Catherine de Médicis avait exprimé dans ses jours d’abaissement quelques sentiments favorables à la Réforme, et ceux de la religion supposèrent d’abord qu’elle les appuierait auprès de son fils François II. Coligny et d’autres seigneurs calvinistes lui écrivirent qu’ils espéraient trouver en elle une seconde Esther. Mais ses bonnes dispositions n’étaient qu’une vaine apparence. « Je n’entends rien à cette doctrine, disait-elle ; ce qui m’avait émue à leur vouloir du bien, c’était plutôt une pitié et compassion naturelle de femme que pour être informée si cette doctrine est vraie ou fausse. »
D’accord avec la reine-mère et la cour de Madrid les Guises tinrent les Bourbons à l’écart et firent publier de nouveaux édits pour l’extermination des hérétiques. On institua dans chaque parlement des Chambres ardentes, ainsi nommées parce qu’elles condamnaient au feu sans pitié tous ceux qu’on accusait du crime d’hérésie. Ce fut un vaste système de terreur, où l’ombre même de la justice n’apparaissait plus. Délations, confiscations, pillages, arrêts de mort, supplices atroces, les mêmes scènes épouvantèrent, au commencement de 1560, les principales villes de France : Toulouse, Dijon, Bordeaux, Lyon, Grenoble, Poitiers, et les provinces qui en dépendaient.
A Paris, les commissaires de quartiers faisaient des visites journalières dans les maisons suspectes. Un certain Démocharès ou Mouchy, qui a donné à la langue le terme de mouchard, se mit en campagne avec une bande de misérables qui tâchaient de surprendre les hérétiques mangeant de la viande aux jours défendus, ou faisant des assemblées. Ils surveillaient particulièrement le faubourg Saint-Germain, qu’on appelait alors la petite Genève.
Beaucoup de gens furent saisis et maltraités. Ceux qui pouvaient fuir quittèrent la place, laissant meubles, argent, provisions, tous leurs biens, à la merci des bandits chargés du rôle de sergents. On pillait, on saccageait les maisons, au rapport de Théodore de Bèze, comme dans une ville prise d’assaut ; les charrettes pleines de meubles encombraient les rues ; un tas de garnements allait glaner et dévaster ce qu’avaient laissé les premiers pillards. « Mais ce qui était le plus à déplorer, ajoute cet historien, c’était de voir les pauvres petits enfants qui demeuraient sur le carreau, criant à la faim avec gémissements incroyables, et qui allaient par les rues mendiant, sans qu’aucun osât les recueillir, sinon qu’il tombât au même danger ; aussi en faisait-on moins de cas que des chiens » (tome I, page 147).
D’abominables moyens avaient été mis en œuvre pour accroître la fureur du peuple de Paris. On voit encore dans de vieilles collections des gravures qui représentent les hérétiques tuant des prêtres à coups d’arquebuses, jetant des moines à l’eau, égorgeant des enfants, étranglant des femmes et des vieillards, et il y avait des gens apostés sur les places publiques pour commenter ces infamies.
Le peuple répondit à ces lâches provocations en plaçant des images de la Vierge au coin des rues. Il épiait la contenance des passants, et malheur à qui n’ôtait point son chapeau ! malheur à qui refusait de mettre quelque pièce de monnaie dans le tronc, ou épargnemailles, qu’on lui présentait pour avoir de quoi payer les cierges ! On criait à l’hérétique ; on le traînait au Châtelet, et les prisons furent tellement encombrées qu’il fallut hâter les supplices pour faire place à de nouvelles victimes.
Voici encore un trait qui peint l’état des esprits. Deux malheureux apprentis qu’on avait gagnés déclarèrent qu’il se commettait des turpitudes dans les assemblées secrètes des calvinistes. Le cardinal de Lorraine alla aussitôt en faire part à la reine mère, en aggravant son récit de toutes les souillures qu’on avait autrefois reprochées aux Gnostiques, aux Messaliens, aux Borborites, aux Manichéens, aux Cathares, de sorte que les réformés semblaient avoir recueilli, comme dans un égout, les abominations de tous les siècles.
Entre les personnes désignées étaient la femme et les deux filles d’un célèbre avocat de Paris. Elles se livrèrent elles-mêmes à la justice, aimant mieux perdre la vie que l’honneur. On les confronta avec les deux apprentis. Ces derniers rougirent, balbutièrent, se contredirent dans leurs propos, et il devint évident qu’ils avaient fait un exécrable mensonge. Quelques magistrats indignés voulaient qu’on les mît en prison à la place de ces femmes outragées. Ce fut le contraire qui arriva : les calomniateurs furent absous, et les femmes restèrent au fond des cachots.
A la même époque, les Guises firent d’autres mécontents qui se rapprochèrent des calvinistes, et de là sortit l’entreprise connue sous le nom de conspiration d’Amboise.
Beaucoup de gentilshommes étaient venus à la cour, afin de réclamer le prix de leur sang versé au service du roi, ou celui des terres dont ils avaient été dépouillés dans ces temps de confusion et de désordre. Le cardinal de Lorraine, prenant peur de la présence de tant de gens de guerre, fit publier une proclamation qui ordonnait à tous les solliciteurs, de quelque condition qu’ils fussent, de vider la place en vingt-quatre heures, sous peine de mort. Un gibet fut même dressé aux portes du château pour confirmer la menace. Les gentilshommes s’en allèrent, l’âme profondément ulcérée d’un affront que jamais roi de France n’avait fait à sa brave noblesse.
La guerre commença par des pamphlets où l’on accusait les Lorrains d’avoir usurpé les droits des princes du sang, de tenir la couronne en tutelle, bien qu’ils fussent étrangers, et de fouler aux pieds toutes les anciennes lois du royaume. « La France n’en peut plus, disait-on dans ces feuilles, et demande la convocation des Etats généraux pour mettre ordre à ses affaires. »
Bientôt, des discours, les mécontents passèrent aux actes. Ceux de la religion éprouvèrent des scrupules. Pouvaient-ils recourir à la force pour obtenir le redressement de leurs griefs ? Ils consultèrent des théologiens de Suisse et d’Allemagne, qui répondirent qu’il était licite de s’opposer au gouvernement usurpé des Lorrains, pourvu qu’un des chefs légitimes, savoir, un prince du sang, fût à la tête, et qu’on se fît appuyer par les Etats généraux.
Malgré cela, le plus grand nombre des réformés refusa de participer à cette entreprise, dans laquelle, dit Brantôme, il n’entra pas moins de mécontentement que de huguenoterie. Coligny n’y fut point initié, et ceux qui y trempèrent avaient expressément réservé la personne et l’autorité du roi. Ils ne se proposaient que de chasser les Lorrains, et de rendre à des princes français le gouvernement de la France. Louis de Condé était le chef invisible ou muet de la conspiration ; La Renaudie, qui représentait les mécontents politiques plutôt que les mécontents religieux, en fut le chef visible.
Instruits du complot par la trahison de l’avocat Des Avenelles, les Guises quittèrent en hâte la ville de Blois, et allèrent s’enfermer avec François II dans le château d’Amboise. Le pauvre jeune roi leur disait en pleurant : « Qu’ai-je fait à mon peuple qu’il m’en veuille ainsi ? Je veux entendre ses doléances et lui faire raison. Je ne sais, mais j’entends qu’on n’en veut qu’à vous. Je désirerais que pour un temps vous fussiez hors d’ici, pour voir si c’est à vous ou à moi qu’on en veut. Les Lorrains se gardèrent bien de céder à cet avis ; car une fois hors de la cour, ils auraient vu se lever toute la noblesse de France pour leur défendre d’y rentrer.
Dans les premiers moments d’épouvante, le cardinal de Lorraine avait fait porter au parlement une ordonnance d’amnistie, dont les prédicants et ceux qui avaient conspiré sous prétexte de religion étaient seuls exceptés. Mais quand il fut assuré du triomphe, il égala ses vengeances à ses terreurs, et elles furent effroyables. Douze cents conjurés périrent à Amboise. La place publique était couverte de gibets ; le sang ruisselait par les rues. Nulle enquête ni forme de procès ; et comme les bourreaux ne pouvaient suffire, on jeta les prisonniers par centaines, pieds et poings liés, dans les flots de la Loire. Ce même fleuve était destiné à engloutir d’autres victimes : à travers les siècles, le cardinal Charles de Lorraine et Carrier de Nantes se donnent la main.
On fit plus en 1560. Les Guises réservaient les principaux « pour l’après-dînée, » comme le raconte Regnier de la Planche, afin de donner quelque passe-temps aux dames qu’ils voyaient s’ennuyer si longuement dans ce château-fort. La reine mère, ses. fils, les dames d’honneur, les courtisans se mettaient aux fenêtres, comme s’il eût été question de voir jouer quelque momerie. « Et leur étaient les patients montrés par le cardinal, avec des signes d’un homme grandement réjoui, pour d’autant plus animer le prince contre ses sujets[a]. »
[a] La Planche, Histoire de France sous François II, p. 214.
Plusieurs des condamnés firent preuve d’une mâle fermeté. Un gentilhomme nommé Villemongis, ayant trempé ses mains dans le sang de ses compagnons, les leva au ciel en s’écriant : « Seigneur, voici le sang de tes enfants injustement répandu ; tu en feras la vengeance. »
Le baron de Castelnau, qui, ayant été pris par les Espagnols dans les guerres de Flandres, avait employé, comme l’amiral Coligny, les longs jours de sa captivité à lire la Bible, fut interrogé dans la prison d’Amboise par les Guises et le chancelier Olivier. Celui-ci lui demanda, en se moquant, ce qui avait pu faire d’un homme d’armes un si savant théologien. « Lorsque je vous suis venu voir à mon retour de Flandres, dit Castelnau, je vous ai appris comment j’avais passé mon temps. Vous m’approuviez alors, et nous étions de bonne intelligence. Pourquoi ne le sommes-nous plus ? C’est qu’étant disgracié, vous parliez sincèrement. Aujourd’hui, pour plaire à un homme qui vous méprise, vous êtes traître à votre Dieu et à votre conscience. Le cardinal voulut venir en aide au chancelier, disant que c’était lui qui l’avait fortifié dans la foi, et il se mit à développer une thèse de controverse. Castelnau en appela au duc François de Guise, qui répondit qu’il n’y entendait rien. « Plût à Dieu qu’il en fût autrement ! s’écria le prisonnier ; car je vous estime assez pour croire que si vous étiez aussi éclairé que votre frère le cardinal, vous vous emploieriez à de meilleures choses. »
Ayant été condamné à mort pour crime de lèse-majesté : « Il fallait donc, dit-il avec amertume, déclarer que les Guises sont rois de France. Et livrant sa tête au glaive du bourreau, il en appela de l’injustice des hommes à la justice de Dieu.
Ces barbares exécutions enflammèrent les haines des partis et ouvrirent la porte aux guerres civiles. La conjuration d’Amboise devint populaire parmi les réformés. Brantôme rapporte que plusieurs disaient : « Hier, nous n’étions pas de la conjuration, et nous n’en aurions pas été pour tout l’or du monde ; aujourd’hui, nous en serions pour un écu, et nous disons que l’entreprise était bonne et sainte. »
Les Lorrains, cependant, tâchaient de tourner au profit de leur ambition l’affaire d’Amboise. Dès le 17 mars, le duc de Guise se fit nommer lieutenant général du royaume. François II promettait d’avoir pour agréable tout ce qui serait fait, ordonné et exécuté par son oncle. C’était abdiquer la couronne, ou, pour mieux dire, mettre la réalité à la place de la fiction.
Le cardinal de Lorraine osa même revenir à son projet favori d’établir l’Inquisition en France comme en Espagne. Il avait déjà obtenu l’adhésion du conseil privé, et arraché le consentement de la reine mère. Mais le coup fut détourné parle chancelier Michel de l’Hospital, qui fit adopter, au mois de mai 1560, l’édit de Romorantin, par lequel il rendait aux évêques la connaissance du crime d’hérésie. Cet édit prodiguait les peines les plus cruelles ; mais du moins le pied des inquisiteurs ne souillait pas la terre de France.