Essais d’entente entre les diverses fractions du Réveil. — Fondation de l’Église évangélique libre. — Déclaration de principes. — Confession de foi. — Cultes.
La Constitution de 1847, en menaçant d’enlever à l’Église nationale son caractère chrétien, ou du moins en n’offrant aucune garantie pour la préservation de ce caractère, allait pousser la Société évangélique dans une voie nouvelle, la séparation non plus seulement en fait, mais en droit, la séparation regardée non seulement comme une nécessité, mais comme un principe.
La première condition pour que cela devînt possible, c’était que les divers partis du Réveil, séparés jusque-là par leurs principes ecclésiastiques, se tendissent enfin la main. On organisa des conférences intimes entre un petit nombre d’hommes, afin de s’entendre sur les bases de l’union à laquelle on voulait arriver. C’était en 1848, précisément au moment où le consistoire élaborait son Règlement organique.
Il fallait que tous fissent des concessions : Gaussen et Merle d’Aubigné regardaient la discipline séparatiste comme impossible en pratique, et insistaient, par opposition au congrégationalisme, sur la dignité et sur l’autorité de la charge pastorale. Guera, de son côté, ne pouvait abandonner la persuasion que la séparation extérieure entre l’Église et le monde et l’imitation des Églises apostoliques étaient les véritables bases de la communauté ecclésiastique. Quant à Malan, le seul obstacle à l’union venait chez lui de la rigidité de son calvinisme.
Du reste, ce dernier ne se rattacha pas au projet d’union qui fut préparé au milieu de longues et laborieuses délibérations qui durèrent toute une année.
Ce fut en 1849 que la majorité des membres de l’Église du Témoignage, l’Église de la Pélisserie, celle de l’Oratoire, sauf quelques exceptions isolées, et enfin quelques membres de l’Église nationale qui n’avaient pu accepter la constitution de 1847, se décidèrent à fonder l’Église évangélique.
Cette Église fit connaître aussitôt publiquement ses principes : sa déclaration commençait ainsi : « Des chrétiens évangéliques de Genève, séparés en apparence jusqu’à ce jour par des formes ecclésiastiques différentes, mais unis réellement depuis longtemps par une entière communauté de foi et de sentiments en Jésus-Christ, ont éprouvé le besoin de se rapprocher plus étroitement et de rendre plus manifeste l’harmonie de leurs principes. En conséquence, après s’être fréquemment réunis pour chercher à ce sujet, avec prières, la volonté du Seigneur, ils ont reconnu d’un commun accord que sa Parole impose à tout fidèle un double devoir : celui de rendre hautement témoignage à la vérité qui est en Jésus-Christ, et celui d’appartenir à une Église qui la professe. C’est donc après un long travail et de religieuses conférences, qu’ils ont convenu de faire tous ensemble les déclarations suivantes :
L’obligation de confesser Jésus-Christ et de travailler avec son secours au rassemblement des enfants de Dieu nous paraît aujourd’hui plus pressante que jamais. Les convulsions du monde, les forces nouvelles de la superstition et de l’incrédulité, les Églises libres récemment fondées, les besoins particuliers du règne de Dieu dans Genève, enfin la grande conformité de foi que la bonté du Seigneur nous a donnée, tout nous montre que c’est le temps de nous dévouer avec un nouveau zèle à l’édification du corps de Christ ; tout nous rappelle cet antique précepte de nos pères : « Que nul ne doit se retirer à part et se contenter de sa personne, mais que tous doivent garder ensemble et entretenir l’union de l’Église de Dieua. » Et de même que nous avons senti le devoir de ne former qu’un seul corps, nous reconnaissons aussi celui de n’obéir qu’à un seul chef, Jésus-Christ, le Seigneur de gloire. C’est par la Parole et par l’Esprit de Dieu que l’Église fut créée ; c’est par cette Parole et par cet Esprit qu’elle doit être gouvernée. Nous voulons rendre à César ce qui est à César ; mais nous voulons rendre à Dieu ce qui est à Dieu… En nous unissant en Église, nous ne formons point une secte ; tout au contraire, nous protestons contre l’esprit de secte. Nous nous rattachons aux confesseurs de Christ qui, de siècle en siècle, lui rendirent témoignage ; avant tout, aux apôtres, fondement de l’Église dont Jésus-Christ est la pierre angulaire ; puis à tous ceux qui dès lors gardèrent le dépôt de la foi, et, particulièrement, aux réformateurs que Dieu suscita dans le seizième siècle pour rétablir la vérité qui est selon la piété… C’est pourquoi, tout en donnant la main de fraternité aux portions fidèles de la confession réformée, à laquelle nous déclarons appartenir, et tout en demandant à Dieu qu’on puisse dire au milieu de nous, comme à Jérusalem, que les croyants forment une multitude et s’augmentent de plus en plus, nous désirons une Église pure dans sa doctrine, libre dans son gouvernement, et composée de membres qui confessent spontanément leur foib. »
a – Confession de foi des Églises réformées de France, article XXVI.
b – Église évangélique à Genève, 1855, p. 1, 4, 5, cité par de Goltz, p. 529, 530.
Restait à préciser quelle serait cette foi : il fallait ou prendre une des anciennes confessions de foi de la Réforme, ou en rédiger une nouvelle ; ce fut à ce dernier parti qu’on s’arrêta ; de plus, pour ne pas encourir les reproches faciles qu’on adresse aux confessions de foi et en général à toute formule, pour prévenir l’accusation d’exclusivisme, on ajouta à la confession de foi la déclaration suivante : « Nous déclarons que, tout en voulant, devant Dieu, maintenir parmi nous la saine prédication de toutes ces vérités, nous reconnaissons pour frères tous ceux qui, en quelque lieu que ce soit, invoquent Jésus-Christ comme leur unique Sauveur et comme leur Dieu ; nous voulons les aimer et nous désirons apprendre du Seigneur à leur donner en toute occasion des témoignages du lien qui nous unit tous en Lui pour l’éternitéc. »
c – De Goltz, op. cit., p. 533.
Quant à l’admission des nouveaux membres de l’Église, elle fut soumise à la condition suivante : « Quiconque, se reconnaissant pécheur et condamné par ses œuvres, professe avec l’Église une même espérance en Jésus-Christ, Dieu manifesté en chair, unique refuge du pécheur, et ne dément pas sa profession par sa vie, est de plein droit membre de cette Église, le jugement des cœurs étant laissé à Dieu qui seul connaît ceux qui sont siensd. »
d – Église évangélique à Genève, 1855, p. 10, cité par de Goltz, p. 533-534.
La confession de foi était donc une règle pour la prédication et une limite pour l’enseignement, non une formule imposée aux consciences. Voici le texte de cette confession :
« Bien que nulle confession de foi, écrite par les hommes, quelque excellente qu’elle soit, ne doive être mise à la place des saintes Écritures ; bien que toutes les choses nécessaires au salut soient clairement enseignées dans cette Parole divine, nous pensons qu’il est des temps où les Églises sont appelées à déclarer plus explicitement leur foi. C’est pourquoi, tout en admettant les symboles du seizième siècle (en particulier le catéchisme de l’ancienne Église de Genève) dans leur opposition au pélagianisme, à l’arianisme, au papisme, et dans leur confession de la doctrine du salut par Jésus-Christ notre Rédempteur, nous venons faire ici, d’un commun accord, la profession qui suit :
1° Nous croyons que la sainte Écriture est pleinement inspirée de Dieu dans toutes ses parties, et qu’elle est la seule et infaillible règle de la foi ;
2° Nous recevons comme Écritures canoniques, pour l’Ancien Testament, tous les livres qui nous sont transmis à ce titre par l’universalité du peuple juif, auquel les oracles de Dieu ont été confiés sous la surveillance du Seigneur, et nous recevons également comme Écritures canoniques, pour le Nouveau Testament, tous les livres qui, sous l’action de la même providence, nous ont été transmis à ce titre par l’universalité des Églises de la chrétienté ;
3° Nous adorons le Père, le Fils et le Saint-Esprit un seul Dieu en trois personnes, Créateur et Conservateur de tout ce qui existe ;
4° Nous croyons que le premier homme, Adam, fut créé à l’image de Dieu, dans une justice et une sainteté véritables ; mais que, séduit par Satan, il tomba, et que dès lors la nature humaine fut entièrement corrompue ; en sorte que tous les hommes naissent pécheurs, incapables de faire le bien selon Dieu, assujettis au mal, attirant sur eux par un juste jugement la condamnation et la mort ;
5° Nous croyons que la Parole, qui était de toute éternité avec Dieu et qui était Dieu, a été faite chair, et que second Adam, né pur d’une Vierge par la puissance du Très-Haut, Jésus, seul entre les hommes, a pu rendre à Dieu une parfaite obéissance ;
6° Nous croyons que Jésus, le Christ, Dieu et homme en une seule personne, unique médiateur entre Dieu et les hommes, est mort à notre place en victime expiatoire ; qu’il est ressuscité et que, élevé dans la gloire, il comparaît maintenant pour nous devant Dieu, en même temps qu’il demeure avec nous par son Esprit ;
7° Nous croyons que nul homme ne peut entrer dans le royaume de Dieu s’il n’a subi dans son âme, par la vertu du Saint-Esprit, le changement surnaturel que l’Écriture appelle nouvelle naissance, régénération, conversion, passage de la mort à la vie ;
8° Nous croyons que nous sommes justifiés devant Dieu, non par des œuvres de justice que nous ayons faites, mais uniquement par grâce et par le moyen de la foi en Christ, dont la justice nous est imputée. C’est pourquoi nous sommes assurés qu’en Lui nous avons la vie éternelle, et que nul ne nous ravira de sa main ;
9° Nous croyons que, sans la sanctification, personne ne verra le Seigneur, et que rachetés à grand prix, nous devons le glorifier par nos œuvres. Et quoique le combat entre l’Esprit et la chair demeure en nous jusqu’à la fin, toutefois nous ne perdons pas courage ; mais ayant reçu une volonté nouvelle, nous travaillons à notre sanctification dans la crainte de Dieu ;
10° Nous croyons que le commencement et la fin du salut, la nouvelle naissance, la foi, la sanctification, la persévérance sont un don gratuit de la miséricorde divine ; le vrai croyant ayant été élu en Christ, avant la fondation du monde, selon la pré-connaissance de Dieu le Père dans la sanctification de l’Esprit, pour obéir à Jésus-Christ et pour être arrosé de son sang ;
11° Nous croyons que Dieu, qui a tant aimé le monde que de donner son Fils unique, ordonne présentement à tout homme, en tout lieu, de se convertir ; que chacun est responsable de ses péchés et de son incrédulité ; que Jésus ne repousse aucun de ceux qui vont à Lui, et que tout pécheur qui invoque sincèrement son nom sera sauvé ;
12° Nous croyons que le Saint-Esprit applique aux élus, par le moyen de la Parole, le salut que le Père leur a destiné et que le Fils leur a acquis ; de telle sorte que les unissant à Jésus par la foi, il habite en eux, les affranchit de l’empire du péché, leur fait comprendre les Écritures, les console et les scelle pour le jour de la rédemption ;
13° Nous attendons des cieux le Seigneur Jésus-Christ qui transformera le corps de notre humiliation pour le rendre conforme au corps de sa gloire, et nous croyons qu’en cette journée-là, les morts qui sont en Christ, sortant à sa voix de leurs tombeaux, et les fidèles qui vivront alors sur la terre, transmués par sa puissance, seront enlevés tous ensemble dans les nuées à sa rencontre, et qu’ainsi nous serons toujours avec le Seigneur ;
14° Nous croyons qu’il y aura une résurrection des injustes comme des justes ; que Dieu a arrêté un jour où il jugera le monde universel par l’homme qu’il a destiné à cela, et que les méchants iront aux peines éternelles pendant que les justes jouiront de la vie éternelle ;
15° Nous croyons que les Églises particulières établies en divers lieux et plus ou moins mélangées de régénérés et d’inconvertis doivent se faire connaître au monde par la profession de leur espérance, les actes de leur culte et le travail de leur charité. Mais nous croyons aussi qu’au-dessus de toutes ces Églises qui ont été et qui seront, il existe devant Dieu une sainte Église universelle composée de tous les régénérés et formant un seul corps invisible dont Jésus-Christ est la tête et dont les membres ne seront entièrement manifestés qu’au dernier jour ;
16° Nous croyons que le Seigneur a institué le baptême et la cône comme symboles et gages du salut qu’il nous a acquis : le baptême, qui est le signe de la purification par le sang et par l’esprit de Jésus ; la cône, dans laquelle nous recevons par la foi sa chair et son sang, et nous annonçons sa mort jusqu’à ce qu’il viennee. »
e – Église évangélique à Genève, 1855, p. 5.
En somme, cette confession de foi met surtout en lumière les vérités fondamentales qui sont comme la base doctrinale du Réveil, l’autorité et l’inspiration de l’Écriture, la divinité du Sauveur et la réconciliation par son sang, la justification gratuite par la foi et l’œuvre du Saint-Esprit dans les cœurs.
L’appropriation individuelle du salut, la vie personnelle de la foi y a aussi une large place, et ce caractère distinctif du Réveil y trouve son expression la plus complète et la plus claire.
Enfin, les divergences dogmatiques qui séparaient les partisans du Réveil et les divisaient y sont atténuées et comme conciliées. On y trouve affirmées, l’une à côté de l’autre et chacune avec une égale décision, la nécessité de la conversion personnelle et l’imputation de la justice de Christ, la perfection absolue de la justice imputée et la nécessité de la sanctification, la doctrine biblique de l’élection et de la grâce souveraine, et cette doctrine également biblique de l’universalité de la grâce et de la responsabilité encourue par l’incrédulef.
f – Nous aurons à nous occuper, dans une autre partie de cette étude, de la discipline de cette Église et de ses opinions sur la sainte Cène, le baptême, etc.
Quand il s’agit d’organiser les cultes, on laissa subsister dans le sein de l’Église les usages des deux communautés. C’est ainsi qu’à l’Oratoire on conserva le sermon du dimanche confié à un ministre consacré, le costume officiel du prédicateur, la liturgie, la cène distribuée tous les mois par des pasteurs, tandis qu’à la Pélisserie la cène fut donnée chaque dimanche et le culte mutuel y remplaça le sermon. En général, on retint, dans les assemblées de la Pélisserie, la coutume de laisser tous les frères prendre la parole pour la prière et pour l’exhortation. Du reste, tous les membres de l’Église évangélique demeurèrent libres de suivre l’un ou l’autre de ces deux cultes.
En dehors de ces services destinés à l’édification de la communauté elle-même, la Société évangélique organisa bientôt une œuvre missionnaire dans le quartier Saint-Gervais, où un culte fut établi chaque dimanche matin et soir.
Ainsi, l’Église évangélique ne se désintéressait pas de l’évangélisation, mais son caractère principal n’en demeurait pas moins la communion spirituelle, la réunion des croyants. Tout en étant distincte de la Société évangélique, l’Église libre lui est restée étroitement unie et en a été, pour ainsi dire, inséparableg.
g – Voy. Guers, Notice historique sur l’Église évangélique libre de Genève. Genève, 1875.
Ainsi se terminait la seconde période de cette histoire, et avec elle ce qu’on peut appeler l’époque elle-même du Réveil.
L’évolution, qui a eu son point de départ vers 1810, a son point d’arrivée en 1847 et 1849. C’est, d’une part, la réorganisation de l’Église nationale ; de l’autre, la fondation de l’Église évangélique libre.
A cette date, ces deux Églises ont devant elles, il est vrai, tout un développement à accomplir ; elles ont, l’une et l’autre, bien des progrès à réaliser ; mais c’est une histoire nouvelle qui commence. Les hommes qui ont pris part aux anciennes controverses disparaissent l’un après l’autre, ou tout au moins se retirent de la scène des luttes bruyantes. Le temps des polémiques et des procès, et aussi, — pourquoi ne le dirions-nous pas ? — celui de la première ardeur et des joyeux élans, est passé.
« C’est la médiocrité, s’écrie Bost en 1854, qui me semble caractériser le Réveil, depuis déjà bien des années, le Réveil que j’ai vu naître si pur, si désintéressé, si directement dirigé vers le royaume des cieux, si plein de renoncement et si spirituel, mais qui est devenu depuis longtemps affaire d’église et d’administration, affaire de comités, affaire de professeurs et d’orateurs, affaire d’argent et de collectes, affaire surtout de prudence, de ménagements, d’élégance, de philosophie, de sagesse mondaine et d’une fausse charité, tandis qu’on en a bien peu de vraie : peu ou point de renoncement, peu d’amour, peu de joie, presque pas d’élan ; un certain zèle pour la bonne cause peut-être, mais comme on en trouve aussi chez le mondain pour les objets qui lui plaisent ; rien qui ressemble à ce qu’on pourrait se représenter comme un baptême du Saint-Esprith. » Ce jugement est sévère ; on n’oserait pas dire qu’il est complètement injustei.
En tous cas, ce que nous pouvons en inférer, c’est qu’en 1850, l’ère du Réveil est bien close.
h – Mémoires, II, p. 449.
i – Voir un jugement analogue porté, en 1846, sur le Réveil par le pasteur André Blanc (Archives du christianisme, 1846, p. 14).