Ici S. Cyrille établit et prouve le dogme de l’incarnation contre les Juifs et les hérétiques. Il en recherche d’abord les causes ; il en décrit les signes avant-coureurs d’après les Prophètes ; il en développe les circonstances du temps, du lieu, du genre et de mode.
I. Jésus-Christ, Dieu et homme figuré par l’agneau pascal. Nécessité pour le salut de confesser la divinité et l’humanité de Jésus-Christ. – II. Erreurs des Juifs. – III. De quelques hérétiques et de Paul de Samosate. – IV. Jésus, Fils unique de Dieu, né d’une Vierge. Objection des infidèles. – V. Motifs pour lesquels Jésus-Christ s’est incarné. – VI. (1e motif) Le crime de Caïn et ceux du peuple choisi. – VII. La plaie du genre humain était sans remède ; les Prophètes appelaient le Créateur au secours du genre humain. – VIII, IX. Les Prophètes annoncent la venue du Sauveur, et le signe de la croix. – X. Les signes avant-coureurs et concomitants de son avènement, de son entrée à Jérusalem. – XI. Sa station au jardin des Oliviers. – XII. Ses miracles, son dernier avènement, le jugement général. – XIII, XIV. (2e motif) Dieu s’est fait homme pour se rendre accessible à nos sens matériels. – XV. (3e motif) pour sanctifier par sa présence et son contact tous les éléments. (4e motif) une vierge Eve avait introduit la mort dans le monde, par la Vierge Marie le monde devait être rendu à la vie ; (5º motif) pour nous soustraire par sa présence à l’adoration des idoles ; (6e motif) pour faire de la chair, dont le démon avait fait un instrument de péché, un moyen de sanctification ; (7e motif) pour faire participer la nature humaine pécheresse à la nature divine. – XVI. L’incarnation du Sauveur ne doit ni étonner ni surprendre les Juifs. – XVII. Recherches sur l’époque où devait s’effectuer cet auguste mystère. Lorsque la tribu de Juda ou des Juifs aura perdu le sceptre de la domination. – XVIII. Lorsqu’elle aura passé sous la domination romaine. – XIX. Lorsque les 70 semaines de Daniel seront accomplies. – XX. Où le Messie doit-il paraître ? – Au midi de Jérusalem. – XXI. De qui doit-il naître ? D’une Vierge. Objection des Juifs sur le sens du mot vierge. – XXII. Le calcul chronologique démontre que la prophétie d’Isaïe ne concernait pas Ezéchias fils d’Achaz. – XXIII, XXIV. De quelle race la Vierge doit-elle sortir ? – De la race de David. – XXV. Il convenait que le Sauveur naquît d’une Vierge. Le sacerdoce doit être également vierge. Eloge du célibat sacerdotal. – XXVI. Il convenait que le Créateur reçût la naissance sans le concours de la créature, et sans néanmoins répudier les voies de la génération. – XXVII. Une vierge mère est un fait que les Gentils, accoutumés à croire à des fables dénuées de toute espèce de vraisemblance, ne peuvent rejeter ni contredire. – XXVIII. Une vierge mère est un fait prouvé aux Juifs par les livres dont ils sont porteurs. Baguette de Moïse changée en serpent. – XXIX. Naissance admirable d’Eve. Marie vierge réparatrice du mal introduit par Eve vierge. – XXX, XXXI. L’homme sorti du limon. Réfutation de ceux qui soutiennent que le Sauveur est né du concours de l’homme et de la femme. XXXII. Preuves de l’Incarnation. – XXXIII. Sainteté et dignité des vierges consacrées à Dieu. – XXXIV. Eloge du célibat. Il répudie toute espèce d’ajustement mondain.
Et adjecit Dominus loqui ad Achaz, dicens : Pete tibi ipsi signum…… Et infrà…. Ecce Virgo in utero accipiet et pariet filium, et vocabunt nomen ejus, Emmanuel. (Esaïe 7.10, 14. Sept.)
« Et le Seigneur continua de parler à Achaz, et lui dit : Demandez au Seigneur votre Dieu un signe……… La Vierge concevra et enfantera un Fils qui sera nommé Emmanuel. (Dieu avec nous.) »
C’est à nous qui sommes les nourrissons de la pureté, les disciples de la chasteté, de chanter et de célébrer d’une voix pure le Dieu né d’une vierge. Il est juste qu’après avoir été admis au festin de l’agneau spirituel, nous ne séparions pas sa tête de ses pieds, que nous apprenions à voir dans la tête de l’agneau sans tache sa divinité et dans ses pieds son humanité, et qu’après avoir ouï les saints Evangiles, nous écoutions ces paroles de Jean le Théologue : Dans le commencement était le Verbe, et le Verbe était près de Dieu, et Dieu était le Verbe ; puis ces mots : Et le Verbe se fit chair. (Jean 1.14.)
Ne reconnaître, n’adorer en Jésus-Christ que son humanité, c’est un crime d’idolâtrie ; ne reconnaître en lui que sa divinité, c’est une impiété. Car si le Christ est Dieu, comme il l’est réellement, et s’il ne s’est pas revêtu de l’humanité, nous sommes hors des voies du salut. Comme Dieu, il doit donc recevoir nos adorations, pourvu que nous croyions en sa sainte humanité. Voir en Jésus-Christ un homme, abstraction faite de sa divinité, ou seulement Dieu, abstraction faite de son humanité, est également impie et pernicieux pour le salut. Reconnaissons en lui la présence d’un roi et d’un médecin. Car Jésus roi des hommes s’est ceint du linge de l’humanité (Jean 13.4) pour panser et guérir nos plaies. Tout parfait qu’il est, il s’est fait le maître des enfants ; il s’est placé dans leur berceau ; il s’est fait enfant comme eux pour donner aux insensés des leçons de sagesse. (Proverbes 1.4.) Nouveau pain céleste il est venu du ciel pour alimenter les pauvres affamés.
Les enfants d’Israël l’ont méconnu à son arrivée, l’ont repoussé, et ils attendent celui qui viendra sans doute, mais pour leur malheur. Ils ont répudié, renié le vrai Christ, et dans leur aveuglement ils se jetteront aux pieds d’un imposteur. Ainsi se vérifient ces paroles de Jésus-Christ : Je suis venu au nom de mon Père, et vous ne me recevez pas. Mais si un autre vient en son propre nom, vous le recevrez. (Jean 5.43.) Voici, au reste, une question importante à leur faire. Isaïe qui a prédit qu’Emmanuel naîtrait de la Vierge (VII, 14) était-il un vrai ou faux Prophète ? S’ils vous répondent qu’il est faux Prophète, n’en soyez pas surpris. Car c’est leur habitude d’accuser d’abord les Prophètes de fausseté, puis de les lapider. S’ils le reconnaissent pour vrai, dites-leur : Montrez-nous votre Emmanuel. Celui que vous attendez doit-il naître d’une vierge ? Oui ou non ? S’il ne doit pas naître d’une vierge, Isaïe est donc un faux Prophète ; si selon vous il est encore à venir, pourquoi vous scandalisez-vous si fort de cette naissance merveilleuse que nous disons s’être opérée et que vous attendez encore ?
Mais laissons cette nation errer à l’aventure, puisque tel est son bon plaisir, et rendons gloire à la véritable Eglise de Dieu.
Quant à nous, nous croyons que Dieu Verbe s’est fait vraiment homme, sans la participation de l’homme et de la femme, comme le disent certains hérétiques, mais que, comme le dit l’Evangile, il s’est incarné dans le sein d’une vierge par l’opération du Saint-Esprit, non pas en apparence, mais en réalité. Quant à la réelle incarnation du Verbe dans le sein d’une vierge, donnez-nous maintenant le temps de vous développer ce point de doctrine, et la démonstration en sera bientôt complète. Car c’est en cela que l’hérésie varie à l’infini.
Tous les ennemis de la vérité ont nié en général que l’Homme-Dieu fut né d’une vierge. Les uns, en convenant de sa naissance, l’ont attribuée non à une vierge, mais à une femme sous puissance de mari ; d’autres, au lieu de l’incarnation d’un Dieu, ont soutenu la déification d’un homme. Ils ont poussé l’audace jusqu’à dire que ce n’était pas le Verbe éternel qui s’était incarné, mais que Jésus n’était qu’un homme qui, par ses progrès en sagesse, avait mérité la couronne de l’apothéose[1].
[1] Avait mérité la couronne de l’apothéose.
Trois espèces d’hérétiques sont ici signalés : 1° Les Docètes qui enseignaient que le Fils de Dieu n’avait eu qu’une chair apparente, qu’il n’avait souffert, qu’il n’était mort qu’en apparence : leur nom venait du verbe dokéo, je parais. C’est contr’eux que S. Jean dans son Evangile et ses Epîtres, S. Ignace et S. Polycarpe dans leurs lettres, établissent avec tant de soins la vérité du mystère de l’Incarnation, la réalité de la chair et du sang de Jésus-Christ. (1 Jean 1.1.) Voyez S. Irénée. (Advers. Hæres. lib. II, cap. 22 ; IV, 18 ; v, 2.)
Cette erreur reprit vigueur dans le VIe siècle. Quelques Eutychiens ou Monophysites soutenaient que le corps de Jésus-Christ était incorruptible et inaccessible à la douleur. On les appela Aphtartes, Docètes, Phantasiastes. 2º Les Ebionites. (Voyez la note E, p. 271, vire Catéch.) 3º Les hérétiques que Prudence, dans son poëme de l’Apothéose, désigne sous le nom d’Homuncionites, les sectateurs de Photin qui ne faisait de Jésus-Christ qu’un homme. (Voy. Bergier, Vo Photin.)
Souvenez-vous, au reste, de ce que nous dîmes hier sur la divinité du Christ. N’oubliez pas qu’il est le Fils unique de Dieu. Ajoutez aujourd’hui qu’il est né d’une vierge, et retenez bien ces paroles de l’Apôtre S. Jean Le Verbe s’est fait chair, et il a habité avec nous. (Jean 1.14.) Car le Verbe éternel, né de son Père avant tous les siècles, a pris, il y a peu de temps, un corps pour nous sauver.
Ce dogme positif a rencontré beaucoup de contradicteurs. Quelle nécessité y avait-il, qu’un Dieu s’abaissât jusqu’à se revêtir de l’humanité et à vivre parmi nous ? Comment concilier avec la nature de Dieu l’idée qu’il sera venu sur la terre converser avec les mortels ? (Baruch 3.38.) Comment supposer qu’une vierge eût enfanté sans le concours d’aucun homme ?
Nous allons avec la grâce de Dieu et les prières de mes auditeurs, satisfaire à toutes ces questions et à d’autres que l’esprit de contradiction soulève pour obscurcir la vérité.
Abordons la première question : quels puissants motifs ont pu déterminer Dieu à s’abaisser, etc.
— Ici ne prêtez, mes frères, aucune attention à mes propres paroles. Je suis mortel’ comme vous, et vous pourriez être égarés par votre confiance en mes propres lumières. Et si ce que je vais vous dire n’est pas appuyé du témoignage des Prophètes, n’y croyez pas. Si ce qu’on vous dira jamais de la Vierge Mère de Dieu, du lieu, du temps, de la manière dont ce mystère s’est opéré, n’est pas appuyé sur les divines Ecritures, soyez sourds à tout ce que les hommes pourront vous en dire d’eux-mêmes. (Jean 8.13.) Celui-là même qui est ici devant vous, qui vous parle, qui vous instruit, peut sans injustice vous être suspect comme homme. Mais quel est l’être doué de raison qui révoquera en doute le témoignage de celui qui prophétisa toutes ces choses plus de mille ans avant qu’elles arrivassent ?
Pour en revenir à notre première question, quels puissants motifs ? etc. Remontons aux premières pages des Livres saints.
Dieu créa le monde en six jours. Pour qui ? Pour l’homme. C’est pour lui, c’est pour l’éclairer que l’astre du jour vint jeter sa lumière sur la terre ; c’est pour l’homme, c’est pour le servir, que les animaux sortirent du néant ; c’est pour son usage que la terre se couvrit de plantes, d’arbustes et de forêts. Jusque-là tout était bien (Genèse 1.31) ; mais de toutes ces merveilles aucune ne portait encore l’empreinte ou l’image de la divinité. C’était à l’homme seul qu’était réservé cet honneur. Le soleil n’avait été que l’effet d’un mot impératif. Mais l’homme fut pétri des mains de Dieu lui-même. Faisons, dit-il, faisons l’homme à notre image et ressemblance. (Genèse 1.26.) Nous rendons des témoignages d’honneur et de respect[2] à un morceau de bois qui porte les traits d’un prince de la terre. De quel respect, de quelle considération l’image raisonnable de la divinité ne devait-elle pas jouir au milieu du paradis de la part de toutes les créatures ? La beauté, l’excellence de ce chef-d’œuvre de la divinité, qui régnait dans ce jardin délicieux, alluma la fureur jalouse du prince des ténèbres. (Sagesse 2.24.) Cet ennemi de Dieu et de l’homme s’applaudissait de la chute de cet être incomparable. Auriez-vous voulu que son triomphe eût été sempiternel ? N’osant s’adresser immédiatement à l’homme, redoutant en lui la vigueur de caractère que son sexe lui donne, c’est contre la femme encore vierge qu’il dirigea ses batteries. Car ce ne fut qu’après son expulsion du jardin d’Eden, qu’Adam connut Eve son épouse. (Genèse 4.1.)
[2] Nous rendons des témoignages d’honneur et de respect.
C’est dans l’âme de l’homme que S. Cyrille fait consister l’image de Dieu. Il a déjà dit (Catéch. IV, n. 18) : Vous avez une âme, chef-d’œuvre et image du Créateur. Plus tard (Catéch. XIV, n. 10) il établira la différence qu’il y a entre image et ressemblance ; le péché a obscurci l’image, la ressemblance est restée.
Quant aux honneurs qu’on rendait aux statues des grands et des princes de la terre, personne n’ignore qu’on les couronnait de fleurs qu’on célébrait autour d’elles des jeux publics, qu’elles jouissaient du droit d’asyle comme les temples. Tout le monde connaît la vengeance que Théodose Ier avait projetée contre les habitants d’Antioche qui avaient traîné dans les rues ses statues, et qui ne durent leur salut qu’à l’intervention de Flavien, PC. de cette ville malheureuse et coupable.
De l’honneur que nous rendons aux images des puissances de la terre il est aisé de conclure, avec S. Jean Damascene, de celui que nous devons aux saintes images. Que dirons-nous des puissances de la terre qui se disent aujourd’hui chrétiennes, qui prétendent venger comme un outrage fait à elles-mêmes, l’insulte commise à l’égard du dernier des fonctionnaires publics (un huissier), qui font de leurs palais, de celui de leurs princes, du logis de leurs ambassadeurs, de leurs consuls, un asyle inviolable offert à tous les assassins, malfaiteurs, etc., qui noient dans des flots de sang un coup d’éventail donné par un prince à un ambassadeur, et qui laissent impunément assassiner, dans les temples, les ministres des autels, abattre sur nos places publiques les croix, les images du Roi des rois ? (Percussi sunt autem cæcitate, Sap. XIX, 16.)
A l’époque où vivait S. Cyrille, il existait dans la Palestine une statue de Jésus-Christ, connue sous le nom de Panéade, que la tradition disait avoir été élevée par l’Hémoroïsse. Elle était célèbre par la dévotion de tous les peuples environnants, et par les nombreuses guérisons qu’on lui attribuait. (Voy. Eusèb. VII. Hist. cap. 18.) Le même historien nous rapporte qu’on voyait encore de son temps, dans la Palestine, des portraits de Jésus-Christ, de S. Pierre, de S. Paul, et qu’on y conservait à Jérusalem, avec un profond respect, la chaire de S. Jacques.
D’eux naquirent Caïn et Abel. Caïn fut le premier homicide. Le déluge vint ensuite noyer la perversité humaine dans ses eaux. Les iniquités de Sodome attirèrent le feu du ciel sur cette ville. Puis quelque temps après, Dieu fit choix de son serviteur Israël et de sa postérité. Mais cette race choisie fut encore bientôt pervertie et corrompue. Car, tandis que Dieu lui-même dictait à Moïse sur le mont Sinaï les lois qui devaient régir et gouverner, ce peuple élu, celui-ci à la place du vrai Dieu adorait un veau d’or. Tandis que Moïse proclamait la loi contre la fornication (non machaberis) (Exode 20.14) un homme eut l’audace d’entrer dans un lieu de prostitution. (Nombres 25.6.)
Pour garantir ce peuple de la corruption générale, des Prophètes succédèrent à Moïse. Mais tous ces médecins déplorèrent leur insuffisance, et ne purent arrêter le torrent épidémique. Malheur à moi ! s’écriait l’un d’eux à la vue des désordres qui inondaient de toutes parts cette portion choisie de Dieu, malheur à moi, le juste a disparu de dessus la terre ; il n’est personne parmi les hommes, qui fasse des œuvres de justice. (Michée 7.2.) Ecoutez cet autre qui crie : Tous se sont écartés du droit chemin, tous ensemble sont devenus inutiles. Personne ne fait le bien, personne sans exception. (Psaumes 13.3.) Voici Osée qui crie que le blasphème, le larcin, l’adultère, l’homicide, se sont répandus sur la terre. (Psaumes 4.2.) C’est aux démons, dit le Prophète-Roi, qu’ils ont sacrifié leurs fils et leurs filles. (Psaumes 105.37.) C’est dans les augures, dans les prestiges de la magie, dans les poisons, dans les sortilèges qu’ils cherchaient un remède à leurs maux. De leurs vêtements attachés ensemble ils jetaient un voile sur l’autel. (Amos. 2.8.)
Tel était l’ulcère qui dévorait le genre humain. Depuis la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête il ne restait plus de place pour lui appliquer des bandages, des huiles, des topiques quelconques. (Esaïe 1.6.) Les Prophètes désespérés tantôt s’écriaient : Qui fera sortir de Sion le salut d’Israël ? (Psaumes 13.7.) tantôt : Que votre main s’étende sur l’homme de votre droite et sur le Fils de l’homme que vous avez établi pour votre gloire, et que nous ne nous séparions plus de vous. (Psaumes 79.18.) Seigneur, abaissez les cieux, et descendez. En voici un autre qui crie : (Psaumes 143.5.) Les plaies des mortels surpassent tous nos efforts : Ils ont détruit vos autels, ils ont tué vos Prophètes. (1 Rois 19.10.) Nous ne pouvons plus remédier au mal ; vous seul, ô mon Dieu ! pouvez venir à notre secours.
Le Seigneur écouta la voix de ses Prophètes. Il prit pitié du genre humain qui courait tout entier à sa perte. Du haut des cieux il envoya son Fils le Seigneur pour remédier aux maux de l’humanité ; il envoya son Fils, comme dit encore un Prophète : Le Dominateur que vous cherchez vient ; il viendra tout à coup. – Où ? – Dans son temple. (Malachie 3.1.) – Quoi ? Là où vous l’avez lapidé. (Jean 8.59.) Ce qu’entendant, un autre Prophète lui dit : Est-ce qu’en parlant du salut de Dieu tu parleras à voix basse ? Est-ce qu’en annonçant la présence du Dieu Sauveur, tu parleras en secret ? Monte sur le haut de la montagne, toi qui évangélises Sion. Dis aux villes de Juda : Et que dirai-je ? Voici votre Dieu, voici le Seigneur qui vient dans sa puissance. (Esaïe 450.9, 10.) A cela le Seigneur lui-même ajoute : Me voici, j’arrive ; je dresserai ma tente au milieu de vous, a dit le Seigneur ; et les nations viendront en foule se réfugier près du Seigneur. (Zacharie 2.10, 11.) Mon peuple a rejeté loin de lui la planche de salut que j’étais venu lui offrir, Je viens rassembler toutes les nations et toutes les langues. (Esaïe 66.18.) Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu. (Jean 1.11.)
Vous venez, Seigneur, et qu’apportez-vous aux nations ? Je viens réunir tous les peuples, et je laisserai sur eux un signe[3]. (Esaïe 66.19.) Car au sortir de mon combat sur la croix, je donnerai à chacun de mes combattants une marque royale à porter sur le front.
[3] Et je laisserai sur eux un signe.
Ce passage du prophète Isaïe a toujours été compris par les Pères de l’Eglise, du simple mais auguste signe de la croix, qui, dès le principe, a été le premier et le plus commun signe du Christianisme, dit S. Basile. (De Spirit. sanct. cap. 27.) C’était celui qu’on imposait d’abord à tous ceux qui se présentaient au baptême. Cyrille a pu n’avoir ici en vue que l’onction du St-Chrême qu’on pratiquait sur les principaux membres, et surtout sur le front des catéchumènes. C’est cette onction sur le front qu’il appelle (Catéch. XXII, 7) signaculum Dei, par laquelle nous sommes enrôlés dans la milice de Jésus-Christ et armés pour la défense de sa foi. (Cat. XXI, 4.)
Vient ensuite un autre Prophète qui dit : Il a abaissé les cieux, il est descendu ; un épais nuage était sous ses pieds. (Ps. XVII, 10.) En effet, sa descente des cieux fut ignorée des mortels.
Dans la suite Salomon, entendant son père David prophétiser ainsi, après avoir élevé au Seigneur un temple d’une magnificence extraordinaire, et voyant dans les siècles à venir celui qui devait le consacrer par sa présence, s’écrie : Serait-il vrai que Dieu habitera avec les hommes sur la terre ? (1 Rois 8.27.) Oui, croyez-le, répond David dans le Psaume 71.6, adressé à Salomon son fils : Il descendra comme la pluie sur une toison. Comme la pluie, à cause de sa céleste origine ; sur une toison, à cause de son humanité. La pluie tombant sur la toison, vous signale son avènement mystérieux et sans éclat, qui fera dire à tout le monde comme aux Mages : Où est-il celui qui est né roi des Juifs ? (Matthieu 2.2.) qui fera dire à Hérode dans le trouble où l’aura jeté la nouvelle de la naissance du Sauveur : Où le Christ doit-il naître ?
Quel est donc, continue le Roi-Prophète, celui qui Descend du ciel, et qui résidera avec le soleil antérieurement à la lune, et à toutes les générations des générations ? (Psaumes 71.6. Sept.) Entendez encore un autre Prophète qui s’écrie : Réjouissez-vous grandement, fille de Sion, fille de Jérusalem ; poussez des cris d’allégresse ; voici votre Roi qui vient à vous, Roi juste, et votre Sauveur. (Zacharie 9.9.) Il y a beaucoup de rois. Duquel, Prophète, parlez-vous ? Donnez-nous pour le reconnaître un signe distinctif qui lui soit particulier. Car si vous nous dites qu’il sera vêtu de pourpre, il y a longtemps que les rois se sont réservé la prérogative d’en être seuls revêtus. Si vous nous le peignez environné d’une nombreuse garde, assis sur un trône d’or, ou traîné dans un char doré, ce ne sera pas le premier ; beaucoup auront joui de ces honneurs avant lui. Donnez-nous un signe caractéristique de ce roi que vous nous annoncez. Alors le Prophète vous répond et vous dit : Voici votre roi qui vient à vous, Roi juste qui vous apporte le salut. Il est plein de douceur, il est monté sur une ânesse et le poulain de l’ânesse (Ibid.) et non pas sur un char. Voilà le signe unique et particulier auquel vous reconnaîtrez le Roi qui entre dans vos murs. Jésus est le seul des rois qui, porté sur un poulain qui n’avait jamais eu de fardeaux, (Matthieu 21.7) ait fait son entrée dans Jérusalem, comme un roi, aux acclamations du peuple.
Que fera ce Roi à sa prise de possession ? Le même Prophète va vous l’apprendre : Et toi dans le sang de ton testament tu as racheté tes captifs du lac où l’on ne trouve point d’eau. (Ibid. 11. Sept.)
Il n’y aurait cependant rien de merveilleux que ce nouveau Roi eût eu pour monture le jeune poulain d’une ânesse ; donnez-nous plutôt pour signe le lieu d’où ce Roi partira pour faire son entrée ? Ne le placez pas trop loin de la ville, pour que nous le puissions connaître ; placez-le à une distance de cette ville que nous habitons et que nous puissions le voir de l’intérieur[4]. Vous allez être satisfaits ; le Prophète vous répond et vous dit : En ce jour il posera ses pieds sur la montagne des Oliviers qui est vis-à-vis de Jérusalem vers l’orient. (Zacharie 14.4.) Ce lieu n’est-il pas visible pour tout habitant de cette ville ?
[4] A une distance de cette ville que nous habitons.
Il ne faut pas perdre de vue que Cyrille prêchait sur le mont Golgotha ou Calvaire, situé hors des portes de l’ancienne Jérusalem, mais compris dans l’enceinte de la nouvelle ville, dite Ælia, bâtie par Hadrien. Du Calvaire on voyait aisément le mont des Oliviers, où s’opéra le miracle de l’Ascension, où s’accomplit la prophétie de Zacharie, ainsi que le dit Eusèbe (Demonst. Ev. lib. VI) et où se voyait l’empreinte des pieds du Sauveur. (Voy. Catéch. XIV, 23.)
Fort bien, voilà déjà deux signes ; nous en demandons un troisième. Que fera le Seigneur à son arrivée ? A cette question, un autre Prophète va vous répondre : Voici votre Dieu qui vient…. Il viendra lui-même et vous sauvera. Alors les yeux des aveugles s’ouvriront à la lumière, et les oreilles des sourds ne seront plus bouchées. Alors le boiteux bondira comme le cerf, et la langue des bègues sera déliée. (Esaïe 35.4, 5, 6.) N’avez-vous pas d’autres témoignages, Prophète ? Vous dites que lorsque le Seigneur viendra, il se manifestera par des œuvres ou des prodiges qu’aucun autre n’aura faits. (Jean 15.24.) Faites-nous connaître un de ces signes caractéristiques et manifestes. Voilà que le Seigneur viendra lui-même en jugement avec les anciens du peuple et ses princes. (Esaïe 3.44.)
Voilà un signe qui est réellement particulier et décisif[5]. Quoi ! le Seigneur sera jugé par ses esclaves, par les Anciens du peuple ! Et il sera patient !
[5] Ce signe est particulier et décisif.
On lit au livre Sophrim, ces paroles de Moses l’Egyptien, sur ce même texte d’Isaïe : Jésus le Nazaréen a paru être le Messie, il a été tué par la maison du jugement, et a été cause qu’Israël a péri par l’épée. (Vid. Galatin, lib. 1v, cap. 23, p. 273.)
Les Juifs lisent ce texte tout comme nous ; mais ils sont sourds, ils se sont bouché les oreilles pour ne point entendre. Mais pour nous, croyons et croyons fermement en Jésus-Christ, qui a pris chair et qui s’est fait homme, puisque nous n’aurions pu ni le connaître ni pu le comprendre autrement[6].
[6] Nous n’aurions pu le comprendre autrement.
C’est un des motifs de l’Incarnation que presque tous les Pères de l’Eglise ont donné. (Voy. S. Irénée, lib. 11,19, n. 1. Origène, Contr. Cels. pag. 322. Eusèbe, De laudibus Constant. cap. XIV.)
Comme il ne nous était pas donné de le voir dans son essence et de jouir de sa parfaite intuition, il s’est fait ce que nous sommes, pour nous rendre dignes de jouir un jour de sa présence. En effet, si nous ne pouvons fixer le soleil qui fut créé le quatrième jour, comment pourrons-nous voir et fixer son auteur[7] ? Lorsque le Seigneur descendit sur le mont Sinaï sous la forme de feu, le peuple n’en put supporter l’aspect, et dit à Moïse : Parlez-nous vous-même, et nous vous écouterons ; mais que le Seigneur cesse de nous parler, autrement c’en serait fait de notre vie. (Exode 20.19.) Car qu’est tout homme de chair pour pouvoir entendre la voix du Dieu vivant parlant du milieu du feu, sans perdre la vie ? (Deutéronome 5.26.) Si la voix de Dieu peut seule donner la mort à l’homme, que sera-ce de son aspect ? Que cela ne vous étonne donc pas ; Moïse l’avoue lui-même et dit : Je suis tout tremblant, tout effrayé. (Hébreux 12.21.)
[7] Comment pourrons-nous voir et fixer son auteur ?
« C’est, dit Minutius Félix, c’est le soleil qui nous éclaire ; et nous ne pouvons cependant pas fixer nos yeux sur ce foyer de lumière. Notre œil se ferme à ses rayons ; notre vue s’affaiblit, et si nous voulons nous obstiner à le voir, à le contempler, nous perdons la vue. Quoi ! vous voudriez vous trouver face à face avec le créateur du soleil, tandis que vous ne pouvez supporter la vue de ses éclairs, et que vous vous bouchez les oreilles en entendant gronder son tonnerre ? Vous voulez voir Dieu ! Vous voulez le voir de vos yeux charnels ! vous qui ne pouvez pas même comprendre ni saisir cette âme qui vous anime et qui vous fait parler et agir ! » (Traduit de l’Octavius, pag. 36,37, édit. Lugd. Bat. 1672.)
Que voudriez-vous donc ? Que Dieu venant sur la terre pour sauver les hommes, se fût présenté au milieu d’eux comme un exterminateur, leurs yeux ne pouvant supporter son aspect, plutôt que comme un conciliateur, en s’accommodant à notre faiblesse dans la plénitude de ses grâces. Daniel ne put supporter la vue d’un Ange ; et vous auriez supporté celle du Dieu Créateur des Anges ? En présence de l’Ange Gabriel, le Prophète Daniel est terrassé. (Daniel 10.9.) Ce n’était cependant qu’un Ange. Sous quelle forme parut-il ? Sa face brillait comme un éclair, et non pas comme l’astre du jour ; ses yeux ressemblaient à une lampe ardente, et non pas à une fournaise ; sa voix n’était pas celle de douze légions d’Anges (Matthieu 26.53) mais seulement comme celle d’une multitude d’hommes. (Daniel 10.5, 6.) Néanmoins le Prophète tomba le visage collé contre terre. L’Ange eut beau lui dire en s’approchant de lui : Ne craignez point, Daniel, levez-vous, prenez courage, vos prières ont été exaucées (Ibid.) le Prophète n’en dit pas moins Je me levai tout tremblant. (Ibid.) Mais il ne répondit rien, lors même qu’il se crut touché de la main d’un homme. A peine eut-il reconnu dans l’Ange une figure humaine qu’il osa lui dire : Seigneur, à votre aspect j’ai éprouvé une commotion violente dans tous mes membres. Je me suis trouvé sans force, sans respiration (Daniel 10.9, 12, 16, 19.)
Je vous le demande, si l’aspect d’un Ange a produit sur la personne du Prophète de tels effets, ne craindriez-vous pas d’expirer à la vue de Dieu lui-même dans toute sa majesté ? Daniel ne put revenir à lui, recouvrer ses sens et respirer, que lorsqu’il se sentit touché, palpé par une main qui ne lui paraissait pas étrangère à l’humanité.
C’est donc cette faiblesse humaine en face des créatures célestes que Dieu a voulu ménager dans son incarnation ; il s’est revêtu de cette même faiblesse qui constitue l’humanité. Comme l’homme veut s’entretenir avec son semblable, Dieu s’est assimilé à lui, pour l’instruire avec plus de facilité.
Jésus-Christ est venu sur la terre pour être baptisé et pour sanctifier le baptême. Il est venu pour opérer des miracles en marchant sur la surface des eaux de la mer. (Matthieu 14.25.) Parce que, avant son incarnation, les flots de la mer à son aspect avaient fui, le Jourdain avait remonté vers sa source (Psaumes 113.3) Dieu s’est incarné, pour qu’à sa vue les abymes des mers ne fussent point ébranlés, pour qu’ils le soutinssent et que le Jourdain le vît sans effroi. A ces trois motifs ajoutons-en encore un autre plus important.
C’était par une vierge que la mort était entrée dans le monde (car Eve était vierge dans le paradis terrestre) : il fallait que ce fut par une vierge que l’homme recouvrât la vie.
C’était l’ange de ténèbres qui sous la forme du serpent avait séduit la vierge ; il fallait qu’un Ange de lumière, Gabriel, vînt annoncer à une vierge la restauration du genre humain.
Les hommes avaient abandonné le vrai Dieu pour se fabriquer des idoles sous la forme humaine[8]. La Divinité étant faussement adorée sous cette forme, Dieu alors se fit homme pour confondre et anéantir l’imposture.
[8] Pour se fabriquer des idoles sous la forme humaine.
Dans la VIème Catéchèse, n. 11, Cyrille avait déjà dit que l’avènement du Sauveur avait eu pour objet la destruction de l’idolâtrie. Mais ici il développe sa pensée ; c’était pour que les hommes qui cherchaient un Dieu qui tombât sous leurs sens, trouvassent en sa personne un sujet légitime d’adoration, au lieu et place de ces idoles auxquelles ils rendaient un culte abominable. S. Athanase (De Incarnatione Verbi Dei, n. 15 et 16) Eusèbe (de Laudib. Constant. cap. 14) voient l’un et l’autre le même but dans l’Incarnation du Fils de Dieu.
Satan s’était servi de la chair contre nous comme d’un instrument de perdition, ce qui faisait dire à l’Apôtre : Je sens dans mes membres une autre loi qui combat contre la loi de mon esprit, et qui me rend captif. (Romains 7.23.) C’est par les mêmes armes dont Satan s’était servi pour nous perdre, que nous devions être sauvés ; le Seigneur a donc pris un corps semblable au nôtre, pour subvenir à notre faiblesse, pour faire participer à sa divinité l’humanité pécheresse, pour que là où le péché avait abondé, il y eût surabondance de grâces. (Romains 5.20.)
Il fallait que Dieu souffrît pour nous, mais il fallait aussi que Satan ne le connût pas. Car jamais il n’eût osé s’attaquer à lui, s’il l’eût connu. En effet, si les Juifs, agents de Satan, eussent connu le Dieu de gloire, ils ne l’auraient certes pas crucifié. (1 Corinthiens 2.8.)
Le corps de Jésus-Christ n’est donc devenu la proie de la mort, que pour que le dragon, qui avait espéré le dévorer, revomît tous ceux dont il avait antérieurement fait ses victimes[9]. Car la mort dans toute sa puissance absorbait tout autour d’elle, et Dieu est venu sécher les larmes de tous les yeux. (Esaïe 25.8.)
[9] Dont il avait antérieurement fait ses victimes.
Il est évident que Cyrille veut ici parler des justes de l’ancienne loi. Tous se trouvèrent, par la descente du Sauveur aux enfers, affranchis de l’empire de la mort. ‘ Mais il faut observer qu’ici, comme partout ailleurs, le S. PC. ne fait de la mort, du dragon ou de Satan, qu’une seule et même chose. A-t-il cru que les justes, détenus dans les enfers, étaient sous l’empire immédiat du démon, comme quelques anciens l’ont écrit ? Par exemple : Justin (Dialog. cum Tryphon., p. 260) ; Origène (Tractatu de Engastrimito) Eusèbe (Lib. X, Demonst. Evang. lib. X.)
Rien ne prouve absolument que telle ait été l’opinion de S. Cyrille. Il est vrai que partout il nous fait voir les âmes des justes comme captives dans un lieu ténébreux et en attendant un libérateur. Mais cette captivité ne supposerait pas que le démon en fût le détenteur.
Je partage très-volontiers l’opinion. de S. Grégoire de Nysse (De Pythonyssa) que jamais les démons n’avaient pu pénétrer dans ce que nous appelons les limbes.
Cette opinion a eu pour contradicteurs des théologiens catholiques, entr’autres, Corderius. (Caten. in Psal. t. 1, pag. 433.) Il est vrai que ces théologiens, dans leur système, n’accordent pas aux démons le pouvoir d’affliger et de contrister les justes dans ce lieu de repos
Est-ce donc sans motifs que Dieu s’est incarné ? Sont-ce là des contes ? Sont-ce de vaines fictions ? Les Livres saints ne sont-ils pas le dépôt de nos espérances et de notre salut ? Ne contiennent-ils pas l’histoire anticipée et prophétique de cet inépuisable mystère ? Gardez donc inviolablement le dépôt que je vous confie ; prenez garde de vous le laisser enlever, et croyez avec nous en un Dieu fait homme.
La possibilité de l’incarnation de l’Homme-Dieu vient de vous être démontrée. Mais si l’esprit rebelle des enfants de Jacob résiste encore, demandons-leur ce qu’ils trouvent de nouveau dans notre doctrine. Qu’y a-t-il d’étrange pour vous, quand nous prêchons l’incarnation de la Divinité ? Ne dites-vous pas vous-mêmes qu’Abraham reçut Dieu en personne sous sa tente hospitalière ? (Genèse 18.3.) Que disons-nous que vous n’ayez jamais ouï ? Avez-vous oublié ces paroles de Jacob : J’ai vu Dieu face à face, et mon âme a été sauvée. (Ibid. XXXII, 30.) Eh bien, celui-là même qui était assis à la table d’Abraham est aussi notre convive.
Que vous disons-nous donc d’extraordinaire ? Nous leur produisons encore deux témoins qui ont vu tous deux le Seigneur en personne sur le mont Sinaï. (Exode 19.2-3.) Moïse était caché dans une fente de rocher. (Ibid. XXXIII, 23.) Elie était à l’entrée d’une caverne. (1 Rois 19.13.) Et voilà deux témoins oculaires que nous vous présentons encore dans sa transfiguration sur le mont Thabor[10], et qui annoncèrent aux disciples la manière dont il devait finir sa carrière à Jérusalem. (Luc 9.30, 31.)
Voilà donc la possibilité de l’incarnation suffisamment démontrée, comme je vous l’avais promis. Laissons aux studieux le soin d’entasser d’autres preuves.
[10] Dans sa transfiguration sur le mont Thabor.
S. Cyrille place l’une et l’autre vision, celle de Moïse et celle d’Elie, sur le mont Sinaï, quoique l’Ecriture indique le mont Horeb, en parlant de la vision d’Elie. Mais c’est que le mont Horeb et le mont Sinaï font tous deux partie de cette chaîne de montagnes, qui longe la mer Rouge du côté de l’Arabie Pétrée.
Le mont Thabor ne nous est connu pour être le lieu de la Transfiguration que par la tradition. Son nom signifie lumière naissante. (S. Aug. Enarr. in Psal. LXXXVIII, 13.) Les Grecs l’appelaient Ithaburius ou Athaburius ; c’est une montagne située dans la Galilée entièrement isolée au milieu d’une vaste plaine en forme de pyramide. Les anciens Pères qui ont parlé de la Transfiguration n’ont pas marqué le mont Thabor, dit dom Calmet. (Dict. de la Bible. Vo Thabor.) S. Cyrille cependant peut être compté parmi les anciens Pères, ainsi que S. Jérôme (éloge de Ste Paule et lettre XVII, à Marcille) Eusèbe (Comment. in Psal. vers. 13, LXXXVIII) S. Jean Damascène (Homil. de Transfigurat.) Et malgré leurs témoignages plusieurs critiques modernes, même catholiques, se sont alliés aux Calvinistes Ligtfood et Réland, pour saper et attaquer cette tradition, ainsi que beaucoup d’autres respectables par leur antiquité, sous le prétexte qu’elles n’étaient appuyées sur aucune Ecriture positive. Ce n’est cependant que sur la tradition que reposent nos mœurs, nos usages, nos droits, nos devoirs les plus essentiels. Dieu a-t-il donc manqué de sagesse en négligeant de faire écrire avant Moïse les dogmes, les faits historiques de la création, de la chute de l’homme et du déluge ? Rien, du temps d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, n’était encore écrit ; c’était la tradition seule qui était chargée de transmettre à la postérité leur histoire ; et sous le prétexte que rien n’était écrit, je le demande à ces critiques, était-on libre avant Moïse de croire ou de ne pas croire à ces mêmes faits ? Alors les rêveries du paganisme n’auraient rien eu de criminel. (Note du Traducteur.)
Nous vous avions encore promis de vous entretenir de l’époque et du lieu où devait, suivant les Prophètes, s’opérer l’avènement du Sauveur. Fidèle à nos engagements ou plutôt à notre devoir envers les néophytes de Jésus-Christ, pour les prémunir contre l’invasion de toute espèce d’erreurs, nous allons encore ensemble consulter les Livres saints, et rechercher d’abord l’époque où l’apparition du Christ au milieu de nous a dû s’opérer. Le fait est récent, et néanmoins il est exposé aux contradictions des hommes, parce que Jésus-Christ était hier, qu’il est aujourd’hui et le même dans tous les siècles. (Hébreux 13.8.) Ecoutons d’abord Moïse : Le Seigneur Dieu vous suscitera du milieu de vos frères un Prophète comme moi. (Deutéronome 18.15.)
Retenez bien ces mots : COMME MOI[11]. Nous y reviendrons en temps et lieu. Mais quand viendra ce Prophète si longtemps attendu ? Revenez, vous dit-il, à ce que j’ai précédemment écrit ; remontez à la prophétie que Jacob fit à Juda qui commence par ces mots : Pour vous, Juda, que vos frères vous louent. Et là vous lirez : Il y aura toujours un prince issu de Juda et un chef issu de son sang jusqu’à l’arrivée de celui à qui tout est remis ; et celui-ci sera l’attente, non des Juifs, mais des nations ([12]).
[11] Retenez bien en attendant ces mots : COMME MOI.
S. Cyrille a perdu de vue l’engagement qu’il prenait ici ; il n’a jamais développé le sens de ces mots : comme moi. Nous allons ici suppléer à son silence :
Lorsque la Synagogue députa à S. Jean-Baptiste des prêtres, des lévites (Jean 1.19) pour lui demander qui il était.
A leur question : Etes-vous le Christ ? – Jean répondit : Non. Etes-vous Elie ? – Non. Etes-vous LE Prophète ? – Non. (Jean 1.21.)
De quel Prophète la Synagogue entendait-elle parler ? c’était de celui que Moïse avait annoncé (Deutéronome 18.15) un Prophète comme moi du milieu d’entre vous…. c’était ce Prophète que les Juifs attendaient, c’était le Messie. Jean répondit : NON, parce qu’il n’était pas le Messie, le Prophète annoncé par Moïse.
L’absence de l’article défini le, la, que le latin ne peut reproduire, et qui se trouve dans le texte grec ò πρоyńτns εï σú, a entraîné dans l’erreur une multitude de traducteurs qui, ignorant le grec, traduisant la Vulgate latine, n’ont lu que ces mots : Etes-vous Prophète ? sur le Non qu’énonce S. Jean-Baptiste, dans le sens des interrogateurs, il est évident qu’ils en font un renégat ; car Jean-Baptiste est le plus grand des Prophètes. Major inter natos mulierum Propheta…… nemo est. (Luc 7.28.) Or, le Prophète est un mandataire, et tel qui renie son mandat est un renégat.
C’est cependant dans ce sens que beaucoup de nos commentateurs catholiques, tels que M. de La Luzerne, dans son livre : Explication des Evang. (t. 1, édit. de 1801, p. 73) dit que c’est par humilité que S. Jean-Baptiste répudie le titre de Prophète. Comme si un prêtre, un Evêque, ayant titre et mission, pouvait renier ses titres et qualités, par humilité. Ce n’est pas ainsi que l’ont interprété S. Chrysostôme S. Cyrille d’Alexandrie, Théophylacte, Euthymius. (Voy. Cornel. A Lapide, Comm. in Evang. t. 11, édit. Lugd. 1641.) (Note du traducteur.)
[12] Non deficiet princeps ex Juda, neque Dux ex femoribus ejus, donec veniat cui repositum est ; es ipse expectatio gentium. (Genèse 49.10.) Tel est le texte que nous lisons dans les Septante.
Or, voilà l’avènement du Christ, qui est positivement indiqué par la défection de toute autorité dans la tribu de Juda sur les autres tribus. Si à l’époque où nous disons que le Christ est venu, le sceptre avait encore été dans la tribu de Juda ; si cette tribu (les Juifs, Judæi) n’avait pas été sous la domination romaine, nous serions dans l’erreur, et le Christ serait encore à venir.
Je rougirais au reste de faire ici mention de leur chimérique empire, de leurs prétendus Patriarches dont maintenant cette[13] nation aveugle se berce, de leur généalogie et de leur mère. Laissons cette discussion à ceux qui s’occupent de ces chimères. Mais à quel signe reconnaîtra-t-on celui qui doit être l’espoir et l’attente des nations ? Il attachera à la vigne son ânon. (Genèse 49.11.) Remarquez ici ce poulain que Zacharie vous a déjà montré si clairement au doigt.
[13] Sur ceux qu’ils appellent leurs Patriarches.
S. Cyrille veut ici parler du prétendu Patriarche, ou chef de la captivité, Aichmalotarche, que les Juifs supposent descendre en ligne droite de Gamaliel, maître de S. Paul, et que d’autres font descendre d’un nommé Hillel le Babylonien qui vivait, disent-ils, 100 ans avant la destruction du temple. Quoi qu’il en soit, les Rabbins de nos jours supposent cette dynastie patriarcale, issue du sang de David, régnant souverainement dans une partie de l’Asie, et dont l’empire ne doit finir qu’à la venue du Messie. C’est un vieux conte dont Origène (lib. de Principiis) avait déjà fait justice et démontré la puérilité. Mais les fables ne perdent jamais de leur crédit dans cette nation frappée d’aveuglement et de vertiges. Chaque génération apporte son tribu de folie. C’est d’abord un conte absurde qui, en vieillissant, acquiert parmi eux du crédit, en raison de son extravagance qui va toujours croissant.
C’est la prophétie de Jacob qui les a mis dans la nécessité de se repaître de cette chimère. Parmi les contes merveilleux dont Benjamin de Tudelle, dans le XIIe siècle, a enrichi ses voyages pour endormir ses compatriotes dans leur exil, il leur dit très-sérieusement que leur PC. tient à Bagdad (dans l’ancienne Chaldée) le siège de son empire qui s’étend jusqu’aux extrêmes limites de l’Asie. D’autres sont venus ensuite R. Abraham Peritzol, Rabbi Eldad le Danite, ont enchéri encore sur les contes de Benjamin. Il n’est donné qu’aux Juifs de croire à tant de sottises. Credat Judæus Apella. On peut, sur ces rêveries judaïques, consulter Godefridus, lib, xvi, Cod. Theodot. t. VIII, pag. 212. (Note du Trad.)
Mais vous demandez encore une autre preuve sur la fixation de l’époque. Eh bien, écoutez le Roi-Prophète Le Seigneur m’a dit : Vous êtes mon fils ; je vous ai engendré aujourd’hui ; puis il ajoute un peu plus loin : Vous les gouvernerez avec une verge de fer. (Psaumes 2.7, 9.)
Je vous ai déjà dit, que cette verge de fer désignait ici l’empire romain dont au reste Daniel va nous parler. Car lorsque ce Prophète exposa et expliqua à Nabuchodonosor le songe mystérieux dans lequel il avait vu une statue colossale frappée et mise en pièces par une pierre détachée de la montagne, sans le secours ou le travail humain, il lui apprit que cette pierre dominerait un jour le monde entier, et lui dit en termes positifs : Et dans le temps que subsisteront ces royaumes, le Dieu du ciel suscitera un royaume qui ne sera jamais détruit. Sa puissance ne passera point à un autre peuple. (Daniel 2.1. Sept.)
Poursuivons nos recherches ; nous arriverons à une démonstration encore plus claire et plus précise. Comme l’homme n’est pas facile à convaincre, il ne croit guère qu’à des calculs rigoureusement exacts. Il veut connaître l’époque juste et les circonstances qui accompagneront cette époque. Il veut savoir en quel temps les rois de Juda ont cessé de régner, en quel temps Hérode l’étranger régna sur la Judée. C’est ce que l’Ange va apprendre à Daniel. (Cap. IX, 25.) Retenez bien ceci : Vous saurez donc et vous comprendrez que depuis l’ordre qui sera donné pour rétablir et rebâtir Jérusalem jusqu’à ce que le Christ soit le conducteur (de son peuple) il y aura sept semaines et soixante-deux semaines. (Daniel 9.25. Sept.)
Or, soixante-neuf semaines d’années multipliées par sept, présentent quatre cent quatre-vingt-trois ans[14]. Voilà donc le Prophète qui annonce qu’après la réédification de Jérusalem il s’écoulerait quatre cent quatre-vingt-trois ans, qu’alors régnerait en Judée un prince étranger sous lequel naîtrait le Christ.
[14] Or, 69 semaines multipliées par 7 donnent 483 ans.
L’explication de S. Cyrille est susceptible de plusieurs remarques importantes :
1° Il borne à 69 semaines celles qui ont précédé l’avènement du Christ. Il réserve la 70e ou à la prédication du Christ, ainsi qu’Eusèbe (Demonst. Evang. p. 400) ou au temps de l’Antechrist, avec S. Hippolyte. (De Antichristo, p. 59.)
2° Cyrille date le commencement des 69 semaines de l’édit de la réédification de la ville de Jérusalem, qu’il attribue à Darius fils d’Hystaspe, qui régna 36 ans, à partir de 522 avant Jésus-Christ, tandis que d’autres ne remontent qu’à la 20e année d’Artaxerce, longue main, c’est-à-dire à l’an 445 avant Jésus-Christ. (Vid. Esdr. lib. 11, cap, 2, 1 à 8.)
En effet, l’édit de Darius, fils d’Hystaspe, ne concerne que la reconstruction du temple, tandis que celui d’Artaxerce concerne la reconstruction de la ville même. Observons encore que Cyrille donne à Darius le surnom de Mède, tandis que l’Ecriture ne le donne qu’à Astyage, oncle du grand Cyrus. (Voy. Daniel 5.31 ; 6.28.)
3° Cyrille ne fait pas remonter le commencement des 69 semaines à l’année de l’édit de Darius, ni au jour où la main fut mise à l’œuvre, c’est-à-dire à la 2e année de Darius, mais au jour où la reconstruction du temple fut terminée, c’est-à-dire à la 6e année de Darius (Voy. I Esdras, VI, 15) dont Cyrille fait la 1re de la 66e olympiade, 516 ans avant Jésus-Christ. Il suit dans ce calcul la chronique d’Eusèbe.
4° Enfin il termine les 69 semaines par le règne d’Hérode, pour faire coïncider les prophéties de Jacob et de Daniel.
Nous n’examinerons pas nous-mêmes si le calcul de Cyrille est exact. Il convient lui-même qu’il est plusieurs autres manières d’interpréter cette prophétie.
Je ne connais pas, dit le savant Huet, dans les Livres saints, de prophétie plus claire et en même temps plus obscure que celle contenue dans ce IXe chap. de Daniel. Rien n’est plus clair, rien n’est plus précis, quant à ce qui concerne la personne du Messie. De quelque manière qu’on établisse le calcul pour arriver au moment précis de sa venue, il était impossible que les peuples juifs et païens ne fussent pas dans l’attente du Sauveur. Mais rien n’est plus obscur lorsqu’il s’agit de préciser le moment où doivent commencer les 70 semaines.
Malgré tous les efforts des chronologistes, des théologiens, des interprètes, cette question est restée enveloppée de tant de difficultés qu’il y aurait de la témérité de vouloir présenter un nouveau mode d’interprétation ; et celles qui ont été données sont si nombreuses et si disparates que ce serait un long et pénible travail que d’en présenter l’analyse. Cependant ce savant Evêque présente trois sentiments les plus remarquables, et établit ensuite le sien avec timidité. (Demonst. Evang. propositio IX, n. 5 et seq.) Nous y renvoyons le lecteur. (Note du Trad.)
Or, Darius le Mède releva les murs de Jérusalem la sixième année de son règne, la première de la 66ème Olympiade. C’est le nom que les Grecs donnent à un laps de quatre ans, parce que, pendant le cours de ces quatre ans, le soleil donnant trois heures de plus chaque année, ils ajoutaient un jour à l’année Olympiade. Hérode régnait donc la 186° Olympiade, qui était la quatrième année de son règne. De 186 soustrayant 66, nous trouverons 120 Olympiades ; lesquelles multipliées par quatre, feront 480 ans. On trouve un déficit de trois ans qui se retrouvent peut-être entre la première et la quatrième année.
Vous avez donc une démonstration positive dans ce texte que nous venons de vous mettre sous les yeux, quoiqu’il y ait plusieurs autres interprétations sur les semaines d’années de Daniel.
Poursuivons : voilà l’époque déterminée ; il faut maintenant chercher et fixer le lieu où le fait doit s’accomplir.
C’est le Prophète Michée qui va nous le découvrir. Et toi, Bethleem, maison d’Ephrata, tu n’es pas la moindre des mille (maisons) de Juda : c’est de toi que me sortira un chef pour régner sur Israël, et ses apparitions datent du commencement des jours de l’éternité. (Michée 5.2.)
Comme vous habitez Jérusalem et que vous en connaissez les environs, ouvrez le CXXXI Psaume, et vous y lirez (vers. 6) : Voilà que nous l’avons entendue à Ephrata, et que nous l’avons trouvée dans les champs de la forêt. Or, il y a très-peu d’années que ce pays était encore boisé[15].
[15] Il y a très-peu d’années que ce pays était encore boisé.
Comme la grotte de Bethléem était dès les premiers temps du Christianisme un lieu très-fréquenté par les Chrétiens, l’Empereur Hadrien, pour les en détourner, fit placer dans le bois où était située la grotte, une statue d’Adonis. Mais la pieuse Hélène fit couper le bois, abattre la statue et bâtir une magnifique église que Constantin enrichit des dons les plus précieux, et orna des plus belles tapisseries. (Vid. Eusèbe, Vit. Const. cap. XL et seq.)
Vous avez aussi entendu le Prophète Habacuc dire au Seigneur : Lorsque les années s’approcheront, vous serez reconnu ; lorsque le temps sera venu, vous vous montrerez. (Habacuc 3.2. Sept.) Prophète, à quoi, dites-nous, sera-t-il reconnu ? Vous serez connu entre deux vies, répond-il positivement s’adressant au Seigneur[16], parce qu’en venant dans la chair vous vivrez et vous mourrez, et qu’en ressuscitant vous vivrez éternellement.
[16] Vous serez connus entre deux vies.
Ce n’est que dans la Bible des Septante qu’on lit ce passage du prophète Habacuc. (Orat. V, 2.) Mais dans les meilleures éditions grecques on ne lit pas ένv μέσω δύο ζωών, entre deux vies, comme à lu S. Cyrille. On serait tenté de voir ici une faute des libraires, s’il ne faisait pas de suite allusion à ces deux vies, l’une temporelle, l’autre éternelle. Partout on lit : ένv μέσω δύο ζώων, entre deux animaux. La différence de ces deux sens provient de l’accentuation du mot : ζωών circonflexé et ζώων aigu, la tradition a toujours lu entre deux animaux. C’est ainsi que les peintres peignent la nativité du Sauveur dans une étable où sont deux animaux. Dans l’office romain (fer. vi, in Parasceve ad Missam in Tractu I Prophetiæ) on lit : In medio duorum animalium innotesceris. Et dans le bréviaire (in octava Nativitatis) on lit : In medio duorum animalium jacebat in præsepio. (Note du Traducteur.)
De quel côté de Jérusalem viendra-t-il ? Sera-ce de l’orient, de l’occident, du midi, ou du septentrion ? Et vous voulez encore une réponse positive. Eh bien ! le Prophète va encore vous satisfaire. Dieu viendra du Theman, c’est-à-dire du midi[17]. Le Saint viendra de la montagne de Pharan, lieu ombragé. (Habacuc 3.3.) Ainsi voilà le Prophète qui est d’accord avec le Psalmiste qui avait dit : Nous l’avons trouvé dans les champs de la forêt.
[17] Dieu viendra de Théman.
Deus à Theman veniet, et Sanctus de monte Pharan. Tel est le texte qu’on lit dans les Septante. (chap. III d’Habacuc, vers. 4.) Le mont Theman est à côté du mont Carmel dans l’Arabie Pétrée, à cinq milles de Petra, selon Eusèbe, au midi de Jérusalem. Théman signifie le midi, Austrum, disent S. Jérôme et Théodotion. Voilà pourquoi la Vulgate traduit Ab Austro veniet. Pharan, suivant Theodotion et les Septante, signifie une épaisse forêt à petite distance de Théman.
De qui naîtra-t-il, et comment naîtra-t-il ? C’est ce qu’Isaïe va nous apprendre : Voilà que la Vierge concevra et enfantera un Fils dont le nom sera Emmanuel[18] (Esaïe 7.44.).
[18] Un fils dont le nom sera Emmanuel.
C’est sur le mot la vierge, que cette note doit tomber. Il est essentiel d’avoir sous les yeux le texte grec pour traduire plusieurs passages des Livres saints. La langue latine n’ayant aucun article défini rend imparfaitement les antonomases que reproduisent exactement le grecet nos langues modernes. En hébreu le mot alma, prend ici la lettre he qui est un article défini, et qui fait haalma (la vierge.) N.B. Ce mot ne se trouve ainsi écrit que dans trois endroits de la Bible.
1° (Genèse 24.14) Lorsqu’Eliezer dit : Ecce ego sto…. igitur puella cui…. Me voici… la fille à qui… l’hébreu a écrit haalma, et les Septante ont traduit naρ0évos, la vierge. Elle était vierge, car le texte dit (vers. 16) Incognita viro. Nos traductions latines ne rendent exactement ni l’hébreu ni le grec.
2° (Exode 11.8.) En parlant de Marie, sœur de Moïse, il est dit : Perrexit, HAALMA, id est, virgo, la vierge courut appeler sa mère. Le grec a traduit ici : haalma par neanis, adolescentula, la jeune fille.
3° C’est le passage d’Isaïe dont il est ici question. Ainsi, lorsque Sacy et tant d’autres ont traduit sur le latin ce passage par ces mots : Voilà qu’une vierge, etc., ils n’ont certes pas rendu l’énergie, la précision de l’article défini la, qui fait allusion aux prophéties antérieures.
C’est ce défaut d’attention qui a donné lieu à tant de commentaires puérils sur ce texte de S. Jean (I, 21) : Propheta es tu ? Êtes-vous Prophète ? disent les traducteurs français, tandis qu’en se reportant sur le grec on doit lire Etes-vous le Prophète ? c’est-à-dire, celui qui nous est annoncé et que nous attendons. Alors il n’y a plus d’équivoque, il n’y a plus de commentaires.
Revenons au mot haalmah, hébreu. Je suis étonné de rencontrer dans le latin l’adjectif almus, alma, um. Si je consulte les anciens grammairiens latins, par exemple : Sextus Pompeius, et que je lui demande ce que signifie alma, il me répond par sainte, belle. Ainsi Tibulle a dit : Alma pax, Horace : Alma musa ; et si j’interroge le vieux Glossaire, il me dira en grec κλυτὴ, ἁγνὴ, ὡραῖα, θρεπτεῖρα, gloriosa, intemerata, splendida, nutritia, glorieuse, sans tache, brillante, nourricière. Quel rapprochement entre l’hébreu haalmah, et l’alma latin ! Qu’il est beau dans ces mots : Alma Redemptoris Mater !
Le mot vierge, virgo, n’est pas dans le texte hébreu, disent les Juifs. Le mot haalmah ne signifie pas une vierge, mais une jeune personne, juvencula. Outre les raisonnements que leur oppose ici S. Cyrille, il en est un qui me paraît péremptoire. Pourquoi la traduction des Septante, faite plusieurs siècles avant la venue de Jésus-Christ, qui traduisait haalmah par παρlévos (la vierge) n’éprouva-t-elle de la part de l’ancienne synagogue aucune contradiction, même de la part des Targumistes ou Paraphrastes Chaldaïques, antérieurs à Jésus-Christ ? C’est qu’alors tous les Paraphrastes l’entendaient et le comprenaient ainsi que nous. Consultons-en quelques-uns :
On lit au livre des Proverbes (ch. xxx, 18,19) : Trois choses me sont difficiles à reconnaître, la quatrième m’est entièrement inconnue. 1º La trace de l’aigle dans l’air ; 2°celle du serpent sur le rocher ; 3º celle d’un navire au milieu des flots ; 40 la trace de l’homme (GHEUER) fort et puissant à l’égard d’une HALMAH. (Une vierge.)
Voici l’explication de ce texte que nous lisons dans le livre Gale Razeia, le Révélateur des secrets, et qui est donnée par le Rab. Haccados, le saint Maître, à un Consul romain qui le pressait de lui expliquer ce passage :
« Vous me faites une grande question, lui dit-il ; mais comme il est dit au livre des Proverbes (cap. x1,26) : Celui qui cache le froment, c’est-à-dire la doctrine, sera maudit du peuple, je vous dirades choses de la plus grande sublimité :
1° La voie de l’aigle dans le ciel est le Roi Messie qui, après sa passion, montera dans le ciel. Ainsi que le prophète Amos l’a dit : (cap. IX, 6) : Celui qui bâtit dans le ciel son ascension.
2° La voie du navire au milieu des flots est encore le mêmeMessie dont la vie sera agitée, comme un navire dans la tempête.
3° La trace du serpent sur le rocher sera aussi le Messie qui se fera, comme le serpent que Moïse posa sur le rocher, pour conduire les enfants d’Israël dans la Terre sainte. Mais le Rab. Jodam a dit que la voie du serpent sur le rocher était le Roi Messie, qui passera à travers le roc, après qu’il aura été enseveli, et qui en sortira ; et on ne verra pas par où il a passé.
4° La trace de l’homme (fort, puissant) gheuer, est celle de l’Homme-Dieu à l’égard de la vierge halmah. Car ce Dieu aimera les filles de Jérusalem, pour que le Roi-Messie naisse d’une d’elles. Elle concevra, elle enfantera, elle restera vierge. (halmah.)
Ainsi que l’a dit Jérémie (cap. XXXI, 22) : Car le Seigneur a créé sur la terre un nouveau prodige : un homme fort (gheuer) sera renfermé dans le sein d’une femme. Voilà mot pour mot ce qu’a dit notre saint Maître. »
Mais il est encore, sur le même verset, une autre remarque fort importante à faire. Nous lisons dans la Vulgate Ecce Virgo concipiet, et pariet Filium, et vocabitur nomen ejus Emmanuel. (Deus nobiscum.)
Mais Wagenseil et Galatin lisent dans le texte Hébreu : Et VOCABIT IPSA nomen ejus Emmanuel. ELLE-MÊME lui imposera le nom d’Emmanuel.
Voici le raisonnement que ces deux célèbres Thalmudistes catholiques ont déduit de ce texte contre les Juifs modernes.
Il est constant que chez les Hébreux c’était les pères qui imposaient les noms à leurs enfants. (Vid. Luc 1.59-63.) Or, si la mère doit imposer elle-même le nom à son Fils, c’est qu’elle n’aura point de mari. Ainsi le Prophète signale cette Vierge-Mère : 1°dans le mot haalma, puis encore en ce que ce sera elle-même qui nommera son Fils. Voilà pourquoi, ajoute Galatin, l’ange Gabriel dit à Marie : Vous L’APPELLEREZ du nom de Jésus. Ce n’est point à Joseph, qui ne devait être dans le monde que le père putatif de l’enfant, que l’Ange adresse d’abord ces mots : Vous l’appellerez. Il ne lui dit pas, On l’appellera. Et si ensuite la même révélation est faite à Joseph, elle ne sera que. confirmative de celle faite à Marie.
Mais, dit le Juif, votre Christ ne s’appelle point Emmanuel, mais Jésus ; comment pouvez-vous lui appliquer la prophétie d’Isaïe ? A cette objection Galatin répond : Il est deux sortes de noms, l’un de nature, l’autre d’imposition. Ainsi un enfant mâle est nommé male par nature, et Pierre, Paul, par imposition. Le nom d’Emmanuel est un nom de nature que Marie seule pouvait donner à son fils, connaissant seule le mystère de sa conception. Elle savait seule que de son sein était sorti le Messie DIEU-HOMME. Elle seule pouvait donc l’appeler de son nom de nature, Dieu avec nous.
C’est à ce mystère que semble faire allusion S. Luc (Luc 2.51) endisant Maria autem conservabat omnia verba hæc, conferens in corde suo. Ce vorset pourrait, sans contre-sens quelconque, se paraphraser ainsi : Marie retenait tout ce qu’elle entendait ; et le comparant dans son cœur avec ce qu’elle savait, elle disait en elle-même, Emmanuel, Dieu est avec nous. (Voyez Galatin, Arcana fidei Cathol. lib. VII cap. 15, P. 421.)
Il est encore une autre objection que font les Juifs modernes sur la prophétie d’Isaïe à Achaz : Demandez au Seigneur votre Dieu qu’il vous accorde à vous-même un prodige nouveau, etc.
Ce signe ou prodige, disent-ils, devait être un signe de la délivrance prochaine d’Achaz, assiégé par deux rois. Votre Christ est né plus de 500 ans après Achaz ; donc il ne regarde pas la conception immaculée de votre Vierge comme un signe de la délivrance d’Achaz.
Reportons-nous à l’Histoire. Achaz, roi de Juda, assiégé par deux puissants rois, celui de Syrie et celui d’Israël, était sans aucun espoir de secours : Dieu lui fit dire par le Prophète qu’il n’eût rien à craindre. Celui-ci dans son désespoir paraissait incrédule : Demandez un signe, lui dit Isaïe. Achaz, incrédule, idolâtre, lui répondit hypocritement que ce serait tenter le Seigneur. Mais le Prophète qui connaissait et son hypocrisie et son incrédulité, ne lui donna pas le signe qu’il aurait pu demander, mais il le donna, non pas à Achaz qui en était indigne, mais à la race de David. Ecoutez donc, maison de David, ne vous suffit-il pas de lasser la patience des hommes, sans lasser encore celle de mon Dieu…. C’est pourquoi le Seigneur vous donnera un signe. Remarquez que vous, vobis, est ici au pluriel, et qu’il n’y a pas tibi, à toi, et par conséquent que ce signe ne concerne pas Achaz en particulier, mais la race de David. (Ibid. loco citato, pag. 418.)
Voilà un texte qui froisse et qui irrite le peuple déicide ; mais de tout temps il s’est cabré contre la vérité. Le mot Vierge n’est pas dans le texte, disent les Rabbins ; on doit lire : Une jeune fille, puella, juvencula. Admettons cette traduction ; nous n’en viendrons pas moins à la découverte de la vérité. C’est eux-mêmes qui nous y conduiront. Il suffit de leur demander, si lorsqu’une vierge est attaquée dans sa pudeur, si c’est avant ou après que son déshonneur est consommé, qu’elle crie, et qu’elle appelle au secours ; et nous leur demanderons si, lorsque nous lisons quelque part dans l’Ecriture : Elle était seule dans un champ, elle a crié, et personne n’est venu pour la secourir, (Deutéronome 22.27) si ce n’est pas d’une Vierge qu’il est ici évidemment question ? Pour vous mieux faire comprendre que lorsque les Livres saints emploient le mot de jeune fille, juvencula, puella, en grec neanis, c’est d’une Vierge qu’ils parlent, ouvrez le livre des Rois, où parlant d’Abysag la Sunamite, il est dit : C’était une JEUNE FILLE d’une grande beauté…. Et le Roi la laissa toujours VIERGE. (1 Rois 1.4.) Il est donc évident que sous ce mot : jeune fille, l’Ecriture parle d’une Vierge, puisqu’en effet on amena à David une Vierge qu’il conserva telle.
Mais diront encore les Juifs : C’est d’Ezéchias qu’il fut parlé à Achaz (dans le chapitre d’Isaïe 6.14.) Fort bien ; reprenons encore une fois ce chapitre ; et nous lirons (vers. 11) : Demandez au Seigneur votre Dieu qu’il vous accorde à vous-même un prodige ou du fond de la terre, ou du plus haut du ciel. Ce signe ou ce prodige devait donc être extraordinaire, surpasser tous ceux dont l’histoire juive faisait mention. Déjà l’eau avait jailli du rocher (Exode 17.6) ; la mer s’était entr’ouverte (Ibid. XIV, 21, 22) ; le soleil avait rétrogradé. (2 Rois 20.14.)
Ce qui me reste à dire, porte encore avec soi une réfutation de toutes les arguties judaïques, plus pressante et plus concluante. Je n’ignore pas que beaucoup de mes auditeurs sont fatigués de la prolixité de ce discours ; mais je voudrais que vous eussiez la patience de m’écouter jusqu’au bout, puisqu’il ne s’agit pas ici d’affaires d’un minime intérêt, mais de celles de Jésus-Christ lui-même. Revenons à notre sujet.
C’est sous le règne d’Achaz qu’Isaïe prononça cet oracle. Achaz ne régna que 16 ans. Et c’est dans l’intervalle de ces 16 ans que la prophétie lui fut adressée. Ezéchias, fils d’Achaz, donne un démenti formel aux assertions judaïques. Il succéda à son père Achaz à l’âge de 25 ans. Or, la prophétie ayant été faite dans le cours des 16 ans du règne de son père, Ezéchias avait donc au moins 9 ans avant qu’elle fût prononcée. Je le demande, quelle nécessité y avait-il de parler de la naissance d’un enfant, qui était alors âgé de 9 ans ? D’ailleurs le Prophète n’a pas dit la Vierge a conçu, mais concevra. Il parle clairement au futur.
Nous vous avons suffisamment établi que le Christ est né d’une Vierge ; il nous reste à vous faire voir de quelle race, de quelle famille cette Vierge doit sortir.
Le Seigneur, dit le Prophète-Roi, a fait à David avec serment une promesse véritable, et il l’exécutera : J’établirai sur votre trône le fruit de votre ventre. (Psaumes 131.11.) J’établirai sa race de siècles en siècles, et son trône durera autant que le jour du ciel. (Psaumes 88.30.) J’ai fait une fois par ma sainteté un serment irrévocable, et je ne manquerai pas de fidélité à David : Sa race durera éternellement, et son trône sera devant moi comme le soleil, et éternellement comme la lune dans son plein. (Ibid. 36, 37, 38. Sept.)
Vous le voyez, il ne s’agit pas ici de Salomon, mais bien du Christ. Car le trône de Salomon n’a pas eu pour durée celle du soleil.
Si on m’objecte que jamais le Christ ne s’est assis sur le trône de bois de David, je répondrai par une autre phrase semblable : Les Scribes et les Pharisiens étaient assis sur la chaire de Moïse. (Matthieu 23.2.) Ici le mot de chaire ne se prend pas pour un siège de bois ; mais il sert à signaler l’autorité dont ils étaient revêtus. De même ne cherchez pas dans la prophétie le trône matériel de David, ni même son royaume temporel, mais son autorité royale. C’est à cette vérité que rendent témoignage les enfants eux-mêmes, lorsqu’ils crient : Hosanna au fils de David. Béni soit le Roi d’Israël (Matthieu 21.9) ; ces aveugles qui disent : Fils de David, ayez pitié de nous (Ib. XX, 30) ; l’ange Gabriel lorsqu’il dit à Marie : Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son Père. (Luc 1.32.) Puis l’Apôtre qui vous dit : Souvenez-vous que Jésus-Christ qui est né de la race de David, est ressuscité d’entre les morts, selon l’Evangile que je prêche. (2 Timothée 2.8.) Qui est né du sang de David selon la chair. (Romains 1.3.) Reconnaissez donc avec nous celui qui est né de David ; croyez au Prophète qui a dit : En ce jour le rejeton de Jessé surgira pour gouverner les nations. Et les nations espéreront en lui. (Esaïe 11.10. Sept.)
Voilà ce qui irrite la nation déicide, voilà le texte qui la met en fureur ; et le Prophète l’a prévu, lorsqu’il a dit : Ils souhaiteront PÉRIR AU MILIEU DES FLAMMES, parce qu’il nous est né un petit enfant, et qu’un fils nous a été donné. (Esaïe 9.5, 6. Sept.) Remarquez qu’il était d’abord Fils de Dieu, qu’il nous a été ensuite donné ; puis il ajoute un peu plus loin : Et sa paix n’aura point de terme. L’empire romain a ses bornes ; mais celui du Fils de Dieu n’en connaîtra point. Celui des Mèdes et des Perses a les siennes ; mais celui du Fils de Dieu n’en aura point. Puis on lit : Il s’assiéra sur le trône de David, il possédera son royaume pour le raffermir. (Ib. 7.) C’est donc du sang de David qu’est issue la Vierge sainte.
Il était de l’ordre et de la décence que le plus pur docteur de la pureté sortît de la couche la plus pure. Car si celui qui remplit dignement les fonctions du sacerdoce de Jésus-Christ s’abstient de tout commerce avec la femme[19], comment Jésus-Christ lui-même eût-il pu sortir du commerce d’un homme et d’une femme ? Parce que c’est vous, dit le Psalmiste, qui m’avez tiré du sein de ma Mère. (Psaumes 21.10.) Faites attention à ces mots : Vous m’avez tiré du sein de ma Mère ; ils vous prédisent clairement que l’humanité sera aussi étrangère à la naissance du Sauveur qu’à sa conception, bien différente de la nôtre, qui a pour principe la couche nuptiale.
[19] S’abstient de tout commerce avec la femme.
Voici un passage qui a excité la bile du Calviniste Rivet. C’est, a-t-il dit, une pièce rapportée de quelque moine ignorant ; insulsi monachi figmentum, comme s’il eût pu produire une édition ou un manuscrit quelconque qui eût contredit ce que nous lisons ici. Au reste, nous renvoyons le lecteur sur la question du célibat des prêtres, au Dictionnaire théologique de Bergier où cette question est très bien développée. Nous observerons seulement que le concile de Néocésarée, tenu l’an 315, dix ans avant celui de Nicée, ordonna de déposer un prêtre qui se serait marié après son ordination. (Note du Traducteur.)
Mais le Créateur de l’humanité ne dédaigne pas d’emprunter d’elle ses membres. Et de qui tenons-nous cela ? C’est du Seigneur lui-même, qui le dit à Jérémie : Je t’ai connu, avant de te former dans le sein de ta Mère ; et avant que tu en sortisses, je t’ai sanctifié. (Jérémie 1.5.) Celui qui dans la création de l’homme et sa formation ne craignit point de toucher ses membres, dédaignera-t-il de créer pour lui-même une chair sainte, et d’en former un voile pour sa divinité ?
C’est Dieu, dit Job, qui jusqu’à ce jour a formé le fœtus de l’homme dans le sein de la mère. Ne m’avez-vous pas trait comme du lait, coagulé comme un fromage ? Ne m’avez-vous pas revêtu de chair et de peau, n’avez-vous pas assemble et lié mes os avec des nerfs ? (Job 10.10, 11.)
Rien de ce qui constitue l’homme n’est digne de nos mépris, si l’adultère et la luxure ne viennent pas le souiller. La même main qui créa l’homme, créa Eve. C’était celle d’un Dieu. Les deux sexes sont l’œuvre de sa toute-puissance. Rien de ce qui les distingue ne fut honteux dans son principe. Honte et silence à ces hérétiques qui font le procès à la chair, ou plutôt à son Créateur. Pour nous, nous aurons toujours présentes à l’esprit ces paroles de l’Apôtre : Ne savez-vous pas que vos corps sont le temple du Saint-Esprit qui habite en vous ? (1 Corinthiens 6.19) et ce que le Prophète a dit, en parlant de Jésus-Christ : Ma chair vient d’eux (Osée 9.12) puis ce qui est dit ailleurs : C’est pour cela qu’il les abandonnera jusqu’au temps où celle qui doit enfanter, enfantera. (Michée 5.3.) Mais que veut dire le Prophète ? Il va s’expliquer. Elle enfantera, et ses autres frères se convertiront. (Ibid.) Quelles sont les fiançailles promises à la Vierge future épouse ? Je te rendrai mon Epouse par une inviolable fidélité, et tu sauras que je suis le Seigneur. (Osée 2.20.) Ce qui fit dire à Elisabeth : Heureuse celle qui a cru, parce que, ce que le Seigneur lui a dit, s’accomplira. (Luc 1.45.)
Les Gentils et les Juifs se donnent la main pour nous opposer la prétendue impossibilité que le Christ soit né d’une Vierge. Répondons d’abord aux Gentils. Leurs propres fables serviront à leur clore la bouche.
Comment osez-vous nier qu’une Vierge ait pu enfanter, vous qui nous dites que ce fut avec des pierres jetées en l’air que le genre humain fut renouvelé ; vous qui présentez à nos adorations une fille sortie du cerveau de Jupiter (Minerve) un Bacchus sorti de la cuisse du Dieu du tonnerre[20] ? Il est plaisant de nier la possibilité de l’enfantement d’une Vierge, après s’être nourri d’aussi absurdes, d’aussi ridicules chimères. Sans doute ce que je dis ici, est indigne de mon auditoire ; mais je n’en fais mention que pour vous montrer le parti que vous pouvez tirer de ces absurdités, pour fermer la bouche aux Gentils.
[20] Un Bacchus sorti de la cuisse du Dieu du tonnerre.
Rien n’est plus connu que la fable de Deucalion et de Pyrrha. (Ovid. lib. 1, Métamorph. fable 8.) Celle de Minerve, déesse de la sagesse, sortie du cerveau de Jupiter. (Vid. Apollon. de Rhodes, lib. IV, de Argonautis, Dialog. Luciani, etc.)
Quant aux circoncis, voici ce que vous leur demanderez. Est-il plus difficile à une Vierge d’enfanter, qu’à une femme nonagénaire qui a toujours été stérile, cui desierant muliebria à longo tempore ? (Genèse 18.11.) Sara était stérile, et il y avait longtemps que la nature lui avait ôté tout espoir d’être mère, lorsqu’elle devint mère d’Isaac. Si c’est contre l’ordre de la nature que Sara devienne mère, c’est aussi contre l’ordre de la nature qu’une Vierge enfante ; admettez ces deux prodiges, ou rejetez-les tous deux. Il faut que le Juif nie ou avoue la possibilité de la maternité dans l’un et l’autre cas : tous deux sont également l’œuvre de Dieu lui-même ; et il n’osera jamais dire que ce qui fut ici possible à Dieu, lui fut là impossible.
Demandons-lui encore en vertu de quelle loi de la nature la main d’un homme peut en une heure de temps changer de couleur, devenir blanche comme celle d’un lépreux, et reprendre ensuite sa couleur naturelle. (Exode 4.6, 7.) C’est, dira-t-il, parce que Dieu l’a ainsi voulu. Pourquoi Dieu, lorsqu’il le voudra, pourra-t-il faire tel prodige là, et ne le pourra-t-il pas ici ? Ce prodige ne concernait que les Egyptiens, et celui qui nous occupe appartient à l’univers entier.
Dites-moi, enfant d’Israël, lequel est le plus prodigieux, ou la maternité d’une Vierge, ou le transmutation d’une baguette en un serpent. Vous convenez que la baguette de Moïse fut changée en un serpent réel, qu’il fut même un objet d’horreur pour Moïse qui venait de la jeter, et qu’il se sauva à la vue du monstre. Certes, ce n’était pas sa baguette qu’il redoutait, mais bien le serpent. Car sa baguette prit tout à coup les dents et les yeux étincelants du dragon. Eh quoi ! d’une baguette, Dieu pourra, s’il le veut, faire jaillir tout à coup des dents, des yeux, etc., et du sein d’une Vierge un enfant ne pourra pas naître !
Je passe sous silence cette verge d’Aaron, qui dans une nuit produisit ce que les autres arbustes ne produisent qu’en plusieurs années. (Nombres 17.8.) Car, qui de vous ignore qu’une baguette dépouillée de son écorce, fût-elle plantée au milieu des fleuves, ne fleurira jamais ? Mais comme Dieu ne s’assujettit pas aux lois de la germination, parce qu’il en est l’auteur, cette verge desséchée, dépourvue d’écorce, stérile selon ces mêmes lois, ne laissa pas de bourgeonner, de fleurir, et de produire des noix. Celui-là donc qui aura pu contre les lois de la nature faire produire des fruits à une verge desséchée pour signe typique du souverain pontife qu’il admet et reconnaît, ne pourra pas féconder la Vierge pour lui faire enfanter le souverain Pontife par excellence ?
Tout ce que nous disons ici est fort bon pour notre instruction particulière, mais ne sert encore de rien pour subjuguer l’esprit opiniâtre du Juif. Il n’en résiste pas moins à l’exemple que nous lui citons de la verge d’Aaron et de Moïse ; il ne se laissera, dira-t-il, persuader que par des exemples d’accouchements surnaturels, merveilleux, et du même genre. Alors demandons-lui quelle fut la mère d’Eve ? Elle fut, nous dit l’Ecriture, tirée d’une des côtes d’Adam. C’est donc des flancs d’un homme qu’Eve est sortie, sans le secours d’aucune autre mère. (Genèse 2.22.) Et d’un sein virginal, sans le secours d’aucun homme, un enfant n’en pourra naître ? Ici c’est de l’homme que la femme est née ; elle n’a point connu de mère ; c’est de l’homme qu’elle a emprunté la faculté d’engendrer ; c’est à l’homme qu’elle fut redevable de son existence. Marie a donc payé à l’homme la dette d’Eve. C’est d’elle-même, sans le secours impur de l’homme, mais avec celui du Saint-Esprit, par la vertu de Dieu lui-même, qu’elle a conçu et mis au monde un Fils.
Mais remontons plus haut, et scrutons un autre prodige qui surpasse tous les prodiges. Que des corps produisent d’autres corps, quelqu’étonnant que cela soit, cela est possible. Mais que de la poussière il en surgisse un homme[21], que sur un peu de boue broyée on voit briller des yeux éclatants, voilà une merveille bien plus étonnante. Donner à la même poussière et la force des os, et la délicatesse des poumons, et tous les organes que nous admirons en nous-mêmes, certes, c’est prodigieux. Donner à cette boue pétrie la faculté d’aller, de venir, de parcourir le monde, de planter, de bâtir ; cela surpasse toutes les bornes de mon intelligence. Mais que dirons-nous de cet acte de toute-puissance qui apprend à cette boue à parler, à obéir, à commander ? (Job 38.4.) Ma raison est confondue, écrasée sous le poids de tant de merveilles.
[21] Que de la poussière il en surgisse un homme.
Si on compare ce que dit S. Cyrille avec ce qu’il dira plus tard (Catéch. XVIII, 9) sur la formation naturelle mais admirable de l’homme dans le sein de sa mère, on serait tenté de croire qu’il fait de la matière le principe de l’âme, comme du corps ; mais il n’en est rien. Jamais il n’a pensé que l’âme fût un extrait de la boue, ni qu’elle fût une émanation de celle de son créateur, ex traduce.
Il ne faut, pour se convaincre du contraire, que retourner à la IIIème Catéch. n. 4, à la IVe n. 18, et on verra qu’il enseigne que l’homme est un être de double nature composé d’un corps matériel et d’une âme immatérielle. L’âme, dit-il (Catéch. XVII, 14) est incorporelle et tient de la nature incorporelle de celle du Saint-Esprit. C’est le chef-d’œuvre du Créateur (Catéch. IV, 18) ; elle fait partie des choses invisibles (XI, 24 ; IX, 16) ; elle n’est d’aucun sexe, elle est immortelle. (IV, 20.) Il réfute ceux qui voulaient que les âmes eussent péché avant d’entrer dans le monde. Elle parcourt l’univers entier dans le plus bref des instants (V, 11) ; elle se dégage de son corps pour s’élancer dans les cieux. (XVI, 17, 18, 19.) Rien de tout cela ne peut se concilier avec une âme matérielle qui n’aurait, comme le corps, d’autre principe que la poussière.
Or, dites-nous, Juifs ignorants : D’où Adam est-il sorti ? N’est-ce pas avec de la poussière prise sur la terre que Dieu forma cette admirable créature ? Eh quoi ! Dieu pourra d’un peu de boue faire un œil, il ne pourra pas faire enfanter une Vierge ? Parce que cet acte surpasse la puissance et l’intelligence humaine, sera-t-il donc au-dessus de la puissance divine ?
Retenez, mes frères, ce que nous venons de vous dire. Telles sont les armes dont il faut vous servir pour combattre ces hérétiques qui prétendent que l’incarnation du Christ ne fut que fantastique et n’eut rien de réel, ceux-là qui, au contraire, ne voient dans le Sauveur que le Fils selon la chair de Joseph et de Marie, et veulent justifier leur doctrine impie par ces mots de l’Ange, adressés à Joseph Prenez votre épouse[22]. (Matthieu 1.20.) Rappelons-nous que Jacob, avant d’avoir Rachel, disait à Laban : Donnez-moi mon épouse. (Genèse 29.21.) De même que Rachel est ici appelée l’épouse de Jacob, en vertu de la promesse qui lui en avait été faite et qui était restée sans exécution : ainsi Marie avait droit au titre d’épouse, en vertu des seules fiançailles. Et remarquez l’exactitude de l’Evangéliste dans ses expressions : Dans le sixième mois Dieu envoya l’ange Gabriel dans la ville de Nazareth en Galilée, à Marie vierge fiancée à un homme nommé Joseph. (Luc 1.26, 27.) Et plus loin, lorsqu’il parle du dénombrement de l’univers et du voyage de Joseph à Jérusalem, il met en sa compagnie Marie sa fiancée qui était enceinte. (Ibid. II, 4, 5.) Quoiqu’enceinte il ne lui donne que le titre de fiancée.
[22] Prenez votre épouse.
S. Cyrille s’efforce de prouver par divers exemples tirés de l’Ecriture sainte, que Marie, au moins avant la naissance du Sauveur, n’était pas la réelle épouse de S. Joseph, mais seulement sa fiancée. Peut-être sous le nom d’épouse n’entend-il parler que de la femme qui a cohabité, quoad thorum, avec son mari, ne regardant pas comme épouse réelle la femme séparée du lit du mari. C’est, au reste, une opinion commune chez les Pères grecs et latins, que Marie fut réellement l’épouse de Joseph, suivant cet axiome de droit : Ille est pater quem nuptiæ demonstrant.
Le lien conjugal ne consiste pas tant dans la cohabitation que dans la fidélité dans un engagement réciproque.
Quibus veròplacuerit ex consensu in perpetuum continere, absit ut inter illos vinculum conjugale rumpatur. (August. vol. X, lib. 1, de Nupt. et Concupisc. cap. XII, p. 286.)
C’est pourquoi, dit le même Docteur, l’Ange dit à Joseph : Noli timere accipere conjugem tuam. Il faudrait citer ici tout ce chapitre où le S. Docteur établit la réelle maternité de Marie et la réelle paternité de Joseph.
Non solum illa mater, verùm etiam pater ejus, sicut conjunx matris ejus utrumque mente, non in carne. Neque enim mentitur Evangelium ubi legitur : Et erant pater ejus et mater mirantes. Nous voudrions pouvoir citer ce chapitre en entier ; mais il excéderait les bornes d’une note.
Lorsque l’Apôtre parle de l’incarnation du Fils de Dieu, il ne fait intervenir dans sa procréation charnelle que la femme. Dieu, dit-il, a envoyé son Fils formé d’une femme (Galates 4.4) seulement, c’est-à-dire, d’une vierge. Nous venons de voir pourquoi il lui donnait le titre de femme, quoiqu’elle fût vierge.
Il est donc né d’une vierge, celui-là qui crée les âmes vierges.
Cette naissance vous étonne. Cela doit être, puisque celle-là même qui était destinée à donner au monde ce prodige, en fut stupéfaite elle-même. Comment cela se fera-t-il, dit-elle à l’Ange, puisque je ne connais point d’homme ? (Luc 1.34.) Alors l’Ange lui révéla la manière dont ce mystère s’accomplirait en elle : L’Esprit-Saint descendra sur vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre ; c’est pourquoi le Saint qui naîtra, sera appelé le Fils de Dieu[23]. (Ibid. 35.)
[23] C’est pourquoi le Saint qui naîtra sera appelé le Fils de Dieu.
Qu’on ne s’étonne pas si j’ai omis dans cette traduction les mots ex te, qu’on trouve dans la Vulgate, et si je n’ai pas dit : Le Saint qui naîtra de vous. C’est que ces deux mots ne se trouvent dans aucun de nos Evangiles grecs, non plus que dans aucun des manuscrits de S. Cyrille, quoiqu’il ait répété ce verset. (Catéch. XVIII, 6.) Cependant quelques manuscrits grecs du Nouveau Testament les renferment. S. Ephrem croit que quelques hérétiques les ont effacés. Le Père Touttée pense au contraire qu’ils ont passé de la marge dans le texte par le fait des copistes. (Note du Trad.)
Voilà donc cette génération pure et sans tache ! car tout est pur, là où le Saint-Esprit opère et souffle. L’incarnation du Verbe dans le sein de Marie est étrangère à toute espèce de souillures. C’est en vain que l’hérésie s’efforcera de souiller la couche virginale de Marie la présence de l’Esprit-Saint réfutera toujours ses blasphèmes qui outragent la puissance du Très-Haut. Au jour du jugement dernier on verra l’ange Gabriel (Luc 1.26) se lever et se constituer l’accusateur de ces docteurs d’impiétés. La crèche où naquit le Dieu Sauveur (Ibid. II, 7) les bergers (Ibid. 10) qui furent alors les premiers évangélistes, cette légion d’Anges qui firent retentir les airs de cette hymne immortelle : Gloire à Dieu au plus haut des cieux (Ibid. 13, 14) ce temple (Ibid. 22) où il fut transporté le quarantième jour, cette paire de tourterelles (Ibid. 24) qui fut son prix de réachat, Siméon (Ibid. 28) qui le porta dans ses bras, Anne (Ibid. 36) qui préconisa sa future grandeur, seront tous autant de témoins qui se lèveront et déposeront contre eux.
Que diront-ils ? Qu’opposeront-ils, ces artisans de mensonges au témoignage de Dieu lui-même, à celui du Saint-Esprit, à Jésus-Christ en personne qui leur répétera encore ces paroles : Pourquoi cherchez-vous à me faire mourir, à tuer un homme qui vous a dit la vérité ? (Jean 7.20 ; 8.40.) Taisez-vous, malheureux, qui osez attaquer le dogme de l’humanité du Fils de Dieu, qui osez donner un démenti à celui qui vous dit : Touchez-moi et voyez : un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai. (Luc 14.39, 40.)
Adorons Jésus-Christ né de la Vierge ; et vous vierges, connaissez tout le mérite et toute la gloire attachée à votre institut, et sachez apprécier le prix et la dignité de votre couronne.
O vous ! heureux solitaires, qui par votre institut vous êtes voués à la noble vertu de chasteté, connaissez tout le prix, toute la gloire qu’un Dieu juste et rémunérateur attachera à vos généreux sacrifices qui ne nous dépouillent pas de la dignité de l’homme.
C’est dans le sein d’une vierge qu’un Dieu Sauveur daigna habiter neuf mois ; c’est pendant trente-trois ans qu’il daigna être homme au milieu de nous. Si les neuf mois de gestation sont glorieux pour la Vierge Marie, combien sont plus glorieuses encore pour nous de nombreuses années de virginité au sein de l’humanité !
Courons tous ensemble, jeunes gens de l’un et de l’autre sexe, jeunes et vieux, courons, soutenus de la grâce de Dieu, la carrière de la chasteté ; fuyons toute espèce de mondanité et chantons les louanges du Seigneur. Sachons apprécier la gloire dont est revêtue la chasteté ; c’est une vertu angélique qui n’appartient qu’à une vertu surhumaine. Respectons ce corps qui doit un jour disputer au soleil son éclat. Ah ! ne profanons pas un sanctuaire si auguste, si digne de nos respects, ne le sacrifions pas à quelques instants de volupté. Sans doute tout péché est petit quant à sa durée ; mais son infamie et sa honte est éternelle.
Les Anges qui voltigent sur la terre sont les sectateurs de la vertu de chasteté ; c’est aux vierges qu’est réservée la gloire de faire suite au triomphe de Marie.
Loin de nous ces futiles ornements, ces regards indiscrets, ce vain attirail de femme, ce maintien efféminé ces robes flottantes, ces écharpes, ces parfums, sources de volupté. N’ayez pour parfum intérieur que l’esprit suave d’oraison, vos bonnes œuvres, la sanctification de vos corps, pour qu’un jour celui qui est né d’une Vierge puisse nous couronner et nous dire à nous, soit hommes, soit femmes, zélateurs de la chasteté : J’habiterai avec eux, je converserai avec eux, je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. (2 Corinthiens 6.16 ; Lévitique 26.11, 12.) A lui soit la gloire dans les siècles des siècles.
Ainsi soit-il.