Le prophète selon la Bible
Avant d'analyser le chapitre 14 de cet écrit où l'apôtre Paul met en contraste le don des langues avec celui de la prophétie, il est nécessaire d'établir le sens biblique des termes « prophète », « prophétie » et « prophétiser », d'autant plus que les idées courantes sur ce don sont très confuses et parfois aberrantes. Il serait trop long d'étudier cette question ici en profondeur. Je l'ai examinée de façon plus détaillée dans Explosion de Vie, au chapitre VII. À présent, je me borne à n'en relever que les aspects fondamentaux.
1° Le prophète dans l'Ancien Testament
Moïse, au moment de consacrer le peuple d'Israël à l'Éternel par l'alliance du Sinaï, lui a donné une loi divinement inspirée. Celle-ci, étant mise par écrit, a revêtu ainsi un caractère définitif, inaltérable. Moïse a, en même temps, mis à part la tribu de Lévi pour qu'elle en assure l'enseignement de génération en génération. De cette manière, Dieu a communiqué à son peuple un enseignement qu'il a confié à des enseignants officiels.
Pourtant, après la mort de Moïse et de Josué son successeur, le peuple ayant cessé d'apporter les dîmes et les offrandes aux Lévites, ceux-ci ont délaissé l'enseignement de la loi de Dieu : la conséquence en est que la nation a sombré rapidement dans l'idolâtrie et l'immoralité. (Voir à ce sujet le livre des Juges et en particulier les chapitres 17 à 21.) C'est alors que Dieu a commencé à susciter les prophètes, hommes et femmes qu'il prenait dans n'importe quelle tribu d'Israël. Ces prophètes sont devenus les porte-parole de Dieu — le mot « prophète » (en grec : prophêtés) signifie précisément cela — pour rappeler à l'ordre à la fois le peuple et les enseignements eux-mêmes. Par exemple, le petit Samuel a dû réprimander l'enseignant en chef de son époque, le souverain sacrificateur Éli. 1 Samuel 3 (Ne pas confondre cet Éli avec le prophète Élie du temps d'Achab.)
Ce qui distinguait les prophètes des autres hommes, c'était non seulement leur vie remarquable, très souvent solitaire et incomprise, mais surtout le fait qu'ils étaient reconnus comme « ayant la Parole de Dieu ». Ils étaient en communion directe avec l'Éternel et transmettaient fidèlement la vérité telle qu'ils l'avaient reçue de lui.
Pourtant, ils « n'inventaient » pas leur message. Dans un sens, ils ne disaient rien de nouveau, ils ne faisaient que répéter et renforcer le message que Moïse avait transmis à Israël dès le début. Car Moïse lui-même, avant de quitter ce monde, avait posé les fondements du message prophétique à la fin de son résumé de la loi dans les chapitres 28 et 30 du livre du Deutéronome. Cette prophétie primordiale de Moïse contient trois principes spirituels majeurs :
Le rôle du prophète consistait essentiellement à répéter ces trois vérités. Il n'ajoutait pas à la loi, il l'appliquait plutôt à la conscience de ses contemporains. Son message, certes, était vivant et lumineux, inspiré de Dieu ; c'était la voix de Dieu adressée à la nation. Il contenait, c'est indéniable, un élément de nouveauté ; c'était une prédication fraîche, actuelle, étrangement émouvante ; mais en fait, le prophète ne faisait que rappeler au peuple la loi et l'alliance de son Dieu.
Ainsi, face à l'apostasie, les prophètes dénonçaient le péché du peuple et l'appelaient à la repentance. S'il ne se repentait pas, le prophète alors le menaçait des châtiments que Moïse avait prévus.
Ensuite, devant le spectacle du peuple de Dieu dans le désarroi, écrasé par ses ennemis et même en captivité, il lui rappelait les bénédictions que Dieu avait promises par Moïse, en l'exhortant à revenir à Dieu et à s'emparer de sa Parole par la foi.
Le message du prophète était en fait une épée à deux tranchants. L'accent dépendait des circonstances :
— ou il avertissait le peuple par les menaces que contient la Parole de Dieu ;
— ou il l'encourageait par les promesses de la Parole de Dieu.
Dans les deux cas, le message du prophète s'inspirait directement de la Parole de Dieu. Il fondait sa prédication (ainsi que ses prédictions) sur l'Écriture.
Le rôle du prophète est dépeint très concrètement dans 2 Rois 17.12-23.
2° Le prophète dans le Nouveau Testament
L'apôtre Paul, comme le Seigneur Jésus, Matthieu 23.34 accorde une place importante au prophète dans l'économie du Nouveau Testament. Paul définit le rôle du prophète dans l'église de façon succincte :
« Celui qui prophétise... parle aux hommes de manière à les édifier, soit en les avertissant (ou : les exhortant), soit en les encourageant (ou : les consolant). » (1 Corinthiens 14.3 Je crois traduire ici la pensée de Paul aussi exactement que possible.)
Il va sans dire que le message du prophète néo-testamentaire est tout autant fondé sur la Parole de Dieu que celui du prophète de l'Ancien Testament. Il l'est encore plus, puisque sa foi est enracinée dans la Bible tout entière. Plus la pensée du prophète chrétien est enracinée dans les Écritures, plus elle est imprégnée de l'Esprit de Dieu et plus son appel est puissant et authentique.
Paul reconnaît l'existence d'un véritable don de prophétie. L'église a terriblement besoin de vrais prophètes, des hommes de Dieu chargés d'un message d'actualité, d'une parole urgente, claire, tranchante, qui réveille l'esprit et qui ouvre les yeux des croyants. Le prophète est l'homme que Dieu place au milieu de son peuple comme sentinelle. Profondément pénétré de la vision de Dieu et de sa Parole, il voit plus loin que ses frères ; il discerne les temps, les saisons, les tendances : il avertit, il signale les déviations et les dangers, il dénonce l'erreur, il appelle à la repentance.
Son message n'est pourtant pas négatif. Le but du prophète est surtout d'encourager ses frères. Il veut qu'ils prennent au sérieux les promesses de Dieu et qu'ils marchent de l'avant par l'Esprit, qu'ils agissent, qu'ils attaquent l'ennemi en comptant sur le Seigneur afin d'accomplir la volonté de Dieu, même en face des impossibilités.
Le vrai prophète ne « tire pas son message de l'air » ; il parle « Bible en main ». La Parole de Dieu est au fond de son cœur d'où elle jaillit spontanément, avec force Psaumes 40.9 Psaumes 119.97. Il n'invente pas, il proclame au nom de Dieu les vérités qui lui sont révélées par l'Écriture, il les applique à la situation actuelle. Cet homme est la « conscience » spirituelle et morale de l'église. Il est en quelque sorte « l'œil » et peut-être aussi « l'oreille » ou le « nerf » du corps de Christ.
Quelques notions erronées de la prophétie
1° — Nous devons éviter la superstition populaire qui fait du prophète une sorte de clairvoyant mystique toujours en train de prédire l'avenir.
Il est vrai que le prophète voit clair et que, de ce fait, il prédit souvent ce qui va arriver, parfois même avec une exactitude étonnante : mais sa prédiction ne vient pas de son intuition humaine, elle émane plutôt de sa vision de Dieu et de sa connaissance des Écritures. Parce qu'il connaît les principes spirituels qui émanent du caractère de Dieu, exprimés dans sa Parole, le prophète discerne le sens des événements, il prévoit l'aboutissement des tendances dans le monde et dans l'église. Il voit, parce qu'il connaît la pensée de Dieu ; il sait ce que Dieu veut faire. L'Esprit l'oriente dans le sens de sa volonté.
Seulement, cette compréhension des choses ne lui est pas donnée pour « épater les gens », mais, au contraire, pour avertir ses frères, pour bâtir l'église en lui ouvrant des portes pour évangile et en lui évitant de suivre une fausse route. La prédiction de l'avenir n'est qu'un rôle très secondaire du prophète. Son travail essentiel consiste à dénoncer le péché et à rallumer la foi de ses frères en les ramenant chaque fois à la Parole de Dieu.
2° — Au cours des siècles, le don du prophète a été tristement négligé par le christianisme en général. La structuration de l'église n'a guère laissé de place à ce ministère précieux et tellement nécessaire. Il y a eu, c'est vrai, des prédicateurs et des auteurs très perspicaces qui ont reçu de Dieu une vocation vraiment « prophétique » ; mais la formation « pastorale » a trop souvent étouffé la voix prophétique de l'Esprit. Paul dit cependant : « Vous pouvez tous prophétiser successivement » 1 Corinthiens 14.31. Il ne dit cependant pas que tous les croyants aient le don de prophétie ; mais que chacun peut et doit contribuer, dans l'ordre et selon la lumière que Dieu lui accordera, à l'édification spirituelle de l'assemblée.
De nos jours, on confond très souvent le rôle du prophète avec celui du « prédicateur » ou du « pasteur ». Or, il est vrai qu'un « prédicateur » peut être prophète ; il est également possible qu'un « pasteur » prophétise ! Mais le don du pasteur et celui du prophète, comme celui du docteur ou de l'enseignant, sont nettement différenciés dans la Bible. Le prédicateur, lui, peut être évangéliste, docteur, prophète ou encore autre chose ; pourtant, les mots bibliques « prédication » et « prêcher » sont généralement employés, dans le Nouveau Testament, dans le contexte de l'évangélisation. (Notons, en passant, que Jésus s'asseyait pour enseigner et qu'il se levait pour prêcher !)
3° — D'autre part, on imagine souvent que le prophète tire son inspiration d'une source plutôt indéfinissable qui n'a pas nécessairement de rapport direct avec la Bible. Cette conception ouvre facilement la porte à toutes sortes d'aberrations qui peuvent discréditer le témoignage de Christ. J'ai entendu moi-même, dans des réunions dites « bibliques », des prophéties de ce genre qui auraient pu être prononcées tout aussi bien dans un milieu bouddhiste ou hindou ou même spirite, tellement le contenu évangélique du message était atténué. Le message du vrai prophète est au contraire toujours en rapport avec l'Écriture et l'Esprit de Dieu l'applique avec une fraîcheur et une puissance qui atteignent le cœur des fidèles.
Les faux prophètes
Il est nécessaire de se rappeler le fait que la Bible reconnaît deux sortes de prophètes : le vrai et le faux. Pour décrire le faux prophète, la Bible, surtout dans la version grecque de l'Ancien Testament, se sert le plus souvent d'un terme autre que prophêtés ; il s'agit du mot mantis. Pour comprendre la différence, il suffit de prendre en considération le sens que donnait l'Antiquité païenne à ce dernier terme.
Le (ou la) mantis tombait souvent en extase, parlait plutôt en un langage inintelligible qui devait être interprété ensuite par un prophêtés qui, lui, s'adressait à son auditoire directement en langue connue. Or, Dieu rejette totalement et condamne la conception prophétique du mantis qui est toujours considéré dans l'Ancien Testament comme étant sous l'influence des puissances occultes, démoniaques. (Pour une étude de cette question, avec une liste complète de références, voir Explosion de Vie, chapitre VII page 298-300 et Appendice IX.) Ce terme se trouve une seule fois dans le Nouveau Testament, sous la forme du verbe manteuomai ; il s'applique au cas de la jeune fille démoniaque à Philippes.
(Afin de saisir toute la portée du terme mantis, avec ses dérivés, il serait utile d'examiner le sens que lui donne l'Esprit de Dieu dans toute la Bible. Pour faciliter cette étude, je donne ici la liste complète des références : Nombres. 22.7 ; 23.23. Deutéronome 18.10-14. 1 Samuel 28.8-9. 2 Rois 17.17. Proverbes 16.10. Ésaïe 16.6 ; 44.25. Jérémie 14.14 ; 27.9. Ézéchiel 12.24 ; 13.6-8,23 ; 21.26,28,34 ; 22.28. Michée 3.6,7,11. Zacharie 10.2. Seule mention dans le Nouveau Testament : Actes 16.16-18.
Ce terme, avec ses dérivés, signifie toujours la divination et celui ou celle qui la pratique : le devin ou la devineresse.
Noter que Moïse (dans Deutéronome 18.10-14) met le (ou la) mantis (le devin) et la manteia (la divination) sous la même condamnation que l'astrologie, l'augure, la magie, l'enchantement, l'évocation des morts, la prédication de la bonne aventure et le sacrifice des enfants à Moloch par le feu.
Balaam est traité de mantis (Josué 13.22), ainsi que les faux prophètes des païens.)
Cela nous donne à réfléchir, car, dans bien des rencontres contemporaines, qu'elles soient vraiment chrétiennes ou non, les manifestations spirituelles ressemblent remarquablement à ce phénomène païen de l'Antiquité. Que Dieu nous donne le discernement nécessaire pour ne pas dévier de sa Parole dans ce domaine.
Avec une conception ainsi clarifiée du rôle du prophète chrétien, nous sommes infiniment mieux placés pour comprendre l'argumentation de Paul dans 1 Corinthiens 14. Nous sommes également alertés contre les déformations que peuvent introduire les puissances ennemies qui cherchent sans cesse à brouiller notre vision de la face de Dieu et à entraver son œuvre.
Les traducteurs de la Bible nous ont rendu un service inestimable ; ils nous ont apporté la lumière.
Cependant, ils compliquent parfois notre étude de la Bible, car aucune version n'est parfaite. Il est vraiment dommage que certaines versions françaises et autres, sans la moindre justification, traduisent le mot grec glôssa dans 1 Corinthiens 14 : « langue inconnue », ou : « langue inintelligible », ou : « langue extatique », ou bien : « le langage de l'extase »... alors que partout ailleurs dans la Bible, ils le traduisent tout à fait normalement par le simple mot : « langue ». Une version anglaise moderne se permet de le traduire « strange sounds », ce qui signifie : « sons (ou bruits) étranges » !
Or, glôssa ne signifie rien d'autre que « langue » : soit l'organe physique dans la bouche, soit le langage ou la langue parlée.
D'ailleurs, dans Actes 2, comme nous l'avons vu, Luc emploie indifféremment glôssa et dialektos (qui donne le mot français « dialecte ») pour décrire la même chose. Ces deux termes grecs sont pratiquement interchangeables et tous les deux signifient simplement une langue humaine. Je pense qu'aucun Français ne serait flatté si nous qualifiions sa langue de « bruits étranges » ou de « langage inintelligible » !
Pourquoi compliquer le sens du texte en prêtant à ce mot une signification qui n'est pas du tout celle de l'original ? Il est fort possible que les chrétiens de Corinthe, si récemment sortis du paganisme, aient voulu donner au mot glôssa le sens d’un parler inintelligible, car le mantis, le prophète démoniaque de l'Antiquité, avait l'habitude de s'exprimer de cette façon. Je suis pourtant sûr que Paul ne voyait pas la chose ainsi. Il savait pertinemment de quelle manière le Saint-Esprit avait agi à la première Pentecôte où l'Église était née. Il ne cherchait certainement pas à introduire dans l'Église la confusion de Babylone ou de Babel. (En hébreu Babylone et Babel sont le même mot.) Pour lui, le royaume de Christ était la lumière de la sagesse infinie de Dieu ; la Parole de Dieu était radieuse, transparente, sans équivoque.
Voici la liste complète des références avec mention de « langue » ou « langues » dans le Nouveau Testament grec :
Il y a trois mots grecs que les versions traduisent par « langue ». Le plus fréquent est glôssa. Dans Actes 2 glôssa et dialektos sont juxtaposés et se réfèrent au même phénomène. Le mot phônê ne signifie pas strictement « langue » mais plutôt « voix » ou « son », Glôssa et dialektos signifient tous les deux une langue parlée (ou écrite).
Je donne ici tous les passages ayant rapport au phénomène des langues surnaturelles.
Sauf indication contraire, le mot grec en question est glôssa.
Marc 16.17 (passage douteux, manque dans plusieurs des meilleurs manuscrits)
Actes 2.3 (langues de feu)
Actes 2.4
Actes 2.6 (dialektos)
Actes 2.8 (dialektos)
Actes 2.11
Actes 10.46
Actes 19.6
1 Corinthiens 12.10 (deux fois), 28, 30
1 Corinthiens 13.1,8
1 Corinthiens 14.2, 4, 5 (deux fois), 6, 9, 13, 14, 18, 19, 22, 23, 26, 21, 39 (en tout 15 mentions dans ce chapitre).
Noter qu'aux versets 7, 8, 10, 1 1, le grec emploie le mot phônê = « voix » ou « son ».
Pour celui qui désire tout vérifier méticuleusement, je donne ici toutes les autres mentions de « langue » dans le Nouveau Testament.
a) Le mot glôssa se trouve encore dans les passages suivants :
Marc 7.33, 35
Luc 1.64 ; 16.24
Actes 2.26
Romains 3.13 ; 14.11
Philippiens 2.11
Jacques 1.26 ; 3.5, 6 (deux fois), 8
1 Pierre 3.10
1 Jean 3.18
Apocalypse 5.9 ; 7.9 ; 10.11 ; 11.9 ; 13.7 ; 14.6 ; 16.10 ; 17.15
Dans chacun de ces cas, le mot glôssa signifie une véritable langue humaine, connue et parlée à l'époque. Il ne signifie jamais une expression inintelligible ou mystique.
b) Le mot dialektos (= langue) se trouve dans les passages suivants :
Actes 1.19 ; 2.6, 8 (déjà notés) ; 21.40 ; 22.2 ; 26.14
Dans chacun de ces cas, le mot dialektos signifie une véritable langue humaine, connue et parlée à l'époque. En grec classique il peut signifier également : discours, conversation, dialect régional. Il n'est jamais incompréhensible.
c) Le mot phônê se trouve presque 140 fois dans le Nouveau Testament, la plupart des fois dans l'Apocalypse. Les versions le traduisent généralement par « voix », mais parfois, selon le contexte, par « son » ou « bruit ». Segond le traduit par « langue » dans 1 Corinthiens 14.10-11 et par « son » aux versets 1 Corinthiens 14.7-8.