D’où viennent les guerres et les combats parmi vous ? N’est-ce pas de vos passions qui combattent dans vos membres ? Vous convoitez et vous n’avez pas ; vous tuez, vous enviez, et vous ne pouvez posséder. Vous combattez, vous faites la guerre et vous n’obtenez pas, parce que vous ne demandez pas. Vous demandez et vous ne recevez pas, parce que nous demandez mal, afin de satisfaire vos passions. Hommes et femmes adultères, ne savez-vous pas que l’amour du monde est inimitié contre Dieu ? Celui donc qui veut être ami du monde se rend ennemi de Dieu.
Je vous laisse la paix, nous dit Celui dont la naissance fut saluée par ces paroles : Paix sur la terre ! Et Saint-Jacques, digne serviteur du Prince de la paix, vient de parler de ce bien si précieux. Le fruit de la justice, a-t-il dit dans le verset qui précède immédiatement notre texte, se sème dans la paix pour ceux qui s’adonnent à la paix. — La paix, c’est l’idéal entrevu, désiré, qu’il vient d’évoquer tout à l’heure ; mais abaissant son regard sur la réalité qui l’entoure, l’apôtre voit un spectacle tout opposé qui l’afflige et qui l’indigne, celui des luttes, des dissensions qui se manifestent non seulement dans le monde, mais jusqu’au milieu des communautés chrétiennes. Ce triste état de choses, il vient lui-même d’une cause plus profonde que l’apôtre discerne sans peine. D’où viennent, s’écrie-t-il, les guerres et les combats parmi vous ? N’est-pas de ceci, de vos passions qui combattent dans vos membres ? — Les passions, les désirs déréglés, les convoitises coupables qui règnent dans les âmes, voilà la grande cause de trouble que Saint-Jacques signale à ses frères, voilà le sujet important qu’il aborde dans notre texte. — Que Dieu nous fasse comprendre tout le danger de ces passions contre lesquelles il nous met en garde, et surtout qu’il nous affranchisse par sa grâce de leur joug humiliant !
Vous avez des passions qui combattent dans vos membres, nous dit Saint-Jacques. Admirons, mes frères, la vérité de l’Écriture, ce miroir fidèle dans lequel nous pouvons si bien nous reconnaître. La Parole de Dieu qui est une parole de charité, qui nous révèle l’amour et la compassion de notre Père céleste, est aussi par excellence une parole de vérité, qui ne nous flatte pas, qui ne nous surfait pas, qui nous montre tels que nous sommes en réalité, avec le bien et le mal qui est en nous. « Vous avez été créés à l’image de Dieu, nous dit-elle, mais vous êtes pécheurs, asservis à des passions mauvaises, à des convoitises charnelles qui font la guerre à vos âmes. » — Il y a des hommes qui n’aiment pas ce langage austère et vrai. « Non, disent-ils, la Bible se trompe, la Bible rabaisse l’homme. L’homme est bon, qu’il se développe sans entraves, qu’il donne libre essor à ses instincts qui sont bons et généreux, et l’âge d’or fleurira sur la terre. » Ainsi ont pensé les principaux ouvriers de la grande Révolution du siècle passé. Et vous savez, mes frères, l’éclatant démenti que les événements se sont chargés d’infliger à leur erreur. Cette Révolution, qui a été à bien des égards une œuvre d’affranchissement et de progrès, elle n’a pas tenu toutes les promesses de son début, elle s’est souillée bientôt de violences et de crimes, ses pieds ont glissé dans le sang ; elle a été une preuve vivante, non pas que l’homme est bon, mais au contraire qu’il est tel que Saint-Jacques et l’Écriture le représentent, sujet à des passions qui combattent dans ses membres.
Mais l’apôtre ne songe pas à démontrer l’évidence même, à prouver la réalité des passions dont il parle ; il se borne dans notre texte à nous en montrer les effets, les fruits empoisonnés qu’elles produisent dans notre vie.
Les effets des passions, ils sont faciles à reconnaître ; ce sont d’abord les discordes et les luttes. D’où viennent les guerres et les combats parmi vous ? N’est-ce pas de vos passions ? En parlant de guerres et de combats, Saint-Jacques veut sans doute parler des querelles et des divisions qui règnent parmi les frères auxquels il s’adresse et qu’il a déjà mis en garde précédemment contre le zèle amer et l’esprit de dispute. Mais c’est à dessein qu’il emploie les expressions plus générales de guerres et de combats. Les passions, veut-il dire, voilà la vraie cause de tous les troubles, de toutes les discordes, de toutes les guerres, soit d’homme à homme, ou de famille à famille, ou de peuple à peuple. Voici des voisins, voici des frères et des sœurs, des membres d’une même famille divisés pour de misérables questions de mur mitoyen ou d’héritage. Pourquoi ? Parce que l’égoïsme, l’orgueil, l’amour de l’argent, parce que les passions règnent dans les cœurs. — Voici la guerre déclarée entre deux peuples à propos d’une question de frontière ou de rivalité nationale ; voici des torrents de sang répandu, des milliers de veuves et d’orphelins dans le deuil. Pourquoi ? Parce que l’ambition, la haine, la soif de domination, en un mot les passions humaines ont allumé cet incendie. — Voici des troubles, un malaise général au milieu de notre société contemporaine, voici des luttes sourdes et parfois ouvertes entre les privilégiés et les déshérités de la fortune. Pourquoi ce malaise, ces luttes, ces commotions sociales qui semblent se préparer ? Parce que l’avarice, l’orgueil, l’égoïsme règnent chez les uns et l’esprit d’envie, de mécontentement et de haine chez les autres, parce que les passions, toujours les passions sont à l’œuvre dans les cœurs. Mes frères, on parle beaucoup à notre époque de paix universelle, on compte beaucoup sur les progrès de la civilisation pour mettre fin aux guerres qui désolent si souvent notre pauvre terre. Mais cet espoir est-il bien fondé ? Notre siècle, ce XIXe siècle si fier de ses lumières et de sa civilisation, n’a-t-il pas vu se déchaîner les guerres les plus sanglantes ? Ne voyons-nous pas les nations européennes dépenser la plus grande partie de leurs ressources en préparatifs de guerre formidables ? Et d’ailleurs n’est-il pas évident que tant que les hommes seront pécheurs, livrés à leurs passions, ces passions produiront toujours les mêmes effets, qu’il s’agisse d’individus ou de sociétés et de nations ?
Discorde et luttes, dissensions et querelles, tel est donc le premier effet, le plus visible, des passions. Et en voici un second, moins apparent, mais tout aussi réel, c’est le trouble intérieur, le vide, le malaise profond qu’elles laissent dans les âmes. Les passions sont trompeuses, elles aboutissent fatalement à la déception parce qu’elles ne peuvent pas satisfaire les besoins de nos cœurs. C’est cette pensée qu’exprime l’apôtre par ces fortes paroles : Vous convoitez et vous n’avez pas, vous tuez, vous enviez et vous ne pouvez posséder ; vous combattez, vous vous faites la guerre et vous n’obtenez pas. Malgré tous vos efforts, malgré le déchaînement de toutes vos passions, vous n’arrivez à aucun résultat. — Et n’est-ce pas la vérité même ? Mais il y a dans ces paroles une expression qui vous paraît peut-être excessive. « Comment, pensez-vous peut-être, Saint Jacques peut-il aller jusqu’à dire : Vous tuez et vous enviez, selon le sens littéral du texte ? Nous ne sommes pourtant pas des criminels comme Achab devenu meurtrier du pieux Naboth pour satisfaire sa convoitise et s’emparer de son héritage. Ces paroles sévères de l’apôtre ne peuvent donc pas nous concerner. » En êtes-vous bien sûrs, mes frères ? Ne savez-vous pas que la haine va souvent avec l’envie et qu’aux yeux de Celui qui sonde les cœurs et les reins quiconque hait son frère est meurtrier ? Etes-vous donc bien sûrs d’être exempts de toute convoitise, de toute envie et de toute passion ? — Et si votre cœur n’est pas étranger à toute convoitise, à toute passion, votre propre expérience ne confirme-t-elle pas cette affirmation de l’Écriture que les passions sont trompeuses et n’aboutissent qu’à la déception ? Où est-il l’homme qui a trouvé le bonheur dans ses passions ? Où est-il celui que ses passions n’ont pas déçu, trompé, rendu malheureux ? Vanité des vanités, tout est vanité et tourment d’esprit, voilà le triste refrain de l’homme qui ne convoite et ne recherche que les choses d’ici-bas et qui a pu satisfaire toutes ses convoitises. Vanité, tourment d’esprit, déception, voilà le bilan final de la convoitise. Vous n’avez pas, vous ne possédez pas, vous n’obtenez pas, dit l’apôtre à ceux qui se laissent entraîner par leurs passions.
Et à ces mots : Vous n’obtenez pas, vous ne recevez pas, Saint-Jacques ajoute ceux-ci : Parce que vous ne demandez pas. C’est là encore un effet des passions, l’abandon de la prière. Quand on est sous l’empire d’une passion, on n’est guère disposé à élever son âme à Dieu par la prière ; le temps vient bientôt où l’on dit des choses de Dieu en général et de la prière en particulier : Je n’y prends plus de plaisir. — Remarquez, mes frères, l’insistance avec laquelle Saint-Jacques revient sur ce devoir de la prière. La tradition nous représente le frère du Seigneur comme un homme de prière, ayant l’habitude de passer de longues heures en prière sur les degrés du temple. Quand même nous ne le saurions pas par la tradition, nous verrions bien par son épître que Saint-Jacques était un homme de prière. Il a parlé de la prière dès ses premières exhortations, il en parle ici, il en parlera encore à la fin de sa lettre en nous proposant l’exemple du prophète Elie. Il ne se lasse pas de rappeler la nécessité de cet acte religieux par excellence.
Mais s’il est essentiel de prier, de demander pour obtenir quelque bénédiction, il ne l’est pas moins de prier comme il faut prier. — Vous ne demandez pas, dit Saint-Jacques. — Mais oui, nous demandons, diront plusieurs, nous avons prié, nous avons demandé, mais nous n’avons rien obtenu. — Voua demandez et vous ne recevez pas, répond l’apôtre, parce que vous demandez- mal. Saint-Jacques l’a dit au commencement de son épître, Dieu aime à donner, il donne libéralement à tous, sans rebuter, sans repousser personne. Comment donc se fait-il que tous ne reçoivent pas et largement grâce sur grâce ? Il n’y a que deux réponses possibles : c’est parce que tous ne demandent pas ou qu’ils demandent mal. Demander mal, c’est demander en vue de satisfaire ses passions, c’est donc demander des choses contraires à la volonté de Dieu. Ces choses-là, jamais Dieu ne nous a promis de nous les donner ; il nous aime trop, il veut trop le bien de nos âmes pour exaucer des prières ayant pour but d’obtenir des choses contraires à sa volonté et à nos intérêts véritables. C’est ainsi qu’un père sage et bon ne donnera pas à son enfant, malgré ses demandes les plus instantes, des objets qui lui seraient nuisibles ; il refusera de lui donner du poison ou une arme dangereuse qui pourrait le blesser ou le tuer. Dieu nous dit de demander, de chercher, de heurter sans nous lasser, et il nous promet de nous exaucer, mais il nous montre aussi quelles choses nous devons lui demander. Si nous qui sommes mauvais, savons donner de bonnes choses à nos enfants, combien plus notre Père céleste donnera-t-il le Saint-Esprit et tous les biens spirituels et véritables à ceux qui le lui demandent. La condition essentielle pour être exaucé, c’est donc de demander des choses réellement bonnes, conformes à sa volonté. C’est ici la confiance que nous avons en Dieu, dit Saint-Jean, que si nous lui demandons quelque chose selon sa volonté, il nous exauce. — Pesons bien cette déclaration de l’apôtre : Dieu nous exauce si nous lui demandons quelque chose selon sa volonté. Mes frères, êtes-vous sûrs, absolument sûrs que toutes les choses que vous demandez sont réellement conformes à la volonté de Dieu ? Vous souriez ou vous vous indignez peut-être lorsque on vous raconte que dans tel pays reculé, des brigands, avant d’attaquer et de dépouiller leur prochain, prient dévotement la Madone de faire réussir leur entreprise criminelle, Mais faites-vous beaucoup mieux si vous, qui êtes plus éclairés, vous demandez à Dieu des choses qu’il n’est pas dans sa volonté de vous donner, des choses propres à exciter vos passions et vos convoitises, des biens terrestres, des plaisirs, des jouissances matérielles qui peuvent perdre votre âme en l’éloignant de Dieu ?
Et ici Saint-Jacques indique l’effet le plus redoutable des passions, nous rendre ennemis de Dieu, en même temps qu’il met à nu la cause profonde de toutes nos passions, savoir l’amour du monde. En dévoilant cette cause première des passions, sa voix prend l’accent énergique des anciens prophètes : Hommes et femmes adultères, s’écrie-t-il. Adultères, expression qui revient souvent chez les prophètes qui l’appliquent aux membres du peuple de Dieu, infidèles à l’Éternel et à son alliance. Dieu s’appelle lui-même dans l’Ancien Testament l’époux de son peuple, comme le Sauveur dans le Nouveau Testament est appelé l’époux de son Église. Il est jaloux, saintement jaloux des âmes qu’il a créées, qu’il veut sauver, dont il veut le bonheur, et il a le droit d’en être jaloux. Et de la part des âmes qu’il a introduites dans son alliance, rompre cette alliance en se donnant à un autre qu’à Celui qui seul a droit à leur amour, n’est-ce pas un péché aussi grave que la rupture du lien conjugal par l’époux ou l’épouse, n’est-ce pas un adultère spirituel selon l’expression de l’Écriture ? L’amour du monde, voilà le grand péché qui ouvre la porte à tous les autres, péché bien répandu et contre lequel Dieu nous met constamment en garde. C’est pourquoi Saint-Jacques s’écrie : Ames adultères, infidèles à l’amour de votre Dieu qui vous a reçues dans son alliance, ne savez-vous pas que l’amour du monde est inimitié contre Dieu ? Qui veut être ami du monde se rend ennemi de Dieu. Ne le savez-vous donc pas ? Le Seigneur n’a-t-il pas dit : Nul ne peut aimer et servir à la fois deux maîtres différents. Vous ne pouvez aimer à la fois Dieu et Mammon, Dieu et le monde ? Et l’apôtre Saint-Jean dit aussi dans le même sens : N’aimez pas le monde. Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est point en lui.
Voilà la cause profonde des passions mauvaises en même temps que leur dernière conséquence, l’éloignement de Dieu, l’inimitié contre Dieu. Si les hommes emportés par leurs passions comme des brutes furieuses se disputent la terre et ses jouissances, c’est parce qu’ils oublient Dieu, source de tout bonheur et de toute vie, et parce qu’ils méconnaissent ou rejettent les biens véritables et éternels qu’il nous offre. Toutes les passions qui agitent les cœurs et qui règnent dans le monde se résument, dit Saint-Juan, dans la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l’orgueil de la vie. Ces trois convoitises sont la déviation de trois instincts légitimes de notre âme, besoin de jouir, de posséder et d’exister. Si l’amour de Dieu se trouve dans notre cœur, ces instincts de notre âme prendront leur vraie direction, vers Dieu et les choses de Dieu. — Notre âme a besoin de jouir. Dieu nous offre des joies pures et durables dont le Seigneur dit : Personne ne vous ravira votre joie. — Notre âme a besoin de posséder. Dieu nous offre des biens invisibles et excellents, des trésors que les vers et la rouille ne gâtent point, que les larrons ne percent et ne dérobent point. — Notre âme a besoin d’exister, de développer les forces cachées que le Créateur a mises en elle. Et voici la vie éternelle, voici la gloire, l’honneur et l’immortalité qui lui sont promis. A ceux qui connaissent ces biens-là on ne peut pas dire ce que Saint-Jacques disait à ceux qui sont animés de passions charnelles : Vous n’avez pas, vous ne possédez pas, vous n’obtenez pas, vous ne trouvez que déception. Et aussi, mes frères, le seul moyen de combattre et de vaincre les passions et les convoitises qui font la guerre à nos âmes, c’est d’ouvrir nos cœurs à la foi et à l’amour de Dieu. On ne détruit réellement que ce qu’on remplace. Pour que nous puissions renoncer à nos mauvaises passions et à l’amour du monde, il faut qu’un autre principe vienne remplacer celui dont nous voulons nous affranchir. Notre âme ne peut pas rester sans aliment, sans affection, sans attachement quelconque. Aussi lors même que, par impossible, nous serions arrivés à faire en quelque sorte le vide en nous et à détruire l’amour du monde dans nos cœurs, nous n’en serions pas beaucoup plus avancés si nous n’avions pas quelque chose d’autre et de meilleur à y substituer. Eh bien, pour chasser de nos cœurs l’amour du monde, il faut qu’un autre amour, l’amour de Dieu s’en empare. Pour déraciner les passions mauvaises, cause de trouble et de malédiction, il faut une autre passion, la sainte passion de Dieu et des choses de Dieu. Un chrétien éminent, Zinzendorf, disait : « Je n’ai qu’une passion, le Seigneur et Lui seul ». Ayons cette sainte passion, mes frères, et nous serons affranchis de ces passions funestes qui nous asservissent et nous dégradent. Un autre grand chrétien, Saint-Augustin, a dit : « Aime Dieu et fais ce que tu voudras. » Aimons Dieu, aimons-le réellement, sincèrement, et nous pourrons faire tout ce que nous voudrons, parce que nous ne voudrons plus que ce que Dieu aime, ce qui est conforme à sa sainte volonté.
Eternel roi ! Eternel roi !
Oui, t’aimer c’est la vie. Attire-nous à toi.
Tu nous sauvas par ton amour ;
Fais, Seigneur, fais qu’à son tour
Notre âme affranchie
Par son amour te glorifie ! Amen.
M. Borel
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