Il n’y a qu’une explication raisonnable de ce mystère sublime, et nous la trouvons dans le témoignage que le Christ se rend à lui-même sur son origine et sur sa nature surhumaine et divine. Ce témoignage mérite la plus grande considération et une foi entière, à cause de la véracité absolue du témoin, véracité que jamais personne ne lui a contestée, et que l’on ne saurait nier sans détruire du même coup le fondement de sa pureté morale, que l’on accorde universellement19.
19 – Quant à une exposition complète de ce témoignage, nous renvoyons au livre exégétique et dogmatique, fort instructif, de W.-F. Gess, actuellement professeur à Gœttingue : La doctrine de la personne du Christ, d’après la conscience même du Christ et le témoignage des apôtres, Bâle, 1856. Le traité remarquable du DrBushnell sur le caractère de Jésus est ici défectueux. Il n’établit pas la vraie divinité du Christ, mais semble se contenter de cette preuve qu’il fut plus qu’un homme, et qu’on ne peut le mettre sur le même rang que les fils d’Adam. Après avoir conduit le lecteur au delà de la grande difficulté, et de la limite de l’humanitarisme, il l’abandonne à lui-même et à son propre jugement sur le mérite de la conception orthodoxe du Christ.
Le Christ a affirmé son humanité avec la plus grande précision, et il se nomme lui-même quatre-vingts fois environ le Fils de l’homme. Cette expression, qui le met, par un côté, sur le même pied que nous, qui le fait chair de notre chair et os de nos os, indique cependant aussi qu’il est plus qu’un individu ordinaire ; qu’il n’est pas seulement un fils de l’homme, comme tous les autres descendants d’Adam, mais le Fils de l’homme, l’homme au sens le plus élevé, l’homme idéal, universel, absolu ; le second Adam venu du ciel, le chef d’un ordre nouveau et supérieur de la race humaine, le roi d’Israël, le Messie20. C’est, au fond, quoique avec moins de clarté, le cas de l’expression analogue Fils de David, qui est souvent employée, en parlant du Christ, comme le titre officiel du Messie promis, du roi d’Israël, et que nous trouvons, par exemple, dans la bouche des deux aveugles, de la femme phénicienne, et du peuple en général1.
20 – C’est ainsi que l’entendent de nombreux interprètes modernes allemands, et aussi le théologien anglican, plein d’esprit, le Dr Trench, actuellement archevêque de Dublin, qui remarque : « Il fut le Fils de l’Homme, parce que lui seul a réalisé tout ce que contient l’idée d’homme, en sa qualité de second Adam, de chef et de représentant de toute la race ; parce qu’il est, lui seul, la fleur parfaite et vraie qui est sortie des racines et du tronc de l’humanité. En prétendant à ce titre comme à sa propriété, il témoigne contre les pôles opposés de l’erreur sur le compte de sa personne, je veux dire contre le pôle ébionite, auquel l’emploi exclusif du nom de Fils de David pouvait facilement conduire, et contre le pôle gnostique, qui niait la réalité de sa nature humaine. Notes sur les Paraboles, 9e edit., Londres, 1858, p. 84. — Philon, théologien et philosophe juif, contemporain de Jésus, nomme le Logos (le Verbe éternel) le vrai homme.
Ainsi donc, cette dénomination de Fils de l’homme n’exprime pas du tout, comme beaucoup le soutiennent, l’idée seule de la condescendance, de l’abaissement du Christ ; elle renferme bien plutôt celle de son élévation au-dessus du niveau universel, et de l’accomplissement de l’idéal humain qu’il a réalisé au point de vue religieux et moral. Cette interprétation, que l’emploi de l’article défini rend grammaticalement nécessaire, a pour elle une raison historique ; car ce terme tire son origine du livre de Daniel 7.13, où il désigne le Messie comme chef d’un royaume universel et éternel. Elle se recommande d’ailleurs elle-même comme la plus naturelle et la plus expressive dans des passages tels que ceux-ci ; « Désormais vous verrez le ciel ouvert, et les anges de Dieu monter et descendre sur le Fils de l’homme (Jean 1.51). — Le Fils de l’homme a sur la terre le pouvoir de pardonner les péchés (Matthieu 9.6 ; Marc 2.28). — Le Fils de l’homme est maître même du sabbat (Matthieu 12.8 ; Marc 2.28). — Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez point la vie en vous (Jean 6.53). — Le Fils de l’homme viendra dans la gloire de son Père2. — Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu (Matthieu 18.11 ; Luc 19.10). — Le Père lui a donné le pouvoir de juger, parce qu’il est le Fils de l’homme » (Jean 5.27). Les passages eux-mêmes que l’on cite en faveur de l’autre opinion reçoivent, de notre manière de les expliquer, une force et une beauté plus grandes par le contraste qui fait très vivement ressortir la condescendance volontaire et l’abaissement du Christ ; ainsi quand il dit : « Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel des nids, mais le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête » (Luc 9.58) ; ou bien encore : « Celui qui veut être le plus grand, qu’il soit votre serviteur ; car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour plusieurs » (Matthieu 20.27-28). Ainsi l’humanité du Christ, avec son élévation surhumaine d’un côté et son abaissement assez profond de l’autre, pour atteindre à notre race déchue, pour l’élever et la racheter, constituent déjà le frontispice de sa divinité.
2 – Comp. Matthieu 19.28 ; 24.30 ; 25.31 ; 36.64 ; Luc 21.27, 36.
Mais il se nomme aussi, et il est très souvent appelé par ses disciples, le Fils de Dieu. Il n’est pas seulement un Fils de Dieu à côté des autres, à côté des anges, des archanges, des princes et des juges, des hommes rachetés et glorifiés, mais le Fils de Dieu, comme ne le fut jamais, comme ne l’est et ne peut l’être aucun autre, puisque tous ne possèdent leur filialité divine que par dérivation ou par adoption, comme un effet de leur nouvelle naissance spirituelle qui dépend de sa filialité absolue et éternelle3. Il est, ainsi que le désigne son disciple favori, le Fils unique ; ou bien, comme s’exprime l’ancienne théologie catholique, « engendré de l’essence du Père, de toute éternité. » C’est dans ce sens élevé que ses disciples lui attribuent volontairement ce titre4 qu’il ne repousse point ; et Dieu le Père l’appelle aussi de ce nom au baptême et à la transfiguration5. Ce n’est pas non plus sans portée et sans force, lorsque nous l’entendons toujours nommer Dieu mon Père, tandis qu’il nous apprend à lui dire notre Père ; car il est avec Dieu dans un rapport particulier, infiniment supérieur à celui des enfants d’Adam, qui ne deviennent enfants de Dieu que par la régénération et par l’adoption.
3 – Matthieu 11.27 ; 21.37 ; 32.42 ; 26.63 ; 27.43 ; Marc 12.6 ; 13.32 ; 14.62 ; Luc 10.22 ; Jean 5.19-26 ; 9.35-38 ; 10.36 ; 11.4 ; 14.13 ; 17.1 ; 19.7.
4 – Matthieu 16.16 ; Marc 3.11 ; Jean 1.18, 34, 49 ; 11.27 ; 20.31.
5 – Matthieu 3.17 ; Luc 3.22 ; Matthieu 17.15 ; Luc 9.35.
Le Christ fonde toute sa doctrine, ainsi que son royaume, sur sa propre personne. Sa personne divine-humaine est son thème constant, sa capitale affaire. Il est lui-même l’Evangile. Du reste, au milieu de toutes ses déclarations, vous ne sauriez découvrir la plus petite pensée d’orgueil, d’ambition ou de vanité ; il parle, il agit avec la simplicité et l’ascendant de la vérité la plus manifeste. Aussi ses paroles ont-elles sur les cœurs une puissance qui les subjugue. « En vérité, en vérité, je vous dis : » voilà comment Dieu parle dans l’Ancien Testament, et comme aucun homme n’a jamais parlé. « Si vous ne croyez pas que c’est moi (ou que je le suis), vous mourrez dans votre péché » (Jean 8.24). — Quelle majesté dans cette déclaration !
Le Christ lui-même dit sans cesse qu’il n’est pas de ce monde, mais que Dieu l’a envoyé ; qu’il est né de Dieu, et qu’il est au ciel, quoique sur la terre (Jean 3.13). Il n’annonce pas seulement la vérité, comme les autres messagers de Dieu, mais il se déclare lui-même la lumière du monde (Jean 8.12) ; le chemin, la vérité et la vie (Jean 14.6) ; la résurrection et la vie (Jean 11.25). Toutes choses, dit-il, m’ont été données par mon Père, et nul ne connaît le Fils que le Père, et nul ne connaît le Père que le Fils, et celui auquel le Fils le révélera6. Il invite ceux qui sont travaillés et chargés à aller à lui pour trouver le repos et la paix (Matthieu 11.28). Il promet la vie au sens le plus élevé et le plus profond, la vie éternelle, à tous ceux qui croient en lui7. Il soutient et il affirme qu’il est le Christ ou le Messie dont témoignent Moïse et les anciens prophètes, et le roi d’Israël8. Le souverain sacrificateur, en l’adjurant par le Dieu vivant, lui adresse en face de la mort, au nom de la théocratie toujours vénérable quoique dégénérée, cette question : Es-tu le Christ (le Messie promis), le Fils de Dieu ? Et il répond avec autant de calme que de réflexion : Tu le dis, et se proclame le Seigneur et le Juge du monde, au sein du plus profond abaissement et du triomphe apparent des puissances ténébreuses9 !
6 – Matthieu 11.17. Ce passage contient un parallèle frappant et décisif avec les sentences les plus sublimes du quatrième évangile, et prouve l’identité essentielle de l’image synoptique et johannique du Christ.
8 – Jean 4.26 ; 5.39,36 ; Matthieu 15.33 ; 16.16 ; 26.63, etc.
9 – Matthieu 26.63-65. Schleiermacher déclare que ce oui du Christ, en face des circonstances bien connues, est la plus grande parole qui soit jamais sortie de la bouche d’un homme, et la plus magnifique apothéose, ajoutant qu’aucune divinité ne peut être plus certaine que celle qui s’annonçait ainsi elle-même. Voyez ses Discours sur la religion, 4e édit., 1831, p. 292. — Voyez aussi les remarques de Luthardt, livre cité, p. 270.
Il n’y a donc pas de milieu : il faut choisir entre un homme vraiment divin et un blasphémateur insensé. Aussi le souverain sacrificateur, comprenant le sens de cette déclaration solennelle mieux que beaucoup de commentateurs modernes, déchira-t-il son vêtement sacerdotal, et s’écria avec indignation et avec horreur : Tu as blasphémé ! Jésus se désigne plusieurs fois comme le législateur de la nouvelle et dernière Alliance (Matthieu 5.22-24 ; 28.19-20) ; comme le fondateur d’un royaume spirituel aussi grand que le monde et aussi durable que l’éternité10 ; comme le Juge établi des vivants et des morts11 ; comme l’unique Médiateur entre Dieu et les hommes ; comme le Sauveur du monde12. Il se sépare de ses disciples en prononçant ces paroles sublimes qui suffisent à elles seules pour attester sa divinité : « Toute puissance m’a été donnée au ciel et sur la terre. Allez donc et enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant à garder tout ce que je vous ai commandé. Et voici, je suis toujours avec vous jusqu’à la fin du monde » (Matthieu 28.18-20).
10 – Matthieu 16.19 ; 27.11 ; Luc 22.30 ; Jean 18.36. Comp. Daniel 7.13 ; Luc 1.33.
11 – Jean 5.22,25-27 ; Matthieu 5.31, etc.
12 – Matthieu 18.11 ; Luc 9.56 ; 19.10 ; Jean 3.17 ; 5.34 ; 10.9 ; 12.47. Comp. Luc 1.47 ; 2.11 ; Jean 4.42, etc.
Le Christ, enfin, déclare qu’il existe entre Dieu et lui un rapport qui implique aussi bien l’égalité d’essence que la différence de personne, et qui, uni à ses enseignements sur le Saint-Esprit, conduit, par une nécessité logique, à la doctrine de la sainte Trinité. Car cette doctrine seule assure la divinité du Christ et du Saint-Esprit, sans affecter la vérité fondamentale de l’unité de la Divinité, et maintient le vrai milieu entre un monothéisme abstrait et un trithéisme polythéiste.
Le Christ se distingue sans cesse de Dieu le Père qui l’a envoyé, dont il est venu faire les œuvres, à la volonté duquel il est soumis, par la vertu duquel il fait des miracles, qu’il prie, et avec lequel il converse. Il se distingue tout aussi clairement du Saint-Esprit qu’il reçut à son baptême, qu’il souffla sur ses disciples, qu’il promit de leur envoyer et qu’il leur envoya comme l’autre consolateur, comme l’esprit de vérité et de sainteté, avec la plénitude de la rédemption. Mais jamais il n’a fait une semblable distinction entre lui et le Fils de Dieu ; et il emploie bien plutôt ce qualificatif, comme nous l’avons remarqué, dans un sens qui renferme beaucoup plus que la notion juive du Messie, et rien de moins que l’égalité d’essence et l’unité de substance.
En sa qualité de Fils, il affirme sa préexistence réelle et consciente avant que l’homme fût, que dis-je ? avant que le monde existât, et par conséquent aussi avant le temps ; car le temps a été créé avec le monde13. Voilà pourquoi l’opinion arienne de la préexistence temporelle est métaphysiquement insoutenable ; car autrement une créature aurait existé avant la création, et un être fini aurait commencé d’être avant le temps. Or, avant la création, il n’y avait que Dieu et l’éternité. Le temps n’est que la forme nécessaire de l’existence successive du monde, comme l’espace est la forme de l’existence simultanée de toutes les substances matérielles. Le temps, avant le monde, ne pourrait se rapporter qu’à Dieu, et Dieu n’existe pas dans le temps, mais dans l’éternité. Avant qu’Abraham fût, commençât d’être, dit le Christ, je suis ; et il emploie très significativement d’abord le passé, et puis le présent, pour caractériser la différence qui sépare le monde temporel de l’existence humaine de sa propre existence éternelle21. Dans sa prière, sacerdotale il demande à être de nouveau glorifié de la gloire qu’il avait auprès du Père avant la fondation du monde14. Il accepte des noms et des attributs divins, pour autant qu’ils s’accordent avec son état d’abaissement, et il exige et reçoit tout ensemble les honneurs divins (Jean 5.23). Il pratique librement et à plusieurs reprises le privilège divin de pardonner les péchés en son propre nom ; aussi, les pharisiens et les scribes, fidèles à leur point de vue, n’y voient-ils, à juste titre, qu’une prétention blasphématoire15. En employant le pronom nous pour désigner et le Père et Lui, il se place dans une même et unique catégorie avec la majesté infinie de Jéhovah, et il déclare hardiment : Qui me voit, voit le Père (Jean 14.9) ; Moi et le Père, nous sommes un16. Dans la formule du baptême il se coordonne à Dieu le Père et au Saint-Esprit, et il accepte que Thomas lui dise, au nom de tous les apôtres : Mon Seigneur et mon Dieu ! (Jean 20.28 ; Matthieu 28.19)
13 – D’après l’ancienne et juste maxime : Le monde a été fait non pas dans le temps, mais avec le temps.
21 – Jean 8.58 : « En vérité, un vérité (annonciation solennelle d’une importante vérité), Je vous dis qu’avant qu’Abraham fût, je suis. » Il faut faire attention non seulement à la différence de temps, mais aussi de verbe. Car γίνεσθαι, devenir, commencer d’être, passer de la non-existence à l’existence, implique une origine ou un commencement dans le temps, une non-existence antérieure, et n’est applicable qu’à des êtres créés ; tandis qu’εἶναι s’entend aussi de Dieu, et d’une existence aussi bien éternelle que temporelle. Comparez le ἤν du Logos, Jean 1.1 avec le verbe ἐγένετο de l’homme (Jean 1.6). H.-A. Meyer, le meilleur d’entre les exégètes grammairiens actuellement vivants, remarque, à bon droit, sur Jean 8.58 : « Comme Abraham n’avait pas préexisté, mais était arrivé à l’existence par sa naissance, il y a γενέσθαι ; au contraire, le verbe εἰμὶ indique l’être en soi que Jésus possédait sans un préalable devenir, en tant qu’il était, par son être divin, antérieur au temps. Le présent indique ce qui, du passé, continue à durer. Comp. Jérémie 21.5 ; Psaumes 90.2. Winer, grammaire, p. 309. » Puis Meyer continue en réfutant les fausses interprétations sociniennes et rationalistes de ce passage. La négation de la préexistence est absolument inconciliable avec les déclarations les plus claires de Jean, de Paul, bien plus, du Christ lui-même.
14 – Jean 17.5. Comparez le témoignage des apôtres, Jean 11-14 ; Colossiens 1.16 ; Hébreux 1.2-3.
15 – Matthieu 9.6 ; Luc 5.20-24 ; 7.47-48.
16 – Jean 10.30. Ce passage enseigne à coup sûr plus qu’une unité morale de volonté : il affirme, d’après le contexte, l’unité de puissance qui s’appuie sur l’unité d’essence. La particule ἕν exclut l’arianisme, et le pluriel ἑσμέν exclut le sabellianisme et le patripassianisme.
Voilà bien les prétentions les plus étonnantes, les plus extraordinaires qui aient été jamais émises. Et c’est Lui, le plus modeste et le plus humble de tous les hommes, qui les énonce à diverses fois et avec persévérance, devant le monde entier, et même à l’heure la plus sombre de sa Passion. Il ne les exprime pas en un langage arrogant, pompeux, plein de jactance, ce qui est presque toujours le cas et le signe des fausses prétentions ; mais il reste simple, nature], comme pour une chose qui va de soi, ainsi qu’un prince du sang parlerait des attributs et des manifestations de la dignité royale, à la cour de son père. Il n’hésite et ne doute jamais à leur égard ; il ne les justifie point, et ne condescend jamais à une explication. Il les donne comme des vérités claires par elles-mêmes, et qui n’ont besoin que d’être exprimées pour réclamer la foi et la soumission des hommes.
Et maintenant, représentons-nous, pour un moment, un docteur purement humain, quelque grand et bon qu’il puisse être, un Moïse, par exemple, ou un Elie, un Jean-Baptiste, un apôtre Paul ou Jean, — pour ne pas parler d’un Père de l’Eglise, d’un scolastique ou d’un réformateur, — et faisons-lui dire : « Je suis la lumière du monde ; je suis le chemin, la vérité, la vie ; moi et le Père sommes un » faisons-le crier à tous les hommes : « Venez à moi, suivez-moi, pour trouver la vie et la paix que vous chercheriez en vain ailleurs ; » est-ce qu’un sentiment universel de pitié ou d’indignation n’éclaterait pas de toutes parts ? Avouons-le, il n’est point d’homme sur la terre qui pût émettre même la plus petite de ces prétentions, sans être soudain flétri du nom d’insensé ou de blasphémateur17 !
17 – Dans son Commentaire, sur l’évangile de Jean, 1861, vol. III, p. 361, le DrHengstenberg remarque à juste titre : « que les hommes qui se font eux-mêmes Dieu, sont toujours des fous ou des scélérats. Qui donc, si ce n’est un ennemi de Dieu, osera mettre Jésus dans l’une ou dans l’autre de ces deux classes ? »
Et cependant ces prétentions colossales, émanant de la bouche du Christ, n’excitent ni indignation, ni pitié, et pas même le plus léger soupçon d’inconvenance. Nous les lisons et nous les entendons sans cesse, et sans étonnement aucun18. Elles nous paraissent tout à fait naturelles, et magnifiquement appuyées par une vie extraordinaire au plus haut degré, et par des œuvres qui ne le sont pas moins. Ici point de place pour une ombre, même fugitive, de vanité, d’arrogance ou d’illusion propre. Pendant dix-huit siècles, des millions d’hommes de toute nation et de toute langue, de tout rang et de toute condition, les plus savants et les plus puissants, comme les plus incultes et les plus infimes, ont reconnu d’instinct que le Christ était véritablement ce qu’il prétendait être.
18 – « De tous les lecteurs de l’Evangile, dit Bushnell, p. 290, il n’en est vraisemblablement, pas un sur cent mille à qui il vienne à l’esprit d’accuser Jésus de fraude ou de vanité démesurée dans ses prétentions. » Les meilleurs d’entre les unitaires s’inclinent même involontairement devant ces prétentions, quoiqu’elles contredisent leurs croyances. Voyez le remarquable passage de Channing, que nous citons plus bas.
N’est-ce point là un fait très remarquable ? N’est-ce pas une justification victorieuse du caractère du Christ, et une preuve irrésistible de la vérité de son affirmation ? Et pouvons-nous le nier, et nous refuser a reconnaître sa divinité, sans détruire sa véracité et sans anéantir le fondement de sa bonté morale et de sa pureté, que les hérétiques et les incrédules eux-mêmes s’accordent à proclamer ? Le plus sage, le meilleur, le plus saint des hommes, le plus grand docteur et le plus grand bienfaiteur de notre race, de l’aveu du monde civilisé, se déclare lui-même un avec le Père, et s’identifie par sa volonté, par son essence et par ses attributs, avec le Dieu infini, en un sens si étendu, si profond, si unique, qu’aucun homme, qu’aucun ange ou qu’aucun archange ne pourrait le faire un seul instant sans blasphème et sans folie ; il reçoit l’adoration de ses propres disciples ; eh bien ! je le demande, comment pourrions-nous nous refuser raisonnablement à tomber à ses pieds, et à nous écrier de toute notre âme avec Thomas, le représentant du doute honnête qui aime et qui cherche la vérité : Mon Seigneur et mon Dieu !
C’est là le témoignage de l’âme naturellement chrétienne, pour employer un mot célèbre de Tertullien, de l’âme qui est faite pour le Christ, qui soupire après lui, et qui ne trouve aucune satisfaction à ses infinis désirs de tout ce qui est vrai, beau, saint et bon, que lorsqu’elle arrive à croire en Christ, le chemin, la vérité et la vie, l’homme devenu Dieu et le Dieu devenu homme, dans sa personne unique, indivisible et éternelle.