En traitant d’abord du sujet, abstraction faite du texte, j’ai fait assez voir que je ne regardais pas l’emploi d’un texte comme essentiel au discours de la chairer. Et en effet, il ne l’est pas. Ce qui fait qu’un sermon est chrétien, ce n’est pas l’emploi d’un texte, mais l’esprit du prédicateur. Un sermon peut être chrétien, édifiant, instructif, sans s’enfermer dans les limites d’un passage de l’Écriture sainte. Il peut aussi bien être biblique sans avoir de texte, qu’il peut, avec un texte, n’être nullement biblique. Un passage scripturaire a mille fois servi de passeport à des idées qui ne l’étaient pas ; et l’on a vu des prédicateurs se faire comme un jeu de mettre à la tête de leurs compositions des textes bibliques très forts pour se donner le plaisir de les énerver. On assistait à une immolation en forme de la Parole divine. Quand le texte n’est là que comme une enseigne trompeuse, quand le clocher surmonte une maison de jeu, il vaudrait mieux sans doute faire disparaître l’enseigne et abattre le clocher.
r – Origine des textes : voir Luc 4.6-21.
Quant aux prédicateurs attachés à la Parole de Dieu, ils ne tomberont pas dans cet abus ; mais combien de fois le texte n’aura-t-il pas été pour eux l’occasion d’un pénible tour de force ! – Bien loin que le texte et le sujet s’entr’aident toujours, il y a très souvent une espèce de guerre entre le texte et le sujet. Pour que cette guerre n’eût jamais lieu, il faudrait deux choses: l’une, que tout texte renfermât un sujet ; l’autre, que tout sujet fût sûr de trouver un texte. Ni l’un ni l’autre n’est constant.
Et d’abord, tout texte ne renferme pas un sujet. – Ecartons l’homélie, qui est hors de question, et à laquelle nous reviendrons : il n’est question ici que du discours synthétique, dans lequel tout se ramasse en un point. Ce discours repose sur une thèse ; il faut donc chercher un texte qui renferme une thèse. Le trouvera-t-on toujours ? – Remarquez que la thèse, résultat d’une abstraction, est une vérité soigneusement détachée d’un ensemble de vérités, comme un membre du corps auquel il appartient, sur lequel il a crû, dans lequel il formé un tout distinct et séparable, une unité. La thèse renferme en elle-même tout ce qui la constitue, rien de plus, rien de moins ; elle n’a pas plus d’excroissances que d’échancrures ; elle n’a ses extrémités engagées dans rien d’étranger ; elle n’a rien de subjectif, d’historique, d’accidentel. Conçue comme thèse, thèse en naissant, elle va à son but sans sinuosités et en suivant la ligne la plus directe. – Il y a sans doute un bon nombre de textes bibliques dont on peut en dire autant ; mais un plus grand nombre dont la contexture, la forme, le fond même supposent une occasion, une émotion personnelle, le contact fortuit avec d’autres idées, en un mot une complication étrangère à la thèse proprement dite, et qui, vue dans l’isolement, doit sembler arbitraire. Or, c’est souvent dans tel passage de cette nature, comme dans une espèce de gangue, qu’est déposée telle vérité qu’on a le besoin et le désir de traiter ; et la thèse s’élève alors à côté du texte, y jette ses racines obliquement, comme dans la fente d’un rocher ; elle y puise une vie nouvelle, quelque intérêt nouveau, bien plutôt qu’elle ne s’en extrait substantiellement. Et si elle veut absorber tout le texte, elle se surcharge, elle se surplombe elle-même : elle n’est plus thèse.
Eh bien! dira-t-on, renonçons aux thèses, et l’embarras disparaîtra. Mais je demande si le prédicateur, dans le cours de sa carrière, ne verra naître pour lui des sujets de prédication que des passages de la Bible ? L’expérience est aussi un livre, l’expérience fournit aussi des textes. Telle proposition qui n’a son expression exacte dans aucun passage de la Bible, sort une et entière de l’esprit du prédicateur, fécondé par les circonstances ou par la méditation. Il cherchera maintenant, puisqu’un usage qui a force de loi l’exige, un texte pour ce sujet préconçu ; et je ne doute pas qu’il ne trouve un texte qui a un rapport sensible avec son sujet ; mais trouvera-t-il toujours un texte qui exprime son sujet ? On ne peut pas le croire. Et dans ce cas, il fera de deux choses l’une : ou bien il ne relèvera, de la parole biblique, que ce qui se rencontre exactement avec son sujet, et fera abstraction du reste ; ou bien le texte deviendra le moule de son discours : et alors croit-on que ce sera un plan bien naturel que celui qui, formé d’abord dans son esprit d’après la nature des choses et d’après son point de vue individuel, devra se reformer ensuite selon les sinuosités d’un texte qui n’a pas la forme de sa thèse, et qui n’a pas même la forme d’une thèse ?
Si vous lui dites de renoncer à la forme de sa thèse, ou plutôt à sa thèse même, en faveur du texte, de quelles chaînes ne chargez-vous pas le ministère de la parole ? et ne savez-vous pas que la Bible renferme beaucoup plus de vérités qu’elle n’en exprime ? et que c’est un de ses mérites de suggérer, de susciter une foule d’idées qu’elle renferme virtuellement, je le veux, mais non actuellement ? – Si vous voulez tout à la fois que le prédicateur ait l’air de n’avoir égard qu’au texte, et que néanmoins il traite sa thèse complètement et exclusivement telle qu’il l’a conçue, c’est peut-être bien pis. Vous le contraignez à un artifice indigne de la chaire ; vous voulez que, sous air d’un respect inviolable pour la lettre de la Bible, il lui fasse violence, il la torde : n’est-il pas évident qu’il montrerait plus de respect pour elle en la suivant de moins près, et en ne la forçant pas à entrer dans le cercle de sa conception, alors qu’il feint au contraire de faire entrer sa conception dans le cercle de cette parole ? Pour tous les auditeurs un peu exercés, un peu clairvoyants, c’est un respect dérisoire.
Qu’on nous dise que la vraie prédication doit être, ainsi qu’elle le fut à son origine, une simple explication et application de la Parole inspirée, on nous transporte sur un terrain tout autre, dans une autre question, que nous pouvons discuter, sans entamer, sans compromettre en rien les idées que nous venons d’exposer.