Que personne donc ne vous condamne au sujet du manger ou du boire, ou sur la distinction des jours de fête, ou sur les nouvelles lunes, ou sur les sabbats, choses qui ne sont que l’ombre de celles qui devaient venir et dont le corps est Christ (ou en Christ). Que personne ne vous enlève le prix[h] par une humilité volontaire[i], en offrant un culte aux anges, s’ingérant dans des choses qu’il n’a point vues, enflé de vanité (de vaines pensées) par son esprit charnel (par l’esprit de sa chair), ne retenant point (au lieu de retenir avec force, constamment) la tête, d’où tout le corps, soutenu et bien uni[j] par des liaisons et des jointures, croît d’une croissance de Dieu (tire sa croissance selon Dieu). Si donc, étant morts avec Christ, vous êtes séparés des éléments du monde[k], pourquoi donc vous laissez-vous lier par des préceptes comme si vous viviez encore dans le monde ? Ne mangez, ne goûtez, ne touchez point ! Toutes chose (toutes ordonnances) pernicieuses par leur abus, et fondées sur des commandements et des doctrines d’hommes, lesquelles (toutefois) tirent quelque apparence de sagesse de ce culte[l] tout volontaire, de cette humilité, et de cette absence de tout ménagement pour le corps[m], sans aucun égard à la satisfaction de la chair.
[h] Ou : ne prétende vous enlever le prix, ne prétende l’emporter sur vous.
[i] Par une affectation d’humilité.
[j] Compact.
[k] Si donc vous êtes morts avec Christ aux éléments du monde.
[l] Ont quelque apparence de raison à cause de…
[m] Cette dureté envers le corps. (Comparez 1 Corinthiens 9.27 : Je traite durement mon corps.)
Nous venons d’apprendre que la loi des rites est abolie : « elle a été clouée à la croix de Jésus-Christ », avait dit l’apôtre (v. 14) ; ce titre n’existe plus. S’il en est ainsi, la liberté que saint Paul a apportée aux Colossiens, liberté qui les affranchit des rites et dont ils usent, est une liberté légitime, sur laquelle personne n’a le droit de les condamner : « Que personne donc ne vous condamne si vous ne l’observez plus, cette loi des rites » (v. 16). Dans d’autres endroits, Paul va bien plus loin ; ici il se réduit, il se limite, il ne se prévaut pas de toute sa force et de tous ses droits ; au lieu de présenter comme un devoir l’abandon de ces pratiques à titre légal, ainsi qu’il le fait ailleurs, il se borne à le présenter comme un droit ; il ne dit donc pas, comme dans Galates 2.18 : Si je rebâtissais les choses que j’ai renversées, je montrerais que j’ai été moi-même un prévaricateur ; ou, dans Galates 3.3 : Etes-vous si insensés, qu’après avoir commencé par l’Esprit, vous finissiez maintenant par la chair ? ou enfin, dans le chapitre 5, verset 2 de la même épître : Voici, je vous dis, moi Paul, que si vous êtes circoncis, Christ ne vous profitera de rien ; mais ici il se contente de justifier l’avantage de la liberté chrétienne dont jouissent les Colossiens et que lui, Paul, leur a apportée. Pourquoi ne va-t-il pas plus loin ? Peu importe ; il lui est bien permis de présenter la chose une fois comme un devoir et une fois comme un droit ; ici il ne veut que rassurer les Colossiens ; et d’ailleurs, prenons-y garde, il y avait peut-être parmi ces rites quelques usages que, suivant le point de vue où l’on se plaçait, on pouvait conserver ou non, pratiquer innocemment ou ne pas pratiquer ; par exemple le jeûne. Si l’on en fait un opus operatum, si on le regarde comme une prescription légale ayant en soi de la valeur et du mérite, il est mauvais, il est condamnable et saint Paul s’élèvera avec force contre une telle pratique ; mais s’il est un exercice d’abstinence, un acte fait par amour pour Dieu et un moyen de grâce pour s’unir plus étroitement à lui dans l’oraison, c’est autre chose ; il est recommandable et saint Paul ne le condamnera pas. C’est ce qu’il faut ajouter pour bien se rendre compte de la liberté dont parle l’apôtre. Quoi qu’il en soit, nous voyons ici que saint Paul veut seulement justifier la liberté chrétienne des Colossiens ; mais les termes qu’il emploie montrent et nous apprennent que ceux qui observaient ces rites non seulement croyaient faire une chose prescrite, accomplir un devoir, mais encore qu’ils se piquaient et se vantaient d’une perfection plus grande, plus haute, et Paul, en même temps qu’il justifie la liberté évangélique dont jouissent les Colossiens, condamne et réfute la présomption sans fondement des docteurs qu’il a pris à partie. C’est là le double but de ce passage : il veut non seulement tranquilliser la conscience des uns, mais dissiper l’illusion des autres, confondre et renverser la présomption de ces faux docteurs. Ainsi commence-t-il par faire disparaître toute l’ancienne loi des rites, il efface jusqu’à la dernière trace des obligations légales, toutes les fêtes, les nouvelles lunes, les sabbats, le manger et le boire (v. 16) ; il efface toutes ces choses, à titre de lois, car il fait voir (v. 17) que toutes ces choses n’étaient que l’ombre de celles qui devaient venir, l’ombre des biens à venir (Hébreux 10.1), l’ombre de Jésus-Christ dans le passé, une figure, une prophétie qui n’avait de valeur que dans l’absence du corps, un symbole, un gage d’un avenir maintenant réalisé. Toutes ces choses n’ont plus d’objet, de sens, quand la réalité est pour nous et en notre possession : « Le corps en est Christ » (ou en Christ), dit l’apôtre, et par là il fait voir que les uns, les Colossiens, n’ont pas le tort de la désobéissance, ni les autres, les docteurs, le mérite d’une obéissance plus exacte.
Mais comme ces faux docteurs, en retenant l’ombre, c’est-à-dire la loi, se piquaient d’une obéissance plus exacte, quoiqu’il s’en fallût peut-être qu’ils eussent tout retenu, ils se piquaient aussi d’un zèle plus considérable, d’une dévotion plus empressée, et d’une plus grande humilité que les autres, en offrant un culte à des êtres pour qui on ne le leur demandait pas, aux anges (v. 18). Au verset 17, saint Paul a montré que ces obligations de la loi des rites n’existent plus, et de plus, que ces docteurs contredisent l’œuvre de Dieu par leurs observances, qu’observer ceci c’est contredire Dieu, qu’au lieu de mieux obéir, ils désobéissent. Au verset 18, l’apôtre, ne prenant pas tous ses avantages, s’attaque seulement à leur présomption et il ne les combat, pour le moment, qu’en disant simplement qu’ils s’ingèrent dans des choses qu’ils n’ont point vues. Il est vrai qu’on peut et qu’on doit même croire ce qu’on n’a point vu et offrir un culte à un Etre qu’on n’a point vu ; mais si l’on ne voit pas, il faut au moins, par quelque autre moyen, connaître, ce qui est une autre manière, un autre mode de voir (ainsi Dieu, on ne le voit que par la foi) ; il faut au moins qu’une autorité nous y engage, par exemple que la parole de Dieu nous ait parlé de ces choses que nous n’avons pas vues, et que nous en ayons la connaissance par elle. Or la Bible, notre seule source d’informations sur les choses célestes, ne dit rien d’un culte à offrir aux anges, ce qui est d’autant plus remarquable qu’elle ne parle pas rarement, mais fréquemment des anges, et toujours elle le fait sans rien qui puisse autoriser à rendre une adoration à ces intelligences supérieures ; silence accentué, articulé pour ainsi dire, qui est très significatif et qui équivaut à la négation du culte des anges. Puisque ces docteurs n’ont pas vu ces choses et que la Bible n’en a pas parlé, leurs enseignements à ce sujet ne sont donc que de vaines pensées dont ils sont enflés (ou sont enflés de vanités), et c’est là leur perfection ! On pourrait dire que ce sont des rêves ; non pas même les rêves d’un cœur touché de piété, car la vraie piété ne rêve point, mais les rêves d’une âme égarée, les imaginations d’une raison, de l’esprit de la chair, ou d’un sens, d’un esprit charnel. Mais qu’y a-t-il de charnel à offrir un culte aux anges ? se dira-t-on ; et en effet, ce mot surprend au premier abord ; mais nous savons que l’Evangile appelle crûment « chair » et « charnel » tout ce qui n’est pas spirituel, tout ce qui n’est pas purement esprit, et de plus, tout ce qui n’est pas selon l’esprit, en sorte que les pensées des faux docteurs, quoique subtiles, sont charnelles. Ce rapprochement est précieux ; car nous sommes exposés à croire quelquefois que nous nous élevons bien au-dessus de la chair quand nous nous élevons à des idées raffinées, et que nous sommes bien haut dans nos pensées à mesure que nous nous perdons dans les spéculations creuses, dans la subtilité et dans les prétentions de la fausse philosophie. Eh bien, fût-ce même les abstractions les plus idéales de la pensée humaine, saint Paul appelle cela des pensées charnelles : il appelle aussi charnelles les rêveries sentimentales et romanesques, fût-ce même les effusions de la sentimentalité la plus raffinée. C’est d’après le même principe que saint Jacques, condamnant une sagesse contentieuse, l’appelle terrestre, sensuelle et diabolique (Jacques 3.15) ; et pourtant, il semble qu’il n’y a rien de sensuel dans l’obstination à poursuivre une idée !
L’apôtre poursuit et dit encore des faux docteurs (v. 19) : « Ne retenant point (au lieu de retenir) la tête, d’où tout le corps, soutenu et bien uni par des liaisons et des jointures, croît d’une croissance de Dieu ». Au lieu d’aller chercher par delà toutes les limites de la connaissance et du devoir des doctrines à suivre et des obligations à remplir, ne vaudrait-il pas mieux, dit l’apôtre, « retenir avec force la tête, » c’est-à-dire la vérité fondamentale de l’Evangile, le principal objet de la foi, Jésus-Christ, de qui seul le corps, c’est-à-dire toute l’Eglise, ou toute la doctrine évangélique peut tirer et tire à la fois la cohérence de toutes ses parties, et son accroissement, un accroissement de Dieu ou selon l’esprit de Dieu, une croissance où l’action de Dieu est visible ? Ainsi, non seulement le corps tire son accroissement de la tête, mais encore toutes ses parties, les liens qui unissent bien le corps, viennent de la tête ; en sorte que d’un côté, de Jésus-Christ qui est la tête, le corps tire ses liens et son caractère compact, et de l’autre côté, sa croissance et toute sa croissance où la main de Dieu est visible. Que font ces doctrines excentriques, ces excroissances ? Ajoutent-elles quelque chose à la force du corps, à l’unité ? Contribuent-elles à son développement ? En aucune façon ; elles ne servent à rien. Le principe de l’unité et de la croissance est la doctrine de Jésus-Christ seul ; il n’est que dans la foi en Jésus-Christ crucifié ; et cette vérité retranchée, ou négligée pour des opinions accessoires, tout se disloque et se dissout (comparez Ephésiens 4.15-16, passage correspondant de notre verset 19, presque identique, mais plus explicite).
Que d’autres, semble dire saint Paul (v. 20), négligent le corps ou la substance pour s’attacher à l’ombre ou à la figure, cela se conçoit si, tout en invoquant le nom de Christ, ils appartiennent encore au régime qui a précédé Jésus-Christ, et s’ils ne sont pas encore « morts aux éléments du monde », comme un chrétien doit l’être ; mais vous ? Non ; vous qui êtes morts avec Christ à ces éléments du monde, pourquoi donc vous laissez-vous lier de nouveau par des préceptes comme si vous étiez encore dans le monde ou du monde ? Il est remarquable de voir saint Paul désigner par le mot monde ou éléments du monde cet attachement à la loi des rites et cette dévotion envers les anges ; la première au moins de ces deux choses avait eu sa légitimité, étant établie de Dieu ; mais cela ne contredit pas l’apôtre ; car, pour ce qui est du culte des anges, il n’a jamais été qu’une fantaisie de l’homme naturel et par conséquent un élément du monde ; et pour ce qui est de l’attachement à la loi des rites, c’est une chose mondaine que d’attribuer à cette loi, aux rites, un sens définitif ou une valeur propre, intrinsèque et une existence sans terme, perpétuelle ; ce n’est point dans ce sens que les vrais fidèles de l’ancienne alliance étaient attachés à la loi des rites, et ils n’eussent vu, comme saint Paul, dans l’obstination à maintenir l’ombre en présence du corps et la figure devant la réalité qu’une affection du monde, que des éléments du monde. Et puisque c’est dans ce sens que les docteurs attaqués et condamnés par saint Paul s’attachaient à la loi des rites, ou plutôt puisque, en s’obstinant à la conserver après la venue de celui qui est la consommation des rites, ils niaient par là même ou la vérité ou les conséquences de sa venue, saint Paul a bien le droit de voir dans leur doctrine les éléments du monde, et de déclarer qu’elle doit être repoussée par ceux qui, ayant reçu Jésus-Christ, sont morts en lui aux éléments du monde.
Mais (v. 21) voici une chose étrange ! C’est que ces sectateurs du monde en sont les ennemis, si l’on en juge par les paroles qui sortent le plus souvent de leur bouche : « Ne mangez pas, ne goûtez pas, ne touchez pas ! »
Saint Paul ne nie point qu’il n’y ait là une apparence de sagesse et les noms de fort grandes choses. Car ce sont de grandes choses et des choses sages, une vraie sagesse, que ce culte tout volontaire, que cette humilité, et que cette absence de tout ménagement pour le corps (cette dureté envers le corps, v. 23) toutes choses dont ces docteurs se vantent et par où ils recommandent leurs doctrines. Comment saint Paul voudrait-il condamner la liberté dans le culte, l’humilité dans la dévotion et dans la religion, et le sacrifice de la chair à l’esprit, la spiritualité dans la vie chrétienne ? Il convient donc sans détour que l’apparence de la sagesse est là, mais il n’en voit que l’apparence. Car, dit-il (v. 22) en parlant des abstinences recommandées par ces docteurs, ce sont des choses pernicieuses par leur abus, et fondées seulement sur des commandements et des doctrines d’hommes. Telle est la réponse de saint Paul : elle ne se rapporte, il est vrai, qu’à une partie des enseignements dont il s’agit ; mais elle s’applique sans effort à tout l’ensemble des idées et des tendances que ces docteurs cherchaient à faire prévaloir. Et puisque le caractère général de leurs doctrines et de leurs préceptes était la prétention à une perfection extraordinaire, puisque l’idée de cette perfection était le principal argument sur lequel ils appuyaient leur hérésie, nous ne nous attacherons pas au seul point de ces doctrines touché par saint Paul dans ces paroles : « Toutes choses pernicieuses par leur abus et fondées sur des prescriptions et des doctrines humaines » ; nous prendrons pour sujet de nos réflexions cette idée même de perfection qu’ils avaient mise à la base de leurs commandements et qui est le caractère général et le principe commun de leurs enseignements, et nous chercherons à distinguer, par leurs éléments, la vraie et la fausse perfection de la vie chrétienne, en écartant les illusions, les prétextes et les malentendus sur lesquels se fonde la perfection imaginaire et au moyen desquels on réussit à la confondre avec la perfection réelle. Cet examen nous ramènera d’ailleurs aux paroles que, pour le moment, nous n’étudions point, et qui sont renfermées dans le verset 22 ; car nous aurons à montrer, au sujet de toutes les ordonnances particulières de ces docteurs, qu’elles sont pernicieuses parleur abus et uniquement fondées sur des commandements et des doctrines d’hommes. Mais l’explication qu’avant de nous livrer à cette étude nous avons dû donner de notre morceau, en le parcourant dans un examen rapide, et en suivant saint Paul pas à pas, verset après verset, nous aura préparés à l’explication du sujet lui-même qui s’y trouve traité.