Nul ne peut dire : « Jésus est le Seigneur », si ce n’est pas le Saint-Esprit.
Par ces mots, saint Paul donne une marque simple et précise à laquelle ses lecteurs doivent reconnaître la vraie présence et la vraie influence du Saint-Esprit. De courtes explications sont ici nécessaires, pour faire bien comprendre l’occasion et le but de cette parole apostolique.
Le livre des Actes nous apprend que, le jour de la Pentecôte, des langues de feu se posèrent sur les disciples de Jésus ; qu’ils furent tous remplis du Saint-Esprit et se mirent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer. Un pareil fait, si incapables que nous soyons de le bien définir, faute de le connaître par expérience, peut nous donner une idée de la puissante commotion imprimée à l’homme par cet agent divin qu’on appelle le Saint-Esprit. Il sembla que ceux à qui le Saint-Esprit était donné eussent reçu une âme nouvelle ; une lumière céleste les inondait ; une vie divine remplissait leurs cœurs jusqu’à en déborder ; pour louer Dieu qui leur manifestait sa gloire, qui les attirait et les élevait à lui, les anciens et ordinaires moyens d’expression ne suffisaient plus ; l’Esprit créa de toutes pièces un nouveau langage, analogue peut-être à ces langues des angesh dont parle saint Paul dans notre épître même. Ce torrent de feu se divisa en plusieurs branches ; en d’autres termes, on vit se manifester dans l’Église de Jérusalem, à partir du jour de la Pentecôte, et ensuite chez les premiers chrétiens, partout où parvint le message évangélique, comme un ensemble de facultés surnaturelles, qui n’étaient pourtant, dans la plupart des cas, que les facultés naturelles agrandies et purifiées par le Saint-Esprit. Ce sont là ces dons spirituels, don d’enseignement, don de prophétie, don des miracles, don des langues, etc., dont Paul parle tout au long dans le passage de sa première épître aux Corinthiens dont nous méditons les premières lignes. On y voit que le péché, qui gâte tout, avait fait irruption jusque dans ce domaine supérieur de la vie de l’âme et de l’Église. A Corinthe, les dons spirituels, abondamment répandus, étaient devenus un sujet d’orgueil, de rivalité, d’envie ; il y avait en outre des exaltations malsaines, de fausses inspirations. Savoir les distinguer des vraies était évidemment, en pareille matière, le premier besoin de l’Église, et c’est à cet effet que l’apôtre pose cette règle : « Nul, parlant par le Saint-Esprit, ne dit : Anathème à Jésus ! et nul ne peut dire : Jésus est le Seigneur ! si ce n’est par le Saint-Esprit. »
h – 1 Corinthiens 13.1.
La première partie, la partie négative, de la règle apostolique, nous étonne par son trop d’évidence. Pouvait-il arriver qu’une voix, s’élevant dans une assemblée chrétienne, dit : « Anathème à Jésus ! » et l’Église avait-elle besoin d’être avertie que l’auteur d’un tel blasphème ne parlait pas par le Saint-Esprit ? Notre premier mouvement est de répondre à l’une et à l’autre question : « Non ! évidemment non ! » Mais peut-être ne nous faisons-nous qu’une idée imparfaite de l’étrange fermentation qui se produisait dans un milieu tel que l’Église de Corinthe, où les éléments les plus impurs pouvaient se mélanger aux plus sublimes. Comme, écarts de conduite, il y avait dans cette Église de prétendus communiants qui, à la table même du Seigneur, se livraient aux excès de la bonne chère et de la boisson. Comme erreurs de doctrine, il y avait de prétendus croyants qui niaient la résurrection et la vie à venir. D’autres, ou les mêmes peut-être, pouvaient avoir des idées analogues à ce qu’on a appelé plus tard le gnosticisme. Or, pour les gnostiques, Jésus de Nazareth n’était qu’un simple homme, auquel un esprit supérieur, qu’ils appelaient le Christ, s’était uni au moment de son baptême, pour l’abandonner avant sa Passion. A ce point de vue, l’homme Jésus n’est plus le vrai Seigneur, ni le vrai Sauveur ; il n’est plus un objet de foi ; et dans cet ordre d’idées, on pourrait concevoir que tel faux inspiré fût allé dans son délire jusqu’à s’écrier : « Je ne connais pas ce Jésus ! je lui dis Anathème ! »
Hâtons-nous de revenir à notre texte, au côté positif de la règle apostolique : « Nul ne peut appeler Jésus Seigneur, si ce n’est par le Saint-Esprit. » Direz-vous que cette règle, aussi bien que la précédente, est sans application parmi nous, parce que nous ne souffrons pas de la trop grande multiplicité des inspirations, de l’exubérance de l’Esprit, mais plutôt de la disette ? Le fait est vrai malheureusement, surtout dans le milieu où nous sommes. Mais à cause de cela même, nous avons besoin qu’on nous rappelle, pour notre encouragement, que le domaine des manifestations spirituelles s’étend plus loin qu’il ne paraît, et qu’aucun de ceux qui, de cœur comme de bouche, appellent Jésus Seigneur, n’est privé de son Esprit. O Jésus ! si nous ne nous faisons pas illusion, c’est bien sincèrement, c’est de toute notre âme que nous t’appelons Seigneur. Nous ne sommes donc pas tout à fait déshérités de ton Esprit, et par cet Esprit tu nous assisteras, tandis que nous chercherons à discerner les vrais signes de son action, pour ta gloire et pour notre salut.
Appeler Jésus Seigneur, c’est assurément l’acte le plus simple et le plus élémentaire de la foi chrétienne. Si cet acte même n’est possible que par le Saint-Esprit, il en résulte que le Saint-Esprit est indispensable, non pas seulement aux apôtres et aux prophètes, mais à tous les croyants. Sans lui il n’y a ni foi, ni vie chrétienne, ni vraie confession du nom de Christ.
Vraie confession, ai-je dit. En effet, l’apôtre n’a certainement pas voulu dire que le seul fait, le fait matériel de prononcer ces mots : « Jésus est le Seigneur », soit, dans tous les cas et nécessairement, l’indice de la présence du Saint-Esprit dans un homme. Il y a de faux croyants, de prétendus disciples, qui démentent par leurs sentiments et par leur vie celui que leur bouche confesse. « Pourquoi, leur dit Jésus, pourquoi m’appelez-vous Seigneur ! Seigneur ! et vous ne faites pas ce que je vous dis ? » Et il ajoute qu’au dernier jour ils entendront de lui cette sentence : « Retirez-vous de moi, je ne vous ai jamais connus, vous tous ouvriers d’iniquitéi » Sans doute, comme la fausse monnaie suppose l’existence de la bonne, ainsi la fausse religion prouve la vraie, celle qui est le fruit du Saint-Esprit. Comme l’hypocrisie de la moralité est un hommage que le vice rend à la vertu, ainsi l’hypocrisie de la piété est un hommage que l’incrédulité ou l’indifférence rend à la foi. Mais, en ce qui le concerne personnellement, l’hypocrite ou le pur formaliste est, plus que tout autre, éloigné de Dieu et vide du Saint-Esprit.
i – Luc 6.46 ; Matthieu 7.23.
L’apôtre ne conteste pas non plus qu’il ne soit possible, sans le Saint-Esprit, d’admettre la vérité du christianisme et la divinité de son fondateur, soit par simple acquiescement à la tradition, soit sur la foi de certaines preuves intellectuelles. Les démons croient et ils tremblent ; dans les Évangiles, ils donnent quelquefois à Jésus des titres équivalents à celui de Seigneur, et assurément ce n’est pas par le Saint-Esprit. Ce qui n’est pas possible en dehors de cette divine influence, c’est la foi vivante, la foi du cœur, même à son plus faible degré. Le péché a tellement corrompu le cœur, obscurci la conscience, enchaîné la volonté de l’homme, qu’il ne peut, sans l’intervention secourable du Saint-Esprit, échapper à cette honteuse servitude et accepter Jésus comme Seigneur. Ce n’est pas assez que Dieu ait envoyé son Fils : « La lumière est venue dans le monde, et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, parce que leurs œuvres sont mauvaises.j. » Ce n’est pas assez que Jésus ait fait des œuvres qu’aucun autre n’a faites : plusieurs « les ont vues, dit Jésus, et ils ont haï et moi et mon Pèrek ». Ce n’est pas assez qu’il ait prononcé des paroles de vie éternelle aux esprits et aux cœurs charnels, ces paroles mêmes ont été en scandale. Ce n’est pas assez que l’Évangile soit prêché par toute la terre : pour ceux que le dieu de ce siècle a aveuglés, l’Évangile même est une odeur de mortl. Il faut que le Saint-Esprit, donnant efficacité à la Parole divine, portant la lumière dans les sombres profondeurs du cœur de l’homme, écartant le voile qui lui cache la sainte beauté du Crucifié, il faut, dis-je, que le Saint-Esprit arrache le pécheur à son indifférence, pose devant sa conscience troublée la question du salut, le convainque de sa radicale impuissance à se sauver lui-même, et lui montre les bras ouverts du Sauveur comme son unique refuge, pour qu’enfin il tombe à genoux, comme Saul de Tarse, en s’écriant : « Seigneur, que veux-tu que je fasse ? » Celui qui a fait cette expérience a vraiment été instruit par le Saint-Esprit à appeler Jésus Seigneur. Chers catéchumènes, qui nous demandez de vous recevoir dimanche prochain à la table sainte, comment envisagez-vous l’acte que vous allez accomplir et dans quel esprit vous y préparez-vous ? Si vous ne voulez que dire oui du bout des lèvres, que vous mettre en règle vis-à-vis d’une tradition subie plutôt qu’acceptée, qu’accomplir un mensonge officiel et solennel, vous n’avez pas besoin du Saint-Esprit ; beaucoup de légèreté, un peu de déloyauté suffit pour cela. Mais si vous voulez vous engager sérieusement au service de Jésus-Christ, l’appeler en vérité Seigneur, recevoir à sa sainte table sa vraie grâce et son vrai salut, oh ! sachez-le bien ! rien de tout cela n’est possible sans le Saint-Esprit. Consacrez donc les jours qui vous restent à demander à Dieu son Esprit, avec toute la ferveur et toute la persévérance dont vous êtes capables.
j – Jean 3.19.
k – Jean 15.24.
Mes chers auditeurs, que sommes-nous venus faire, vous et moi, ce matin, dans la maison de Dieu ? Proclamer Jésus Seigneur ! moi par ma prédication, vous par vos chants, par votre participation à nos prières, par votre attitude, par votre présence même. Or, nous ne pouvons faire tout cela, nous ne pouvons nous approcher de Dieu par Jésus-Christ en esprit et en vérité, qu’avec le secours et sous l’influence du Saint-Esprit.
L’avons-nous imploré de tout notre cœur, au moins en ce jour de Pentecôte, cet Esprit que le Père a promis à ceux qui le lui demandent ?
On s’étonne, quand on y pense, et de tout ce que l’homme peut accomplir sans le Saint-Esprit dans le domaine matériel et intellectuel, et de son impuissance à faire quoi que ce soit sans cet Esprit dans un domaine supérieur. Suivez-moi par la pensée à l’Exposition de Paris. Ne craignez pas que je perde mon temps et le vôtre à essayer de vous en décrire les merveilles, que d’ailleurs je n’ai contemplées, comme la plupart d’entre vous, que par les yeux d’autrui. Certes, cette Exposition sans rivale jusqu’ici est un admirable monument de l’intelligence et du génie de l’homme, et par conséquent, pour tout homme qui croit et qui pense, de la grandeur du Dieu qui l’a créé. Cependant, ni la tour Eiffel, ni la galerie des Machines, ni les fontaines lumineuses, ni ces reproductions savantes et variées qui permettent aux curieux de visiter en quelques moments tous les pays et tous les siècles, n’ont exigé, pour les construire, le secours du Saint-Esprit. Tout cela a pu être conçu, arrangé, exécuté, et l’a été sans doute en partie, par des hommes étrangers à toute foi religieuse. Mais sortons maintenant du Palais ; entrons, avec beaucoup d’autres, avenue Rapp, n° 31, dans cette salle d’architecture bien modeste, comparée aux magnificences que nous venons de contempler ; on y lit, on y chante, on y raconte sans phrases, mais d’une façon claire et saisissante, la vieille histoire de l’amour de Dieu et de la croix de Jésus. Une femme, qui n’avait d’abord cédé en entrant qu’à un simple mouvement de curiosité, paraît intéressée ; de moment en moment son attention est plus intense, son émotion plus visible ; une larme mouille sa paupière, et peut-être qu’assis à côté d’elle vous l’entendez murmurer à demi-voix cette prière, qu’aucun pécheur ne prononça jamais en vain : « Seigneur Jésus ! ayez pitié de moi ! » Eh bien ! pour arracher au cœur de cette femme ce soupir, il a fallu une puissance d’un ordre supérieur au génie qui a construit la tour Eiffel, il a fallu le Saint-Esprit. L’excellence de l’œuvre du Saint-Esprit paraît en ceci, que seule, à proprement parler, elle est immortelle. Dans quelques jours, ou dans quelques années, ou dans quelques siècles, l’Exposition avec toutes ses splendeurs, et la cité superbe qui les a offertes au monde, et le monde lui-même avec toute sa gloire, auront passé, tandis que l’œuvre de la grâce divine, accomplie obscurément aux portes de ce palais dans le cœur de cette humble femme, subsistera éternellement.
Notre texte, qui nous présente le Saint-Esprit comme l’agent indispensable du salut, nous dit aussi qu’il en est l’agent permanent et universel. Car toute confession vraie du Seigneur Jésus procède de lui.
Il n’est guère possible à un chrétien de nos jours de relire le récit de la première Pentecôte, sans faire un douloureux retour sur lui-même, une comparaison tacite et affligeante entre ce radieux lever de soleil et le jour plus ou moins orageux, plus ou moins brumeux qui a suivi. Où sont maintenant, se demande-t-il, les langues de feu ? Où est le parler en langues étrangères ? Où sont les trois mille conversions ? Où sont les apôtres ? Où est l’Église primitive de Jérusalem avec sa pureté virginale, avec l’ardeur et la sainte folie de sa charité, avec l’admirable expansion de son prosélytisme ? Entraîné toujours plus loin par ses réflexions et par ses regrets, ce chrétien en viendra peut-être jusqu’à dire : Où est l’auteur de toutes ces merveilles, le Saint-Esprit ? Comment Jésus a-t-il pu promettre aux disciples qu’il demeurerait avec eux éternellement ? – Où est le Saint-Esprit ? Il est partout où Jésus est invoqué comme Seigneur, c’est-à-dire aujourd’hui presque sous tous les cieux, dans l’un et l’autre hémisphère, du pôle jusqu’à l’équateur. Ce que vous regrettez, ce sont surtout, pour rappeler notre comparaison de tout à l’heure, les brillantes et poétiques nuances de l’aurore : il faut avouer qu’elles étaient belles, et qu’elles ont disparu ; mais le soleil est toujours là ; d’heure en heure, je veux dire de siècle en siècle, il est monté plus haut dans les cieux, et les nuages qui souvent le voilent ne réussiront jamais à intercepter entièrement sa chaleur et son éclat. Vous dites tristement avec le poète : « Que les temps sont changés ! » Je réponds avec lui : « Quel temps fut jamais plus fertile en miracles », je veux dire en miracles de la grâce ? Y eut-il jamais plus de chrétiens qu’aujourd’hui ? plus de bibles répandues ? plus de sociétés religieuses à l’œuvre ? plus de missionnaires évangélisant les païens ? plus d’efforts et plus d’argent dépensés pour la diffusion de la Parole divine et le soulagement des souffrances humaines, ces deux moitiés de l’activité du Christ ? Ne dites pas que tout ce christianisme contemporain n’est que bruit factice, routine persistante, affaire de respect humain ! ne le dites pas, car vous nous obligeriez à douter, ou de vos lumières, ou de votre bonne foi, et vous vous exposeriez à blasphémer contre le Saint-Esprit. Un grand nombre de ceux qui confessent Jésus comme Seigneur, sont si éloignés de jouer un rôle, qu’ils l’invoquent avec plus d’ardeur en particulier qu’en public et aux approches de la mort que pendant leur vie. D’ailleurs ils prouvent par leurs œuvres la sincérité de leur foi. Jésus-Christ n’est pas seulement invoqué, il est obéi, plus que ne l’a jamais été le plus aimé ou le plus redouté des souverains ; il dit à l’un : « Va ! » et il va ; à l’autre : « Viens ! » et il vient. Il dit à ces jeunes gens : « Allez braver un climat meurtrier pour porter l’Évangile à de pauvres noirs », et ils partent pleins de joie ; à cet autre missionnaire (un catholique, celui-là) : « Va t’enfermer avec des lépreux dans une île habitée exclusivement par eux pour leur donner une consolation et une espérance », et il descend vivant dans ce tombeau ; à cette femme cultivée et distinguée : « Fais-toi la sœur des ivrognes et des femmes tombées pour leur tendre la main et pour les relever », et elle tient à honneur de ressembler par ce côté à son divin Maître. Si votre christianisme personnel est bien différent de celui-là, mon cher auditeur, s’il vous laisse froid pour Jésus-Christ et pour sa cause, humiliez-vous devant Dieu, implorez son esprit et convertissez-vous à lui ; mais ne vous en prenez pas au siècle ; car je vous dis que jamais l’Esprit de Dieu ne fut plus vivant, plus présent, plus agissant dans le monde qu’aujourd’hui. Ce que je viens de dire se rapporte surtout à la permanence du Saint-Esprit. Mais combien l’idée ou plutôt la certitude de son action universelle dans l’Église chrétienne n’est-elle pas plus consolante encore ! « Jésus, Seigneur ! » Voilà une bien courte confession de foi ! Eh bien ! elle est suffisante, – c’est Paul, le père de la doctrine chrétienne, qui l’atteste, – pour que partout où elle est faite de cœur, la présence du Saint-Esprit puisse être hardiment supposée ou plutôt affirmée. Plusieurs, mes frères, ne veulent reconnaître l’action du Saint-Esprit que sous la forme qui est la plus analogue à leurs expériences personnelles et la plus habituelle dans le milieu restreint où ils vivent. Dès que la foi parle un autre langage, dès que la piété se manifeste d’une façon différente, leurs scrupules et leurs défiances s’éveillent. Sous les pieds de ces chrétiens-là, le terrain devient toujours plus étroit, autour d’eux le petit troupeau se fait toujours plus petit. Ah ! laissez-moi plutôt, en ce beau jour de Pentecôte, ouvrir mon âme toute grande au souffle de l’Esprit, qui est avant tout un Esprit d’amour, et saluer comme frères tous ceux qui sous la voûte des cieux, devant quelque autel que ce soit ou même sans autel, invoquent Jésus comme Seigneur ! Cette femme catholique, qui aime sincèrement et même passionnément Jésus-Christ, ne sépare pas son culte de celui de la Vierge Marie, non autorisé par les Saintes Écritures. Ce moine, vraiment désireux de marcher sur les traces de son Maître, attribue plus de valeur qu’il ne convient à son célibat et à ses abstinences. A une autre extrémité du monde religieux, ce fervent confesseur de Jésus appartient à une secte ou à une association qui n’a pas vos sympathies ; ce philosophe chrétien, dont la piété est profonde, a sur des points graves des hardiesses de pensée qui font frémir ; ce catéchumène, plein de bonnes intentions, a encore bien peu d’expérience chrétienne… N’importe… ou plutôt je vais trop loin : toute vérité, tout élément chrétien importe ; notre devoir est de travailler à combattre, à détruire si possible, ces ignorances, ces superstitions, ces hérésies, quoique à vrai dire chacun soit presque fatalement condamné à être hérétique pour son voisin de droite et superstitieux pour son voisin de gauche. Mais enfin, quoi qu’il en soit, malgré des divergences regrettables, tous ces gens-là appellent Jésus, Seigneur ; ils n’ont qu’un seul Sauveur, Jésus-Christ ; un seul ennemi, le péché ; un seul but, la sanctification ; un seul Dieu et Père dans le ciel, une seule espérance de la vie éternelle. Tous par conséquent sont animés d’un seul Esprit, qui en son temps éprouvera, comme avec le feu, l’œuvre et la foi de chacun, manifestera l’or, et consumera le chaume, et fera finalement aborder tous les enfants de Dieu à ce rivage céleste où toutes les obscurités du présent s’évanouiront dans la lumière éternelle, où tous les malentendus et toutes les divisions d’ici-bas se fondront dans l’éternel amour.
Ces pensées si larges et si consolantes appellent pourtant un complément, un correctif peut-être, et nous n’avons pas à sortir de notre texte pour le trouver. « Jésus, Seigneur ! » cette confession de foi, malgré sa brièveté, est plus précise qu’elle n’en a l’air. Elle implique que, partout où le Saint-Esprit parle et agit, il tend à établir, à proclamer, à élever au-dessus de tout la royauté divine de Jésus-Christ, tant dans la foi et dans la vie de chaque fidèle que dans la société religieuse. Notre texte, ainsi compris, est l’écho d’une parole que Jésus avait dite à propos du Consolateur : « C’est lui qui me glorifiera, car il prendra de ce qui est à moi, et il vous l’annoncera. » Partout où Jésus-Christ est reconnu et accepté comme Seigneur, même à travers beaucoup d’obscurités et d’inconséquences, il y a une action du Saint-Esprit : voilà qui nous permet une grande largeur à l’égard des personnes. Partout où la pensée du Saint-Esprit est comprise et sa volonté obéie, Jésus est toujours plus appelé Seigneur ; son nom, sa personne, sa parole, son œuvre sont glorifiés d’une manière toujours plus complète et plus exclusive : voilà qui nous fournit une pierre de touche pour juger les systèmes. Ainsi l’on aperçoit déjà que le catholicisme, qui associe et substitue presque à Jésus-Christ, en qualité de seigneurs, la Vierge et les saints dans le ciel, le pape infaillible sur la terre ; le rationalisme, qui donne plus volontiers à Jésus le titre de Maître que celui de Seigneur et a toujours peur d’aller trop loin dans les hommages qu’il lui rend, ne sont pas des produits authentiques de l’enseignement du Saint-Esprit. Voulez-vous savoir, mon frère, si vous êtes, quant à la foi et à la pensée, à l’école du Saint-Esprit ? Examinez si Jésus-Christ est toujours plus pour vous le Seigneur ; si sa parole s’impose à votre conscience comme l’expression même de la vérité ; si son œuvre rédemptrice, ou mieux encore, sa personne mourant et vivant pour vous, est l’unique fondement de votre espérance éternelle ; si, comme saint Paul, vous avez appris à ne vouloir connaître qu’une chose, Jésus-Christ et lui crucifié. Voulez-vous savoir si vous êtes, quant à la volonté et quant à la vie, sous la discipline du Saint-Esprit ? Examinez si votre cœur est soumis à Jésus-Christ comme Seigneur, c’est-à-dire si vous l’aimez réellement, si l’obéissance que vous lui rendez est à la fois toujours plus consciencieuse et toujours plus joyeuse ; s’il prend possession de certains domaines de votre vie qui ont été trop longtemps soustraits à son influence et à sa loi ; si, comme saint Paul encore, vous n’aspirez à rien autant qu’à connaître la communion des souffrances de Jésus, aussi bien que la vertu de sa résurrection…
O Jésus ! nous osions te dire en commençant que nous n’étions pas privés de ton Esprit, puisque nous t’appelions Seigneur avec sincérité. Nous reconnaissons à cette heure que nous ne t’avons donné ce nom qu’avec beaucoup d’inconséquence et beaucoup d’infidélité, puisque tu n’as pas reçu de nous l’amour, la confiance, l’obéissance, à laquelle tu avais droit. Donne-nous une mesure croissante de ton Esprit-Saint, afin que désormais notre vie, comme notre parole, confesse que tu es le Seigneur, et qu’ainsi nous travaillions par notre témoignage et par notre exemple à étendre ton empire et à te gagner des âmes, jusqu’au jour où notre voix mourante te dira, comme celle d’Etienne, ton premier martyr : « Seigneur Jésus, reçois mon esprit ! »
Amen.
Pentecôte, 9 juin 1889.