En latin « verax » et « verus » représentent chacun à part ἀληθής et ἀληθινός, et, dans les points principaux, ils reproduisent les distinctions qui existent entre eux. Aussi est-ce par leur moyen que la Vulgate indique ordinairement lequel des deux mots se trouve dans l’original. — La différence entre les deux termes est très réelle. Un seul exemple suffira pour montrer d’emblée en quoi consiste exactement cette différence. Dieu est θεός ἀληθής et θεός ἀληθινός, mais des prérogatives et des attributs bien différents lui sont accordés par l’une ou l’autre épithète. Dieu est ἀληθής (Jean 3.33 ; Romains 3.4 : « verax »), en tant qu’il ne peut point mentir, comme il est ἀψευδής (Tite 1.2), c’est-à-dire, le Dieu qui dit la vérité et qui aime la vérité (cf. Eurip. Ion, 1554). Mais il est ἀληθινός (1 Thessaloniciens 1.9 ; Jean 17.3 ; Ésaïe 65.16 ; « verus »), en tant que, véritablement Dieu, Dieu, distinct des idoles et de tous les autres faux dieux, rêves de l’imagination malade des hommes, et qui n’ont point d’existence substantielle dans le monde des réalités (cf. Athen. vi, 62, où quelqu’un rapporte comment les Athéniens reçurent Démétrius avec des honneurs divins ; ὡς εἴη μόνος θεός ἀληθινός οἱ δ᾽ ἄλλοι καθεύδουσιν ἢ ἀποδημοῦσιν ἢ οὐκ εἰσί). « Les adjectifs en –ι–νος expriment la matière dont une chose quelconque est faite, ou plutôt ils impliquent une relation mixte de qualité et d’origine, avec l’objet marqué par le substantif d’où ils sont dérivés. Ainsi ξύλ–ι–νος signifie « de bois », « en bois » ; ὀστράκ–ι–νος, « de terre », « en terre » ; ὑάλ–ι–νος, « de verre », « en verre » ; de même ἀληθ–ι–νός signifie « véritable », composé de ce qui est vrai de ce qui, chimiquement parlant, a la vérité pour matière et pour base. Ce dernier adjectif exprime particulièrement ce qui est tout ce qu’il prétend être ; par exemple, de l’or pur, par opposition au métal composé d’alliage. » (Donaldson, New Cratylus, p. 426).
Il ne suit pas nécessairement, comme on le voit par cette dernière remarque, que, quelle que soit la chose que l’on contraste avec ἀληθινός, il faille en conclure quelle n’ait point d’existence substantielle, qu’elle soit entièrement fausse et mensongère. Une réalisation d’un ordre inférieur et subordonné, une anticipation partielle et imparfaite de la vérité peuvent être opposées à la vérité dans sa forme la plus élevée, dans son développement le plus avancé et le plus complet, mais c’est à ce dernier développement seul qu’appartiendra le titre d’ἀληθινός. Kahnis fait cette remarque frappante (Abendmahl, p. 119) : « Ἀληθής schliesst das Unwahre und unwirkliche, ἀληθινός das seiner Idee nicht Entsprechende. Das Mass des ἀληθής ist die Wirklichkeit, das des ἀληθινός die Idee. Bei ἀληθής entspricht die Idee der Sache, bei ἀληθινός die Sache der Idee. » Ainsi Xénophon affirme de Cyrus (Anab. i, 9, 17), qu’il commandait ἀληθινὸν στράτευμα, une armée véritable, une armée digne de ce nom ; mais il n’aurait pas refusé absolument ce nom d’« armée » à une force inférieure ; et Platon (Tim. 25 a), qui appelait la mer au delà des colonnes d’Hercule, πέλαγος ὄντως, ἀληθινὸς πόντος, aurait dit qu’elle seule réalisait dans sa plénitude l’idée du grand abîme de l’Océan ; cf. Pol. i, 347 d. : ὁ τῷ ὄντι ἀληθινὸς ἄρχων. Nous manquerions fréquemment la force exacte du mot, nous nous trouverions, à vrai dire, engagés dans des embarras bien sérieux, si nous allions donner à ἀληθινός le sens de vrai comme étant nécessairement opposé à faux. Il exprime bien plutôt le plus souvent ce qui est substantiel comme opposé à ce qui n’est qu’une ombre, une ébauche ; Origène (in Iohan. tome ii, § 4) l’a bien dit : ἀληθινός, πρὸς ἀντιδιαστολὴν σκιᾶς καὶ τύπου καὶ εἰκόνος. Ainsi dans Hébreux 7.2, il est fait mention de la σκηνὴ ἀληθινή dans laquelle notre souverain Sacrificateur est entré ; ce qui ne veut pas dire, c’est clair, que le tabernacle dans le désert n’ait pas été très réellement construit par ordre de Dieu et selon le modèle qu’il en avait donné (Exo. ch. 25) ; mais cela veut dire seulement que cette demeure et tout ce qui était en elle étaient de faibles représentations terrestres des choses qui avaient une existence très réelle et très glorieuse au ciel (ἀντίτυπα τῶν ἀληθινῶν) ; que l’entrée du souverain Sacrificateur juif dans le Saint des Saints, et tout ce qui appartenait au sanctuaire terrestre, n’étaient que la σκιὰ τῶν μελλόντων ἀγαθῶν, tandis que le σῶμα, l’achèvement de cette ébauche, est en Christ et par Christ (Colossiens 2.17)f.
f – F. Spanheim (Dub. Evang. 106) a bien établi ce point : « Ἀλήθεια in Scriptura Sacra interdum sumitur ethice, et opponitur falsitati et mendacio ; interdum mystice, et opponitur typis et umbris, ut εἰκών illis respondens, quæ veritas alio modo etiam σῶμα vocatur a Spiritu S. opposita τῇ σκιᾷ. » — Cf. Deyling, Obs. sac. vol. iii. 317 ; vol. iv, pp. 548, 627.
Quand il est également dit : « La loi a été donnée par Moïse, mais la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ » (Jean 1.17), il est évident que l’antithèse ne peut pas être ici entre le faux et le vrai, mais seulement entre l’imparfait et le parfait, le typique et le substantiel. De même encore, quand il est déclaré que l’éternelle Parole est τὸ φῶς τὸ ἀληθινόν (Jean 1.9), on ne nie point par là que Jean-Baptiste ne fût aussi « une lumière ardente et brillante » (Jean 5.35), ou que les fidèles ne soient « des lumières dans le monde » (Philippiens 2.15 ; Matthieu 5.14), mais on affirme cependant qu’il en est Un plus grand qu’eux tous et qu’il est « cette lumière qui éclaire tout homme venant au mondeg ». Christ assure qu’il est : ὁ ἄρτος ὁ ἀληθινός (Jean 6.32) ; ce qui ne veut pas dire que le pain que donnait Moïse ne fût pas aussi « le pain du ciel » (Psaumes 105.40), mais la manne n’était ce pain qu’à un degré secondaire et inférieur ; ce n’était pas une nourriture, dans l’acception la plus élevée du terme, en tant qu’elle ne nourrissait pas pour la vie éternelle ceux qui en mangeaient (Jean 6.49). Jésus est encore ἡ ἄμπελος ἡ ἀληθινή (Jean 15.1). Il ne conteste point à Israël le privilège d’être la vigne de Dieu, car nous savons qu’Israël le fut (Psaumes 80.8 ; Jérémie 2.21), mais Jésus assure qu’aucun, si ce n’est Lui-même, ne réalise ce nom dans toute sa plénitude ; qu’aucun ne comprend tout ce qui s’y rattache (Osée 10.1 ; Deutéronome 32.32)h. Il serait facile de poursuivre plus loin nos remarques, mais ces exemples suffiront, et le lecteur attentif observera de plus que nous les avons tirés principalement de St. Jean. Le fait que, dans ses écrits, Jean se sert d’ἀληθινός vingt-deux fois tandis que les écrivains de tout le N. T. ne s’en servent que cinq fois, n’est certainement pas une chose accidentelle. Donc, pour résumer aussi brièvement que possible les différences entre ces deux mots, nous pouvons affirmer de l’ἀληθής qu’il accomplit la promesse de ses lèvres, et de l’ἀληθινός la promesse plus étendue de son nom. Quelle que soit la portée de ce nom, qu’on le prenne dans le sens le plus élevé, le plus profond, quel que soit le point qu’il doive atteindre, ce point-là, ἀληθινός l’atteint complètement.
g – Lampe (in loc.) : « Innuitur ergo hic oppositio tum luminarium naturalium, qualia fuere lux creationis, lux Israelitarum in Ægypto, lux columnæ in deserto, lux gemmarum in pectorali, quæ non nisi umbræ fuere hujus veræ lucis ; tum eorum, qui falso se esse lumen hominum gloriantur, quales sigillatim fuere Sol et Luna Ecclesiæ judaicæ, qui cum ortu hujus Lucis obscurandi (Joël 2.31) ; tum denique verorum quoque luminarium, sed in minore gradu, quæque omne suum lumen ab hoc Lumine mutuantur, qualia sunt omnes Sancti. Doctores, Angeli lucis, ipse denique Ioannes Baptista. »
h – Lampe ; « Christus est Vitis vera… et qua talis prœponi, quin et opponi, potest omnibus aliis qui etiam sub hoc symbolo in scriptis propheticis pinguntur ».