surtout regarder à l'institution du Seigneur et à la fin d'icelle. Car de là tant la nature et propriété des sacrements que l'usage se peut connaître, tellement que tous ceux qui tendent à ce but auquel le Seigneur nous appelle ne seront jamais en danger de faillir.
Or les plus malins ne pourront nier que nous n'ayons droitement montré à quelle fin les sacrements ont été institués, à savoir pour nous mener à la communion de Christ, je parlerai encore plus franchement : que nul de tous ceux qui murmurent contre notre Accord n'ont jamais rien mis en avant, qui exprimât mieux l'intention de Dieu à laquelle il se faut arrêter. Si la dignité des sacrements leur est pour recommandée, il n'est pas possible de les mieux orner et magnifier qu'en disant qu'ils sont aides et moyens pour nous incorporer en Jésus-Christ, ou quand déjà nous sommes de son corps, pour nous y confirmer de plus en plus, jusqu'à ce qu'il nous unisse pleinement à soi en la vie céleste. Si ces gens ont le soin de notre salut à ce qu'il soit aidé par les sacrements, y a-t-il rien plus propre à cela que de nous mener à la fontaine de vie, qui est Jésus-Christ, afin que nous soyons vivifiés en lui ? Parquoi, soit qu'on regarde notre profit et édification, soit qu'on veuille maintenir la dignité et révérence qui est due aux sacrements, nous avons très bien exposé la fin et la cause pour laquelle ils nous ont été donnés.
Certes ce que saint Paul reproche aux faux docteurs qui ne font qu'enfler les âmes de vaine ambition ou de belle montre (apparence) est bien loin de nous ; c'est qu'ils ne tiennent point le chef. Car on voit que nous rapportons tout à Christ, que nous recueillons tout en lui, tâchons de retenir tout sous lui et en somme déclarons que toute la force des sacrements gît en lui et en procède. Maintenant donc il faudra que ces contrerolleurs, qui ne se contentent point de nous, controuvent (inventent) une meilleure règle d'enseigner que celle qui nous est donnée par saint Paul. Car ils ne lui sauraient plus apertement (ouvertement) résister qu'en ne pouvant souffrir qu'on approprie les sacrements et qu'on les compasse (établisse) comme nous avons dit, c'est que Jésus-Christ en soit le commencement et la fin, vu que saint Paul met en ce point toute perfection de doctrine. Parquoi nous avons très bien commencé en voulant traiter des sacrements et en avons si bien décrit la fin que toutes gens équitables et de sens rassis approuveront sans contredit notre façon d'enseigner.
Il reste maintenant de savoir l'usage légitime des sacrements, auquel il se faut garder de deux vices. Car si on exalte par trop leur dignité, tantôt quelque superstition se fourre à travers. Si on parle froidement de leur vertu et du fruit qui nous en revient, par cela le monde prend occasion de les mépriser comme choses profanes. Si nous avons tenu un bon moyen entre ces deux extrémités, je vous prie, n'appert-il pas que ceux qui aiment mieux gronder contre nous que de recevoir doucement ou approuver notre doctrine en se taisant sont bien ennemis obstinés de la vérité ? Car nous ne les contraignons point à parler de mot à mot comme nous, seulement qu'ils se tiennent cois et n'aboient point contre ceux qui savent mieux parler qu'eux et plus droitement. Ils prétendront bien, possible, que le différent qu'ils ont avec nous est pource que nous n'attribuons point aux sacrements la force qui leur compète (appartient) ; mais, si se vient à montrer de quoi, les uns comme insensés s'escarmouchent sans propos et nous paient en belles injures, les autres, pour mieux tenir leur gravité, condamnent sans raison ni sans preuve ce que jamais ils n'ont lu. Tant y a qu'il appert par expérience qu'ils se mutinent et plaident inconsidérément.
Tout le monde n'est que trop averti combien le docteur Martin Luther a été âpre à démener cette cause ; je sais qu'il lui est échappé beaucoup de mots excessifs en cette contention (querelle) dont il a été trop ému ; tant y a que pour rendre son parti favorable à tous bons fidèles, voici [ce] qu'il a protesté (affirmé) : c'est qu'il ne pouvait souffrir que les sacrements fussent seulement tenus pour signes extérieurs qui servissent à faire confession de notre foi devant les hommes, sans être reconnus comme gages et assurance de la grâce de Dieu envers nous. Secondement, qu'il combattait à ce que les sacrements ne fussent point réputés semblables à des figures vaines et vides, vu que Dieu y testifie (témoigne) à la vérité ce qu'il nous y montre par signes et accomplit par sa vertu secrète ce qu'il y testifie. Voilà de quoi a combattu le docteur Luther, si on le veut croire. Si ce a été à tort ou à droit qu'il s'est tant échauffé, je n'en dispute point à présent ; car il me suffit que le principal auteur et maître de ces gens-ci, et lequel ils font semblant d'ensuivre, après avoir déployé tous ses esprits, ne trouve point meilleur fondement pour faire valoir sa cause que de faire telle protestation que nous avons dite. Au reste, en laissant à parler de lui (comme pour l'honneur que je lui porte et la révérence, je désire de l'épargner), avisons seulement au fait. je dis donc que cette couverture (prétexte) ôtée, tous ceux qui nous intentent querelle ne peuvent échapper que tous bons juges et entiers ne les rejettent et haïssent comme gens qui ne se peuvent contenter de raison. Et, de fait, ils ont toujours cette chanson en la bouche, qu'ils bataillent afin que la vertu des sacrements ne soit point anéantie.
Or, si leur intention est telle, et non point de tromper les simples par vaines couleurs, quand ils oyent (entendent) que nous confessons à pleine bouche que les sacrements ne sont point figures sans effet, ni aussi enseignes ni marques pour confesser notre religion devant les hommes ; mais qu'ils sont vraiment sceaux des promesses de Dieu, témoignages de la grâce spirituelle pour nourrir et confirmer la foi. Item qu'ils sont organes par lesquels Dieu besogne effectuellement (effectivement) en ses élus ; et, combien qu'en tant qu'ils sont signes, il les faille distinguer d'avec les choses qu'ils représentent, toutefois qu'on ne les en doit séparer. Item, qu'ils sont donnés pour confirmer et ratifier ce que Dieu nous a donné par sa Parole et surtout pour sceller la communication haute et mystique que nous avons avec Jésus-Christ, quelle raison ont-ils de nous tenir pour ennemis ? Car, puisqu'ils ne cessent de crier (comme naguère j'ai dit), s'ils ne cherchent sinon que cette doctrine soit tenue et observée : à savoir que Dieu se sert des sacrements comme d'aides et moyens pour nourrir notre foi, que les promesses du salut éternel y sont engravées (gravées) pour les nous offrir, que ce ne sont pas signes vides et dénués de leur effet, d'autant que Dieu y conjoint l'efficace de l'Esprit. Quand toutes ces choses leur sont accordées de nous, qui est-ce qui les empêche de se déclarer amis ? Et afin que je ne sois trop long à feuilleter les écrits particuliers d'un chacun, il doit bien suffire qu'on trouvera en notre Accord tout ce que contient la confession des états protestants, telle qu'elle fut produite à Reguespourg (Ratisbonne) moyennant qu'on ne la déguise pour gratifier aux papistes pour crainte de persécution.
Les mots sont tels : Qu'en la sainte Cène, avec le pain et le vin, le corps et le sang de Jésus-Christ sont vraiment donnés. Or jà (jamais) n'advienne que nous voulions ôter à la sainte Cène sa vérité ou bien priver les âmes fidèles d'un si grand bénéfice. Nous disons donc et affirmons que nos sens ne sont point là frustrés par la vue du pain et du vin, mais que le vrai effet est conjoint avec la figure externe, à ce que les fidèles y reçoivent le corps et le sang du Christ. Qui plus est, d'autant que notre intention était d'ôter tout scrupule et doute quant à cet article, nous avons mis peine d'exposer plus à plein et plus clairement ce qui est touché en bref en la confession des Allemands.
Qu'ainsi soit, si on demande quelle est la vertu, l'usage et l'office des sacrements, notre Accord répond à cela, comme ainsi soit que tout le salut des fidèles dépende de la communication spirituelle qu'ils ont avec le Fils de Dieu, que Dieu nous a ordonné tant l'Evangile que les sacrements pour la nous testifier. Il est bien ici à noter que les sacrements sont conjoints avec l'Evangile pour nous profiter à notre salut, en sorte que nous recevions un pareil fruit d'iceux, comme quand l'Evangile nous est prêché ; dont il s'ensuit que ce que saint Paul dit de la prédication, compète (convient) aussi selon nous aux sacrements. Parquoi nous accordons que Dieu par iceux déploie en partie sa puissance en salut à tous croyants et que le message de notre réconciliation avec Dieu y est contenu. Car, puisque nous avons toujours déclaré que cette sentence de saint Augustin nous plaisait très bien, à savoir que les sacrements sont comme paroles visibles, nous tenons aussi sans contredit que notre salut est avancé par iceux, comme par la prédication. Au reste, si on demande quelle est cette communication avec Jésus-Christ, elle est aussi là tellement décrite qu'on ne peut pas dire que nous l'imaginions comme en peinture ou en l'air. C'est que la principale vertu de la foi y apparaît de nous incorporer en Jésus-Christ et nous unir à lui, tellement qu'il nous fasse participants de toutes ses grâces et nous en fasse sentir l'effet ; car il n'épand pas sa vie en nous sinon en tant qu'il est notre chef, duquel tout le corps prend ses liaisons et jointures et duquel la vertu découle en chacun membre, afin qu'ils soient tous ensemble édifiés en leur corps.
Après, nous ajoutons cette déclaration plus ample dont j'ai touché naguère : à savoir, combien que les sacrements soient marques ou enseignes de notre chrétienté devant les hommes, item aiguillons pour nous inciter à rendre grâces à Dieu et moyens pour nous exercer en sa crainte, finalement qu'ils soient comme cédules pour nous obliger à lui, toutefois que leur principale fin est de nous testifier la grâce de Dieu, de la nous représenter et sceller. Secondement, que ce ne sont pas simples miroirs ou images qui nous soient mis devant les yeux, mais qu'en iceux les grâces spirituelles de Dieu nous sont communiquées, comme nos âmes en sentent l'effet, si nous avons telle foi qu'il appartient. Les mots sont tels : vu que les témoignages et sceaux que Dieu nous a donnés pour ratifier sa grâce sont vrais et infaillibles, qu'il n'y a doute qu'il n'accomplisse en nous tout ce qu'il figure par les sacrements. C'est que nous jouissions de Christ qui est la source de tous biens, puis que par la vertu de sa mort nous soyons réconciliés à Dieu et renouvelés en sainteté de vie et, en somme, obtenions justice et salut.
Nous ajoutons aussi tantôt après qu'en distinguant entre les signes et les choses signifiées, nous ne séparons point l'un d'avec l'autre pour dépouiller les sacrements de leur vérité ; mais plutôt confessons que ceux qui embrassent les promesses de Dieu qui leur sont là offertes y reçoivent pareillement Jésus-Christ avec tous ses biens et dons. Si j'avais affaire à des papistes, j'amasserais plus soigneusement force passages tant de l'Ecriture que des anciens docteurs, pour montrer que jamais Dieu n'a rien prononcé et que jamais rien n'a été cru et reçu en l'Eglise touchant les sacrements que nous n'ayons sommairement compris aux mots que j'ai récités. Mais puisque ceux qui plaident contre nous ont en la bouche : Parole de Dieu, Parole de Dieu, c'est merveille s'ils n'ont honte de contester plus outre. Ils ne peuvent nier que ce ne soit absurdité trop grande d'élever et magnifier les sacrements par-dessus la Parole, vu qu'ils ne sont que comme sceaux d'icelle et accessoires. Or ils trouveront que tout ce qui compète (convient) à la doctrine qu'on prêche, nous l'avons aussi approprié aux sacrements. En somme, s'ils reconnaissent Dieu pour auteur unique de notre salut, que veulent-ils qu'on attribue davantage aux sacrements que de les tenir pour instruments inférieurs, desquels Dieu se sert selon notre infirmité pour nous distribuer sa grâce ? D'autre part il ne faut point craindre qu'on puisse mépriser les sacrements, quand on dit que non seulement ils sont arrhes et méreaux (gages) de tous les biens que Dieu nous a une fois donnés en Jésus-Christ et que nous recevons chacun jour, mais aussi que la vertu secrète du saint Esprit est conjointe à ce qui est là représenté, afin que ce ne soient point des peintures vaines et sans substance.
Or combien, d'autre côté, il est nécessaire de prévenir la superstition où le monde pourrait être induit en magnifiant par trop les sacrements, non seulement on le connaît par l'expérience qui en a toujours été dès la création du monde, mais aussi chacun le peut juger de soi, attendu la rudesse que nous sentons en notre nature. Car selon que nous sommes terrestres, sans que nous soyons abusés d'ailleurs, et qu'on nous éblouisse les yeux par les hauts titres qu'on attribuera aux sacrements, les signes externes ne nous attireront que trop à eux. Si avec cela nous oyons des louanges excessives, nous voilà tellement ravis qu'à grand'peine on en trouvera de cent l'un qui n'imagine quelque folle dévotion. De là vient que la plupart y mettent et attachent la fiance (confiance) de leur salut et leur assignent contre toute raison ce qui est propre à un seul Dieu. En quoi on voit combien l'opiniâtreté de ceux qui s'élèvent contre nous est aveugle. Car, combien qu'ils soient contraints de crier contre les papistes, toutefois de peur qu'il ne semble qu'ils s'accordent avec nous, ils n'osent pas franchement déclarer leur intention. Qui pis est, de peur d'approcher à cette modération que nous tenons, ils s'enveloppent à leur escient et laissent les lecteurs en suspens et en trouble. Afin qu'on ne pense que je les charge à tort, je montrerai ici à l'œil qu'il n'y a en notre Accord rien du tout qui puisse offenser ceux qui sont de bonne sorte ou qui empêche d'y acquiescer sans réplique.
Afin de prévenir toute superstition, nous disons là en premier lieu que ceux qui s'amusent aux signes nus et qui plutôt ne regardent point aux promesses lesquelles y sont annexées, y vont à l'étourdie. Par ces mots, nous n'entendons sinon ce qui a été très bien dit par saint Augustin et que chacun confesse être vrai, à savoir que les éléments sont faits sacrements quand la Parole y est ajoutée, non pas pource qu'on la profère seulement de bouche, mais en tant qu'on la reçoit par foi. Et c'est la cause pourquoi Jésus-Christ dit à ses disciples qu'ils sont purs et nets pour la Parole qu'ils avaient ouïe et non pas pour le baptême duquel ils avaient été lavés. Car si toutes figures visibles qu'on met en avant pour sacrements ne sont fondées en la parole de Dieu et qu'elles n'en procèdent, non seulement sont des menus fatras et inutiles, mais aussi tromperies mortelles, que sera-ce de regarder le sacrement extérieur sans être attentif à la promesse, sinon une pure illusion ? Certes, si nous apportons là seulement les yeux pour spéculer (regarder), ayant les oreilles bouchées pour ne rien ouïr de ce que Dieu y promet, ils ne différeront en rien des beaux mystères des païens. Qu'ainsi soit, combien que nous confessions qu'une grande partie des cérémonies anciennes que les païens ont eues ayent eu leur source de la tradition des saints Pères, toutefois pource qu'étant vides de doctrine, elles ne retenaient nulle vérité et ne pouvaient édifier la foi, nous disons qu'elles ont été bâtardes, vicieuses et fausses.
Bref, si le signe extérieur ne tire goût et saveur de la promesse, il n'y a ni sel ni sauce, comme on dit. Car que gagnons-nous qu'un homme mortel et terrestre nous jette de l'eau sur la tête en nous baptisant, si Jésus-Christ ne prononçait du ciel que c'est lui qui nous purge et nettoie par son sang, qui nous renouvelle par son Esprit ? Que nous servirait-il de manger un petit morceau de pain et boire trois gouttes de vin, si cette voix ne résonnait d'en haut : que la chair de Jésus-Christ est la vraie viande de nos âmes, son sang est vraiment le breuvage spirituel ? Ainsi c'est à bon droit que nous concluons que nous ne sommes point faits participants de Jésus-Christ et de ses dons spirituels par le pain, le vin et l'eau, mais que nous sommes conduits à lui par la promesse à ce qu'il se donne à nous et qu'habitant en nous par foi, il accomplisse ce qui nous est promis et offert par les signes. je ne vois point que c'est qu'on puisse trouver à redire en cette doctrine, sinon qu'on cuide (croie) bien honorer les sacrements, s'arrêtant à ce qu'on y voit, sans entendre ce que Dieu y propose, qui ne serait qu'une singerie frivole.
C'est pourquoi nous avons derechef exhorté les fidèles en notre Accord de s'adresser à Jésus-Christ, afin de ne chercher ailleurs rien de tout ce qui leur est proposé aux sacrements, comme aussi les sacrements, étant gages ou arrhes de ce qui se trouve en Jésus-Christ, nous renvoient seulement à lui. En ce faisant, nous suivons la règle que Dieu donna à Moïse en instituant le tabernacle avec ses accessoires et dépendances, c'est qu'il rapportât et compassât (réglât) toutes choses au patron qui lui avait été montré en la montagne. Car ce n'est pas sans cause que saint Etienne au 7e des Actes, et l'apôtre au 8e chap. des Hébreux, pèsent tant ce passage et s'y arrêtent. Or comme ce a été jadis le vrai moyen pour corriger la rudesse des juifs et les retirer de cette erreur à laquelle ils étaient adonnés, c'est qu'on leur mît Jésus-Christ devant leurs yeux et qu'on les retînt du tout à lui, afin qu'ils ne s'abusassent point au tabernacle et au sacrifice des bêtes brutes, aussi aujourd'hui, si nous ne voulons être trompés en nous adonnant par trop aux signes extérieurs, il nous faut élever nos sens à ce patron spirituel, auquel l'Ecriture nous ramène. Et de fait Jésus-Christ, en ordonnant les sacrements, ne nous a point voulu enclore ou captiver (rendre captifs) en des empêchements qui nous retinssent au monde, mais plutôt nous a dressé des échelles par lesquelles nous puissions monter en haut pour venir à Christ, lequel ne se trouvera point ailleurs. Or est-il ainsi que nous ne devons avoir contentement qu'en lui seul, autrement, je vous prie, que serait-ce ? Car il n'est pas mort et ressuscité pour nous envoyer à des éléments insensibles, afin d'y chercher notre salut, comme s'il n'en était plus la matière et la cause ; mais plutôt, voulant demeurer en son entier, nous a donné des aides pour nous amener à soi.