Histoire des Protestants de France – Tome 1

1.12.
Etablissement du culte public de la Réforme. – Premières luttes armées. – Assemblée des notables à Fontainebleau. – Adresse présentée par Coligny. – Discours de l’évêque Montluc. – Résistance des Guises. – Inquiétudes du pape Pie IV.

La même année 1560, si pleine de violences et de sang, fut témoin d’un nouveau pas de la Réforme française : l’établissement du culte public. Cela était dans la force des choses. Quand des villages, des provinces presque entières avaient embrassé la foi des réformateurs, les assemblées secrètes devenaient impossibles. Tout un peuple ne va pas s’enfermer dans des forêts et des cavernes pour invoquer son Dieu. Devant qui, d’ailleurs, se cacherait-il ? Devant lui-même ? L’idée est absurde.

Non seulement la nécessité commandait aux réformés de faire ce dernier pas : ils y étaient encore poussés par les calomnies dont on poursuivait leurs assemblées secrètes. Quel meilleur moyen avaient-ils de convaincre leurs ennemis de mensonge que de se réunir à la clarté du soleil et de leur dire : Venez et voyez ?

Ainsi les premiers chrétiens étaient sortis des catacombes, malgré les édits des empereurs, dès qu’ils furent devenus nombreux. Les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets.

Calvin et d’autres hommes graves, sans désapprouver absolument ces manifestations, en découvraient mieux les suites, et conseillèrent d’agir avec une prudente réserve. Mais l’impulsion populaire était trop forte. Nîmes, Montpellier, Aigues-Mortes donnèrent l’exemple, et le culte public s’établit de proche en proche dans le Languedoc, le Dauphiné, la Provence, le Béarn, la Guyenne, la Saintonge, le Poitou et la Normandie.

Avertis par le comte de Villars, le maréchal de Termes et les autres gouverneurs des provinces, les Guises répondirent qu’il fallait faire pendre les prédicants sans forme de procès, instruire criminellement contre les huguenots qui assistaient aux prêches, et nettoyer le pays de cette infinité de canailles qui vivaient comme à Genève. Ces ordres ne furent point strictement exécutés ni ne pouvaient l’être. Les Lorrains ne distinguaient pas entre les temps : ce qui était possible contre quelques milliers de sectaires obscurs et sans crédit, ne l’était plus devant des millions de prosélytes, au nombre desquels se trouvait plus de la moitié des grandes familles du royaume.

En quelques places du Dauphiné, à Valence, à Montélimar, à Romans, ceux de la religion prirent à leur usage les Églises catholiques : nouvelle imitation des anciens chrétiens qui avaient envahi les temples du paganisme. C’était encore inévitable dans les lieux où la population en masse avait changé de doctrine. Les pierres du sanctuaire n’appartiennent à une religion qu’autant qu’on y croit ; si le peuple n’y croit plus, ces pierres lui reviennent, et il les consacre à son culte nouveau.

Le duc de Guise éprouva d’autant plus de dépit des affaires du Dauphiné, qu’il était gouverneur de cette province. Les entreprises des hérétiques étaient à ses yeux un affront personnel, et il mit en campagne un certain Maugiron, qui surprit les villes de Valence et de Romans, les livra au pillage, fit pendre les principaux habitants, et décapiter deux ministres avec cette inscription au cou : Voici les chefs des rebelles. Ces barbaries provoquèrent des représailles. Deux gentilshommes de la religion, Montbrun et Mouvans, firent des courses dans le Dauphiné et la Provence à la tête des bandes armées, pillèrent les églises, maltraitèrent les prêtres qui avaient poussé au meurtre des réformés, et célébrèrent leur culte l’épée à la main.

Un tel état de choses ne pouvait subsister. Ce n’était ni la paix ni la guerre, ni la liberté des religions, ni la domination absolue d’une seule. Il fallait y porter remède sous peine de livrer le royaume à une complète anarchie, et le conseil du roi résolut de convoquer une assemblée de notables à Fontainebleau. Les Guises n’y consentirent qu’à contre-cœur ; mais effrayés eux-mêmes d’une situation qu’ils ne pouvaient plus dominer, ils cédèrent à l’influence des politiques ou du tiers-parti qui commençaient à se former sous la direction du chancelier de L’Hospital.

On avait fixé le 21 août 1560 pour l’ouverture de l’assemblée. Le jeune roi y prit place sur son trône, dans la grande salle du palais de Fontainebleau, ayant près de lui sa femme Marie d’Ecosse, la reine-mère et ses frères. Cardinaux, évêques, membres du conseil privé, chevaliers de l’ordre, maîtres des requêtes, les ducs de Guise et d’Aumale, le connétable, l’amiral, le chancelier, tous étaient là, excepté les princes de Bourbon qui, craignant un piège, avaient refusé de venir.

Le duc de Guise rendit compte de l’administration de l’armée, le cardinal de Lorraine de celle des finances. Cependant si importantes que fussent ces matières, les notables y prêtèrent peu d’attention : ils sentaient que la seule grande affaire du moment était la question religieuse.

Coligny avait promis aux réformés de donner le signal. Tout à coup, il se lève, s’approche du trône, s’incline avec respect, et présente deux requêtes, l’une au roi, l’autre à la reine mère, portant cette inscription : Supplication de ceux qui, en diverses provinces, invoquent le nom de Dieu suivant la règle de la piété. Les assistants s’étonnent de tant de hardiesse ; car la peine de mort était toujours suspendue sur la tête des hérétiques. Mais le roi François II, à qui l’on n’avait pu faire d’avance la leçon sur cette démarche, accepte gracieusement les suppliques, et les donne à lire à son secrétaire des commandements.

Les fidèles attestaient que leur foi était celle du Symbole des apôtres, qu’ils avaient toujours agi en loyaux sujets du roi, et qu’on les avait indignement calomniés en les accusant d’un esprit de trouble et de sédition. « L’Évangile dont nous faisons profession nous enseigne tout le contraire, disaient-ils, et même nous n’avons point honte de confesser que nous n’entendîmes jamais si bien notre devoir envers Votre Majesté que nous ne l’avons entendu par le moyen de la sainte doctrine qui nous est prêchée. » En terminant ils demandaient la permission de s’assembler en plein jour, et se soumettaient à être punis comme rebelles, s’ils étaient rencontrés dans des assemblées nocturnes ou illicites.

On remarqua que ces pièces ne portaient point de signature. « Il est vrai, répondit l’amiral ; mais accordez-nous permission de nous réunir, et en un jour je vous apporterai cinquante mille signatures de la seule province de Normandie. — Et moi, interrompit le duc de Guise d’un ton haut, j’en trouverai cent mille qui signeront le contraire de leur propre sang. »

Les débats furent repris le 23 août. Deux prélats, on est heureux de le constater, Jean de Montluc, évêque de Valence, et Charles de Marillac, archevêque de Vienne, y proposèrent des moyens de conciliation. Tous deux avaient exercé des ambassades en Italie et visité les pays protestants. Chose mémorable, que les évêques de France qui avaient vu de près Rome et la Réforme aient généralement incliné vers les nouvelles idées !

Jean de Montluc fit une énergique peinture des désordres dont l’Église était remplie. Il compara les ministres calvinistes, hommes lettrés, diligents, ayant toujours le nom de Jésus-Christ à la bouche, ne craignant point de perdre la vie pour confirmer leur doctrine, il les compara aux prêtres catholiques, et à ce propos il prononça des paroles qui méritent de trouver place dans l’histoire :

« Les évêques (j’entends pour la plupart) ont été paresseux, n’ayant aucune crainte de rendre compte à Dieu du troupeau qu’ils avaient en charge, et leur plus grand souci a été de conserver leur revenu, et d’en abuser en folles et scandaleuses dépenses : tellement qu’on en a vu quarante résider à Paris pendant que le feu s’allumait dans leurs diocèses. Et en même temps l’on voit bailler les évêchés aux enfants et à des personnes ignorantes, qui n’avaient ni le savoir ni la volonté de faire leur état. Les ministres de cette secte n’ont pas failli de le remontrer à ceux qui ont voulu les écouter.

Les curés sont avares, ignorants, occupés à toute autre chose qu’à leur charge, et pour la plupart ont été pourvus de leurs bénéfices par moyens illicites. Et en ce temps qu’il fallait appeler à notre secours les gens de savoir, de vertu et de bon zèle, autant de deux écus que les banquiers ont envoyés à Rome, autant de curés nous ont-ils envoyés.

Les cardinaux et les évêques n’ont fait difficulté de bailler les bénéfices à leurs maîtres d’hôtel, et, qui plus est, à leurs valets de chambre, cuisiniers, barbiers et laquais. Les menus prêtres, par leur avarice, ignorance et vie dissolue, se sont rendus odieux et méprisables à tout le monde. Voilà les bons remèdes dont on a usé pour procurer la paix de l’Église ! »

Montluc indiqua deux moyens de résoudre les difficultés pendantes : l’un était de faire prêcher tous les jours devant le roi, les reines et les seigneurs de la cour, et de remplacer les folles chansons des filles d’honneur par les Psaumes de David ; l’autre, de convoquer sans délai un concile universel libre, et, si le pape refusait, un concile national.

L’archevêque Marillac fit entendre les mêmes plaintes, appuya les avis de Montluc, et proposa de décider, en outre, qu’on ne ferait plus rien dans l’Église à prix d’argent, « attendu qu’il n’est pas licite, disait-il, de faire marchandise des choses spirituelles. »

Le lendemain, 24 août, ce fut à l’amiral Coligny à parler. Il demanda comme les deux évêques, la convocation d’un concile libre, soit général, soit national, et ajouta qu’il fût permis, en attendant, à ceux de la religion de s’assembler pour prier Dieu. « Donnez-leur des temples ou autres édifices en chaque endroit, dit-il, et envoyez-y des gens pour veiller à ce que rien ne se fasse contre l’autorité du roi et le repos public. Si vous en agissez de cette façon, le royaume sera tout aussitôt paisible, et les sujets contents. »

Mais le cardinal de Lorraine repoussa bien loin cette requête. « Est-il raisonnable, demanda-t-il, d’être plutôt de l’opinion de telles gens que de celle du roi ? Et quant à leur bailler des temples ou lieux d’assemblée, ce serait approuver leur hérésie, ce que le roi ne saurait faire sans être perpétuellement damné. » Le cardinal ne voyait pas non plus grande nécessité à la convocation d’un concile, puisqu’il ne fallait que réformer les mœurs des gens d’église, ce qu’on pouvait faire par des admonitions générales ou privées.

Néanmoins les Guises, n’étant soutenus, dans l’assemblée de Fontainebleau, ni par le chancelier, ni par le connétable, consentirent à la convocation des Etats généraux pour le mois de décembre suivant, et annoncèrent qu’il serait pris des mesures préparatoires pour la tenue d’un concile national.

Le pape Pie IV fut très inquiet de la seule idée de ce concile, craignant d’en voir sortir, ou le schisme, ou tout au moins le rétablissement de la pragmatique-sanction. Il écrivit au roi de France pour lui dire que sa couronne serait en péril, et au roi d’Espagne pour le supplier d’intervenir. Mais n’obtenant point de réponse satisfaisante, il résolut de rouvrir les sessions du concile de Trente, qui étaient depuis longtemps suspendues. Le pontife de Rome aimait mieux une assemblée en majorité italienne qu’il tenait sous la main, qu’un concile national de France qui pourrait délibérer sans lui, et peut-être contre lui.

On remarquera que les hommes les plus éclairés des deux communions, Montluc, Marillac, l’Hospital, Coligny, s’accordaient à demander la convocation d’un concile national. Il ne faut pas se tromper sur ce qu’il y avait au fond de ce projet. Ce n’était pas la liberté religieuse, comme nous l’entendons aujourd’hui ; c’était tout simplement l’espoir que, par des concessions mutuelles, le Catholicisme et la Réforme parviendraient à se réunir sur un terrain commun. Le principe qu’il ne peut pas y avoir deux religions dans un seul état dominait encore les meilleurs esprits.

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