Activité de Wesley pendant ces deux années. — Aventures de voyage. — Il est repoussé de la cène à Epworth. — Newcastle. — Enquête sur les phénomènes physiques. — Chowden. — Pelton. — Placey. — Leeds. — Tentatives de désordre à Londres. — Attitude des autorités. — Le Staffordshire. — Commencements de l’œuvre à Wednesbury. — Opposition du clergé et des magistrats. — Une proclamation des juges de paix. — Wesley au milieu des émeutiers de Wednesbury et de Walsall. — Le bon berger ramenant la brebis perdue. — La Cornouailles. — Situation morale des habitants. — Un trait amusant. — Charles Wesley à Saint-Ives. — Scènes de désordre. — John Wesley en Cornouailles. — Scènes d’itinérance. — Nombreux auditoires. — Un service en plein air à Gwennap. — Un culte à cinq heures du matin. — Le travail d’un dimanche. — Œuvre pastorale. — Deux nouvelles chapelles à Londres. — La visite des malades. — Nouvelles persécutions. — Complicité des autorités et du clergé. — Accusations calomnieuses contre Wesley.
Pendant l’année 1743, Wesley donna quatorze semaines à Londres, dix à Bristol et à son voisinage, treize à la région de Newcastle, trois aux Cornouailles, et en passa douze en voyage, principalement au nord de l’Angleterre. L’année suivante, il consacra à la métropole à peu près six mois, fit une demi-douzaine de visites à Bristol, et employa trois mois à visiter les Cornouailles, le Yorkshire et le Northumberland.
Ce résumé de l’activité de deux années nous montre en Wesley un missionnaire au sens complet du mot, ne s’arrêtant plus que quelques jours, quelques heures même, dans chaque localité, traversant continuellement l’Angleterre du sud au nord et de l’ouest à l’est, insensible aux intempéries et à la fatigue, et n’ayant qu’une ambition, sauver le plus d’âmes possible et, pour atteindre ce but, ne perdant pas un moment.
C’était une rude existence que celle à laquelle se vouait Wesley. Il n’y avait pas alors en Angleterre de grandes routes, sauf aux environs des villes, et les chemins étaient mal entretenus. Wesley voyageait à cheval, et, tout en chevauchant, il occupait habituellement ses loisirs à lire quelque ouvrage de littérature, de philosophie ou de théologie, ou bien il s’entretenait avec l’un de ses prédicateurs dont il se faisait accompagner. Des aventures de toutes sortes devaient nécessairement lui arriver dans cette vie itinérante. Les chutes de cheval n’étaient pas rares ; mais elles ne guérirent pas Wesley de la dangereuse habitude de lire en selle. En juillet 1743, en arrivant à Darlington, sa monture tomba malade et mourut, et il dut en louer une autre pour une partie de la route et faire à pied le reste.
En octobre, en quittant Epworth, il eut à traverser en bac la Trent pendant un violent orage ; le bac, chargé de huit personnes et de trois chevaux, s’inclina et menaça de chavirer ; bêtes et gens roulèrent les uns sur les autres dans la plus grande confusion ; heureusement que les chevaux effrayés se jetèrent à la nage et allégèrent le bateau qui put gagner le bord.
Le missionnaire ne laissait échapper aucune occasion d’évangéliser. Les rencontres sur le chemin ou dans les auberges lui fournissaient l’occasion d’aborder directement la question du salut. Il laissait souvent un traité à son interlocuteur en souvenir d’une conversation pieuse. Si de tels entretiens étaient généralement bien accueillis, ils lui attiraient parfois aussi des bordées d’injures. Mais les insultes n’avaient pas la puissance d’intimider ou de décourager l’homme qui allait tenir tête à des assauts autrement redoutables.
En revenant vers le sud, aux premiers jours de l’année, Wesley s’arrêta de nouveau à Epworth, son lieu de naissance, et y prêcha, comme la première fois, sur la tombe de son père. Le dimanche qu’il y passa étant un dimanche de communion, il fit demander au successeur de son père l’autorisation de s’approcher de la sainte table. L’orgueilleux ministre, du nom de Romley, répondit : « Dites à M. Wesley que je ne lui donnerai pas la Cène ; il n’est pas en état de la recevoir. » En consignant ce fait dans son journal, Wesley ajoute : « Combien sage est notre Dieu ! Il n’y a pas un lieu sous la face des cieux où il fût plus convenable que l’on me repoussât de la Cène que dans la maison de mon père, dans le lieu de ma naissance, à l’endroit où, selon la secte la plus stricte de notre religion, j’ai si longtemps vécu en pharisien. Il convenait aussi que je fusse repoussé de cette table, où j’ai si souvent moi-même distribué le pain de vie, par un homme qui doit tout ce qu’il a dans ce monde à la tendre affection de mon père pour les siens et pour lui-mêmea. »
a – Journal, 2 janvier 1743.
En février, Wesley fit sa troisième visite à Newcastle. La société, qui s’y était si rapidement fondée, souffrait de cette croissance trop hâtive et réclamait des soins pastoraux attentifs. De l’examen auquel il se livra résulta une épuration nécessaire, qui raya des registres de la société cent quarante noms.
Le réveil se continuait dans cette ville, et les conversions se multipliaient. Wesley fit une enquête approfondie sur les phénomènes physiques qui y accompagnaient assez fréquemment les conversions. Il constata que tous ceux qui avaient éprouvé ces ébranlements jouissaient précédemment d’une excellente santé, que ces phénomènes se produisaient en général instantanément et sans être annoncés par des signes avant-coureurs, qu’ils consistaient surtout en un affaissement complet physique et moral, accompagné de vives souffrances. Quant à ces souffrances elles-mêmes, les personnes interrogées par Wesley les dépeignaient difficilement. L’un disait qu’il avait cru ressentir l’impression d’une épée transperçant son corps ; un autre l’impression d’un poids accablant sur sa poitrine ; un troisième une secousse qui lui avait coupé la respiration, etc. Enfin, chez tous, de vives préoccupations spirituelles avaient accompagné ces crises physiques, qui avaient cessé au moment où le calme s’était fait dans l’âme.
Dans les environs de la ville, Wesley évangélisait plusieurs localités.
A Chowden, il trouva une population de mineurs qui excitèrent dans son âme une profonde compassion. « C’est bien ici le Kingswood du nord, écrit-il. Vingt ou trente enfants se sont groupés autour de nous, nous regardant d’un air hébété. Il serait difficile de dire s’ils étaient habillés ou non. Une grande fille de quinze ans environ était là, portant pour tout vêtement une vieille couverture déchirée et sale, retenue à son corps je ne sais comment, et un horrible bonnet de même étoffe. Mon cœur s’est senti plein de pitié en faveur de ces pauvres gens ; et eux-mêmes avaient l’air de vouloir me dévorerb. »
b – Journal, 8 mars 1743.
A Pelton, au milieu du sermon, l’un des mineurs commença à pousser des exclamations de joie. Le plus souvent, ils témoignaient leur satisfaction en frappant des mains.
A Placey, il trouva une de ces populations grossières, mais accessibles à l’Évangile, vers lesquelles il se sentait toujours attiré. « Ce village, dit-il, est uniquement habité par des mineurs, qui, par leur ignorance grossière et par leur perversité, dépassent tout ce que j’ai vu. Leur grande fête se tient le dimanche, et ce jour-là hommes, femmes et enfants se réunissent pour danser, se battre, blasphémer et jouer à toutes sortes de jeux. Je ressentis une vive compassion pour ces pauvres créatures, dès la première fois qu’on m’en parla, d’autant plus que tout le monde paraissait croire qu’il serait parfaitement inutile de rien tenter en leur faveur. Le vendredi saint, je me fis accompagner par un guide, et je partis pour ce village. Un fort vent du nord nous jetait à la face le grésil qui se congelait en tombant, et nous couvrit bientôt d’une sorte de cuirasse de glace. Arrivés à Placey, nous pouvions à peine nous tenir debout. Dès que nous fûmes un peu remis, je m’avançai vers la place du village et me mis à annoncer Celui qui a été meurtri pour nos péchés et frappé pour nos iniquités. Les pauvres mineurs s’empressèrent d’accourir et prêtèrent une attention soutenue aux choses qui leur furent dites. Ils revinrent encore l’après-midi, en dépit du vent et de la neige. »
Quelques jours après, Wesley y prêcha de nouveau, et bientôt des conversions remarquables s’opérèrent. Lors de sa quatrième visite dans le nord, au mois de juillet suivant, il y organisa une petite société qui lui donna par la suite de grands sujets de joie. Et, plusieurs années plus tard, il pouvait dire : « Notre société de mineurs de ce village pourrait servir de modèle à nos sociétés d’Angleterre. Il n’y a pas parmi eux de querelles ; mais, unis d’un même cœur, ils s’excitent à l’amour et aux bonnes œuvres. » A chacune de ses tournées dans le nord, il était heureux de se retrouver au milieu de ses « honnêtes et aimables mineurs de Placey », comme il les appelait.
A son retour de Newcastle, Wesley prit à Birstal son vaillant ami Nelson et fit avec lui sa première visite à Leeds, qui allait devenir l’une des métropoles du méthodisme dans le nord de l’Angleterre. Il y trouva une petite société déjà formée, probablement par les soins de Nelson.
Le peuple anglais ne se montrait pas partout aussi bienveillant qu’à Newcastle envers Wesley et ses collaborateurs. Dans cette ville même, il rencontrait déjà quelques velléités de désordre qu’il sut contenir par l’autorité de sa parole et la fermeté de son attitude. Une troupe de jeunes gens ivres ayant un jour envahi la chapelle, il interrompit sa prédication et se mit à prier pour eux avec cette puissance irrésistible qu’il possédait dans ce saint exercice. Les tapageurs, qui ne s’attendaient pas à une telle réception, furent tout interdits et se retirèrent paisiblement.
A Londres, les mauvaises passions de la multitude éclataient plus librement. Un jour que Wesley prêchait dans un lieu public, appelé les Grands-Jardins, il fut interrompu par une troupe de mauvais sujets qui essayèrent de disperser la réunion en lançant au milieu d’elle un troupeau de bœufs. Bientôt même, l’assemblée fut assaillie par une grêle de pierres, et l’une d’elles atteignit le prédicateur entre les deux yeux. Le sang coulait en abondance de cette plaie qui l’aveuglait presque ; mais, sans se laisser troubler, il l’étancha et continua à parler, donnant ainsi à ses auditeurs l’exemple du courage. « J’ai compris, écrivait-il à cette occasion dans son journal, quelle bénédiction Dieu nous accorde, quand il nous permet à un degré quelconque de souffrir pour l’amour de son nom. »
Dans un autre quartier, à Chelsea, la populace s’amusait à jeter des fusées et des pétards enflammés dans la salle du culte, au milieu de l’assemblée paisiblement réunie ’. Ce divertissement paraît avoir été fort goûté à ce moment par le peuple de Londres et des environs ; car, à Windsor aussi, les mauvais sujets du lieu avaient fait provision de poudre et de fusées pour jeter la confusion dans les rangs des méthodistes. En attendant l’heure où ils pourraient mettre à exécution leur complot, ils eurent l’idée de se divertir entre eux et d’aller jeter quelques fusées au milieu de la foule réunie pour une foire dans le voisinage. La plaisanterie ne fut pas du goût de ces gens, moins patients que ne l’eussent été les méthodistes. Plusieurs des tapageurs furent saisis et mis en prison, et, grâce à cette diversion, Wesley put prêcher sans interruptionc.
c – Journal, 12 septembre 1742.
Ces désordres ne se prolongèrent pas longtemps à Londres et dans la banlieue. Les autorités sévirent avec fermeté contre les perturbateurs, et le président des juges du Middlesex dit un jour à Wesley : « Nous avons reçu l’ordre de vous faire justice toutes les fois que vous réclamerez notre protection. » L’occasion ne tarda pas à se présenter. Une troupe de mauvais sujets assaillit un jour à coups de pierres un des lieux de culte de Londres. Les projectiles lancés sur le toit le percèrent et, tombant dans la chapelle, mirent en danger la vie des assistants. Wesley prévint les assaillants qu’il était décidé à se prévaloir du secours des magistrats, s’ils ne se retiraient pas. Voyant que ses avis ne servaient à rien, il fit résolument arrêter l’un des meneurs et le fit conduire sous bonne escorte devant les juges, qui instruisirent son procès. Cette fermeté fut de bon exemple et mit fin aux émeutes, au moins dans la capitale. Une scène remarquable se produisit pendant le dernier incident que nous venons de raconter. Un homme et une femme qui étaient à la tête des tapageurs, et qui paraissaient les plus enragés, ayant pénétré dans la chapelle, changèrent aussitôt de contenance, et, atteints par une conviction soudaine, tombèrent à genoux en demandant pardon à Dieu.
Mais ce n’étaient là que des escarmouches auprès des terribles assauts que les méthodistes eurent à soutenir, pendant cette année 1743 et pendant la suivante, dans le Staffordshire. Au sud de ce comté se trouve un district connu sous le nom de contrée noire (Black Country), à cause de ses riches mines de houille et de ses usines. Ce district, où se pressent, au nord-ouest de Birmingham, des villes industrielles nombreuses, Wolverhampton, Bilston, Darlaston, Wednesbury, Walsall, etc., et qui compte aujourd’hui près d’un million d’habitants sur un espace d’environ 40 000 hectares, ce district était déjà habité, au xviiie siècle, par une nombreuse population de mineurs et d’ouvriers que le méthodisme devait essayer d’évangéliser. Wednesbury, où se passèrent les scènes que nous allons raconter, n’était alors qu’une petite ville, connue par ses combats de taureaux et de coqs. Le goût très vif qu’avait la population pour ces amusements barbares donne la mesure de sa condition morale.
Charles Wesley y avait prêché en novembre 1742. Son frère y vint au commencement de l’année suivante, y séjourna quatre jours, y prêcha huit fois et y forma une société d’environ cent membres. Le ministre de la paroisse semblait alors bien disposé à l’égard des méthodistes. Malheureusement ces dispositions changèrent, grâce à ce que Wesley lui-même appelle « l’inexcusable folie » du prédicateur laïque envoyé pour continuer l’œuvre. Il parla sans ménagements des ministres officiels et de leurs ouailles et contribua à déchaîner contre les méthodistes une vive opposition. Quand Charles y retourna au mois de mai, il eut à tenir tête à l’orage. On lui jeta des pierres et de la boue pendant qu’il prêchait à Walsall du haut des degrés du marché.
La situation s’aggravait de jour en jour. Les pasteurs de Wednesbury et de Walsall tonnaient du haut de la chaire contre les méthodistes. Les juges de paix refusaient de leur faire justice des outrages de toute nature auxquels ils étaient exposés et, au lieu de les défendre, les accusaient d’être les auteurs de l’agitation.
Huit jours avant l’arrivée de Wesley à Wednesbury, les juges de paix de la contrée avaient eu l’audace de lancer la proclamation suivante :
A tous les constables et officiers de paix de Sa Majesté, dans le comté de Staffordshire, et particulièrement au constable de Tipton.
Attendu que nous, juges de paix de Sa Majesté dans ledit comté de Stafford, avons reçu information que quelques hommes désordonnés, s’appelant eux-mêmes prédicateurs méthodistes, vont de côté et d’autre, fomentant des troubles et des émeutes, au grand dommage du peuple sujet de Sa Majesté, et contre la paix de notre souverain Seigneur le Roi. Ces présentes sont pour vous commander, au nom de Sa Majesté, à chacun de vous dans son district respectif, de faire recherche diligente desdits prédicateurs méthodistes et, de les amener devant l’un de nous, juges de paix de Sa Majesté, pour être examinés concernant leurs actes contraires aux lois.
Donné sous nos sceaux, le douzième jour d’octobre 1743.
J. Lane. W. Persehouse.
La populace, encouragée au désordre par ceux qui auraient dû la ramener au bien, se livra à tous les excès. Elle brisa les fenêtres, pilla les maisons, et maltraita les personnes de ceux qu’elle soupçonnait d’appartenir à la nouvelle secte. L’un d’eux, Francis Ward, fut laissé pour mort dans la rue. Des femmes et des enfants furent traînés dans les ruisseaux des rues. Les émeutiers, qui commandèrent en maîtres pendant plusieurs mois dans la contrée, dressèrent un formulaire de rétractation ; ceux des méthodistes qui refusèrent de le signer furent battus et maltraités, à tel point que la vie de plusieurs fut en danger.
Lorsque Wesley apprit à quelles épreuves étaient exposés ses frères de Wednesbury, il se décida à aller aussitôt leur porter des consolations et des encouragements ; il avait pour maxime de regarder toujours le danger en face. Le jour de son arrivée, il prêcha à midi au milieu de la ville, et soit que sa hardiesse imposât à la foule, soit pour tout autre motif, personne ne l’inquiéta. Mais le soir venu, comme il était paisiblement occupé à écrire dans sa chambre, il apprit, par les vociférations qui parvenaient à ses oreilles, que l’émeute grondait autour de la maison. Il engagea ses hôtes à prier avec lui. Un moment, le rassemblement parut se disperser ; mais il revint bientôt à la charge, grossi de nouvelles recrues. « Faites sortir le ministre, nous voulons avoir le ministre, » criaient des voix nombreuses et irritées. Wesley demanda qu’on fit entrer le chef de la bande. L’attitude ferme et sereine du prédicateur frappa tellement cet homme, qu’après quelques mots échangés il s’apaisa et devint doux comme un agneau. Wesley l’envoya alors chercher quelques-uns des plus irrités de la troupe. Il en amena deux qui voulaient tout saccager ; mais, après une courte entrevue avec Wesley, ils se calmèrent eux aussi. Il leur demanda alors de lui frayer un chemin jusqu’au cœur du rassemblement. Ils s’y prêtèrent, et, lorsque le prédicateur se vit entouré de la populace, il monta sur une chaise et s’écria : « Que me voulez-vous ? » Quelques voix crièrent : « Nous voulons vous mener devant le juge de paix. » — « De grand cœur, » répliqua-t-il, et il se mit à les exhorter, de telle façon que ses paroles ébranlèrent la résolution de plusieurs et qu’une voix cria du milieu de la multitude : « Ce monsieur est un honnête homme, et nous verserons notre sang pour le défendre. » Tous n’étaient pourtant pas de cet avis, et deux ou trois cents parmi les moins bien disposés accompagnèrent Wesley chez le juge Persehouse, de Walsall, à quelques milles de distance et sous une pluie battante. Ce magistrat qui, par sa proclamation, avait contribué à surexciter les passions populaires, refusa de s’occuper de l’affaire, prétextant qu’il était couché.
Pendant ce temps, le bruit s’était répandu dans Walsall que le prédicant méthodiste venait d’y arriver sous bonne escorte ; tous les mauvais sujets de la ville (et ils étaient nombreux) s’attroupèrent aussitôt et se mirent à sa recherche. Un nouvel assaut, plus terrible que le précédent, attendait le missionnaire, qui, voyant faiblir la résolution de ses premiers agresseurs, espérait que tout en finirait là. Des clameurs sinistres et des cris de mort l’entourèrent bientôt, et la populace de Walsall l’arracha des mains de ceux qui l’avaient amené. Il essaya inutilement de se réfugier dans une maison ouverte ; la rage de ces forcenés l’en fit sortir, et une main, le saisissant par la chevelure, le ramena au milieu de la populace, dont le flot sans cesse grossissant l’entraîna à travers la ville. Calme au milieu de l’effervescence générale, il essayait de parler à ceux qui le pressaient de plus près ; un moment, ayant réussi à se placer sur le seuil d’une porte, il tenta de s’adresser à la foule, mais vainement. « A bas ! à bas ! vociféraient plusieurs voix, faites-lui sauter la cervelle ; tuez-le une fois pour toutes. » D’autres réclamèrent pour lui le droit de parler ; mais, à peine eut-il prononcé quelques paroles, que le tumulte l’empêcha de continuer. La foule l’entraîna d’un bout de la ville à l’autre, et la cohue était telle qu’en passant sur un pont une femme fut précipitée dans la rivière. Le long d’une rue en pente, rendue plus glissante par la pluie qui tombait, Wesley faillit à diverses reprises être renversé sous les pieds de la populace qui le poussait en avant ; un seul faux pas lui eût été fatal. Ses persécuteurs mirent ses habits en lambeaux ; quelques-uns le frappèrent si violemment, qu’il eut la bouche tout ensanglantée, et un forcené essaya même de l’atteindre à la tête avec un énorme bâton qui l’eût tué sur place si une main n’avait détourné le coup. Pendant tout ce temps, Wesley conservait son sang-froid et priait à haute voix pour ses persécuteurs.
A la fin, sa douceur et sa force d’âme ébranlèrent la détermination de ceux qui l’entouraient. Le chef de la populace, boxeur célèbre, eut quelques remords de sa lâcheté et dit à Wesley : « Monsieur, je vais exposer ma vie pour vous ; suivez-moi, et personne ne touchera à un seul de vos cheveux. » Cette déclaration fut d’un bon exemple ; l’ivresse de la foule se calma peu à peu, et bientôt un parti nombreux prit la défense du prédicateur, qui put s’en aller à la faveur des ténèbres. Son frère, qui le rejoignit peu après, dit de lui : « Avec ses habits déchirés, il me fit l’effet d’un vaillant soldat de Christd. »
d – Journal, 20 octobre 1743.
En apparence, Wesley avait été vaincu à Wednesbury et à Walsall ; en réalité, il était vainqueur. Et la preuve, c’est que son frère Charles, y revenant quelques jours plus tard, y trouva de tout autres dispositions ; plusieurs conversions eurent lieu, et, dans le nombre, celle du chef de l’émeute, le boxeur dont nous avons parlé. « C’est un homme de Dieu que votre frère, disait-il à Charles, et il fallait bien que Dieu fût à son côté pour que nous n’ayons pas réussi à le tuer. »
C’était un homme de Dieu, en effet, que John Wesley, et rien ne l’arrêtait lorsqu’il était en face d’âmes à sauver. Comme son Maître, il savait non seulement affronter les persécutions, mais, ce qui est peut-être plus difficile, accepter les tâches humiliantes et qui attirent les mépris du monde. En poursuivant sa tournée dans le Nord, à la suite des scènes que nous venons de raconter, Wesley arriva à Grimsby, où il prêcha en plein air. Mais la pluie qui survint l’obligea à chercher un abri pour les réunions suivantes. Vainement il s’enquit de tous côtés : les habitants de la ville, craignant de se compromettre, refusèrent de prêter leurs maisons pour un pareil usage. A la fin, pourtant, une femme offrit la sienne ; c’était une malheureuse qui avait abandonné son mari pour se livrer à une vie de désordre. Wesley, qui se rappelait l’exemple de son Maître et qui espérait arracher cette âme à l’enfer, accepta cette offre. Il prêcha sur la pécheresse aux pieds de Jésus, et sa parole fut si puissante qu’elle jeta l’alarme dans la conscience de la malheureuse femme qui vint, après le service, dire au prédicateur avec une profonde émotion : « O monsieur, que dois-je faire pour, être sauvée ? » Wesley, qui connaissait un peu son passé, lui répondit : « Cessez immédiatement de vivre comme vous l’avez fait, et retournez sans retard vers votre mari. » Elle hésitait ; son mari était à cent milles de là, à Newcastle. Le missionnaire ; résolu à tout prix à sauver cette âme, réfléchit un moment, puis il lui offrit un cheval, lui promettant de l’accompagner jusque chez elle. Elle accepta, et voilà Wesley chevauchant sur les grands chemins de l’Angleterre, à côté de cette pauvre créature qu’il avait conquise sur le mal. Tout le long de la route, il s’entretint avec elle et acheva de la conduire au divin Ami des pécheresses qui se repentent.
Je ne sais s’il y a dans toute la vie de Wesley de spectacle plus touchant que celui-là : le bon pasteur ramenant au bercail la brebis égarée. Ce trait prouve qu’il ne considérait pas sa tâche comme finie lorsqu’il avait harangué la multitude et qu’il savait être autre chose que prédicateur.
La Cornouailles, où le méthodisme prit pied vers la même époque, était dans une situation morale aussi peu satisfaisante que le Staffordshire. Les habitants des côtes s’y livraient sans scrupule à la contrebande et considéraient comme légitime le pillage des vaisseaux naufragés. L’ivrognerie, les combats de coqs et de taureaux, les luttes à coups de poing et les jeux bruyants étaient les passe-temps favoris du peuple. La religion y était peu en honneur, et le clergé anglican n’avait en général ni les vertus ni le zèle qu’il eût fallu pour changer cet état de choses. Là comme ailleurs en Angleterre, il allait faire aux missionnaires du réveil la plus violente opposition.
Un trait un peu amusant, raconté par M. F. Truscott, peut donner quelque idée de l’ignorance religieuse des Cornouaillais, à l’époque de Wesley. Dans un village, près de Helstone, il n’y avait pas un seul exemplaire de la Bible ; on n’y possédait, en fait de livres religieux, qu’un Prayer-Book, déposé dans l’auberge du village. Un jour de terrible tempête, la population, croyant que la fin du monde approchait, accourut à la taverne et demanda à Tom, le garçon de service, de lui lire une prière. Tom prit un livre et se mit à lire sur un ton solennel, pendant que toute l’assistance était à genoux. Dans ce qu’il lisait, il était question de tempêtes et de naufrages ; le lecteur et ses auditeurs n’en demandaient pas davantage. La maîtresse de l’auberge, plus avisée, s’écria tout à coup : « Tom, mais c’est Robinson Crusoë que tu nous lis ! — Non, répondit-il, c’est le livre de prières, » et il continua jusqu’à ce que sa maîtresse, de plus en plus éclairée par la lecture, répéta son objection. « Eh bien, répondit Tom, quand même ce serait Robinson Crusoë ! Est-ce que ce ne sont pas d’aussi bonnes prières que dans un autre livre ? » Et il reprit sa lecture jusqu’à ce que, l’orage ayant cessé, les villageois se retirèrent, croyant en bonne conscience avoir accompli leur devoir religieux. (Meth. Mag., 1820, p. 538.)
Dans la petite ville maritime de Saint-Ives, située à l’extrémité de la péninsule, se trouvaient quelques chrétiens groupés autour d’une femme pieuse, Catherine Quick, et qui se réunissaient pour prier et pour lire les Notes de Burkitt sur le Nouveau Testament. Un méthodiste de Bristol les ayant visités, ils le chargèrent d’inviter Wesley à venir les voir.
Charles y arriva en juillet 1743. Le lendemain, s’étant rendu à l’église, il dut subir un premier assaut de la part du ministre, qui dirigea son sermon contre les méthodistes, qu’il appela « ennemis de l’Église, séducteurs, perturbateurs, scribes, pharisiens et hypocrites. » A Wednock, le ministre fut encore plus violent et excita le peuple contre les méthodistes, déclarant que « c’était avec des coups, et non avec des arguments, qu’il fallait se débarrasser d’eux. » Ces excitations ne furent que trop bien écoutées, et des scènes analogues à celles de Wednesbury se produisirent : la populace se rua sur les maisons habitées par les gens pieux et les mit à sac, les assemblées furent dispersées par la force, et ceux qui y assistaient eurent à souffrir les plus cruels traitements. A Pool, la populace, ayant à sa tête un des marguilliers de l’église, chassa le prédicateur et ses amis de la paroissee.
e – Les registres de la paroisse portent encore aujourd’hui la note des dépenses faites à l’auberge par les défenseurs de l’Église « pour chasser les méthodistes ».
John Wesley, accompagné de Nelson, visita les Cornouailles, peu après le retour de son frère, et y passa trois semaines qui furent bien employées. Sa prédication put atteindre plusieurs localités non encore visitées. Il fit même une excursion aux îles Sorlingues ou Scilly, éloignées de la côte d’environ une quinzaine de lieues. Pendant ces semaines d’activité infatigable, il souffrit souvent de la privation des choses les plus nécessaires à la vie. Il n’avait habituellement d’autre lit que le sol, et d’autre oreiller qu’une vieille redingote. Une nuit il réveilla son compagnon de route en lui disant : « Frère Nelson, soyons reconnaissants : je n’ai qu’un côté d’écorché ; l’autre est en parfait état. » Plus d’une fois, ils eurent à souffrir de la faim au milieu de gens qui ne comprenaient qu’imparfaitement le devoir de l’hospitalité. Wesley arrêta un jour son cheval et se mit à cueillir des mûres sur un buisson et à les manger du meilleur appétit du monde, en accompagnant son frugal repas de ces paroles : « Frère Nelson, nous devons bénir le Seigneur de ce qu’il y a ici abondance de mûres ; car ce pays est le meilleur que je connaisse pour donner un bon appétit, et le pire pour le satisfaire. Les gens pensent-ils donc que nos prédications nous nourrissentf ? »
f – Journal de John Nelson.
Ces épreuves-là étaient moins à redouter que celles que son frère avait rencontrées quelques semaines auparavant. L’opposition se réduisit à quelques tentatives de désordre, que le sang-froid de Wesley sut réprimer. « Comme je prêchais à Saint-Ives, raconte-t-il, Satan commença à combattre pour son royaume. La populace fit irruption dans la salle et y créa un grand trouble, en vociférant et en frappant ceux qui se trouvaient là. J’essayai vainement de persuader à nos gens de se tenir tranquilles ; le zèle des uns et la frayeur des autres n’avaient pas d’oreilles. Voyant que le tumulte augmentait, je m’avançai jusqu’au milieu des tapageurs, et amenai leur chef jusqu’au haut de la salle. Je ne reçus qu’un seul coup sur le côté de la tête ; après quoi, nous raisonnâmes le cas, jusqu’à ce que cet homme s’adoucît et finalement entreprît de calmer ses compagnonsg. »
g – Journal de Wesley, 16 septembre 1743.
Il eut fréquemment des auditoires nombreux et attentifs parmi ces populations de mineurs qui habitent l’extrémité de la péninsule cornique. A Morva, il eut « le plus grand auditoire qu’il eût vu en Cornouailles » ; à Trezuthan-Downs, il prêcha à deux ou trois mille personnes.
A Gwennap, en plein district minier, il évalua à dix mille personnes le nombre de ses auditeurs réunis dans une carrière formant amphithéâtre, et où par la suite il prêcha souvent. « Je ne pus finir, dit-il, que lorsqu’il fit si sombre que nous pouvions à peine nous voir les uns les autres. Tous écoutèrent avec la plus vive attention, sans que personne parlât, bougeât ou même regardât ailleurs. Assurément dans ce lieu, qui n’était pas un temple bâti par la main des hommes, Dieu était adoré saintement. Parmi ceux qui étaient présents se trouvait un M. P…, naguère un violent adversaire. Avant que le sermon commençât, il dit à l’un de ses amis : « Capitaine, ne vous éloignez pas, tenez-vous près de moi ! » Il éclata bientôt en larmes et se serait affaissé sur lui-même, si son ami ne l’eût soutenu. Oh ! puisse l’Ami des pécheurs le relever. »
Le lendemain matin, Wesley devait prêcher encore à cinq heures, avant de se séparer de cette population sympathique. Il fut réveillé entre trois et quatre heures, par une nombreuse troupe de mineurs qui, en attendant l’heure de la réunion, chantaient des cantiques sous sa fenêtre. Il leur prêcha sur : « Crois au Seigneur Jésus-Christ et tu seras sauvé, » et, ajoute-t-il, « ils dévorèrent la parole. » De telles scènes le consolaient de bien des calomnies et de bien des persécutions.
On peut juger de l’activité de Wesley par la manière dont il employa son dernier dimanche en Cornouailles. Il prêcha de grand matin à Land’s End, à l’extrémité de la péninsule ; vers dix heures à Saint-Just ; à une heure à Morva, où, après la prédication, il réunit la société, composée de plus de cent membres ; à quatre heures, il prêcha à Zennor, et termina enfin la journée par une dernière réunion à Saint-Ives ; — ce qui fait pour un seul dimanche six réunions dans cinq localités différentes, et une trentaine au moins de kilomètres de voyage à cheval pour se rendre de l’une à l’autre.
En quittant les Cornouailles, où Nelson restait pour continuer l’œuvre commencée, Wesley avait la certitude qu’il n’avait pas travaillé en vain. Les sociétés y comptaient déjà quelques centaines de membres, et la prédication de l’Évangile y trouvait des auditeurs nombreux et bien disposés.
De retour à Londres ou à Bristol, le missionnaire redevenait pasteur. « Je ne puis pas comprendre, disait-il, comment un ministre peut espérer rendre compte avec joie de son administration, s’il ne connaît pas personnellement tous les membres de son troupeau, y compris les serviteurs et les servantes. » A Bristol, au commencement de l’année, il avait pris la peine de s’entretenir séparément avec chaque membre de la société. A Londres, les deux frères commencèrent cette visite détaillée et s’y employèrent de six heures du matin à six heures du soir jusqu’à ce qu’elle fût achevée. Avant la fin de l’année, cette dernière société comptait plus de deux mille membres.
La chapelle de la Fonderie était désormais insuffisante. Au mois de mai, Wesley put s’en procurer une seconde, dans le quartier de Seven-Dials ; elle avait été construite, soixante ans auparavant, par les réfugiés huguenots. Son frère et lui, quand ils étaient à Londres, y officiaient le dimanche et y donnaient la Cène deux fois par mois. Les communiants étaient si nombreux que le service du matin durait, ce jour-là, cinq heures. Il fallut diviser les communiants en trois sections de six cents chacune, et décider qu’une seule section pourrait communier à la fois. Trois mois plus tard, les méthodistes de Londres prirent possession d’une troisième chapelle, construite dans le quartier de Southwark par un unitaire. On déconseillait à Wesley d’aller s’établir dans un quartier mal famé, habité, disait-on, par des démons et non par des hommes. Cette considération, loin de le décourager, était de nature à l’exciter à aller de l’avant. Il prit possession de sa troisième chapelle, en prêchant sur ce texte : « Ceux qui sont en santé n’ont pas besoin du médecin ; ce sont ceux qui se portent mal. Je ne suis pas venu appeler les justes à la repentance, mais les pécheurs. »
Les sociétés, quoique composées presque uniquement de pauvres, savaient s’imposer de grands sacrifices, non seulement pour subvenir aux besoins du culte, mais encore pour secourir les indigents. La ville de Londres fut divisée en vingt-trois districts, dont chacun eut deux visiteurs choisis par Wesley et qui devaient visiter les malades trois fois par semaine et s’occuper de leurs besoins matériels et spirituels.
Pendant que se complétait ainsi l’organisation du méthodisme, ses adversaires ne s’endormaient pas, et la persécution redoublait. Charles Wesley était toujours aux premiers rangs lorsqu’il y avait des coups à recevoir. A Sheffield, la populace, ayant à sa tête un officier, vint attaquer l’une de ses assemblées ; le vaillant prédicateur lui tint tête au péril de sa vie et reçut quelques blessures dans cette rencontre. L’officier, irrité de cette fermeté, dégaina son épée et en appuya la pointe sur la poitrine du prédicateur, sans parvenir à l’effrayer. La populace de Sheffield, excitée par les prédications d’un clergé intolérant, se porta aux plus grands excès et démolit entièrement la chapelle méthodiste.
L’année 1744 apporta à Wesley et à ses collaborateurs de nouvelles et rudes épreuves. Des soulèvements populaires éclatèrent de toutes parts contre eux. On ne se bornait plus à démolir et à piller leurs maisons ; on s’en prenait à leurs personnes. Tel prédicateur reçut des blessures graves ; tel autre fut plongé dans une rivière jusqu’à ce que la suffocation fût presque complète. Dans leurs rencontres avec la populace, ces pieux serviteurs de Christ se considéraient comme fort heureux lorsqu’ils échappaient sans blessures et n’ayant que leurs habits en lambeaux ou couverts de boue. Quelques villes du Staffordshire demeurèrent pendant plusieurs mois à la merci de l’émeute. A Darlaston, de pauvres femmes sans défense furent maltraitées et subirent les pires violences. La populace de Walsall s’organisa pour faire la guerre au méthodisme ; elle fit un drapeau qu’elle arbora en pleine place publique et qui flottait devant elle lors de ses expéditions. Les maisons suspectées de receler des méthodistes étaient livrées au pillage ; les défenseurs de l’Église anglicane s’appropriaient sans façon une partie du mobilier et mettaient en pièces le reste. Devant ce débordement des passions brutales, les hommes et les femmes s’enfuyaient, ne sachant où trouver un abri. Leur constance et leur fidélité furent admirables. Lorsqu’on leur offrit de les laisser en paix, pourvu qu’ils s’engageassent à ne plus recevoir leurs prédicateurs, ils répondirent courageusement : « Nous avons perdu tous nos biens ; nous n’avons plus à perdre que notre vie, et nous la sacrifierons volontiers plutôt que d’agir contre notre conscience. »
Les persécutés ne trouvaient protection nulle part. L’opinion publique leur était hostile et dénaturait leur conduite. L’Evening Post de Londres publia même un article commençant ainsi : « Une lettre privée que nous recevons du Staffordshire nous donne la nouvelle d’une insurrection du peuple appelé méthodiste. Ces gens-là, alléguant de prétendues insultes qu’ils auraient subies de la part du parti de l’Église, ont fait une émeute et, après avoir commis plusieurs attentats, ont incendié la maison d’un de leurs adversaires. »
Calomniés par l’opinion publique, les méthodistes ne trouvaient point d’appui auprès des autorités civiles ou ecclésiastiques. A Dudley, le ministre anglican souleva la foule contre le prédicateur méthodiste qui fut maltraité et eût été massacré sans un honnête quaker qui lui fournit le moyen d’échapper en l’affublant de son chapeau à larges ailes et de son habit à forme étrange. A Walsall, les magistrats laissèrent placarder sur la place publique une affiche qui annonçait pour un certain jour « la destruction des méthodistes ». A Wednesbury, ils offrirent une récompense de cinq livres sterling pour leur expulsion, et l’un d’eux osa même encourager de sa présence une émeute et crier aux tapageurs : « Hourrah ! mes enfants, cela va bien ! combattez pour l’Église ! »
Si les magistrats savaient si bien combattre pour l’Église, les ministres n’y manquaient pas non plus. Dans les Cornouailles, que Wesley visita de nouveau en 1744, il entendit un sermon dans lequel les méthodistes étaient dénoncés comme des partisans du prétendant et comme des papistes. Ailleurs, le ministre, accompagné du tambour de la ville, convoquait en personne la populace pour interrompre le culte méthodiste, et, après avoir fourni à ses auxiliaires des rafraîchissements dans un cabaret, il dirigeait lui-même leurs mouvements. Le vicaire de Birstal, que l’activité du bon Nelson inquiétait, s’allia avec le cabaretier de la localité pour dénoncer le pauvre prédicateur à l’autorité militaire et le faire enrôler de vive force dans l’armée, sous la prévention de vagabondage. Deux autres itinérants subirent le même sort cette année-là, et l’un d’eux mourut même victime des souffrances qu’il eut à endurer sous les drapeaux.
A ces persécutions venaient s’ajouter des calomnies de toute sorte. Les accusations d’hypocrisie et d’imposture n’effrayaient plus Wesley, tant elles se reproduisaient souvent. Il était habitué à entendre les moqueries pleuvoir sur lui, et il ne s’en émouvait guère. Toutes les armes semblaient bonnes à ses adversaires. Un jour, à Newcastle, il lut une affiche qui annonçait qu’une troupe d’acteurs d’Edimbourg donnerait, le soir, la représentation d’une pièce intitulée : Ruse sur ruse, ou le Méthodisme dévoilé. La haine et les préjugés étaient si grands que les calomnies les plus absurdes étaient sûres de faire leur chemin lorsqu’elles s’attaquaient à cette cause décriées Les uns assuraient que Wesley avait tenté de se suicider en se pendant ; les autres qu’il avait encouru une condamnation pour débit illégal de boissons ; plusieurs affirmaient qu’il usurpait son nom, le véritable John Wesley étant mort depuis plusieurs années. Quaker pour les uns, anabaptiste pour les autres, il passait aux yeux de beaucoup pour un jésuite de la pire espèce, soupçonné de loger des prêtres dans sa maison et de travailler sous main à renverser l’Église établie. L’imagination populaire, agitée par les bruits qui circulaient au sujet des projets d’invasion du prétendant Charles Stuart, ne manquait pas d’y associer le nom de Wesley ; il était, disait-on, soudoyé par l’Espagne pour travailler les masses en faveur de la dynastie déchue, et il allait organiser secrètement un corps de vingt mille hommes pour appuyer l’armée espagnole lorsqu’elle ferait sa descente en Angleterre ; on affirmait qu’il avait été vu avec le prétendant en France ; le bruit courut même qu’il avait été arrêté pour le crime de haute trahison Ces bruits absurdes avaient si bien fait leur chemin que les autorités s’en émurent ; Wesley dut comparaître devant les juges à Londres et fut requis de prêter serment au roi et de signer la déclaration contre le papisme. Lorsque, au commencement de 1744, le gouvernement invita les catholiques à quitter Londres, Wesley crut devoir prolonger d’une manière inusitée son séjour dans la capitale, pour ne pas fournir de nouvelles armes à la calomnie. Son frère fut aussi appelé à rendre compte, devant les magistrats du Yorkshire d’une expression malsonnante qu’un agent de police avait découverte dans une de ses prières. Il avait demandé à Dieu de « ramener ses captifs », ce qui avait paru s’appliquer à la dynastie proscrite. Il n’eut pas de peine à expliquer quelle signification symbolique il avait entendu donner à ces mots.
Toutes ces oppositions ne réussirent pas à effrayer les missionnaires du Réveil. Elles ne servirent qu’à leur montrer combien leur œuvre était indispensable et qu’à les décider à s’y dévouer avec une ardeur toujours plus grande.