Une lecture superficielle de ce chapitre pourrait laisser supposer, à quelqu'un qui l'aborde avec des idées préconçues, que Paul voulait encourager ses enfants spirituels à parler « en langues ». Ceux qui tiennent fort à la pratique de la glossolalie fondent leur doctrine en grande partie sur ce passage... ou, plutôt sur quelques phrases isolées tirées de ce passage.
Il s'agit, en particulier, de dix phrases dont huit ne sont en réalité que des demi-versets ou des phrases incomplètes. Les voici :
Les demi-versets que l’on cite si souvent :
v. 2 — Celui qui parle en langue... parle à Dieu...
v. 2 — C'est en esprit qu'il dit des mystères.
v. 4 — Celui qui parle en langue s'édifie lui-même...
v. 5 — Je désire que vous parliez tous en langues...
v. 14 — Si je parle en langue, mon esprit est en prière...
v. 15 — Je prierai par l'Esprit... je chanterai par l'Esprit...
v. 17 — Tu rends, il est vrai, d'excellentes actions de grâces...
v. 18 — Je rends grâce à Dieu de ce que je parle en langue plus que vous tous...
v. 27 — En est-il qui parlent en langue, que deux ou trois au plus parlent, chacun à son tour...
v. 39 — N'empêchez pas de parler en langues.
À première vue, ces quelques citations semblent constituer un sérieux appui pour ceux qui insistent sur la nécessité de la glossolalie. J'ai même entendu citer ces demi-versets de façon consécutive dans une réunion publique dite d'évangélisation, comme s'ils ne formaient qu'un seul paragraphe ! Une telle présentation peut paraître assez convaincante pour celui qui connaît mal la Bible ; pourtant, lorsque nous replaçons ces phrases dans le contexte de l'ensemble du chapitre et, surtout, lorsque nous les complétons en citant les versets entiers, elles prennent une allure très différente. L'analyse détaillée et complète que je vais donner du chapitre servira, je l'espère, à clarifier leur signification et à redonner à l'argument de Paul son équilibre, sa juste valeur.
Je ne contredis pas ce que dit Paul dans ces quelques demi-versets. Je crois également comprendre le point de vue de ceux qui, sans doute en toute sincérité mais à tort, prennent ces quelques phrases « telles quelles », c'est-à-dire isolément, dans le but de justifier un « parler en langue », ne serait-ce que dans leur culte personnel. J'ai des amis qui font cela, des chrétiens dont je ne mets pas un instant en doute la bonne foi ou l'intégrité personnelle. Cependant — et c'est ce que nous allons voir — je ne trouve dans la Bible aucune justification de leur point de vue ; leur thèse ne tient qu'à un fil ; elle repose sur une exégèse à mon avis impossible.
Je connais également (il faut l'admettre) d'autres personnes qui, elles aussi, prennent ces passages « à la lettre », mais hélas ! dans un esprit combatif et sectaire, étant rigidement opposées à tout enseignement ou argument biblique qui remettrait en question leur position.
Il est évidemment peu honnête de sortir des versets, et encore moins des demi-versets, de leur contexte. Vouloir bâtir une doctrine affirmative et parfois agressive sur un fondement aussi fragile, c'est vraiment construire sur le sable. Je suis franchement étonné du nombre de chrétiens qui se contentent d'une mauvaise exégèse de l'Écriture. Que les sectes hérétiques se permettent de tripoter la Parole de Dieu, cela n’a rien d'étonnant, elles le font toutes. Mais que des personnes qui passent pour être des chrétiens bibliques ne voient pas de mal à interpréter la Parole de Dieu de façon tout à fait arbitraire, cela me paraît invraisemblable... et pourtant, il suffit d'étudier le foisonnement d'articles, de dissertations, de prédications sur cette question pour se rendre compte de la facilité avec laquelle on peut tomber dans ce piège !
Dieu n'est pas incapable de définir sa pensée ! Celle-ci devient claire lorsque nous tenons soigneusement compte de toute sa Parole, en examinant chaque passage dans son contexte sans nous laisser entraîner par des interprétations à la mode, et pourvu que nous cherchions l'explication des difficultés dans la Bible elle-même.
En suivant les trois règles fondamentales d'interprétation biblique :
C'est précisément ce que je désire faire ici.
Les demi-versets dans leur contexte
Lorsque nous remettons ces demi-versets dans leur contexte, nous remarquons tout de suite deux choses :
— D'abord, la contrepartie de chaque demi-verset change complètement le sens du passage. Par exemple, lorsque Paul dit : « Je désire que vous parliez tous en langues »... il ajoute : « mais encore plus que vous prophétisiez ». Paul n'est pas contre le vrai parler en langue, celui qui vient incontestablement de Dieu. Cela est évident parce que ce sont lui et ses coéquipiers qui ont certainement appris en premier lieu à Luc le contenu du début des Actes. Il nous fait cependant comprendre de façon catégorique qu'il y a des choses beaucoup plus importantes que les langues et il veut fixer nos regards sur ces choses « supérieures ». Si nous ne citons que la première partie du verset, nous retenons et nous transmettons une impression complètement fausse de l'intention de l'apôtre, nous déformons son optique. Celui qui bâtit sa doctrine et sa pratique sur une demi-compréhension du texte de la Bible, arrive inévitablement à des conclusions erronées et même néfastes : est-ce étonnant si les mauvais esprits se saisissent d'une telle déformation de la vérité ?
— En second lieu, nous remarquons que les demi-versets en question ne forment qu'une très petite partie de ce chapitre alors que l’ensemble du texte est nettement défavorable au « parler en langue ».
Il est indéniable que Paul, loin d'encourager les Corinthiens à rechercher le « parler en langues », veut plutôt les détourner de cet objectif afin de les orienter vers une activité plus utile. La prépondérance des passages défavorables aux « langues » ne laisse aucun doute quant au point de vue de l'apôtre. En prenant son texte au complet, nous retrouvons le vrai équilibre biblique. Ne pas respecter cet équilibre n'est autre chose qu'un manque de droiture. Il est inadmissible d'utiliser un petit nombre de citations incomplètes pour faire dire à un auteur de la Bible le contraire de ce que signifie l'ensemble de son enseignement.
Paul dit en somme : — Parler en langues ? Oui, mais il y a mieux (verset 1) ! — Parler en langues ? Ah ! je préfère autre chose (verset 5). Parler en langues ? Mais en fait, pourquoi, à quoi bon (versets 6-9) ? Ne soyez pas aussi infantiles (versets 20), grandissez, aspirez à un don plus valable, plus utile (verset 12). Paul ne juge pas celui qui parle ou qui croit parler « en langue », mais il est manifestement gêné par l'attitude des Corinthiens ; car, pour Paul, les vraies langues sont destinées à convaincre les inconvertis et non ceux qui sont déjà convaincus (verset 22) !
Lorsque nous comprenons la véritable optique de Paul, nous pouvons nous demander pourquoi tant de chrétiens de nos jours attachent une si grande importance au « parler en langues ». Ce déséquilibre me fait encore penser aux paroles du Seigneur Jésus : « Vous payez la dîme de la menthe... et vous oubliez la justice et la miséricorde ». Autrement dit : vous êtes tellement préoccupés par le secondaire que vous perdez de vue l'essentiel.
La contrepartie des demi-versets
En complétant chaque citation, nous voyons beaucoup plus clair la pensée du Saint-Esprit à travers Paul.
v. 2 Celui qui parle en langues... parle... à Dieu... c'est en esprit qu'il dit des mystères ;
v. 3 MAIS celui qui prophétise parle aux hommes de manière à les édifier...
v. 4 Celui qui parle en langue s'édifie lui-même ; MAIS celui qui prophétise édifie l'église.
v. 5 Je désire que vous parliez tous en langues, MAIS encore plus que vous prophétisiez.
v. 14 Car si je prie en langues, mon esprit est en prière, MAIS mon intelligence demeure stérile.
v. 15 Je prierai par l'esprit (note : Paul ne dit pas : « en langues »), MAIS je prierai aussi avec l'intelligence.
Je chanterai par l'Esprit (note : il n'est pas dit : « en langues »).
MAIS je chanterai aussi avec l'intelligence.
v.17 Tu rends, il est vrai, d'excellentes actions de grâces, MAIS l’autre n'est pas édifié.
v. 18-19 Je rends grâce à Dieu de ce que je parle en langues plus que vous tous ;
MAIS dans l'église j'aime mieux dire cinq paroles avec mon intelligence... que dix mille paroles en langue.
Pour une évaluation des versets 27, 28, 39 et 40, voir le commentaire plus loin dans ce livre.
L'équilibre de Paul
Afin de mieux faire sortir la véritable pensée de l'apôtre Paul dans le chapitre 14 de son épître, je donne ici le texte complet (sauf les versets 34 à 38 qui traitent une autre question). Dans cette transcription j'indique par des caractères italiques les « demi-versets » où les passages qui semblent à première vue favoriser la glossolalie. Par contre, j'indique en caractère gras les passages qui sont nettement défavorables à la glossolalie. Je laisse en caractères ordinaires (romains) les quelques lignes qui restent et qui ne sont pas directement concernées par cette question. Pourtant, même ces quelques phrases « neutres » présupposent la supériorité de la prophétie, et des dons semblables, sur les « langues ».
Un coup d'œil suffit pour comprendre l'optique de Paul. Le ton du chapitre démontre le sens vers lequel il penche. L'ensemble de son argumentation est fortement défavorable à la glossolalie. On n'a donc pas le droit de bâtir une doctrine sur quelques phrases isolées qui vont à l'encontre de l'objectif essentiel de l'apôtre.
Paul veut faire comprendre aux chrétiens de Corinthe qu'il reconnaît la valeur d'un vrai don des langues à sa place mais que celui-ci ne se situe pas normalement dans les rassemblements de l'église. Les Corinthiens avaient perdu de vue le sens de ce don et, en voulant l'imposer là où il ne servait à rien de valable, ils tombaient dans l'absurdité.
Il ne veut pas non plus qu'on oublie le vrai sens d'un don spirituel qui consiste à édifier, non pas soi-même, mais autrui.
1 Corinthiens 14 vu dans l'équilibre (Version Darby)
v. 1 Poursuivez l'amour et désirez avec ardeur les dons spirituels, mais surtout de prophétiser.Quoi de plus clair ?