Dans les paragraphes précédents, nous avons suivi l’un après l’autre, pour en dégager la doctrine, les écrits du Nouveau Testament. Essayons dans celui-ci de résumer en quelques mots ces enseignements.
Dieu est le principe et la fin de tout, l’alpha et l’oméga, tout-puissant, créateur de l’univers. Il est esprit, et c’est en esprit qu’il le faut adorer. Mais de plus il est père, père singulièrement de Jésus-Christ ; le père aussi des disciples de Jésus et même de tous les hommes dont il veut la sanctification et le salut.
A côté du Père est le Fils : sauf en quelques passages, on le considère rarement en dehors de l’incarnation. Jésus-Christ est le Fils de Dieu, son Fils par excellence, propre, Fils unique, Monogène, adoré, exalté comme le Père, auteur immédiat de la création, préexistant au monde, et qui, dans cette préexistence, était dans la forme de Dieu, égal à Dieu, Verbe de Dieu, Dieu ; car le Verbe était Dieu.
Puis, avec le Père et le Fils, nous trouvons l’Esprit-Saint, nettement distingué de l’un et de l’autre. Bien qu’il ne soit nulle part — sauf peut-être dans Actes 5.34 — explicitement nommé Dieu, les qualités qu’on lui donne et les fonctions qu’on lui attribue supposent manifestement qu’il possède la nature divine. Procédant du Père et recevant du Fils, pénétrant les secrets de Dieu, il est le principe sanctificateur des fidèles et l’auteur des charismes, l’inspirateur des prophètes et le directeur de toute l’activité apostolique.
Ainsi, sans exposer précisément une théorie trinitaire, Jésus d’abord, puis saint Paul et les apôtres enseignent clairement l’existence d’une trinité, de trois termes distincts en Dieu, que la formule baptismale met sur le même pied : le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
Les anges sont les premières créatures de Dieu. Parmi eux, les bons, inférieurs au Fils, sont les ministres de ses volontés. Ils contemplent Dieu et ignorent les convoitises charnelles ; quelques-uns sont les anges des petits enfants. Mais tous les anges n’ont pas conservé leur dignité ; les rebelles à Dieu ont été précipités dans les enfers avec leur chef, Satan, l’adversaire, l’ennemi ; et avec lui, ils s’efforcent de perdre les hommes et d’élever leur propre règne contre celui de Dieu.
Leur première victime, c’est Adam. Par Adam, par sa transgression, le péché est entré dans le monde, et, avec le péché, la mort qui en est la sanction. La chair s’est corrompue, et, comme un venin, la concupiscence et le péché ont passé, par la génération, dans toute la postérité du premier homme. La raison et la Loi ont été impuissantes à guérir l’humanité déchue. Il y fallait quelque chose de plus grand : Dieu, qui avait créé l’homme, pouvait seul le sauver.
Le moyen de ce salut, c’est l’incarnation. Le Verbe de Dieu, le Monogène qui était dans le sein du Père, se fait chair ; il naît d’une vierge. Sans cesser d’être Dieu, il devient homme, de notre race et de la semence de David selon la chair : il prend toutes nos faiblesses, hormis le péché. Il est le second Adam, venu du ciel, en qui nous sommes tous contenus, comme nous l’étions dans le premier. Et c’est pourquoi, de même que nous étions tous morts dans le premier Adam, nous sommes tous vivifiés dans le second. Substitué à nous et nous représentant, il meurt sur la croix, paie notre rançon, apaise la justice de Dieu, lui offre, comme notre pontife, la victime expiatoire qui est lui-même. Toutes les formes sous lesquelles la théologie postérieure orthodoxe représentera la rédemption se trouvent déjà dans le Nouveau Testament.
La rédemption de Jésus-Christ est universelle. Devant Dieu il n’y a plus désormais ni juifs ni gentils, ni grecs, ni barbares : il n’y a que des hommes qui acceptent ou rejettent le message divin et le salut qui leur est offert. Ceux qui l’acceptent, qui adhèrent à Jésus-Christ forment l’Église. L’Église a été établie par Jésus-Christ, qui en a créé le premier noyau en réunissant les apôtres et en groupant déjà autour d’eux un certain nombre de fidèles. De cette Église les apôtres seront les chefs, et Jésus leur donne, avec leur mission, le pouvoir d’enseigner, d’ordonner, de baptiser, de remettre les péchés. Mais, entre les apôtres, Pierre sera le premier : c’est sur lui comme sur un roc que l’Église est bâtie, et c’est lui qui détient les clefs de la cité sainte.
Mystiquement, l’Église est l’épouse et le corps de Jésus-Christ, son extension et son complément sur la terre. Elle est la colonne de la vérité. Matériellement et dans sa signification la plus étendue, elle est la société nouvelle formée par l’ensemble des églises particulières, établies dans les centres qui ont reçu l’Évangile. De cette Église les Actes des apôtres, et les épîtres surtout de saint Paul nous mettent sous les yeux l’organisation et la vie pendant ses cinquante premières années. Les apôtres en ont le soin général, et résolvent pour elles les difficultés pratiques qui entravent la première évangélisation. Ils la détachent peu à peu du judaïsme qui l’enserre. Sous eux et institués par eux, des apôtres et disciples du second ordre, Barnabé, Timothée, Tite, etc. s’occupent plus spécialement, et pour un temps du moins, de régions ou groupes d’églises. Un certain nombre d’églises particulières ont, pour les gouverner, des chefs auxquels on donne indistinctement le nom d’ἐπίσκοποι ou πρεσβύτεροι, et des diacres. Puis viennent les ministres et prédicateurs itinérants, apôtres, évangélistes, didascales, et les fidèles doués de charismes, prophètes, glossolales, interprètes, thérapeutes, exorcistes, etc. En tout cas, le principe d’autorité, qui partage les membres de l’Église en gouvernants et gouvernés, enseignants et enseignés, est nettement formulé. La doctrine annoncée par les apôtres et leurs délégués n’est pas une philosophie qu’on discute : c’est un dépôt que le prédicateur doit transmettre, une catéchèse qu’il impose, et que l’on ne saurait contredire sans être anathème. Des règlements sont établis qu’il faut respecter, des exclusions même de l’Église sont portées qui punissent les plus grandes fautes. Chaque église particulière, communiquant d’ailleurs avec les autres églises, forme une petite société distincte qui a sa hiérarchie, son culte, ses réunions spéciales.
On devient chrétien par le baptême conféré au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, ou même peut-être dans quelques églises et pour quelque temps, au nom du Seigneur Jésus. L’effusion du Saint-Esprit, obtenue par l’imposition des mains des apôtres, complète cette initiation. Dans les assemblées des fidèles, la prédication de la parole est suivie de la fraction du pain, rappel de la mort du Sauveur. L’eucharistie est le corps et le sang de Jésus-Christ : c’est avec une conscience pure qu’il s’en faut approcher. Si l’on a failli, la pénitence est possible, et les apôtres ont précisément reçu le pouvoir de remettre les péchés. L’onction de l’huile, accompagnée de prières, par les presbytres soulage le chrétien malade, et efface encore ses péchés s’il en est besoin. Par l’imposition des mains, les apôtres et les presbytres se créent des collaborateurs et ordonnent des diacres. Le mariage chrétien lui-même, déclaré indissoluble, est chose sainte ; il est l’image de l’union de Jésus-Christ avec son Église.
Toute la morale de la Loi nouvelle peut se résumer dans l’amour de Dieu et du prochain. C’est le précepte proclamé à nouveau par la bouche de Jésus-Christ et répété par saint Paul et saint Jean. Mais cet amour ne doit pas rester purement spéculatif ; la foi en Jésus ne doit pas rester oisive : il faut qu’elle se traduise par les œuvres et par l’observation des commandements. La foi sans les œuvres serait inutile, comme sans la foi les œuvres seraient stériles. De plus, aux préceptes s’ajoutent les conseils : invitation à la pratique de la continence, de la pauvreté volontaire, du renoncement total au monde pour suivre le Christ. On peut, sans aller jusque-là, « entrer dans la vie », mais non point « être parfait »a.
a – Entraîné par son romanisme, Tixeront devient ici inexact : nulle part le Nouveau Testament ne présente le célibat comme un état supérieur au mariage, et encore moins ne recommande l’absence de relations conjugales, la continence, au sein de ce dernier. L’apôtre Paul, au contraire, conseille explicitement aux époux : « Ne vous privez point l’un de l’autre », et il parle de son célibat comme un don particulier, que tous n’ont pas reçu. (ThéoTEX).
En observant les commandements et les conseils, l’homme mérite vraiment la récompense promise par Dieu, encore que cette récompense soit, par ailleurs, une grâce et un don. En n’observant pas les commandements, il se rend passible de châtiment. Une première rétribution suit immédiatement la mort : une autre plus solennelle est réservée pour la fin du monde. Quand viendra la fin du monde ? Jésus-Christ n’ayant pas voulu nous en instruire, il est naturel que l’ancienne croyance juive, qui liait la fin du monde à la venue du Messie, ait persisté quelque temps chez beaucoup de nouveaux convertisb. Quant aux autres éléments eschatologiques, ils sont nets et fermes : la résurrection générale des morts ; le jugement prononcé par Jésus-Christ ; la damnation éternelle des méchants dans le feu ; le bonheur éternel aussi des justes dans la société de Dieu et des anges ; la consommation et la rénovation du vieux monde. C’est le triomphe final de Dieu et de son règne.
b – On remarquera que Tixeront omet dans tout son résumé de la doctrine apostolique, au demeurant fidèle et précis, un élément eschatologique fort important aux yeux de l’apôtre Paul, ainsi qu’il y insiste dans les chapitres 9 à 11 de l’épître aux Romains : la conversion nationale d’Israël. (ThéoTEX)
Tels sont, esquissés à grands traits, les enseignements de Jésus et de ses apôtres, consignés dans les livres du Nouveau Testament. On a dit souvent que ces écrits n’étaient pas, sauf en quelques parties, des traités doctrinaux. Et l’on a raison en effet, si l’on veut signifier par là qu’ils ne sont point des exposés didactiques et méthodiquement raisonnés. Mais on aurait tort d’ailleurs de croire que la doctrine, que le dogme en est absent ou y est rare : le résumé qui précède le montre assez. L’Église chrétienne devait y trouver toute la substance de son enseignement, et l’inépuisable objet de ses réflexions et de ses études.