LA VIE À LA CAMPAGNE : L'ouvrier de village. — Le laboureur. — Les semailles et la moisson. — Le blé. — L'orge. — L'aire. — Les vergers. — La culture de la vigne. — Le pressoir. — La tour. — Les signes des temps. — Les pluies de la première et de la dernière saison. — L'âme. — Le bœuf. — Le cheval. — Le chameau. — Le chien. — Le porc. — Le mouton. — Le loup. — L'hyène. — Le serpent. — Les insectes.
LES VOYAGES : Les voyages. — Les grandes routes. — Le costume du voyageur. — Les salutations. — L'hospitalité.
Il serait intéressant de connaître exactement la condition de l'ouvrier de village, de sa femme, de ses enfants, puisque cette condition a été celle de Joseph, de Marie, de Jésus, enfant et jeune homme. Malheureusement les renseignements sont peu nombreux et peu précis. Nous savons que l'artisan de village n'était ni riche ni pauvre. Sans fortune, vivant au jour le jour, il était pauvre au sens moderne de ce mot (et même le nombre des pauvres était très considérable en Palestine), mais il ne souffrait d'aucune privation, il ne manquait de rien, il ne se plaignait pas. Dans ces pays chauds où la nature subvient à tout, les exigences de la vie sont nulles, et le besoin de confort n'existe pas. L'homme n'éprouve aucun désir de se créer par son travail le bien-être matériel. Ce bien-être il le possède, car ni le sol, ni le climat, n'ont de rigueurs pour lui. Son métier, au temps de Jésus, l'occupait fort peu. Chacun avait le sien, appris dans l'enfance, et aucune idée humiliante ne se rattachait à la pratique d'un travail manuel. Le fils suivait ordinairement la carrière de son père[1]. Nous avons remarqué que, d'après la parabole des ouvriers de la onzième heure, la journée devait être d'un denier, et ces 88 ou 90 centimes représentaient au moins 5 francs de notre monnaie.
Nous connaissons assez bien l'agriculture, grâce aux traités Péah, Demaï, Kilaïm, Sheviith. Tout le pays était cultivé et bien cultivé[2]. Les instruments aratoires étaient des plus simples ; la bêche était connue[3], la charrue aussi, tirée par des bœufs ou des ânes[4], le soc était en fer[5], elle n'avait point de roues et devait être en tout semblable à celle des Arabes d'aujourd'hui. Le laboureur tenait en main un aiguillon appelé dorban.
Une des cultures les plus répandues était celle de l'orge. Tantôt on le semait à la fin de Marcheschvan[6] (commencement de novembre), tantôt en Schebat et Adar (février où commencement de mars)[7]. Le blé commençait à se semer dès le mois de Tischri (vers octobre), et à partir de ce moment pendant tout l'hiver. « Donne une bonne portion de semence à ton champ en Tischri et ne crains pas de semer même en Kisleu[8] » (décembre).
La moisson de l'orge se faisait le premier mois de l'année ; elle s'ouvrait légalement le second jour de la fête de Pâques.
Quand au blé, il mûrissait un peu plus tard. Jésus, passant par des blés au mois d'avril, les apôtres trouvent des épis mûrs et les mangent[9].
L'aire (goren) était toujours à ciel ouvert au milieu des champs[10], car, dans la saison de la récolte, aucune pluie n'était à craindre. C'était le bœuf qui foulait le blé avec les pieds ; on ne devait pas le museler, avait dit Moïse, pour qu'il pût prendre sa part de la récolte[11]. Toutes ces anciennes coutumes étaient fidèlement observées, et, en général, toutes les ordonnances légales relatives à l'agriculture. C'est ainsi qu'on mettait un grand soin à dîmer sa récolte, à laisser l'angle du champ aux pauvres et à ne pas violer la loi de la septième année où la terre devait rester en friche[12].
Une des cultures les plus importantes était celle de la vigne[13]. Elle ne formait pas, comme chez nous, des vignobles distincts. Les Juifs plantaient ensemble l'olivier, le figuier et la vigne ; celle-ci grimpait à sa guise sur les tiges vivaces qui étaient près d'elle. L'ensemble de ces cultures est appelé verger dans les versions ordinaires de la Bible[14]. On se représente ce que devait être cette végétation luxuriante, au milieu de laquelle brillaient ces grandes anémones rouges (anemona coronaria) si communes dans le midi de la France et qui sont « les lis des champs » de l'Évangile[15].
En Palestine, presque toutes les fleurs du printemps sont rouges. Il faut remarquer aussi que la plupart des arbres, l'olivier, le cyprès, le térébinthe, le grenadier, conservent leurs feuilles en hiver. Le figuier les perd au contraire, et c'est lui qui indique le mieux le retour de la belle saison. « Ses feuilles poussent[16]. »
Pline affirme, qu'en Orient, on laissait la vigne ramper à terre[17] ; mais il ne parle que de la Syrie. En Palestine, les ceps étaient debout et fort élevés, on s'asseyait dessous. C'étaient d'ordinaire les troncs des figuiers qui les soutenaient et c'est ainsi qu'on se mettait à la fois « sous sa vigne et sous son figuier[18]. »
Les vignes ou plutôt les vergers étaient entourés de haies[19] ou de murs[20], et garnis de cabanes et de tours dans lesquelles, se tenaient des gardiens quand les fruits étaient mûrs[21]. La tour avait d'ordinaire 10 coudées (4 m. 50) de hauteur et 4 (1 m. 80) de largeur. « Elle est un endroit élevé, dit la Mischna, où se tient le vigneron pour surveiller sa vigne[22]. » Il fallait attendre quatre années après la plantation, pour faire une récolte de raisin[23].
La fête des Tabernacles, qui marquait la fin de toutes les récoltes, était célébrée précisément à l'époque de la vendange. Les vignes retentissaient alors de chants et de cris de joies[24]. Le pressoir était toujours dans le verger. Il était formé d'une cuve en pierre, où l'on jetait les grappes, qui étaient foulées aux pieds par les vendangeurs. Au fond de cette cuve une ouverture grillée laissait passer le vin, qui était recueilli dans un réservoir creusé dans la terre et maçonné on quelquefois taillé dans le rocher. Quand le vin était fait, on le conservait dans des outres de peau de chèvre ou dans des vases de terre. Les crûs les plus estimés étaient ceux du Liban et du pays de Moab.
La terre était si fertile que si, on la laissait en friche, des plantes de diverses espèces y paraissaient aussitôt. Nous mentionnerons, en particulier, une épine ligneuse, presque rampante, qui abonde près de Jérusalem encore aujourd'hui. On s'en sert pour allumer le feu et on en garnit le haut des murs pour empêcher les maraudeurs de passer. Il est facile d'en former des guirlandes, et il est probable que cette plante a servi à faire la couronne d'épines de Jésus[25]. Les épines en sont fines, les fleurs petites et ses branches s'arrondissent facilement.
Les Juifs se préoccupaient beaucoup du temps. Ils observaient, suivant leur propre expression, « les signes des temps[26]. » « Le dernier jour de la fête des Tabernacles, tous observent la fumée, dit un des Talmuds. Si elle monte vers le Nord, les pauvres se réjouissent et les riches se désolent, parce qu'il y aura beaucoup de pluies l'année suivante, et que les fruits se gâteront. Si la fumée se dirige vers le Sud, les riches se réjouissent et les pauvres se désolent, parce que les pluies seront rares et les fruits magnifiques. Si la fumée se dirige vers l'Ouest, tous sont heureux. Si c'est vers l'Occident, tous sont tristes[27]. » Cette question de la pluie était importante. On distinguait « la pluie de la première et celle de la dernière saison »[28]. Nous savons exactement ce que signifient ces expressions.
« Quelle est la première pluie ? Elle commence le 3 du mois de Marcheschvan, celle du milieu est le 7 et la dernière le 17. Ainsi parle R. Meir, mais R. Judah dit : le 7, le 17 et le 21[29] ». Le 3 Marcheschvan devait tomber vers le 20 octobre. Il y avait donc tous les ans, en automne, une série de pluies appelées de la première saison et elles duraient jusqu'en novembre. Elles étaient indispensables aux semailles, et lorsqu'elles manquaient, ce qui arrivait quelquefois, la disette était inévitable. Les pluies de la dernière saison étaient attendues à la fin de mars ou au commencement d'avril ; elles ne faisaient presque jamais défaut. Ces pluies, qui se produisent encore de nos jours, étaient beaucoup plus considérables lorsque le pays était boisé.
De tous les animaux domestiques, l'âne était celui dont on se servait le plus. Il en est constamment parlé dans l'Ancien Testament ; dans la Genèse, en particulier, le cheval n'est même pas nommé comme ayant fait partie des troupeaux des patriarches. Il est probable qu'à cette époque primitive, cet animal n'était pas encore domestique. On sait qu'il n'a été dompté que très tard, et ce sont des ânes qui faisaient le voyage de Canaan en Egypte sous la conduite des fils de Jacob[30].
Le cheval fut rare avant Salomon[31]. Les ânes formaient, au contraire, d'immenses troupeaux. Ils servaient de montures et de bêtes de somme. Au premier siècle, ils étaient très employés au moulin et souvent ils tournaient la meule[32]. Le bœuf et l'âne étaient les deux animaux considérés comme indispensables. « Ni son bœuf ni son âne », disait le Décalogue antique[33], et Jésus dira : « Qui de vous, si son bœuf ou son âne tombe dans une fosse, ne l'en retire aussitôt le jour du sabbat[34]. » « J'ai acheté cinq couples de bœufs, dit un personnage de parabole[35], je vais les éprouver. » Il s'agit ici du labour, et le terme : « Chargez-vous de mon joug », est une image familière s'adressant à un peuple chez lequel l'emploi des bœufs était répandu. Le cheval, au contraire, n'est pas souvent mentionné dans la Bible. Il ne semble pas avoir été employé en agriculture. Les Juifs lui donnaient la même nourriture que les Arabes de nos jours, de la paille et de l'orge[36]. Il est évident, d'après l'admirable description du livre de Job[37], que le cheval des Hébreux était de la même race que le cheval arabe d'aujourd'hui. Il devait déjà être rare et coûteux et était considéré comme la monture du guerrier. Aussi servait-il surtout à la guerre. L'âne, au contraire, était un symbole de paix.
Il est singulier que le chameau ne soit nommé qu'une seule fois dans le Nouveau Testament, dans l'image célèbre de Jésus-Christ : « Il est plus aisé qu'un chameau passe à travers le trou d'une aiguille qu'il ne l'est qu'un riche entre dans le Royaume de Dieu[38] », car il était certainement très employé au premier siècle.
Le mulet devait aussi être en usage, quoiqu'il ne soit nommé que dans l'Ancien Testament, et seulement à partir de David[39].
Le chien n'est mentionné dans le Nouveau Testament qu'avec mépris. En Orient, cet animal n'a jamais été considéré comme le compagnon et l'ami de l'homme. Il faut dire qu'on n'y connaît qu'une seule espèce de chiens, et qu'elle est, non seulement fort laide, mais sale, repoussante, ignoble. Jamais les chiens ne sont admis dans les maisons, ils sont toujours au dehors, errant dans les rues, pullulant à leur guise, vivant de ce qu'il trouvent, considérés comme une plaie sociale, parce qu'ils sont beaucoup trop nombreux et partout ils sont chassés à coups de pied. Le mot cynique que nous a légué la langue grecque montre assez combien ce mépris était général dans l'antiquité[40] : « Ne donnez pas les choses saintes aux chiens », dit Jésus[41]. « Il n'est pas juste, dit-il encore, de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens[42]. » Et dans ce dernier passage où les enfants désignent les Juifs, le peuple élu, le mot chien désigne les païens. Cette expression « chien de païen » était aussi usitée au premier siècle en Palestine que celle de « chien de chrétien » l'est aujourd'hui dans tout l'Orient musulman, et quand Jésus dit que même les chiens venaient lécher les ulcères du pauvre Lazare[43], il veut montrer à quel degré d'abjection était tombé ce malheureux ; ce n'est pas, comme on l'a cru, pour alléger ses souffrances que les chiens venaient ainsi vers cet infortuné ; ce n'est pas la compassion du chien qui est mise ici en regard de la dureté de cœur dit mauvais riche ; mais au contraire, ce fait que Lazare n'avait pas même la force de chasser les chiens errants qui venaient lécher ses plaies et mettre le comble à sa misère.
Le porc était absolument interdit[44], et il l'est encore dans tous les pays où l'Islamisme domine. On a souvent cité le mot : « Maudit soit celui qui enseigne le grec à ses fils à l'égal de celui qui élève des porcs. » Les Rabbis disaient encore : « Maudit soit celui qui nourrit des chiens ou des porcs, car ils sont cause de plusieurs dommages. »
Les moutons, au contraire, étaient très communs. La nécessité d'avoir des agneaux pour les sacrifices en faisait entretenir des troupeaux considérables. Ils passaient tout l'été dans les champs. On les faisait sortir aux environs de la Pâque et ils ne rentraient qu'à la première pluie[45]. Le berger veillait sur eux, et, dans ce but, il avait une tour appelée « tour du gardien ». Au mois de Marschechvan, qui correspond à la moitié d'octobre et à la moitié de novembre, on rentrait les moutons dans la bergerie et ils y passaient l'hiver[46]. Ce détail montre l'erreur certaine de la date traditionnelle, de la naissance de Jésus, le 25 décembre. A cette époque de l'année, les bergers ne couchaient point aux champs[47].
Le berger, autrefois comme aujourd'hui, était toujours armé. Ce qui explique le mot de l'Ancien Testament : « Ton bâton et ta houlette me rassurent[48] », et cette parole de Jésus : « Le bon berger donne sa vie pour ses brebis[49] ». — Il y a encore, et il y avait au premier siècle beaucoup d'animaux sauvages en Palestine.
La garde de la porte de la bergerie était confiée à un esclave appelé « le portier[50] », et qui veillait sur le troupeau sous la direction du berger. Il avait en particulier le devoir de se trouver à l'entrée de la bergerie quand le troupeau y revenait, et de compter les têtes de bétail pour s'assurer qu'aucune ne s'était égarée. Pour dîmer le troupeau, on le faisait passer par une petite porte où un seul animal pouvait se présenter à la fois ; on les comptait, et le dixième qui sortait était marqué d'une couleur rouge ; c'était la dîme[51].
On voit encore souvent en Palestine des troupeaux où les brebis et les chèvres sont gardées par un seul berger, mais en bandes séparées. De temps en temps, un bouc noir vient se promener au milieu des blanches brebis, et le berger est obligé de venir séparer « les brebis d'avec les boucs. » Ce fait nous rappelle une des paraboles les plus connues de Jésus[52]. Lorsqu'il la prononça, il était assis sur le mont des Oliviers et peut-être y voyait-il à ce moment même un berger qui séparait ainsi les deux moitiés de son troupeau.
Les loups[53] étaient nombreux, hardis, très redoutés. Les Talmuds nous ont conservé deux faits significatifs à cet égard : « Les anciens demandèrent un jeûne dans leur ville, parce que les loups avaient dévoré deux petits enfants au delà du Jourdain[54] », et : « Plus de trois cents brebis des fils de Judah ben Schammaï furent déchirées par les loups »[55].
Le chacal, appelé renard dans l'Ancien Testament[56], était aussi très commun.
L'hyène est nommée par Jérémie[57], et elle infeste toujours la Palestine. Les Arabes se servent, pour la prendre, d'un procédé probablement fort ancien ; ils creusent des fosses, les recouvrent de branchages pour les dissimuler, et l'hyène qui y tombe ne peut plus en sortir. Or, dans la Bible, la fosse est souvent l'image du danger et de l'embûche[58], et, dans le Nouveau Testament, Jésus-Christ dit : « Ne tomberont-ils pas tous deux dans la fosse[59] », allusion probable au moyen employé de son temps pour prendre les animaux sauvages. Nous avons dit, en parlant des sépultures, comment les Juifs garantissaient des hyènes leurs tombeaux.
Les sauterelles et les abeilles étaient au nombre des animaux les plus utiles. Nous en avons parlé en traitant de la nourriture. Cependant, la sauterelle était redoutée à cause de ses invasions, dont Joël nous a fait une si émouvante description[60]. Celles-ci sont devenues rares. En 1783, le voyageur Volney[61] en a vu une, et la peinture qu'il en a donnée ressemble beaucoup à celle du prophète Juif.
Le lion et l'ours ont disparu depuis des siècles ; l'Ancien Testament seul en parle, et il est certain qu'on n'en trouvait plus au temps de Jésus-Christ.
Le serpent est appelé dans la Bible « rusé[62] » et « prudent[63]. » Ces deux épithètes sont très justes, appliquées aux espèces que l'on trouve en Palestine, pour la plupart inoffensives. Le serpent y est souvent l'hôte de la maison. Il détruit les rats, les souris et surtout les insectes qui pullulent. L'Arabe vénère cet animal quand il est sans défense, à cause des services qu'il lui rend. On rencontre fréquemment en Terre Sainte des charmeurs de serpents, et c'est une croyance encore très répandue chez les indigènes que le serpent se nourrit de terre et de poussière. Il est curieux de remarquer que cette erreur singulière s'est conservée intacte depuis les temps bibliques[64].
Les Orientaux ne voyagent pas pour s'instruire ; ils voyagent pour leurs affaires et presque toujours dans un but intéressé. Les Juifs du premier siècle se déplaçaient souvent pour des motifs exclusivement religieux, par exemple lorsqu'ils se rendaient à Jérusalem pour y célébrer les fêtes. Ils formaient alors des caravanes et chantaient en chemin les psaumes des pèlerinages (Psaumes CXX à CXXXV).
Il est parlé de routes dans l'Ancien Testament[65] ; on les appelle « Chemins du roi » ou « Routes royales ». Du temps de Josèphe, il y avait en Palestine des chaussées très anciennes, pavées de basalte ou de pierres noires et dont on attribuait la construction à Salomon. Le nombre de ces grandes routes était sans doute considérable. Nous en connaissons six. Quatre d'entre elles partaient de Jérusalem : l'une, vers le N.-E., allait en Pérée en passant par le mont des Oliviers, Béthanie, le désert, Jéricho et le Jourdain. Il suffit d'indiquer les localités qu'elle traversait pour comprendre que Jésus l'a souvent suivie. Il en est de même de la seconde au nord de la ville et qui se dirigeait vers la Galilée en passant par Sichem et Samarie ; elle continuait ensuite jusqu'à Damas et en Syrie. Cette route, fort importante, venait d'Egypte. Quiconque n'avait pas d'objection à traverser la Samarie, la suivait en partant de Jérusalem. Jésus la prit certainement le jour où il dut passer par cette province[66]. C'était une voie romaine, pavée, que les voyageurs suivent encore aujourd'hui et dont les restes sont fort bien conservés, il suffisait d'une journée de marche pour aller de Jérusalem à Sichem, aujourd'hui Néapolis.
La troisième route n'était que la première partie de celle que nous venons d'indiquer. Au sud de la ville sainte, elle venait d'Égypte en passant par Gaza et par Hébron. Un embranchement de cette voie importante partait d'Hébron et allait directement vers le Midi par le désert jusqu'au golfe Elanitique.
Enfin la quatrième route était à l'Ouest et allait à Joppé et à la mer. Les deux autres grandes voies qui nous sont connues étaient celle d'Acco (Saint-Jean-d'Acre) à Damas, elle traversait la plaine d'Esdrelon, le Jourdain près du lac et l'Antiliban et celle qui longeait la côte d'Acco à Gaza et de là en Égypte.
Le Jourdain se traversait en bac aux rares endroits où il n'était pas encaissé entre deux falaises de rochers, par exemple à Béthabara (maison de passage), là où Jean baptisait[67]. On le passait aussi à pied quand il était guéable. Nous avons dit qu'un seul pont le traversait, le pont des fils de Jacob, construit par les Romains[68].
Les chapitres de l'Évangile, où il nous est raconté que Jésus envoya ses disciples en mission, nous donnent de précieux détails sur les mœurs des Juifs en voyage, détails confirmés par les Talmuds.
Le voyageur se servait d'une ceinture[69], et cela dans un double but, « ceindre ses reins »[70], relever les longs plis de sa robe flottante qui auraient entravé sa marche, et porter son argent.
On y mettait, en effet, de l'or, de l'argent et de la menue monnaie[71]. Les dévots ne parlaient pas sans emporter le livre de lit Loi. « Quelques Lévites partirent un jour de Zoar, la ville des palmes ; l'un d'eux tomba malade en route et les autres le menèrent à l'hôtellerie. À leur retour, ils s'informèrent de leur collègue. « Il est mort, leur répondit l'hôtesse, et je l'ai enseveli. » Puis elle leur apporta son bâton, sa besace et le livre de la Loi qu'il avait dans la main[72]. »
La besace ou sac de voyage[73] ressemblait sans doute au sac que les bergers d'aujourd'hui portent à leur cou et où ils mettent leur nourriture[74].
Les sandales que Jésus recommande à ses apôtres de ne pas prendre[75] étaient des sandales de rechange, une seconde paire dont on se munissait par précaution. On prenait aussi souvent une tunique de rechange.
L'huile et le vin, les médicaments les plus employés, faisaient toujours partie du bagage du voyageur et il est probable que Jésus et les apôtres en portaient habituellement avec eux.
Jésus ordonne à ses disciples de ne saluer personne en chemin. Cet ordre vient sans doute de la longueur interminable des salutations en Orient. Les apôtres y auraient passé trop de temps et le mot de Jésus revenait à dire : Ne perdez pas votre temps en voyage.
Souvent on se prosternait jusqu'en terre, parfois on vous embrassait les genoux ou les pieds. « Un homme s'approchant, dit un des Talmuds, baisa les pieds de Rabbi Jonathan[76] ». Nous lisons encore ceci : « Quand Rabbi Aquiba, absent depuis douze ans, revint près de sa femme, celle-ci se jeta sur sa face et lui baisa les genoux. Il entra dans la ville et son beau-père, qui ne le reconnaissait pas, mais qui comprenait qu'il était un éminent Rabbi, se jeta sur sa face et lui baisa les genoux[77]. »
D'après le Nouveau Testament, on disait ***[78] (salut) ou ***[79] (la paix soit avec vous, avec toi). Le premier de ces mots correspond au : Marhaba (largeur, que votre cœur soit au large) des Arabes modernes, et le second au Schalôm ou au Selàm Alèk des Talmuds (la paix sur toi)[80]. De plus, on aimait beaucoup à se parler en voyage. Rencontrait-on un Samaritain, un Païen, on lui lançait immédiatement quelques injures, quelques malédictions. L'étranger était-il un ami, un compatriote, on se faisait des compliments, « on se bénissait. » Une phrase très usitée était : « Bénie soit ta mère » ou « Maudite soit ta mère », suivant que l'on avait affaire à un ami ou, à un ennemi. C'est ainsi qu'une femme s'écrie un jour devant Jésus : « Heureux le sein qui t'a porté et les mamelles qui t'ont allaité. »[81]
Le Nouveau Testament parle d'hôtellerie dans la parabole du Bon Samaritain et les Talmuds aussi dans l'histoire du Lévite malade que nous citions tout à l'heure. Ces établissements étaient très rares et il n'y en avait que dans les endroits écartés. D'ordinaire, le voyageur logeait chez l'habitant et l'hospitalité, la première des vertus antiques, était largement pratiquée chez les Juifs. Nous nous représentons Jésus dans ses voyages reçu partout où il entre. Sur le seuil de la porte, il prononce le Schalôm ou Selâm, c'est-à-dire le souhait de bonheur ; on l'entoure, on l'écoute, on lui donne de l'autorité même sans le connaître, car l'hôte prenait parfois plus d'autorité que le maître de la maison lui-même. Cette habitation du village, où l'étranger est descendu, attire aussitôt l'attention ; les enfants s'y rendent par curiosité ; l'usage de répandre un parfum sur les pieds de l'hôte pour lui faire honneur et de briser le vase est partout pratiqué[82] ; les portes restent ouvertes, chacun peut entrer, assister au repas qui se prend d'ordinaire en plein air et écouter l'enseignement de celui qui reçoit l'hospitalité et que, pendant son séjour, on appellera le Maître.
[1] Ev. de Matth., XIII, 55 ; Ev. de Marc, VI, 3.
[2] Sauf, bien entendu, les parties montagneuses et rocheuses de la Judée, dont l'aridité s'opposait à toute culture.
[3] Deut., XXIII, 13.
[4] Deut., XXII, 10.
[5] 1 Sam., XIII, 20.
[6] Babyl., Berakhoth, foi. 18, 2.
[7] Soixante-dix jours avant la Pâque ; Menachoth, foi 85, 1.
[8] Targ. site Eccl., XI, 2.
[9] Ev. de Matth., XII, 1 ; Ev. de Luc VI, 1.
[10] Juges, VI, 37.
[11] Voir 1 Cor., IX, 9.
[12] Lightfoot, Horae, p. 167, 168.
[13] Voir sur la viticulture, les pressoirs, la qualité du vin, etc., le traité Kilaïm, ch, IV, V, VI, VIL.
[14] Écclésiaste, II, 5 ; Cant. des cant, VI, 2, 11 ; Esaïe 1: 29.
[15] Ev. de Matth., VI, 28 ; Ev. de Luc, XII, 27.
[16] Ev. de Marc, XIII, 28.
[17] H. N., livre XVII, ch. 35.
[18] 1 Rois, IV, 25 ; Michée, IV, 4 ; Zacch., III, 10.
[19] Esaïe, V, 2.
[20] Proverbes, XXIV, 31.
[21] Esaïe, I, 8 ; V, 2.
[22] Kilaïm, V, 3. Ev. de Matth., XXI, 33 ; Ev. de Marc, XII, 1 et suiv.
[23] Maasar Sheni, V, 1.
[24] Juges, IX, 27 ; Esaïe, XVI, 10 ; Jérémie, XXV, 30 ; XLVIII, 33.
[25] Ev. de Marc, XV, 17 et parall.
[26] Ev. de Matth., XVI, 3.
[27] Babyl., Joma, fol. 21, 2.
[28] Ep. de Jacques, V, 7.
[29] Nedarim, fol. 63, 1.
[30] Genèse, XLII, 26.
[31] Du moins en Palestine, car il était certainement très commun en Egypte longtemps avant Salomon.
[32] Ev. de Matth., XVIII, 6 ; Ev. de Luc, XVII, 2.
[33] Exode, XX, 17.
[34] Ev. de Luc, XIV, 5.
[35] Ev. de Luc, XIV, 19.
[36] 1 Rois, IV, 28.
[37] Job, ch. XXXIX. 22 et suiv. Il est vrai que Job n'était pas un Hébreu, mais, selon toute vraisemblance, un Arabe, un Bédouin. On ne saurait donc conclure rigoureusement de la description du cheval faite dans ce poème à l'existence de chevaux de race arabe parmi les Hébreux.
[38] Ev. de Marc, X, 25. Voir aussi Ev. de Matth., XXIII, 24. « Vous avalez le chameau », et encore Ev. de Matth., III, 4.
[39] II Samuel, XVIII, 9 ; I Rois, X, 25; XVIII, 5.
[40] Sauf quelques exceptions touchantes, le chien d'Ulysse chez les Grecs ; le chien de Tobie chez les Juifs.
[41] Ev. de Matth., VII, 6.
[42] Ev. de Matth., XV, 26.
[43] Ev. de Luc, XVI, 21.
[44] Jerus., Schekalim., fol. 47, 3.
[45] Schabbath, fol. 45, 2, et Bezah, fol. 40, 1.
[46] Nedarim, fol. 63, 1.
[47] Ev. de Luc, II, 8.
[48] Ps. XXIII, 4.
[49] Ev. de Jean, X, 11 et 15.
[50] Ev. de Jean, X, 3.
[51] Becoroth, fol. 58, 2.
[52] Ev. de Matth., XXV, 32.
[53] Ev. de Jean, X, 12/r> ; Ev. de Matth., VII, 15.
[54] Taanith, ch. 3, hal. 7.
[55] Jérus., Jom. tobh., fol. 60, 1.
[56] Le Schoual de Juges, XV, 4, est bien le chacal. Voir aussi Psaumes LXIII, 11, où se trouve le même mot. L'animal appelé Hi (Esaïe, XIII, 22 ; XXXIV, 14 ; Jérémie, L, 39) est aussi considéré comme étant le chacal. Il en est de même du Tân (Job XXX, 29 ; Michée, 1, 8.) Tous ces mots sont traduits par chacal dans nos versions usuelles, sauf dans l'histoire de Samson, où les traducteurs mettent renard.
[57] XII, 9.
[58] Ezéchiel, XIX, 4, 8.
[59] Ev. de Matth., XV, 14.
[60] Joël, ch. I et II.
[61] État physique de la Syrie, chapitre I.
[62] Genèse, III, 1.
[63] Ev. de Matth., X, 16. Voir aussi les passages suivants. Nombres, XXI, 9 ; II Rois XVIII, 4 ; Psaumes LVIII, 5.
[64] Genèse, III, 14 ; Esaïe LXV, 25 ; Michée, VII, 17.
[65] Nombres, XX, 17 ; XXI, 22.
[66] Ev. de Jean, IV.
[67] Ev. de Jean, 1, 28.
[68] Jos., Ant. Jud., V, 1, 3. (Voir page 45 note 9). Il est possible que plusieurs ponts aient été construits sur le Jourdain.
[69] Ev. de Matth., X, 9.
[70] Ev. de Luc, XII, 35.
[71] La ceinture du voyageur Aphundah ou Phundah avait d'ordinaire des poches qui lui servaient à porter tout son petit bagage (voir p, 190 -191.)
[72] Jevamoth, ch. XVI. Le Talmud de Jérusalem ajoute : « et ses sandales. »
[73] Ev. de Matth., X, 9.
[74] Schabbath, fol 31, 1.
[75] Ev. de Matth., IX, 10 et parall.
[76] Jérus., Kidduschin, fol. 61, 3. Voir Ev. de Matth., XXVIII, 9.
[77] Babyl., Chetoubim, fol. 133, 1 ; Ev. de Marc, X, 17.
[78] Ep. de Jacques, I, 1 ; Actes des ap., XV, 24.
[79] Ev. de Luc, XXIV, 36 ; de Jean, XX, 26, etc.
[80] En arabe, on dit aussi Salam Alek. Ces mots ne sont pas dans l'Ancien Testament.
[81] Ev. de Luc, XI, 27.
[82] Il l'est encore : Renan, Vie de Jésus, 373.