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Éternel des armées, oh ! que bienheureux est l’homme qui se confie en toi !
On vous a souvent annoncé que « Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures. » On vous a dit avec Jean-Baptiste : « Quiconque croit au Fils a la vie éternelle ; celui qui ne croit point au Fils ne verra point la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui. » On vous a vivement exhortés à fuir la colère à venir, à croire, à vous convertir. D’où vient que ces discours vous laissent froids, et que la plupart d’entre vous semblent ne tenir aucun compte de ces avertissements solennels ? Ce n’est pas, je m’assure, que vous ayez formé l’affreux dessein de rejeter la grâce de Dieu et de vous précipiter en désespérés dans la perdition éternelle. Non : le terme qu’on vous propose vous paraît désirable, mais le chemin qui y conduit vous déplaît. Quelles que soient les espérances de la foi chrétienne, la vie chrétienne vous fait peur ; une vie, pensez-vous, si dépourvue de charme et d’intérêt, si remplie de privations et de sacrifices.
Quand la vie chrétienne serait aussi triste que vous vous la figurez, il devrait vous suffire de savoir qu’on ne peut arriver que par elle à la vie bienheureuse ; car ce serait folie, vous en convenez vous-mêmes, que de balancer une souffrance passagère avec une félicité éternelle. Mais enfin rien n’est plus faux que les idées que vous vous faites de la vie chrétienne. Si vous la connaissiez, vous sauriez que c’est au contraire la vie la plus heureuse, la seule heureuse, même ici-bas, et que « la piété a les promesses de la vie présente aussi bien que de celle qui est à venir. » C’est ce que le Saint-Esprit déclare dans les paroles de mon texte, et ce que je me propose de vous montrer aujourd’hui.
Mais au moment de célébrer le bonheur de la vie chrétienne, je crains que vous ne m’opposiez un argument d’expérience. Si la vie chrétienne est si heureuse, pourquoi les vrais chrétiens ne sont-ils pas plus contents ? Pourquoi en voit-on même qui paraissent d’ordinaire tristes et préoccupés ? Cette difficulté vous regarde, enfants de Dieu qui faites partie de cette assemblée. Si je n’avais à cœur que de vous justifier, je ne serais pas tout à fait sans réponse. Je pourrais représenter à ceux qui parlent de la sorte qu’à tout prendre il y a beaucoup plus de contentement et de paix chez les vrais disciples de Jésus-Christ que chez les autres hommes. Je pourrais leur représenter que le bonheur de la vie chrétienne est un bonheur grave, qui se montre moins au dehors qu’il ne se fait sentir au dedans, et qu’à la différence de l’homme du monde qui « même en riant a le cœur dans la tristesse, » le chrétien cache souvent une paix intérieure sous un visage sérieux. Je pourrais leur représenter qu’entourés ici-bas de spectacles de péché et d’incrédulité, hélas ! en portant encore en nous-mêmes des restes opiniâtres, ayant appris à dire avec un prophète : « Mes yeux ont répandu des ruisseaux de larmes parce qu’on n’observe point ta loi, » et avec un apôtre : « Qui me délivrera de ce corps de mort ? » il n’y a pas lieu de s’étonner si nous plions quelquefois sous le poids des misères humaines. Je pourrais leur représenter encore qu’il est juste de faire chez quelques-uns la part d’un penchant de caractère, ou même d’un état physique, qui les prédispose à la mélancolie, et qui, avant leur conversion, les poussait au désespoir, que sais-je ? peut-être au suicide. Je pourrais vous dire tout cela, mes chers auditeurs ; mais je doute que ces explications vous satisfissent entièrement, parce qu’elles ne me satisfont pas entièrement moi-même ; car il y a dans la foi chrétienne un trésor de joie et de puissance qui devrait suffire aux plus grands besoins. Au reste, je ne suis pas monté dans cette chaire pour prêcher les chrétiens, mais pour prêcher Christ. C’est pourquoi j’aime mieux confesser en toute simplicité, devant Dieu et devant les hommes, que nous ne manquons de joie pour la plupart que parce que nous sommes des gens de petite foi. Quoi qu’il en soit de nous et de nos expériences personnelles, il demeure véritable que « la joie est un fruit de l’Esprit, » et qu’il n’y a rien d’impraticable dans ce commandement que Dieu fait à ses enfants : « Réjouissez-vous continuellement. » C’est ce dont je n’aurai pas de peine à vous convaincre si vous m’écoutez sans prévention. Quant à nous qui avons cru, puisse ce discours nous faire mieux sentir la grandeur de nos privilèges, pour nous rendre à la fois plus heureux et plus propres à glorifier le Seigneur !
Le bonheur que nous vous promettons dans la vie chrétienne, ce n’est pas, est-il besoin de le dire ? un contentement extérieur, terrestre, charnel, tel que le monde le peut donner ; félicité courte autant qu’incapable de remplir un cœur d’homme, et que ceux qui s’en contentent n’ont pas même la triste consolation de pouvoir emporter en enfer. Je parle d’une félicité intérieure, spirituelle, céleste, et telle qu’elle peut convenir à un homme qui sent la dignité de sa nature et les besoins immenses de son cœur. Élevez donc vos esprits au-dessus de vos attachements ordinaires, et entrez dans de plus nobles pensées.
Il y a dans le bonheur de la vie chrétienne un trait si éclatant qu’il ne peut manquer de frapper tous les yeux : c’est celui que célèbre David au commencement du psaume 32 : « Bienheureux l’homme dont la transgression est pardonnée et dont le péché est couvert ! » Pouvoir s’assurer qu’on a reçu le pardon de ses péchés, et avec cette grâce, la première que Dieu accorde à un pécheur, mais qui ne va jamais seule, recevoir encore toutes les autres grâces qui sont exposées dans la suite de ce beau psaume, la consolation dans les maux de la vie et la lumière de Dieu dans ses obscurités, en attendant une mort paisible et une heureuse éternité, c’est là, non pas une des joies du chrétien, mais la joie du chrétien ; et une joie telle que vous-mêmes qui n’avez pas le bonheur de croire, vous ne pouvez vous empêcher de soupirer quelquefois après elle. Aussi n’est-ce pas de cela que je viens vous entretenir. Je veux vous supposer tout persuadés là-dessus, et j’aime mieux employer ce discours à vous démontrer des vérités dont vous n’avez pas la plus petite idée, et qui vous sembleront à première vue des paradoxes étranges. Ce n’est pas par son côté le plus glorieux, c’est par ses côtés les plus sombres que je veux vous faire désirer la vie chrétienne. Je veux vous faire voir que les traits même qui vous répugnent le plus dans cette vie renferment sous des apparences qui vous trompent des charmes secrets, afin que vous connaissiez que comme « la folie de Dieu est plus sage que la sagesse des hommes, « et la faiblesse de Dieu plus forte que la force des hommes, » l’amertume de la vie qu’il communique à ses enfants est aussi plus douce que toutes les douceurs de la vie du monde.
Qu’est-ce en effet qui vous déplaît dans la vie chrétienne ? C’est d’abord la foi ; c’est cette soumission d’esprit que Jésus-Christ exige des siens. Il vous semble que cette soumission n’est point exempte de crédulité, et c’en est assez pour que vous n’y puissiez consentir ; car il faut que votre intelligence soit satisfaite, ou point de bonheur possible pour vous. Nous disons avec vous : Point de bonheur possible si notre intelligence n’est satisfaite ; mais loin d’exiger une aveugle crédulité, la foi est le meilleur usage que nous puissions faire de notre raison, et nous procure un bonheur intellectuel que nous n’avons trouvé nulle autre part.
Toute soumission d’esprit n’est pas crédulité. On n’est crédule que si l’on se soumet à une autorité qui ne mérite pas la confiance qu’on lui accorde. Un enfant, par exemple, qui se réglera sur les discours d’un autre enfant aussi inexpérimenté que lui-même, ou qui croira tous les « contes de vieille » dont une servante imprudente remplit ses oreilles, est crédule sans doute. Mais appellera-t-on de ce nom un enfant qui, se reconnaissant incapable de se conduire, s’en rapporte aux directions de son père ? N’agit-il pas avec plus de raison que s’il se piquait d’indépendance et ne voulait prendre conseil que de lui-même ? Que cette comparaison vous instruise. Nous croyons aussi faire un excellent usage de notre intelligence quand, nous reconnaissant bien plus ignorants encore et plus dépendants devant Dieu que ne l’est un enfant devant son père, nous prenons la résolution de nous soumettre à la Bible, qui est à nos yeux la Parole de Dieu.
A la bonne heure, direz-vous peut-être tout bas, si nous étions assurés que la Bible soit la Parole de Dieu ; mais cela même, d’où le savez-vous ? et le peut-on recevoir sans crédulité ? Ah ! si vous pensez qu’il faille fermer les yeux pour se rendre aux marques de divinité qui sont dans la Bible, détrompez-vous : il ne faut au contraire que les bien ouvrir. Car ces marques sont telles que quiconque cherche avec candeur si la Bible est de Dieu s’en convaincra irrésistiblement, et qui l’a déjà reçue pour sa Parole trouve partout la preuve qu’il a droitement jugé. Il la trouve, cette preuve, non seulement dans ces miracles et ces prophéties qui sont aussi bien démontrés que les histoires les plus authentiques des siècles passés ; non seulement encore dans cette voix intérieure par laquelle le Saint-Esprit lui atteste qu’il est dans la vérité ; mais il la trouve tout autour de lui, dans des faits qui se passent actuellement sous ses yeux ; mais il la voit écrite partout, au ciel, sur la terre, dans le cœur et dans la vie de l’homme.
C’est que le monde est plein d’énigmes que la Bible explique, et qu’elle explique seule. Apportez-nous votre doctrine philosophique et rassemblez tous vos sages ; et moi, je vous amènerai les plus simples d’entre mes frères, des paysans, des enfants, mais avec la Bible dans les mains. Expliquez-nous le péché, et comment, sous le gouvernement d’un Dieu saint, la pensée de la première désobéissance monta dans le cœur du premier homme : et nous vous l’expliquerons par cette simple histoire de l’arbre de la science du bien et du mal, qui a peut-être plus d’une fois excité vos railleries, et dans laquelle il y a pourtant plus de lumière sur la plus obscure des questions que dans tous vos philosophes ensemble. Expliquez-nous la mort, et comment est né cet effroyable désordre sous le gouvernement d’un Dieu sage et bon ; que dis-je, la mort ? expliquez-nous la maladie, expliquez-nous la douleur, la plus petite douleur, expliquez-nous une égratignure : et nous vous expliquerons toutes les douleurs, petites et grandes, et la mort qui les dépasse toutes, par cette parole du livre que nous tenons dans les mains : « Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort. » Expliquez-nous la nature, les ronces et les épines croissant d’elles-mêmes sur une terre sortie des mains de Dieu, et l’homme réduit à manger son pain à la sueur de son visage : et nous vous expliquerons tout cela par cette autre parole du même livre : « La terre sera maudite à cause de toi. » Expliquez-nous l’histoire, et quel plan divin se peut démêler dans cette confusion effroyable de crimes qui souillent notre race et de calamités qui la désolent : et nous vous l’expliquerons par ces prophéties qui montrent des siècles à l’avance quatre grands empires s’élevant tour à tour, tombant les uns sur les autres, et faisant place enfin à un royaume qui ne doit point avoir de fin. Que dirai-je encore ? Tous ces grands problèmes de l’humanité qui font d’âge en âge le désespoir de la philosophie, la Bible nous les éclaircit, non pas sans doute de telle sorte qu’elle ne laisse plus de questions à faire, mais de telle sorte qu’elle justifie Dieu, qu’elle satisfait l’homme, et que par ce commencement de lumière qu’elle lui donne aujourd’hui elle lui fait pressentir une lumière encore plus vive qui dissipera toutes ses obscurités. C’est par là, c’est par cette preuve de fait et d’expérience que nous nous assurons, avec une évidence qui ne fait que croître de jour en jour, que la Bible est bien ce qu’elle dit être, le livre de Dieu. Et comme un homme qui aurait longtemps erré dans une maison en essayant vainement de toutes les clefs qu’il rencontre pour pénétrer dans les appartements qui la composent, mais qui parviendrait enfin à en découvrir une qui s’adapte à toutes leurs serrures avec une égale facilité, connaîtrait à cette marque qu’il a trouvé la clef du maître, ainsi « nous avons cru et nous avons connu » que la Bible est la clef du maître du monde, parce que nous avons éprouvé qu’elle en ouvre toutes les portes et qu’elle y met tout à découvert.
Comment nous dites-vous après cela que nous sommes crédules en nous soumettant à elle ? Ah ! nous serions crédules véritablement si nous pouvions penser qu’un tel livre est sorti de la main des hommes, ou si, le sachant venu de Dieu, nous pouvions nous soumettre à quelque autre autorité qu’à la sienne. Mais maintenant nous nous réjouissons et nous nous glorifions de lui être soumis, comme du meilleur usage que nous puissions faire de notre raison. Ce bonheur intellectuel, dont le monde se vante faussement, nous le trouvons en vérité dans la foi. Nous n’hésitons pas à le dire : malgré les apparences de la surface, le fond de l’intelligence est mieux satisfait chez un paysan chrétien que chez un philosophe qui ne croit pas ; et c’est avec une bonne conscience, c’est sans porter aucune atteinte aux droits de la raison humaine, c’est dans la pleine jouissance de toutes les facultés de notre âme que nous pouvons goûter le bonheur de croire. Oui, le bonheur de croire : et les expressions nous manquent pour bénir Dieu de ce qu’au milieu de ces opinions contraires qui se heurtent et se combattent tout autour de nous, nous avons une parole de Dieu, et une parole écrite, qui révèle à de pauvres pécheurs le chemin de la vie éternelle, « Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié ! » Oui, le bonheur de croire : et tandis que tous les autres se consument en vains efforts pour fixer enfin quelque part leurs pensées errantes, et ne peuvent jamais obtenir que des conjectures au lieu de cette conviction après laquelle ils soupirent, quelle n’est pas notre paix, à nous qui sommes enseignés « de Dieu, » à nous qui avons droit de nous écrier comme ce savant de l’antiquité, mais avec une joie autant au-dessus de la sienne que le problème de l’éternité est au-dessus de celui qu’avait résolu Archimède : « J’ai trouvé, j’ai trouvé ! » Oui, le bonheur de croire : le bonheur de pouvoir dire, non seulement devant les hommes, mais devant Dieu même et dans le secret de nos pensées : « La grâce dans laquelle nous sommes établis est la véritable ! » On nous fait un crime de cette assurance ; on nous demande de ne présenter notre croyance que comme une opinion contestable ; mais cela nous est impossible. Que le doute parle le langage du doute ; la foi parle ainsi : « Ainsi a dit l’Éternel. » Seigneur Jésus, n’est-il pas vrai que tu es le Christ, le fils du Dieu vivant ? N’est-il pas vrai que tu as fait l’expiation de nos péchés par ton sang, et qu’il n’y a plus de condamnation pour ceux qui croient en ton nom ? N’est-il pas vrai qu’assis aujourd’hui à la droite du Père, tu nous fais part de ton Esprit, que tu demeures en nous et nous en toi, et que tu es allé nous préparer des places afin que là où tu es nous y soyons aussi avec toi ? Seigneur, nous te rendons témoignage devant les hommes ; rends-nous témoignage aussi dans le cœur de ceux qui nous écoutent, en attendant ce grand jour où tout œil te verra venant sur les nuées du ciel ! Ah ! fais qu’ils reçoivent la parole que nous leur prêchons « pour ce qu’elle est véritablement, ta parole et non une parole d’homme, » non seulement afin que ce jour terrible ne les surprenne pas dans leur incrédulité, mais afin qu’ils aient part dès aujourd’hui à cette ferme assurance, à cette félicité d’esprit que possèdent ceux qui croient en toi ! « Éternel des armées, oh ! que bienheureux est l’homme qui se confie en toi ! »
Qu’est-ce encore qui vous déplaît dans la vie chrétienne ? C’est qu’elle vous semble monotone, tranchons le mot, fastidieuse. Tourner sans cesse dans le cercle étroit de deux ou trois idées, lire la Bible et prier, prier et lire la Bible, c’est une existence uniforme autant que froide, et à laquelle un esprit vif ne saurait se plier. Vous nous trouverez peut-être bien hardi si nous osons affirmer que la vie chrétienne a au contraire plus de mouvement et d’intérêt que la vôtre.
Et d’abord, ce que vous prenez pour de l’uniformité, c’est de l’unité. Nous vous accordons volontiers que la vie entière du chrétien se résume (elle le devrait du moins), nous ne disons pas dans deux ou trois pensées, mais dans une seule, Jésus-Christ. Pour le chrétien, « vivre, c’est Christa ; » croire en Jésus-Christ, aimer Jésus-Christ, servir Jésus-Christ, imiter Jésus-Christ, c’est « la seule chose nécessaire. » Mais vous connaissez bien mal la nature humaine si vous pensez que, pour être rapportée tout entière à une seule fin, la vie chrétienne aura moins d’intérêt. C’est le caractère de notre esprit, tous les philosophes l’ont observé, qu’il recherche en toutes choses un dessein unique, un principe unique, et qu’il ne saurait se plaire où il ne trouve pas d’unité. Il n’y a point de règle plus fondamentale dans les lettres ni dans les arts que de satisfaire à ce besoin. S’il s’agit, par exemple, de l’éloquence, qu’aimez-vous mieux, ou un discours formé de pensées réunies sans lien commun, ou le développement bien ordonné d’une seule idée ? ou s’il s’agit d’architecture, que trouvez-vous plus de plaisir à contempler, ou un amas irrégulier de bâtiments, ou un édifice dont toutes les parties dépendent d’un plan général ? Au reste, si cette règle a été adoptée pour les ouvrages des hommes, c’est qu’ils l’ont trouvée suivie dans ceux de Dieu lui-même ; c’est de la nature que l’unité a passé dans les arts. Dans le corps d’un homme, dans un arbre, dans la campagne, dans les fleuves, dans la mer, dans le ciel, dans la création tout entière, on découvre une merveilleuse unité de dessein. Que si l’unité règne partout dans le monde extérieur et visible, il en doit être de même, n’en doutez point, dans le monde moral et dans la vie de l’homme. Si votre vie n’a pas un premier intérêt qui la domine tout entière, et comme un centre autour duquel elle se meuve ; si vous vous proposez un jour un but, et un autre jour un autre but ; si vous consultez tantôt l’approbation du monde, tantôt l’exemple d’autrui, tantôt le penchant de votre cœur, tantôt le commandement de Dieu, votre vie, étant sans unité, sera sans puissance, sans profondeur, sans motif ; ou plutôt ce ne sera pas une vie digne de ce nom, mais une simple succession d’événements. Ah ! sachez bien qu’il faudrait que nous eussions autant perdu le sentiment de notre dignité comme homme que celui de notre devoir comme chrétien, pour consentir à éparpiller de la sorte un esprit que Dieu a fait à son image et qu’il veut un jour « consommer dans l’unité. » Sachez que nous aimerions mieux, si nous étions réduits à choisir, l’unité sans la variété, qui ferait une vie uniforme, comme celle des anachorètes, que la variété sans l’unité, qui ferait une vie informe, comme celle dont vous vous vantez.
a – Traduction littérale de Philippiens 1.21.
Mais ce choix n’est pas nécessaire, et la vie chrétienne concilie tout. Sous cette unité puissante de la pensée de Jésus-Christ se range une variété infinie d’objets dont on peut s’occuper au nom du Seigneur. Et qu’y a-t-il qu’on ne puisse faire pour sa gloire, excepté de pécher ? Le travail des six jours et le repos du septième, les fatigues et les délassements, les charges et les honneurs de la vie civile, les devoirs et les douceurs de la vie domestique, les exercices de l’âme, de l’esprit et du corps, et jusqu’à l’usage des aliments que le chrétien sanctifie par la prière, tout peut être rapporté au Seigneur ; et nous pourrions remplir un jour, une semaine, une année, de soins toujours nouveaux, sans cesser jamais de le servir et de glorifier son nom. C’est ainsi que la vie chrétienne réalise à sa manière la meilleure définition que les philosophes aient donnée du beau. La beauté, ont-ils dit, c’est l’unité dans la variété. Qu’est-ce, par exemple, qui vous charme dans ce paysage que vous ne vous lassez pas de contempler ? Cette terre, ces champs, ces arbres, ces troupeaux, ces hommes, voilà la variété ; mais les parties diverses de ce tableau sont liées les unes aux autres : le bœuf broute l’herbe de la prairie, la main de l’homme tire le lait de la vache et cueille le fruit pendant aux arbres, tandis que la terre, cette mère commune, les porte et les nourrit tous ; voilà l’unité. Variété, unité, oh ! que ces deux choses sont bien réunies dans la vie chrétienne ! Comme on ne saurait trouver de plus beau spectacle dans le monde physique que le firmament parsemé d’étoiles dont les mouvements infinis obéissent à une seule et même loi, on n’en saurait découvrir de plus beau dans le monde moral que la vie chrétienne, où une seule pensée pénètre et domine tous les soins utiles de l’existence humaine.
Ces réflexions sont un peu abstraites peut-être et ne frappent pas assez vivement tous les esprits : éclaircissons-les par un exemple ; nous l’emprunterons à la vie domestique. Un mari et une femme, des parents et des enfants, des maîtres et des domestiques, dans une maison où le Seigneur Jésus n’est point aimé et servi, ce sont autant de relations faiblement liées entre elles et dépourvues d’un principe commun. Il en est tout autrement dans la maison chrétienne. Il y habite un hôte invisible, que la foi fait voir comme à l’œil, et dont l’esprit anime toutes les relations de la vie domestique. L’étroite et sainte relation du mari avec la femme trouve son principe et sa règle en Jésus : il a daigné, vous vous le rappelez, s’appeler l’époux de l’Église et appeler l’Église son épouse ; « le mari doit aimer sa femme comme Jésus a aimé l’Église, et la femme doit être soumise à son mari comme l’Église est soumise à Christ. » La tendre et douce relation des parents avec les enfants trouve encore son principe et sa règle en Jésus : Dieu, qui nous a adoptés en lui, s’appelle notre Père et nous appelle ses enfants ; le père doit conduire ses enfants comme Dieu conduit ses enfants en Jésus-Christ, et le fils doit obéir à son père comme le chrétien obéit à son Père qui est aux cieux. Il n’est pas jusqu’à l’humble mais utile relation du maître avec le serviteur qui ne trouve son principe et sa règle en Jésus : il est notre Maître et nous sommes ses serviteurs ; le maître doit commander à ses serviteurs dans le même esprit que Jésus commande à ses disciples, et le serviteur doit honorer son maître dans le même esprit que les disciples de Jésus honorent leur divin chef. Ainsi ordonnée, la vie de famille réunit l’unité à la variété : la variété, dans ces relations diverses ; l’unité, dans la contemplation de Jésus en qui elles se concentrent toutes. Ah ! pensez-vous que l’intérieur d’une telle maison perde à posséder ce lien commun, et que la présence de cet hôte céleste y altère le charme ou la liberté des relations domestiques ? Familles chrétiennes qui avez fait quelque expérience de ce que nous venons de dire, donnez gloire à la vérité. Dites si Jésus, en qui la majesté souveraine s’unit à la condescendance fraternelle, n’est pas l’ami de la famille en même temps qu’il en est le Dieu. N’est-il pas vrai que s’il s’y est trouvé quelque douce gaieté, quelque tendre affection, quelque joie réelle, quelque soulagement efficace, c’est à lui que vous les devez ? N’est-il pas vrai aussi que s’il y a des saisons de langueur et d’ennui, ce n’est pas quand il daigne présider à vos entretiens, quand il s’assied avec vous au banquet domestique, quand il vous rompt le pain qui donne la vie à l’âme avec celui qui nourrit le corps, et quand il vous dit, comme autrefois à ses disciples dans cette chambre haute : « La paix soit avec vous ? » Ta paix, Seigneur, et non la froideur et l’indifférence ; ta paix, mais avec elle les intérêts les plus vivants et les plus profonds !
Oui, mes chers auditeurs, les intérêts les plus vivants et les plus profonds. Ceci vous étonne. La vie chrétienne vous paraît uniforme, disions-nous ; mais de plus elle vous paraît froide. Au milieu de tant de choses et d’événements qui vous entraînent et vous remuent par l’espérance ou par l’inquiétude, par la joie ou par la douleur, le vrai chrétien, pensez-vous, demeure impassible. Isolé en quelque sorte au milieu du monde, et, selon son propre langage, étranger ici-bas, les intérêts du ciel ferment son cœur à ceux de la terre. Vous ne sauriez lui envier cette indifférence ; vous avez besoin de plus de mouvement et d’ardeur. Nous avons besoin aussi de mouvement et d’ardeur ; la nature humaine en a besoin, et c’est un reste de sa grandeur primitive ; mais la vie chrétienne satisfait ce besoin, et le satisfait seule.
Je m’explique par une comparaison. De jeunes enfants se livrent aux jeux de leur âge ; ils s’y abandonnent tout entiers ; ils courent, ils s’écrient, leurs yeux pétillent d’émotion et de plaisir. Près du théâtre de leurs ébats, tranquillement assis ou marchant à pas lents, vous êtes plongé dans une méditation profonde, ou engagé avec un ami dans un grave entretien, sur une entreprise de commerce, sur une révolution politique, sur une question de philosophie. Dans un tel moment, qui est le plus occupé, le plus remué, ces enfants ou vous ? L’homme extérieur est plus occupé chez eux, mais l’homme intérieur l’est plus chez vous ; ces enfants sont plus agités sans doute, mais vous êtes plus remué ; car assurément c’est par la vie de l’esprit et du cœur, non par la vie physique et animale, qu’il faut mesurer le mouvement de notre existence. Appliquez ce principe au sujet qui nous occupe, et vous comprendrez qu’il y a beaucoup plus de mouvement dans la vie chrétienne que dans la vôtre. Car, pénétrez, et vous trouverez sous l’agitation de votre vie des intérêts sans grandeur, sans profondeur, indignes d’attacher une âme immortelle, tandis que sous la tranquillité du chrétien vous trouverez au contraire des intérêts seuls grands, seuls profonds, seuls dignes de sa nature et de la vôtre. Là-dessus nous aurons tout dit en un mot : vos intérêts sont terrestres et les siens célestes, en sorte qu’on voit en vous un esprit immortel agité par les choses du temps, et en lui un esprit immortel remué par les choses de l’éternité.
Quels sont en effet les intérêts qui remplissent votre vie ? Parlerai-je de vos intérêts ordinaires ? Quoi ! une soirée, un repas, un habit, une louange, une critique ? Mais venons à vos intérêts les plus graves. Qu’il s’agisse de savoir si vous serez riche ou pauvre, si vous perdrez votre santé ou si vous pourrez la conserver, si votre vie touche ou non à son terme. Eh bien, qu’y a-t-il dans tout cela qui soit capable de remplir le vide immense d’un esprit immortel ? Car enfin, riche ou pauvre, « vous n’avez rien apporté au monde et vous n’en pourrez rien emporter. » Malade ou guéri, il vous faut bien finir une fois ; et si vous êtes sauvé aujourd’hui, c’est pour aller mourir demain, comme un soldat qui, près d’être atteint d’un coup mortel dans une bataille, se courbe, l’évite, s’écrie : Je suis sauvé ! et à quelques pas de là reçoit un autre coup qui l’étend mort sur la place. Qu’on vous apporte la nouvelle qu’un enfant est né dans votre famille, qu’un homme y est mort, qu’une révolution s’est accomplie dans votre pays. Un enfant qui vient de naître, c’est un habitant de plus pour cette terre, qui va vous réjouir quelques années, ou vous affliger peut-être, et puis s’en aller à son repos. Un homme qui vient de mourir, c’est un homme de moins dans le monde, où le vide qu’il laisse va bientôt se combler, et dont le départ ne vous inspire guère d’autre intérêt (je veux vous supposer au-dessus des misérables préoccupations d’un héritage) que celui de l’affection passagère que vous lui portiez. Un bouleversement politique, une fois le péril passé, c’est un remaniement dans les choses, ou seulement dans les hommes ; et ce qui vous en touche le plus, c’est l’influence qu’il doit exercer sur votre fortune personnelle. Tous vos intérêts sont courts comme le temps, incertains comme la vie, bas comme la terre.
Le chrétien a de tout autres pensées. Portant dans son cœur Jésus-Christ et le Saint-Esprit, le chrétien, dont le cœur et les yeux ont été ouverts aux choses invisibles et spirituelles, vous laisse végéter dans le temps, et vit lui seul dans l’éternité. Sa grande âme, apprise à mesurer le ciel et l’enfer, reconnaît au dedans d’elle-même les hauteurs de l’un et les profondeurs de l’autre, et sent comme un contre-coup de tout ce qui se passe dans le monde des esprits. Ce qu’il recherche pour lui et pour les autres, c’est Dieu, c’est la sainteté, c’est la grâce, c’est la société des anges, c’est la vie éternelle. Ce qu’il redoute pour lui et pour les autres, c’est Satan, c’est le péché, c’est la malédiction, c’est la société des démons, c’est le feu éternel. Suis-je sauvé, suis-je prêt à mourir, suis-je mûr pour le royaume des cieux ? voilà sa question pour lui comme pour vous. Sentez-vous combien cet esprit relève les moindres détails de la vie en les faisant voir dans la lumière de l’éternité ? Telle chose qui vous paraît insignifiante est pour lui un sujet de graves méditations, de ferventes prières. Car il ne rompt pas avec la terre, mais il lie la terre avec le ciel. Il ne s’intéresse pas moins que vous aux choses d’ici-bas ; il s’y intéresse plus profondément, quoique plus tranquillement, à l’exemple de Dieu qui est « patient parce qu’il est éternel. » Et que dirai-je des grands événements de la vie ? Pour lui, un enfant qui naît, c’est un être immortel qui va au-devant d’un bonheur ou d’un malheur sans fin, et que le Seigneur confie à sa garde, en lui disant, comme autrefois la fille de Pharaon à la mère de Moïse : « Prends cet enfant et nourris-le pour moi. » Pour lui, un homme qui meurt, c’est une âme pour laquelle le temps de l’épreuve vient de s’achever sans retour, et qui va, au sortir d’ici, jouir de la gloire céleste ou tomber entre les mains d’un Dieu vengeur ; et si ce mourant est un ami, un frère, une femme, un père, un enfant, oh ! qui peut dire ce qui se passe alors dans le cœur du chrétien ? Pour lui, un bouleversement politique, c’est une partie de ce vaste plan que Dieu a conçu dès le commencement et qu’il développe de siècle en siècle, pour soumettre toutes les nations à l’empire de Jésus-Christ ; et l’histoire entière est un grand drame que viennent jouer successivement sur la face du monde les générations humaines, et qui doit aboutir à ce magnifique dénouement : « La terre sera couverte de la vérité comme le fond de la mer l’est de ses eaux. » Pour lui, la vie est si sérieuse, si remplie tour à tour d’espérances qui le ravissent au ciel et d’angoisses qui le plongent dans les lieux profonds, qu’il s’étonne quelquefois de pouvoir supporter un tel combat ; il s’en étonne, mais il y a dans les profondeurs de son être un je ne sais quoi qui trouve son compte dans ces angoisses. Il aime mieux sentir les amertumes de la vie que d’y échapper par l’indifférence, comme vous aimez mieux sentir une peine de cœur que d’y échapper par l’insouciance du jeune âge. Enfin, dans ses moments les plus tristes, il n’échangerait pas sa condition contre la vôtre ; combien moins dans ses jours de joie, d’une joie céleste dont vous n’avez pas même l’idée !
Qu’on vienne nous dire après cela que la vie chrétienne manque de mouvement et d’intérêt ! Il faut dire bien plutôt que ce n’est que dans la vie chrétienne qu’on en trouve ; un mouvement, un intérêt auprès duquel tout ce qui vous occupe n’a pas plus d’importance que n’en ont auprès de vos soins les plus graves d’aujourd’hui les châteaux de cartes que vous construisiez dans votre enfance. Avec toute votre agitation, votre vie est froide et dépourvue de ce qui touche le cœur ; et la sienne, pour être si calme, n’en est pas moins remplie des plus émouvantes pensées. Une eau sans profondeur que le moindre vent trouble jusqu’au fond, parce que le fond en est tout près, c’est l’image de votre vie ; mais une mer insondable dont ce même vent peut à peine rider la surface, et qui renferme sous cette surface paisible des abîmes dans d’autres abîmes, des montagnes, des plaines et tout un monde de créatures vivantes, voilà l’image de la vie chrétienne. Vie étonnante véritablement, vie inexplicable si elle n’était l’ouvrage de Dieu dans l’homme ; vie d’une paix si douce, et tout ensemble d’une émotion si profonde ; vie d’une unité si forte, et tout ensemble d’une variété si infinie ; vie en un mot si vivante, seule capable de satisfaire un cœur qui sent et un esprit qui pense, et auprès de laquelle toute autre vie sur la terre n’est que comme un cadavre auprès d’un homme : « Éternel des armées, oh ! que bienheureux est l’homme qui se confie en toi ! »
Qu’est-ce enfin qui vous déplaît dans la vie chrétienne ? La vie chrétienne est une vie de sacrifices et de privations ; vaincre tous ses goûts, se refuser les amusements les plus légitimes, vivre à part, quelle triste et farouche existence, sans jouissance pour soi-même, comme sans utilité pour les autres ! C’est ici que je vous attends. Ce qui vous répugne le plus dans la vie chrétienne est ce qui en fait le charme et le triomphe.
Ne faisons pas de confusion sur ce qui constitue la vie chrétienne. Nous ne la faisons pas consister à se retirer du monde. Nous laissons les ermites dans leurs déserts, et les moines dans leurs couvents ; ou plutôt nous les conjurons d’en sortir, pour ne pas enfouir le talent que Dieu leur confie. Les chrétiens, tels que nous les entendons, demeurent dans le monde, selon cette parole du Seigneur : « Je ne te prie pas de les ôter du monde ; » car ils savent que c’est là que Dieu les appelle à le servir. Ils vivent au milieu de vous, jouissant des biens de la vie et en remplissant les devoirs.
Cela expliqué, nous convenons avec vous que la vie chrétienne est une vie de renoncement ; car il est écrit : « Si quelqu’un d’entre vous ne renonce pas à tout ce qu’il a, il ne peut être mon disciple. » Ce n’est pas assez de dire qu’il y a des sacrifices dans la vie chrétienne ; la vie chrétienne tout entière est un grand et long sacrifice, le sacrifice de soi-même ; tous les autres sont petits auprès de celui-là. L’homme renoncera plus volontiers à son argent, à ses plaisirs, à son honneur, à son repos, à sa famille, à sa santé, à sa vie, que de renoncer à soi-même, à sa volonté propre, à sa justice propre, à sa gloire propre. Aussi trouvera-t-on des fakirs qui s’estropient, des pénitents qui macèrent leur corps, des pèlerins qui entreprennent de longs voyages, on en trouvera par centaines pour un seul chrétien de cœur qui renonce à soi-même.
Nous vous accordons tout cela ; mais nous disons que ce sacrifice si amer selon la volonté propre, si impossible à accomplir par nous-mêmes, devient pour une volonté renouvelée la source de la satisfaction la plus haute et la plus pure qui se puisse goûter sur la terre. J’ai dit pour une volonté renouvelée, et c’est en cela que je crains de n’être pas bien compris ; et pourtant il y a ici une vérité qui répond tellement à la nature humaine qu’il est impossible que vous n’en sentiez pas quelque chose. J’en appelle hardiment à vous-mêmes. N’est-il pas vrai qu’il y a du bonheur dans le renoncement, dans le dévouement ? Car il y a du bonheur à aimer, et le dévouement n’est autre chose que l’amour porté jusqu’à ce point qu’on s’oublie en faveur de celui qu’on aime.
Une jeune fille était toute remplie de la vanité du monde et de ses plaisirs ; recherchée, flattée, admirée, elle était une idole pour les autres, et une idole pour elle-même. Elle devient épouse et mère. Là, sa vie change. Adieu les plaisirs du monde, l’orgueil de la parure, l’enivrement des louanges. Elle se consacre à son petit enfant, et le jour et la nuit. Elle le contemple, elle le porte, elle le caresse, elle apaise ses cris, elle le nourrit de son lait. Du matin jusqu’au soir on la voit occupée de lui, et souvent du soir jusqu’au matin elle veille s’il ne peut dormir. Est-il malade ? elle s’épuise pour le servir, et par les soins qu’elle lui prodigue elle se rend plus malade que lui. Je le demande, en remplaçant ses plaisirs d’autrefois, sans lesquels il lui semblait alors qu’elle ne pouvait exister, par ce dévouement qui l’absorbe aujourd’hui tout entière ; en cessant de vivre pour elle et apprenant à vivre pour un autre, est-elle devenue moins heureuse ? Ah ! s’il y a ici une mère qui se reconnaisse à ce tableau, je ne suis pas en peine de sa réponse. Eh bien, je me tourne vers elle et je lui dis : Pourquoi vous estimez-vous heureuse ? et comment se fait-il que, si quelqu’un osait vous plaindre de ce que vous avez échangé votre félicité passée contre une vie de renoncement, vous plaindriez à votre tour ce pauvre égoïste comme un homme qui n’a jamais rien connu des véritables joies du cœur ? D’où cela vient-il ? Ce n’est pas du retour que vous espérez de ce petit enfant. Les premiers jours de sa vie, où vos soins lui sont le plus nécessaires, sont aussi ceux où il peut le moins les reconnaître ; ses yeux sont à peine ouverts pour les voir ; hélas ! il mourra peut-être sans avoir eu le temps de les payer même à la manière d’un petit enfant, d’un sourire et d’une caresse. Eh bien, les regretterez-vous alors, et penserez-vous que vous eussiez été plus heureuse si vous vous fussiez moins oubliée pour lui, qui après tout ne peut plus rien pour vous ? Qu’est-ce donc qui fait votre bonheur, si ce n’est que nous portons en nous un cœur qui a faim et soif d’aimer, et qui ne trouve de satisfaction complète qu’à se donner tout entier ?
Eh ! que serait-ce donc, ô mère tendre, si au lieu de vous dévouer ainsi à une pauvre créature, impuissante, mortelle, pécheresse, vous appreniez de la foi à vous dévouer à Jésus, votre Créateur, votre Sauveur et votre Dieu ? Quand vous vous dévouez à votre enfant, c’est à une créature faible, qui peut ignorer toujours ce que que vous avez fait pour elle, et qui, le connût-elle, ne peut le rendre que dans la mesure de sa force qui est l’infirmité même ; quand vous vous dévouerez à Jésus, ce sera au Dieu puissant qui a créé de ses mains le ciel et la terre, et qui a promis que « quiconque aura quitté pour lui ou maisons, ou frères, ou sœurs, ou père, ou mère, ou femme, ou enfants, ou champs, en recevra dans ce siècle-ci cent fois autant, et dans le siècle à venir la vie éternelle. » Quand vous vous dévouez à votre enfant, c’est à une créature périssable, que vous pouvez servir aujourd’hui, et pour laquelle demain peut-être vous ne pourrez rien, parce que la mort, que dis-je ? parce que quelques terres ou quelques mers l’auront séparé de vous ; quand vous vous dévouerez à Jésus, ce sera à celui qui « vit aux siècles des siècles, » et qui « remplit tellement toutes choses » que, rien ne pouvant vous séparer de lui, on ne trouve pas plus dans votre vie un instant que son service ne puisse occuper, qu’on ne trouve au fond de la mer une cavité où ses eaux ne pénètrent pas. Quand vous vous dévouez à votre enfant, c’est à une créature déchue, en qui l’image de Dieu, qui peut seule la rendre aimable, est ternie par le péché, et dont l’amour, s’il n’était réglé par l’amour de Dieu, serait un désordre, une idolâtrie ; quand vous vous dévouerez à Jésus, ce sera au Saint des saints, à celui dont l’amour ne doit point avoir de mesure parce qu’il sert lui-même de mesure à tout autre amour, et au sujet duquel il nous est dit : « Tu l’aimeras de tout ton cœur, de toute ton âme, et de toute ta pensée. » Quand vous vous dévouez à votre enfant, c’est à une créature qui, ayant tout reçu de vous et ne vous ayant rien donné, n’a de droit à votre amour que par votre dévouement et par votre nom de mère ; quand vous vous dévouerez à Jésus, ah ! c’est ici surtout que je voudrais me faire bien comprendre, ce sera à celui qui s’est donné pour nous le premier, donné tout entier, donné sur la croix, donné, lui le Créateur pour nous ses créatures, lui saint pour nous pécheurs, lui le Prince de la vie pour nous pauvres esclaves de la mort, et qui s’est acquis le droit de nous dire : « Rachetés à un si grand prix, vous n’êtes plus à vous-mêmes. » O Jésus, ô mon Dieu ! Se dévouer à toi sans réserve et sans partage, t’aimer par-dessus tout, et n’aimer le reste qu’après toi, en toi et pour toi, est-ce donc là la tristesse de la vie chrétienne ? O bienheureuse tristesse ! Seigneur, rends-nous toujours plus tristes de cette manière ! Car tu sais, toi qui sondes les cœurs, que nous sommes heureux de renoncer à nous-mêmes pour toi, et qu’il ne manque à notre bonheur que de nous renoncer davantage ! Oui, si nous pouvions tout quitter pour te suivre, n’aimer que ce que tu aimes, ne rien faire que pour ta gloire, et n’avoir pas un mouvement, pas une pensée, pas un battement de cœur qui ne fût pour toi, alors notre joie serait accomplie ! alors les croix nous seraient légères ! alors, en attendant ton ciel, ce ciel que ton sang nous ouvrit, nous aurions trouvé déjà dans ton service un ciel sur la terre !
Faut-il ajouter après cela que les sacrifices de la vie chrétienne, comme ils ne sont pas sans jouissance pour le chrétien lui-même, ne sont point aussi sans utilité pour les autres ? Eh quoi ! le dévouement à Jésus, le Sauveur des hommes, ne produira-t-il pas le dévouement aux hommes qu’il a tant aimés ? Si quelqu’un vient à se convertir à Jésus-Christ, vous vous plaignez qu’il est perdu pour la société. Perdu pour la société ! Quel renversement du langage ! Heureuse la société si elle pouvait nous perdre tous de cette manière ! C’est parce qu’il est devenu un homme de foi et de prière que le vrai chrétien est devenu aussi un homme de charité et d’activité, et un imitateur de celui qui « allait de lieu en lieu faisant du bien. »
S’agit-il de la félicité spirituelle des hommes ? Le chrétien seul peut y contribuer ; seul il travaille à cette œuvre admirable qui a pour objet le salut du monde ; seul il agit, il prie, il exhorte, pour porter les hommes à se tourner vers Dieu. Eh bien, n’est-ce pas là la charité la plus excellente ? Comprenons-nous bien ce que vaut une seule âme, une âme immortelle ? Quelle joie, oh ! quelle joie pour celui qui la sauve de la mort ! Si dans ce moment, par exemple, il m’était donné de convertir seulement un de ceux qui m’écoutent ; s’il y avait ici une personne qui, persuadée par ce discours qu’elle ne peut trouver de bonheur qu’en Jésus, se donnât à lui sans réserve et sans partage ; s’il se formait entre elle et moi cette relation spirituelle qui n’a pas de nom sur la terre, et qui unit l’homme converti à l’homme qui a été l’instrument de sa conversion, qui peut dire avec quelle joie nous nous souviendrions l’un de l’autre, même ici-bas, même avant que le jour vienne de nous rencontrer et de nous féliciter dans les tabernacles éternels ?
Mais quand il s’agira de contribuer à la félicité temporelle de nos semblables, vous pensez peut-être que le vrai chrétien s’y portera avec moins d’ardeur qu’un autre, habitué qu’il est à subordonner les choses du temps à celles de l’éternité ? Détrompez-vous. Là encore il ne le cédera en zèle à personne et se trouvera partout, selon cette belle parole de saint Paul, « à la tête des bonnes œuvresb. » C’est à ses propres avantages qu’il a appris à renoncer, non à ceux d’autrui. Pour lui-même « il ne tient compte de rien, et sa vie même ne lui est point précieuse ; » mais pour les autres il tient compte de tout, et le moindre soulagement à leur procurer, la moindre peine à leur épargner, lui semble un prix digne de tous ses efforts. Il a reçu cet exemple de saint Paul, qui vit « dans les veilles, dans la faim, dans la soif, dans les jeûnes, dans le froid, dans la nudité, » et qui tout ensemble « travaille jour et nuit pour n’être à charge à personne. » Il l’a reçu surtout de son Maître, « qui a souffert la croix et méprisé la honte, » et qui tout ensemble a passé sa vie à guérir les hommes, non seulement des maux de l’âme, mais aussi de ceux du corps. Que si la première attention du chrétien est pour les intérêts éternels, cela même garantira plus sûrement le succès de ce qu’il fait pour ceux de la vie présente. Car il est écrit : « Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par-dessus ; » parole profonde, qui trouve partout son accomplissement, soit dans les œuvres de la charité particulière, soit dans les entreprises générales de la chrétienté en faveur des nations païennes. Nous avons vu naguère, dans une contrée voisine, une grande et noble assemblée constater par un examen approfondi que la civilisation n’a jamais pénétré chez les peuples sauvages que sur les pas de l’Évangile, et que les premiers bienfaiteurs des païens, ce sont les missionnaires. Cherchez dans les annales de la charité quels hommes ont eu le plus de part à l’abolition de l’esclavage, à la réforme des prisons, aux fondations les plus utiles, et vous trouverez partout, non de simples philanthropes, mais de vrais disciples de Jésus-Christ. Non, il n’y a pas d’activité, il n’y a pas de dévouement, il n’y a pas de bienfaisance dont la foi ne soit le principe et l’âme ; et c’est ici surtout, c’est dans cette vie de renoncement et de sacrifices que le chrétien a sujet de s’écrier : « Éternel des armées, oh ! que bienheureux est l’homme qui se confie en toi ! »
b – Traduction littérale de Tite 3.8.
Et pourtant, remarquez-le bien, nous ne vous avons montré le bonheur de la vie chrétienne que par ses côtés les moins apparents. Demandez à un chrétien pourquoi il est heureux : il ne vous en donnera probablement aucune des raisons que je viens de développer. Il ne vous dira pas que la vie chrétienne répond à tous les besoins de sa nature, parce qu’elle satisfait son intelligence par la foi, son âme par les émotions, et son cœur par le dévouement. Non que tout cela ne lui paraisse véritable et ne contribue en effet à son bonheur, mais il y a mieux encore que tout cela ; il y a une réponse toute simple qui lui vient la première à la bouche : Je suis heureux parce que j’ai un Sauveur et que mes péchés me sont pardonnés. Mais cela, je vous en ai peu parlé, parce que j’ai supposé que vous le reconnaissiez assez de vous-mêmes, tant est manifeste, tant est éclatante cette partie de notre félicité. Mais le reconnaissez-vous en effet ? Mais savez-vous bien ce que c’est que de pouvoir se dire : Je suis reçu en grâce, ma transgression est pardonnée, mon péché est couvert, le Seigneur ne m’impute point d’iniquité ? Savez-vous ce que c’est que d’avoir Dieu pour père, Jésus-Christ pour frère, le Saint-Esprit pour consolateur, et de pouvoir, à toute heure du jour et de la nuit, s’approcher de Dieu avec la confiance qu’il nous aime, qu’il nous entend, qu’il nous exauce, qu’il nous délivre et qu’il accomplit en nous l’œuvre de grâce qu’il a commencée ? Savez-vous ce que c’est que de pouvoir accueillir toutes les afflictions de la vie comme une discipline salutaire d’un père qui nous aime, d’un Sauveur qui a souffert le premier, que dis-je ? comme des témoignages d’amour auxquels on ne voudrait pas se soustraire quand on le pourrait, et dans lesquels on se réjouit, on se glorifie, on rend grâces ? Savez-vous ce que c’est que d’avoir, dans les incertitudes dont la vie est pleine, un guide à qui l’on peut demander conseil, et qui, après avoir appris à l’âme fidèle à lui dire : « Enseigne-moi le chemin où je dois marcher, car tu es mon Dieu, » lui répond ainsi : « Je te rendrai avisé, je t’enseignerai le chemin dans lequel tu dois marcher, mon œil sera sur toi ? » Savez-vous ce que c’est que de pouvoir mourir en paix, en voyant le Sauveur prêt à nous recevoir, et en disant avec l’Apôtre : « J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé la course, j’ai gardé la foi ; au reste, la couronne de justice m’est réservée, et le Seigneur, juste juge, me la donnera en cette journée-là ? » Mais savez-vous surtout ce que ce sera que d’entrer en possession de cette félicité éternelle, dont toutes les descriptions, celles même de la Bible ne peuvent nous donner qu’une imparfaite idée, parce qu’elles sont écrites en langage d’homme ; que d’être admis dans ce séjour « où il n’y aura plus ni cri, ni deuil, ni travail, mais où Dieu sera tout en tous ; » que de se trouver réuni aux Abraham, aux Moïse, aux Élie, aux Ésaïe, aux saint Paul, aux saint Pierre, aux Timothée, dans la société des saints anges et en la présence du Seigneur Jésus, chantant le cantique des rachetés : « Le « salut est de notre Dieu, qui est assis sur le trône, et de l’Agneau. Louange, gloire, sagesse, actions de grâces, honneur, puissance et force soient à notre Dieu, aux siècles des siècles ? » Savez-vous ce que ce sera ? Le savons-nous nous-même ? « Éternel des armées, oh ! que bienheureux est l’homme qui se confie en toi ! »
O mes frères, mes chers frères, ne voulez-vous pas entrer dans cette voie de la piété qui « a les promesses de la vie présente comme de celle qui est à venir ? » Vous priverez-vous volontairement de la vie éternelle, et pourquoi ? pour être plus heureux dans celle-ci ? non, mais pour vous priver même ici-bas de la seule félicité digne de ce nom ? Quand nous vous avons appelés à la foi au nom de votre salut, la nature a pu reculer devant un chemin qui conduit à la vie éternelle, mais qui est si rude et si étroit. Quand nous vous y avons appelés au nom de votre sanctification, la chair a pu s’effrayer d’un renoncement si amer à notre volonté propre. Mais quand nous vous y appelons aujourd’hui au nom de votre bonheur, de votre bonheur présent aussi bien que de votre bonheur à venir, oh ! qui serait assez insensé, assez ennemi de lui-même pour rejeter un si grand salut ?
Et vous surtout, affligés de ce monde ; vous qui étiez entouré d’une famille chérie, et qui êtes resté seul ; vous dont la santé ruinée ne vous laisse entrevoir qu’une vie de souffrances et une mort douloureuse ; vous qui manquez, sinon du nécessaire, du moins de toutes les douceurs de la vie, c’est vous, plus que tous les autres, que Dieu semble appeler à la paix de Jésus-Christ ; et c’est vous aussi qui devez être, plus que tous les autres, préparés à la recevoir. N’entendrez-vous pas cette invitation du Seigneur : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous soulagerai ? » Aimez-vous mieux laisser vos larmes se perdre sur la terre que de les verser dans le sein de Jésus ? Dussent tous les autres s’éloigner, ne viendrez-vous point, vous que la vie présente semble avoir déshérités, à celui qui a l’héritage de la vie éternelle ? Et quand la terre n’a plus rien pour vous que des pleurs ; quand le Seigneur vous déclare qu’il ne les a fait couler que pour vous contraindre à vous tourner vers lui, qui les veut essuyer de sa main ; quand vos afflictions peuvent devenir pour vous la source d’une consolation éternelle, que dis-je ? quand elles peuvent être changées en joie dès aujourd’hui, ne viendrez-vous pas déposer votre croix aux pieds de celui qui seul en a porté une plus pesante encore ? Oh ! quelle consolation vous allez trouver dans son amour ! et avec quelle douceur direz-vous sur la terre : « Il m’est bon d’avoir été affligé, » en attendant que vous disiez dans le ciel, avec ceux qui sont revenus de la grande tribulation : « Nous avons lavé et blanchi nos robes dans le sang de l’Agneau ! »
Y a-t-il ici quelqu’un qui dise en lui-même : C’en est fait, moi aussi je veux me convertir ? Ame affamée et altérée de la paix de Jésus, je ne vous connais point, mais Dieu vous connaît ; il vous discerne au milieu de cette assemblée ; et quel autre que lui peut exciter ces mouvements dans votre cœur ? Pauvre Bartimée, « lève-toi, prends courage, il t’appelle. — Ne crains rien, crois seulement ; crois, et ne doute point. » Celui qui t’appelle est aussi celui qui t’ouvrira les yeux ; c’est Jésus, dont la parole a créé le ciel et la terre ; Jésus, qui est mort pour toi ; Jésus, qui parle à ton cœur ; Jésus, qui te demande lui-même comme à ce pauvre aveugle : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » Aujourd’hui, ici même, avant de quitter la place où tu es assis, fais alliance avec lui. Prends son pardon, et donne-lui ton cœur. Amen.
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