On divise l’Église en militante et triomphante, visible et invisible, représentée et représentative, pure et corrompue, etc.
Je me tiens à ces anciennes catégories, quelque peu en faveur qu’elles soient, parce qu’elles me paraissent fondées dans la nature des choses.
L’Église est appelée militante, en tant qu’elle lutte ici-bas contre l’erreur et le mal, et souvent aussi contre la persécutiona ; triomphante, en tant qu’elle jouit de la victoire dans le Ciel, et souffrante, ajoutent les catholiques, en tant qu’elle est soumise au feu épurateur que la plupart de ses membres doivent traverser avant de pouvoir entrer dans le repos éternel des saints.
a – Le chrétien est comparé à un athlète (1 Corinthiens 9.24) ; sa vie est un combat incessant contre la chair, contre le monde, contre les mauvais esprits (Éphésiens 2.2 ; 6.12) ; aussi doit-il se tenir revêtu de toute l’armure de Dieu (Éphésiens 6.11, 13). Or la vie du chrétien est nécessairement celle de l’Église.
L’Église militante, ou l’Église sur la terre, se subdivise en visible et invisible ; distinction capitale vis-à-vis du Catholicisme et vis-à-vis de l’ultraprotestantisme, et qu’il importe de justifier.
L’Église visible comprend tous les hommes qui se réclament du nom de Christ, quelles que soient leurs convictions et leurs dispositions personnellesb. Brisée aujourd’hui en mille sens, dépourvue de toute organisation et presque de tout lien, elle n’est représentée que par la masse confuse de la Chrétienté ; c’est, dans son acception la plus générale, le monde chrétien par opposition au monde non chrétien.
b – V. sens du mot (Obs. prélim.)
L’Église invisible se compose uniquement de ceux qui, unis au Seigneur par une foi vivante, s’appliquent à marcher selon lui ; c’est le corps de Christ, la maison de Dieu en esprit, la communion des saints.
L’une est l’Église des appelés, l’autre l’Église des élus ; l’une est vue des hommes, l’autre est connue de Dieu seul (2 Timothée 2.19). C’est une seule et même Église, mais envisagée sous deux aspects différents. Ainsi chez le chrétien lui-même il y a l’homme extérieur qu’aperçoit le monde, et l’homme intérieur que discerne seul le Scrutateur des cœurs et des reins.
Le Catholicisme nie l’Église invisible, et l’ultraprotestantisme l’Église visible, telle qu’on l’avait entendue jusqu’ici. Ils font, l’un de l’Église visible, l’autre de l’Église invisible, une pure notion idéale, une abstraction sans réalité. On soutient, d’une part, que dans l’Ecriture le mot « église » désigne toujours la réunion des personnes qui professent le Christianisme, et qu’il n’est jamais donné exclusivement aux vrais croyants ou aux régénérés ; d’autre part, on affirme qu’il ne s’applique qu’à eux spécialement, dans son acception générale. D’après Bellarmin, tout ce qui est requis pour être membre de l’Église dont parlent les Ecritures, c’est l’adhésion au Christianisme et la participation aux sacrements. Il conclut ainsi : « Ecclesia est cœtus hominum ita visibilis et palpabilis ut est cœtus populi romani, vel regnum Galliæ, aut respublica Venetorum. » Définition toute simple et parfaitement vraie au point de vue du Catholicisme, pour qui l’Église est l’assemblée des baptisés sous la conduite des pasteurs légitimes et de l’évêque de Rome, vicaire de Jésus-Christ. D’après l’ultraprotestantisme, dogmatique et libéral, il n’y a d’autre Église universelle que l’Église invisible ; l’Église visible est une congrégation de fidèles ou une agrégation de professants, dans laquelle on n’entre que par un acquiescement réfléchi, condition impossible dans les communautés multitudinistes dont on devient membre par la naissance ou par le baptême. Toute la direction nouvelle penche de ce côté, l’individualisme théologique aboutissant à l’individualisme ecclésiastique. (Toutefois, par un autre extrême, le haut anglicanisme et le haut luthéranisme vont (sur cet article et sur bien d’autres) toucher au principe romain, et arrivent aussi, dans leur développement logique, à nier l’Église invisible au profit de l’Église visible, devenue, pour eux, un organisme divin que fonde l’administration régulière des sacrements et où le rite sacré porte en lui-même la grâce).
Les deux opinions contradictoires que nous avons à juger se neutralisent, ce semble, l’une l’autre. Tout donne lieu de croire que, dans l’intérêt d’un système, elles s’arrêtent chacune à une seule face de l’enseignement biblique. Voyons cependant.
Mais remarquons d’abord que l’expression d’« Église visible » et « invisible » n’est point scripturaire ; pas plus que celles d’« Église générale » et « locale » et une foule d’autres consacrées par l’usage : « providence », « sacrements », « trinité », etc. Ce n’est donc pas du mot, c’est de l’idée, de la doctrine qu’il s’agit. Nous avons à rechercher si la notion de l’Église visible (ou extérieure) et de l’Église invisible (ou intérieure), telle que nous l’avons posée, est donnée dans le Nouveau Testament.
Église Invisiblec. — A la simple lecture du Nouveau Testament, on reste convaincu que les auteurs sacrés, tout en s’adressant à l’ensemble des personnes qui font profession du Christianisme, ont constamment dans leur pensée l’Israël selon l’esprit, le corps des vrais croyants, à qui seuls appartiennent en réalité les grâces et les promesses évangéliques. Les titres de saints, de rachetés, d’élus, d’enfants de Dieu, qui leur sont donnés, l’indiquent déjà, et bien des déclarations ne permettent pas d’en douter (par exemple : 2 Timothée 2.18-21). Ce sont deux choses fort différentes qu’être dans l’Église et être de l’Église. En distinguant, comme ils le font, la piété apparente de la piété réelle (2 Timothée 3.5 ; Matthieu 5.22, etc.), les Livres saints distinguent en fait les deux églises.
c – La question de l’Église invisible est pour nous la moins importante ou la moins vive, parce que, dans l’état actuel des choses, nous devons nous préoccuper surtout de nos controverses internes, sans négliger pourtant notre vieille polémique avec le Catholicisme, que ravivent d’ailleurs des fractions considérables du Protestantisme lui-même.
Du reste, la notion de l’Église invisible se dégage dans des textes formels. En voici deux ou trois de l’Epître aux Ephésiens :
Éphésiens 1.22-23 — Cette Église, « corps de Christ » et « πλήρωμα de Celui qui accomplit toutes choses en tous », ne se compose évidemment que des âmes devenues « une même plante avec lui », et dans lesquelles il verse les grâces dont il est la source (Éphésiens 3.19 ; 4.12-16 ; Jean 1.18). C’est la parabole du cep et des sarments (Jean ch. 15). Il est bien clair qu’à ce point de vue il est fait abstraction de la masse des formalistes et qu’il ne reste que ceux en qui « Christ habite par la foi » (Éphésiens 3.17).
Éphésiens 2.20-22 — Cet « édifice spirituel », où n’entrent que ceux que saint Pierre appelle des pierres vives (1 Pierre 2.5), est bien encore l’Église des élus, tout autre que celle des appelés dans laquelle elle se forme.
Éphésiens 5.25-27 — Là encore l’Apôtre ne regarde qu’à l’Église mystique, « épouse du Sauveur » (v. 32), qui la prépare à paraître devant lui au jour des noces éternelles.
A ces textes si exprès, joignons Hébreux 12.22-23 — Cette « cité du Dieu vivant », cette « Jérusalem d’En Haut », qui remplace celle d’ici-bas, cette « Église des premiers nés dont les noms sont inscrits dans les Cieux », est bien aussi l’Église des rachetés, l’Église invisible. — On a dit, il est vrai, que le terme d’« église » doit s’entendre en cet endroit dans le sens général d’« assemblée », sens usuel du mot chez les Septante et chez les Hébreux. Mais, quoi qu’il en soit à cet égard, l’opposition de l’ancienne et de la nouvelle économie, sur laquelle porte le passage tout entier, mène à y voir l’Église, et l’Église mystique, d’après les caractères qui la déterminent et la constituent.
Ainsi la notion de l’Église invisible ressort de l’esprit et de la lettre des Ecritures.
Elle est si légitime, si nécessaire et, pour ainsi dire, si naturelle, qu’elle se fait jour chez les catholiques eux-mêmes, quand ils ne sont pas sous l’empire des préoccupations et des exigences de la controverse. Il n’est pas jusqu’à Bellarmin qui ne la ramène après l’avoir rejetée. « L’Église, dit-il, est un être vivant qui a une âme et un corps. Ce qui constitue l’âme, ce sont les dons intérieurs du Saint-Esprit, la foi, l’espérance, la charité ; ce qui constitue le corps, c’est la profession extérieure du christianisme et la participation aux sacrements. D’où il arrive que les uns appartiennent à l’âme et au corps de l’Église, et sont en conséquence unis intérieurement et extérieurement à Jésus-Christ, le Chef. Ceux-là sont entièrement de l’Église… D’autres appartiennent au corps et non à l’âme, comme ceux qui n’ayant aucune vertu intérieure font pourtant profession de la foi, etc. » N’est-ce pas reconnaître en fait deux églises dans l’Église ? n’est-ce pas la distinction protestante, quant à son fond essentiel ?
Chez les anciens docteurs, si cette distinction n’est pas faite catégoriquement elle Test implicitement. Quelle que soit leur notion de l’Église extérieure, ils parlent sans cesse d’une autre Église, l’« assemblée des saints », « des élus ». Cette idée revient fréquemment chez Clément d’Alexandrie, chez Jérôme, chez Augustin qui, s’il ne l’eût trouvée devant lui, y aurait été amené par sa doctrine de l’élection. Il la formula dans sa controverse avec les Donatistes. Sa distinction du corps réel de Christ et de son corps apparent n’est qu’une autre expression de celle que nous faisons aujourd’hui.
Église visible. — Venons à l’opinion ultraprotestante qui ne reconnaît d’autre Église générale que l’Église invisible, en opposition avec les principes de la Réformation non moins qu’avec ceux du Catholicisme.
Depuis longtemps professée par les Indépendants ou Congrégationalistes, elle l’est aujourd’hui à peu près partout, quoique pour des motifs et en des sens très divers. Toute secondaire qu’elle peut paraître, elle forme en réalité un des sujets les plus graves de nos controverses intérieures ; et il importe de l’examiner avec quelque soin.
Remarquons d’abord que cette opinion a contre elle la croyance constante de la Chrétienté. On s’est toujours représenté les Églises, à mesure qu’elles s’accroissent et s’étendent, comme ne devant former qu’un seul corps, le Royaume de Dieu, et les ruptures, quelque légitimées qu’elles pussent être par les circonstances, comme une déviation de l’ordre divin. L’universalité et la permanence de cette idée à travers les siècles semblent y révéler une de ces impressions générales de l’Ecriture, ou de ces données immédiates de la conscience chrétienne, qui méritent toujours attention. Ensuite, s’il y a sur la terre une représentation visible de l’Église invisible, il serait singulier qu’elle n’existât, d’après le plan providentiel, que dans des congrégations isolées, étrangères ou hostiles les unes aux autres. N’est-il pas plus naturel de croire que l’Église invisible étant une et universelle, il doit en être de même, en principe, de l’Église visible, qui est son enveloppe et sa manifestation ? Comment supposer, d’ailleurs, qu’en parlant in concreto des églises des divers pays, les écrivains sacrés n’aient jamais embrassé dans leur pensée l’ensemble de ces églises, l’Église générale, ou la Chrétienté de leur temps ? C’est si improbable que c’est, à vrai dire, impossible.
Mais sans nous arrêtera ces considérations préjudicielles, consultons le Nouveau Testament.
La question est décidée, ou devrait l’être, par les paraboles, dans lesquelles l’expression de « royaume des Cieux » désigne l’économie chrétienne sur la terre. Si ce royaume n’est pas un royaume de ce monde, au sens judaïque et politique, c’est toujours un royaume, une nouvelle constitution du peuple de Dieu. Et que sera-ce, si ce n’est l’Église ? — C’est le Christianisme, dit-on. — Oui, mais le Christianisme réalisé, le Christianisme dans sa manifestation extérieure et sociale, le Christianisme devenu la Chrétienté, c’est-à-dire, encore une fois, l’Église, sous sa forme la plus générale, l’Église des appelés et non pas seulement celle des élus ; car c’est un champ, où l’ivraie et le bon grain croissent ensemble jusqu’à la moisson (Matthieu 13.24-43), c’est un filet, qui ramasse toute sorte de choses et les traîne sur les rivages de l’éternité (Matthieu 13.47-50), c’est un festin, où l’on assemble tout ce qu’on trouve, tant mauvais que bon (Matthieu 22.2-14).
Passons à quelques autres textes.
Matthieu 16.18 : « Sur cette pierre je bâtirai mon Église. » — Il s’agit bien là de l’Église dans sa généralité. Est-ce de l’Église visible ou de l’Église invisible ? Evidemment de la première ; car c’est l’institution chrétienne dont saint Pierre devait être le fondateur en y introduisant les Juifs et les Gentils (Actes 2.41 ; 10.44 ; 15.7). Saint Pierre et les autres apôtres n’eurent pas à faire le triage des chrétiens apparents et des chrétiens réels à l’entrée de l’enceinte sacrée ; ils y recevaient tous ceux qui venaient à eux. Jésus-Christ, d’ailleurs, ramène au verset suivant son expression habituelle de « royaume des Cieux » dont le sens est déterminé par les paraboles ; il l’échange contre celle d’« église » qu’il avait d’abord employée ; l’une de ces expressions explique l’autre. L’économie chrétienne est comparée à un édifice, suivant un emblème fréquent dans les Ecritures, et l’apôtre qui a le premier confessé le grand Nom de Christ obtient le privilège de la fonder ou de l’ouvrir : même promesse sous deux images différentes, dans lesquelles on ne peut voir que l’Église extérieure.
1 Corinthiens 10.32 : « Conduisez-vous de telle manière que vous ne donniez aucun scandale ni aux Juifs, ni aux Grecs, ni à l’Église de Dieu. » — Cette Église mise en opposition avec les Juifs et les Gentils, c’est à-dire avec la masse des hommes qui n’avaient pas reçu le nom chrétien, embrasse manifestement tous ceux qui font profession de christianisme. C’est donc l’Église extérieure, et l’Église générale, ainsi que l’indiquent et son titre d’Église de Dieu, et sa position vis-à-vis des non-croyants. Le précepte est universel ; il s’adresse aux autres disciples autant qu’à ceux de Corinthe.
1 Corinthiens 12.28 : « Dieu a établi dans l’Église premièrement les apôtres, etc. » — C’est bien encore l’Église générale qu’a en vue saint Paul, puisque c’est elle que régit le corps entier des pasteurs, soit ordinaires, soit extraordinaires ; et c’est bien aussi l’Église extérieure, car les ministres du Seigneur ne sont pas chargés uniquement de la direction spirituelle des vrais disciples, ils doivent s’occuper de ceux qui n’ont que les apparences de la piété comme de ceux qui en ont la réalité et la force. Non seulement plusieurs des membres de cette Église, commise aux ministres de Jésus-Christ, ne sont pas membres de l’Église invisible ou de la communion des saints, mais plusieurs des ministres eux-mêmes peuvent n’en pas faire partie.
Galates 1.13 ; Philippiens 3.6 ; 1 Corinthiens 15.9, où saint Paul se reproche d’avoir persécuté « l’Église de Dieu », par conséquent l’Église extérieure ou visible ; car on ne prétendra pas, sans doute, que la persécution donne le discernement des esprits ?
2 Timothée 2.19-21 — Cette « maison » où se trouvent « des vases d’élection et des vases de perdition », où Dieu seul reconnaît « ceux qui sont siens », est certainement l’Église, et certainement aussi l’Église mélangée, l’Église extérieure. C’est « le royaume » des paraboles.
On peut dire en thèse générale que, quoique les auteurs sacrés aient constamment dans leur pensée la distinction fondamentale du formalisme et de la piété quand ils parlent de l’Église, ils ont communément en vue l’Église extérieure, l’ensemble des croyants ou des professants, ce qu’on pouvait nommer déjà « le monde chrétien » par opposition au monde non chrétien. Saint Paul aime à la représenter sous l’image du corps humain. Eh bien ! que l’on considère dans 1 Corinthiens 12.12-27, le développement le plus étendu de cet emblème. Tout indique que l’Apôtre regarde à la totalité des disciples ou des baptisés, ainsi qu’il le dit au v. 13 : « Nous avons tous été baptisés… pour n’être qu’un seul corps, soit Juifs, soit Grecs. » Les doutes d’ailleurs, s’il pouvait y en avoir, tomberaient devant la déclaration qui termine, et que nous avons déjà citée : « Dieu a établi… premièrement les apôtres, etc. »
Le Nouveau Testament donne donc bien la notion de l’Église extérieure générale. Cette notion est à la base du pédobaptisme, pratique à peu près universelle de la Chrétienté, qui ouvre l’Église à des êtres encore étrangers à la foi et à la régénération évangélique. Si nous ne pouvons argumenter du pédobaptisme contre l’indépendantisme dogmatique, qui généralement le condamne, nous sommes en droit d’invoquer vis-à-vis de lui, il convient de le rappeler, la manière dont le baptême s’administrait dans les premiers temps. Jésus-Christ et les apôtres baptisaient tous ceux qui venaient à eux, comme avait fait le Précurseur (Matthieu 3.5-6) — (Pour Jésus-Christ, voir Jean 3.26 ; 6.1. Pour les apôtres, Actes 2.38-41 (les 3 000 de la Pentecôte) et Actes 8.12-13 (Samaritains) et Actes 10.47 (Corneille et sa maison) et Actes 16.15-33 (Lydie et le Geôlier, avec leur famille) — mode d’admission en complet désaccord avec le principe dont l’indépendantisme, dans toutes ses directions, fait sa loi fondamentale et, en quelque sorte, sa raison d’être. Cette large administration du baptême donne évidemment le multitudinisme, par conséquent l’Église extérieure, telle qu’elle a été définie.
Et c’est ce que constate en fait la composition de l’Église apostolique. Il régnait à Corinthe de graves dissentiments et de grands désordres (1 Corinthiens 3.3-4 ; 2 Corinthiens 12.21) ; on y profanait grossièrement la Sainte Cène (1 Corinthiens 11.30) ; un parti, ce semble assez nombreux, y niait la résurrection et peut-être l’existence future (1 Corinthiens 15.1-20) ; il y avait de faux apôtres, « des ministres de Satan », qui étaient soutenus et suivis. Dans la Galatie on avait passé à un autre Évangile (Galates 1.6), etc., etc. Sans doute, cette Église qu’implantaient sur la terre les vertus célestes, était animée d’une puissance de foi et de vie que n’ont plus connue au même degré les temps postérieurs. Mais il n’en est pas moins vrai qu’elle renfermait et tolérait bien des écarts, luttant contre l’ivraie qui tendait à l’envahir, mais ne l’arrachant pas ; c’est-à-dire qu’elle reposait sur d’autres bases que l’indépendantisme ou le radicalisme.
Ainsi, dans l’Ecriture, tout concourt, enseignements et faits, à la doctrine d’une Église générale, dite visible quant à ses rapports avec le monde, et invisible quant à ses rapports avec Dieu, la Chrétienté portant en elle le corps mystique de Christ.
Les deux opinions qui répudient cette doctrine en sens inverse sont l’une et l’autre partielles, et par là même excessives. Chacune d’elles à tort et raison ; raison, car elle maintient une portion de la vérité ; tort, car elle fait de la portion de vérité qu’elle relève la vérité complète. Chacune a raison dans ce qu’elle affirme et tort dans ce qu’elle nie : chose fréquente en théologie, en philosophie et en tout.
Les deux opinions sont merveilleusement à l’aise dès que leur idée de l’Église est une fois reçue. C’est le système qui a enfanté le principe, et le principe sert ensuite à étayer et à protéger le système. Si l’Église générale du Nouveau Testament n’est que l’Église visible, les catholiques (et, en un sens, les hauts-anglicans et les néo-luthériens qui prétendent que leur église est la vraie Église historique) peuvent s’emparer de tout ce qui est dit du corps de Christ, dans lequel est la grâce et la vie, et exalter indéfiniment cette Société où s’accomplissent les mystères divins, dont les rites sacrés prennent l’homme au berceau et l’accompagnent jusqu’à la tombe, qui tient les clefs du Royaume des Cieux, etc., etc., leur théocratisme est justifié. Si, au contraire, le Nouveau Testament ne reconnaît pas d’Église extérieure générale ; si les déclarations qui représentent les invocateurs du nom de Christ comme ne formant ou ne devant former qu’un seul corps, se rapportent uniquement à l’Église invisible ou mystique, le séparatisme dogmatique et libéral se trouve délivré des raisons qu’on cherche contre lui dans l’Ecriture, ainsi que des répugnances qu’il inspire au sens chrétien. Ces arguments, en apparence si décisifs, ces scrupules si communs et si vifs, ne sont que des préjugés, nés des fausses idées du Moyen Age et dont il faut s’affranchir résolument. On a les coudées franches pour tailler le réel sur l’idéal qu’on se forme, pour faire de ce qu’on croit devoir être, la mesure et la règle du bien ; le radicalisme a alors carte blanche, et l’Église est livrée sans contrôle à ses expériences et à ses théories.
Nous voyons là encore combien il importe en toutes choses de remonter aux faits-principes, et de les maintenir intégralement. La simple notion scripturaire de l’Église, dans sa plénitude ou ; en d’autres termes, dans sa vérité, frappe au cœur et le socialisme ultramontain, et l’individualisme ultraprotestant.