Qui, a cause de la joie qui lui était proposée, a souffert la croix, méprisant l’ignominie, et s’est assis à la droite du trône de Dieu.
Oh ! comment pourrai-je glorifier mon Sauveur ? quel langage emploierai-je pour décrire son amour infini, son amour insondable pour les enfants des hommes ? On peut parler avec une sorte de liberté sur toute espèce de sujets ; mais ce sujet dépasse tout ce que la parole peut dire, tout ce que peut dépeindre la plus brillante éloquence. C’est ici une de ces choses qui ne se peuvent exprimer, parce qu’elles dépassent toute conception et déjouent toute parole. Comment traiter un pareil sujet ? J’ai le sentiment que tout ce que je pourrai dire aujourd’hui des souffrances de Jésus ne sera que comme la goutte d’eau qui tombe à terre. Nul de nous ne comprend la moitié de l’agonie qu’il a endurée ; nul n’a pleinement saisi « l’amour de Christ, qui surpasse, toute intelligence. Les philosophes ont su pénétrer jusque dans les profondeurs de la terre ; ils ont pesé les globes lointains ; ils ont mesuré l’étendue ; ils ont cubé les montagnes ; que dis-je ? ils ont pesé même notre terre ; mais c’est ici l’une de ces choses tellement vastes, tellement incommensurables, qu’elle surpasse en grandeur l’infini lui-même. Comme le vol léger de l’hirondelle ne fait qu’effleurer la surface des eaux et ne plonge jamais dans leurs profondeurs, ainsi toute description du prédicateur ne fait qu’effleurer la surface de cet abîme sans fond, tandis que les profondeurs insondables en demeurent à jamais inaccessibles à son observation. Un poète a eu raison de dire : O amour, abîme sans fond ! ; car rien, en effet, n’est insondable comme l’amour de Christ ; nul de nous ne le concevra jamais. En en parlant, nous sentons notre faiblesse, nous invoquons le secours de l’Esprit-Saint ; mais, même alors, nous nous reconnaissons incapable d’atteindre à la hauteur d’un sujet aussi sublime. Pour concevoir l’amour de Christ, il faudrait avoir compris sa gloire antérieure et l’avoir contemplée dans toute sa resplendissante majesté ; il faudrait avoir compris ensuite son incarnation et tout l’abaissement qui en est résulté. Or, qui pourra raconter la majesté de Christ ! Lorsqu’il était antérieurement sur sen trône, dans les lieux très hauts, Il était Dieu, béni éternellement. C’est Lui qui a formé les cieux et toute leur armée ; par sa puissance Il a suspendu la terre dans l’immensité ; son bras éternel a lancé les globes célestes dans leur course. Les colonnes du firmament reposaient sur Lui. Les louanges des anges, des archanges, des chérubins et des séraphins l’entouraient continuellement, et les chœurs des éternels alléluiahs de l’univers coulaient au pied de son trône comme un fleuve sans fond. Il était seul suprême, seul souverain sur toutes ses créatures ; Il était Dieu sur toutes choses, béni éternellement. Qui pourrait raconter sa grandeur alors ? Et cependant il faudrait l’avoir mesurée pour calculer l’abaissement immense auquel Il s’est soumis en venant sur la terre pour sauver les pécheurs. Et, d’autre part, qui pourra dire comment Il est descendu ? Devenir homme, c’était beaucoup ; mais devenir un homme de douleur, c’était bien plus ! Souffrir comme Il a souffert et mourir comme Il est mort, c’était une grande humiliation pour Lui qui était Fils de Dieu ; mais souffrir une si cruelle agonie, endurer une mort sanglante, une mort ignominieuse, abandonné de son Dieu, c’est là une profondeur de condescendance et d’amour dans laquelle l’esprit le plus inspiré ne saurait pénétrer. Pour comprendre l’amour de Christ, il faudrait comprendre la hauteur infinie, puis la profondeur infinie ; il faudrait, en un mot, mesurer l’incommensurable distance qui sépare le ciel de l’enfer.
Toutefois, parce que nous ne pouvons pas comprendre, devons-nous mettre de côté ? et parce que nous ne pouvons pas sonder jusqu’au fond, mépriserons-nous ? Oh ! non. Allons au Calvaire aujourd’hui et contemplons ce tableau merveilleux ; contemplons Jésus « qui, à cause de la joie qui lui était proposée, a souffert la croix, méprisant l’ignominie. »
J’essaierai d’abord de vous montrer le Méprisé des hommes ; ensuite nous nous arrêterons sur le motif glorieux qui l’a soutenu dans ses souffrances et son opprobre, et je terminerai en vous le proposant comme exemple.
Bien-aimés, je désire vous montrer d’abord le Méprisé des hommes. Le texte parle d’ignominie, en sorte qu’avant de parler des souffrances, nous devons dire quelque chose de cette ignominie.
Il n’est rien que les hommes redoutent autant que l’ignominie. Nous en voyons qui préfèrent la mort à la honte, et même les plus endurcis parfois sont ceux qui la redoutent au point d’accepter les tortures les plus cruelles, plutôt que de s’y soumettre. Nous voyons Abimélec, qui tuait sans remords ses propres frères, être vaincu par la honte, lorsqu’une certaine femme lui jeta le fragment d’une meule de moulin sur la tête. Il appela en toute hâte le jeune homme qui portait ses armes et lui dit : « Tire mon épée et me tue, afin qu’on ne dise pas qu’une femme m’a tué. » Le jeune homme le perça de son épée, et il mourut. La honte lui était insupportable ; il aimait mieux se suicider (car c’était un suicide) que de subir le déshonneur d’avoir été tué de la main d’une femme. — Saül éprouvait le même sentiment. Saül, qui n’avait pas honte de violer ses serments et de poursuivre son propre gendre comme le chasseur poursuit la perdrix sur les montagnes ; Saül aussi se jeta sur sa propre épée, afin qu’on ne pût pas dire qu’il avait été vaincu par les Philistins. — Nous lisons de même qu’un ancien roi, Sédécias, qui n’était après tout qu’un misérable, craignait de tomber entre les mains des Chaldéens, parce que les Juifs qui s’étaient livrés à Nabuchadnetzar se seraient moqués de lui.
Ces exemples, qu’on pourrait multiplier à l’infini, prouvent assez ce que nous affirmons. Il est bien reconnu que les criminels et les plus grands malfaiteurs redoutent le mépris public et la honte plus que toute autre chose. Rien n’abat et n’humilie autant l’esprit de l’homme que l’opprobre continuel de ses semblables et l’expression visible de leur mépris. Dans le fait, le mépris est quelque chose de si terrible pour l’homme, qu’il constitue l’un des tourments de l’enfer et qu’il est la partie la plus amère de la coupe des damnés. La honte est l’universelle réprobation qui accueillera les méchants au jour de leur résurrection ; le fait d’être en butte au mépris des hommes, au mépris des anges, au mépris de Dieu, est un des abîmes de l’enfer. L’ignominie est donc une chose terrible et redoutable à endurer, et les natures les plus altières, les plus orgueilleuses, ont été domptées par ce genre de souffrance. Dans le cas de notre Sauveur, l’ignominie devait être encore plus torturante. Plus une âme est noble et élevée, plus elle doit ressentir la moindre nuance de mépris et plus elle doit en souffrir. Le mépris que tout autre homme aurait pu supporter facilement sans souffrance devient amer et intolérable pour celui qui a toujours eu l’habitude de se voir obéi et entouré de considération. Les princes réduits à la misère et les rois détrônés sont les plus malheureux de tous les hommes. Mais ici, c’est le glorieux Rédempteur en personne, — Celui qui était l’image empreinte de l’auguste majesté de Dieu ; — c’est Lui qui est honni, conspué et livré à la risée du peuple ! Calculez ce qu’une nature aussi noble, aussi pure, aussi sainte, a dû souffrir ! L’épervier peut à peine supporter d’être enfermé, et l’aigle ne peut supporter d’être lié et chaperonné ; il est trop altier pour cette servitude. L’œil qui peut regarder le soleil en face ne peut affronter les ténèbres sans une larme. Mais pour Christ, qui était la personnification de la noblesse et de la grandeur infinie, qui était d’une race plus que royale, être soumis à l’ignominie et à l’opprobre, c’était un supplice qui dépasse toute conception.
Il est d’ailleurs des natures plus délicates et plus impressionnables que d’autres, qui sentent les choses avec plus de vivacité. Il en est parmi nous qui n’aperçoivent pas aussi facilement que d’autres un affront ou qui y sont beaucoup moins sensibles ; mais il en est d’autres qui ont le cœur aimant et disposé à la tendresse. Ils ont pleuré si longtemps sur les douleurs d’autrui, qu’ils sont devenus plus sensibles aux moindres symptômes d’ingratitude de la part de ceux qu’ils aiment, et si, au moment où ils consentent à souffrir pour eux, ils les entendaient proférer des paroles de blâme et de blasphème contre leur dévouement, leur âme en serait transpercée d’une douleur aiguë. Un homme recouvert d’une cuirasse peut marcher au milieu des épines sans souffrir ; mais un homme dépourvu d’une semblable protection ressentirait une vive douleur à la moindre piqûre. Jésus était, pour ainsi dire, un esprit nu ; Il s’était dépouillé de toute sa gloire pour sauver ; Il disait : « Les renards ont leur tanière et les oiseaux leur nid, mais le Fils de l’homme n’a pas un lieu où reposer sa tête. » Il s’était privé de tout ce qui pouvait le protéger contre la souffrance, parce qu’il aimait de toutes ses forces. Son cœur puissant et passionné n’était possédé que par une seule pensée : le salut de la race humaine. Il l’a aimée jusqu’à la mort, et aucune douleur ne pouvait être plus grande pour Lui que celle de se voir tourné en dérision par ceux pour lesquels Il donnait sa vie, et conspué par les créatures qu’il était venu sauver. Venir au milieu des siens et se voir repoussé, rejeté par eux, expulsé de chez lui, voilà une douleur !… O vous, cœurs tendres et sympathiques, qui pouvez pleurer sur les malheurs d’autrui, vous qui savez aimer d’un amour plus puissant que la mort et avec une jalousie plus cruelle que la tombe, vous pouvez concevoir — et vous seuls le pouvez — ce que le Sauveur a dû souffrir lorsque tous se moquaient de Lui et le bafouaient, sans que personne prît sa défense ni lui témoignât même la moindre sympathie ! Nous avons donc bien raison de dire que l’ignominie est chose que la nature humaine redoute par-dessus toutes, et que la nature de Jésus — nature si noble, si sensible, si tendre, si exceptionnelle en tous points — devait redouter encore bien davantage.
Mais, approchons-nous maintenant et contemplons l’ignominie que Jésus a subie. Il a été mis à la honte de trois manières : par de honteuses accusations, — par de honteuses moqueries — et par une honteuse crucifixion.
1° Considérons l’ignominie du Sauveur telle qu’elle résulte des accusations qu’on a portées contre Lui. Lui en qui il n’y avait point de péché et qui n’avait fait aucun mal, on l’a accusé des péchés les plus odieux. Il a été traduit d’abord devant le sanhédrin, sous l’accusation de blasphème. Et pouvait-Il blasphémer, Celui qui disait : « Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père ? »… Pouvait-il blasphémer, Celui qui, au plus cruel de son angoisse, lorsqu’il suait du sang, s’écriait : « Père, non pas ma volonté, mais ta volonté ? » Pouvait-il blasphémer ? non ! Et c’est justement parce que cet acte était inconciliable avec la sainteté de son caractère, qu’il ressentait d’autant plus vivement cette accusation. Si l’on accusait quelqu’un d’entre vous d’avoir blasphémé Dieu, cela ne vous étonnerait pas, parce que vous l’avez fait, et vous l’avez fait presque jusqu’à oublier que Dieu abhorre les blasphémateurs et « ne tiendra pas pour innocent celui qui prend son Nom en vain. » — Mais Jésus ! Jésus qui aimait d’un amour si infini, qui obéissait avec une si parfaite soumission ; Jésus accusé de blasphème ! Ah ! quelle souffrance atroce une telle accusation a dû lui causer ! Ce qui nous étonne, c’est qu’il n’en soit pas tombé à terre, comme tombèrent les traîtres qui venaient le saisir dans le jardin de Gethsémané. Une accusation pareille suffisait à elle seule pour flétrir de douleur l’âme d’un ange ! à elle seule, elle suffisait pour anéantir le courage d’un séraphin ; et comment nous étonnerions-nous que Jésus en ait ressenti une immense douleur, et qu’elle ait été pour Lui une odieuse ignominie ?
Mais ceci ne suffisait pas. Après l’avoir accusé d’enfreindre la première table, il restait aux Juifs la ressource de l’accuser d’enfreindre la seconde. Ils l’accusèrent donc de sédition. A les entendre, Il était traître contre le gouvernement de César ; Il excitait le peuple à la révolte et se déclarait roi. Et pouvait-Il commettre une trahison, Celui qui disait : « t Mon règne n’est pas de ce monde, autrement mes serviteurs combattraient ? » Celui qui, lorsqu’on voulait le prendre par force pour le faire roi, se retira dans le désert pour prier, pouvait-Il commettre une trahison ? C’était impossible ! Ne payait-Il pas le tribut ? et ne l’en-voyait-Il pas demander au poisson, lorsque, dans l’excès de sa pauvreté, Il n’avait pas de quoi le payer ? Pouvait-Il commettre une trahison ? Non ! Il ne pouvait pas pécher contre César, car Il était le Seigneur de César ; Il était le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs. S’il avait voulu, Il aurait pu enlever la pourpre royale des épaules de César et d’un mot le jeter en proie aux vers. Lui ! commettre trahison ! Ah ! qu’il était loin de la pensée de Jésus, l’Homme doux et humble, de soulever une sédition et d’exciter les hommes à s’entre-tuer ! Non, non ! Il aimait sa patrie et son peuple ; Il n’aurait jamais provoqué une guerre civile. Et cependant c’est de cela même qu’on l’accuse ! — Que penseriez-vous, vous qui êtes de fidèles citoyens et de fidèles chrétiens, si l’on venait vous accuser d’un pareil crime, à grand renfort de clameurs de la part de votre peuple, criant contre vous comme contre un exécrable criminel et hurlant que vous êtes dignes de mort ? N’y aurait-il pas là de quoi vous abattre ? Ah ! mais votre Maître a eu à supporter cela et bien d’autres choses. Il a méprisé ces indignes calomnies et a été mis au rang des malfaiteurs.
2° Toutefois, non seulement Christ a enduré une ignominieuse accusation, mais Il a essuyé d’ignominieuses moqueries. Quand Il fut présenté à Hérode, ce dernier le traita avec le plus souverain mépris : le mot du texte signifie qu’il n’en fit aucun cas. Quelle chose étrange que l’homme ne fasse aucun cas du Fils de Dieu, qui est tout en tous ! Il s’était estimé lui-même comme n’étant rien, comme n’étant qu’un ver de terre, comme étant moins qu’un homme ; mais qu’Hérode le traitât comme n’étant rien, quel péché que celui-là ! et surtout quelle humiliation ! Il n’aurait eu qu’à regarder Hérode en face pour le faire sécher tout vivant et le consumer ; néanmoins, Hérode se moque de Lui, et Il ne lui répond rien. Des soldats l’entourent et l’accablent de leurs grossières plaisanteries ; Il ne leur répond pas un seul mot, mais Il est conduit comme un agneau à la boucherie et comme une brebis muette devant celui qui la tond.
Observez ensuite que dans les moqueries qui accompagnèrent Jésus de la cour d’Hérode au palais de Pilate, et du tribunal de Pilate au Calvaire, il y en avait de diverses sortes. Les uns se moquaient de sa personne. Il est un point, entr’autres, dont nous ne pouvons dire grand’chose, mais auquel nous devrions penser souvent, savoir : que Notre Seigneur fut dépouillé de ses vêtements au milieu d’une soldatesque brutale et grossière. Nous avons honte en pensant que la méchanceté de notre race a pu soumettre notre Rédempteur à un pareil outrage ! Ce corps de sainteté, enveloppe mortelle d’un Esprit si auguste, a été exposé à l’opprobre de la nudité et au mépris des hommes, et de quels hommes !… — d’hommes à l’âme dure et ignoble, dépourvus de tout sentiment de délicatesse. La personne de Jésus a été dépouillée deux fois de ses vêtements, et quoique, par des raisons faciles à comprendre, nos peintres couvrent le corps de Christ crucifié, il était là cependant, pendu au bois maudit, couvrant de sa propre nudité la nudité de son peuple. Celui qui revêt les lys des champs n’avait plus rien pour se vêtir ; Lui qui avait revêtu la terre d’une robe de perles et qui l’avait ceinte d’une écharpe d’émeraudes, n’avait pas seulement un haillon pour cacher sa nudité aux yeux d’une multitude curieuse, dépravée, endurcie et moqueuse. Il avait fait pour Adam et pour Eve, dans le jardin, des vêtements de peaux lorsqu’ils découvrirent qu’ils étaient nus ; Il leur avait ôté ces illusoires vêtements de feuillage sous lesquels ils cherchaient vainement à abriter leur pudeur ; Il les avait pourvus d’une protection nécessaire contre le froid ; mais les soldats se partagent entr’eux ses vêtements et jettent le sort sur sa robe, tandis qu’il demeure exposé sans défense au mépris des assistants, sans aucun moyen de cacher sa honte.
Ils se moquaient de sa personne humaine et ils se moquaient aussi de sa personne divine. Jésus s’était déclaré Fils de Dieu ; mais quand ils le virent crucifié, ils se mirent à dire : « Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix, et nous croirons en toi. Ils le défièrent à plusieurs reprises de prouver sa divinité en abandonnant l’œuvre qu’il avait entreprise. Ils l’invitaient à faire justement ce qui eût été une preuve contre sa divinité, sous prétexte qu’en ce cas ils le reconnaîtraient et le confesseraient comme le Fils de Dieu. Et maintenant, pouvez-vous concevoir une pareille horreur ? Qu’on se moquât de Christ en tant qu’homme, nous pouvons comprendre qu’il l’ait supporté ; mais qu’on se moque de Lui en tant que Dieu ! … L’humanité provoquée pouvait relever le gant et accepter le duel ; l’humanité chrétienne, elle, pouvait faire mieux, elle pouvait laisser le gant à terre et le fouler aux pieds avec mépris ; — elle pouvait tout supporter et endurer les affronts par amour pour Christ. — Mais pouvez-vous concevoir que Dieu soit défié par sa créature ? — que Jéhovah, l’Éternel Tout-Puissant soit provoqué par les êtres que sa main a créés ? — que l’Être infini soit frondé par l’être d’un jour ? — que Celui qui remplit toutes choses, et par qui toutes choses existent, soit méprisé, livré aux sarcasmes et aux moqueries des créatures par des vers de terre ! Quel mépris, quelle ignominie pour l’humanité et pour la divinité de Christ !
Mais remarquez que ces moqueries s’adressaient également à tous ses offices, aussi bien qu’à sa personne. Christ était Roi, et jamais plus grand roi n’avait foulé la terre. Il est le David de l’Israël spirituel ; tous les cœurs de ses sujets sont indissolublement liés au sien. Il est le Salomon du vrai peuple de Dieu ; Il régnera depuis une mer jusqu’à l’autre mer, et depuis le fleuve jusqu’aux bouts de la terre. Il était issu de race royale. — Il en est sur la terre qu’on appelle rois, mais qui ne le sont pas : ce sont les enfants de Nemrod. Ils reçoivent leur dignité royale des mains de Celui qui est le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs. Mais Celui-ci était de race vraiment royale, de la race royale de la nation élue. C’était un roi qui avait perdu son trône et qui était devenu comme l’un des gens du peuple. Que fait ce peuple ? Lui apporte-t-il une couronne et l’honore-t-il comme roi ? la noblesse de la nation s’empresse-t-elle d’étendre ses vêtements sous ses pas, pour tapisser sa route ? Voyez-les ! ils le livrent à des soldats cruels et sans pitié. On lui construit un trône dérisoire, on l’y assied, on l’y dépouille de ses vêtements ; on le revêt de je ne sais quelle robe militaire de couleur pourpre. On lui tresse une couronne d’épines et on la lui enfonce sur la tête, — sur cette tête jadis couronnée d’étoiles ; puis on met dans sa main — dans cette main qui ne voulut jamais venger aucune insulte — un sceptre de roseau, et on s’agenouille pour faire semblant de l’adorer, réduisant sa royauté à une ridicule mascarade. Il n’y a rien au monde de plus propre à déchirer le cœur que la vue d’un roi couvert de mépris. Vous avez lu peut-être l’histoire d’un ancien roi d’Angleterre qui fut fait prisonnier par ses plus cruels ennemis. Il fut mis dans une fosse, et là on le fit asseoir sur un nid de fourmis, en lui disant que c’était son trône ; puis on lava son visage avec le plus sale bourbier qu’on put trouver. Le pauvre roi dit, en versant des larmes, qu’il se laverait encore avec de l’eau pure, mais il se trompait fort. Représentez-vous donc le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs recevant pour toute adoration les crachats de bouches coupables, pour tout hommage les coups de mains souillées, pour tout tribut les sarcasmes de langues brutales ! O Roi des rois ! ô Toi qui commandes à tous les mondes, y eut-il jamais ignominie plus grande que la tienne, quand une vile soldatesque te couvrait de ses insultes et quand des mains mercenaires te frappaient ! O terre ! comment as-tu pu contempler une si grande iniquité ! ô cieux, comment ne vous êtes-vous pas écroulés d’indignation pour écraser les misérables qui blasphémaient votre Créateur ! O quelle ignominie que celle-là : un roi bafoué par ses propres sujets !…
Mais, comme nous le savons tous, Jésus était prophète aussi. Qu’ont-ils inventé pour tourner en ridicule le prophète ? Ils lui ont bandé les yeux ; ils l’ont privé de la lumière du jour ; puis ils l’ont frappé et souffleté de la main, en disant : « Prophétise qui t’a frappé. Il faut que le prophète fasse une prophétie pour ceux qui le frappent !… Nous aimons les prophètes ; c’est le propre de la nature humaine que d’aimer celui qui prophétise, pour peu qu’on ait quelque foi en sa puissance prophétique. Nous croyons que Jésus a été le premier et le dernier des prophètes ; c’est Lui qui a envoyé tous les autres. Nous nous inclinons devant Lui dans le muet respect de l’adoration ; nous considérons comme un insigne honneur de nous asseoir à ses pieds, à l’instar de Marie ; nous regrettons seulement de ne pouvoir les laver de nos larmes et les essuyer avec les cheveux de notre tête. Nous nous sentons, comme Jean-Baptiste, indignes de détacher les cordons de sa chaussure ; comment pourrions-nous donc supporter de voir Jésus le prophète les yeux bandés, abreuvé d’insultes et flétri de soufflets ?
Mais cela ne suffisait point encore ; ils se moquaient aussi de sa sacrificature. Jésus était venu dans le monde pour offrir un sacrifice, et il fallait que sa sacrificature fût tournée en ridicule comme le reste. Le salut, selon les Juifs, était dans la main des sacrificateurs, et c’est pourquoi ils lui disent : « Si tu es le Christ, sauve-toi toi-même et nous aussi. Ah ! Il a sauvé les autres et Il ne peut se sauver lui-même ! » Oh ! quel mystère de honte et d’ignominie ! quelle inexprimable profondeur de mépris que le Souverain Sacrificateur de notre foi, qui était lui-même l’Agneau pascal, l’autel, le sacrificateur et la victime, — que Lui, qui était le Fils de Dieu venu en chair, — que Lui, l’Agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde, soit ainsi voué à la risée et à l’opprobre !
Ce n’était point assez encore : Christ a été l’objet de la moquerie jusque dans ses souffrances. Je ne me risquerai pas à essayer de dépeindre ses souffrances sous les verges dont on l’a flagellé. Saint Bernard, ainsi que plusieurs Pères de l’Église, ont donné de telles descriptions de ce supplice, que je ne pourrais supporter de les reproduire. Je ne sais s’ils en ont parlé d’après des données ou des renseignements authentiques ; mais ce que je sais, c’est qu’ « Il a été navré pour nos forfaits et froissé pour nos iniquités ; le châtiment qui nous apporte la paix est tombé sur Lui, et nous avons la guérison par ses meurtrissures. Ce que je sais, c’est qu’il faut que cette flagellation ait été terrible, pour que le prophète ait pu prononcer ces mots de navré, froissé, châtiment et meurtrissures. Et représentez-vous qu’à chaque fois que le fouet venait déchirer ses épaules, le rire diabolique du bourreau se mêlait au sifflement des cordes, et qu’à chaque fois qu’un nouveau jet de sang jaillissait sous la verge, ou qu’un nouveau lambeau de chair mettait ses os à nu, un sarcasme nouveau venait rendre sa douleur plus poignante et plus terrible ! Et voyez, lorsqu’ils en vinrent enfin à le crucifier, lorsqu’ils le clouèrent enfin à la croix, comme ils continuèrent à se moquer de ses souffrances ! On nous dit que les souverains sacrificateurs et les scribes qui se tenaient debout finirent par s’asseoir pour le considérer à l’aise. Quand ils virent sa tête retomber sur sa poitrine, ils devaient sans doute faire leurs observations et se dire : « Ah ! il ne lèvera plus la tête au milieu des foules », et en voyant ses mains saignantes, ils devaient se dire encore : « Ah ! ah ! les voilà ces mains qui touchaient les lépreux et qui ressuscitaient les morts ! elles ne feront plus de tels miracles. » Et en voyant ses pieds, ils se disaient : « Ces pieds ne fouleront plus cette terre et ne lui serviront plus pour accomplir ses pèlerinages de miséricorde. » Et après cela, qui sait quelle hideuse, quelle brutale, quelle grossière, quelle bestiale plaisanterie ils ajoutaient concernant chaque partie de ce corps trois fois adorable du Seigneur !… Enfin, tandis qu’ils se moquaient, Il demande à boire ; on se hâte de lui donner du vinaigre, — se moquant même de sa soif, tout en prétendant l’apaiser.
Mais ce qu’il y a de pire, et c’est ma dernière remarque, ils se moquaient même de ses prières. Avez-vous jamais rencontré dans les annales sanglantes des exécutions ou des meurtres un seul exemple où les bourreaux aient osé se moquer des prières de leurs victimes. J’ai lu bien de sinistres histoires d’hommes qui se sont débarrassés de leurs ennemis par la mort ; mais, au moment de mourir, leurs victimes leur ont dit : « Donnez-moi quelques instants pour prier » ; or, il est bien rare que cette grâce leur ait été refusée, et je n’ai jamais rencontré un seul cas où, après que la prière a été faite, les meurtriers s’en soient fait une occasion de plaisanterie. Mais ici, quand c’est le Sauveur qui pend au bois infâme, chaque parole qu’il prononce devient le texte d’un calembour ou d’un bon-mot !… Et quand Il laisse échapper le cri de mort le plus solennel qui ait jamais fait trembler les cieux et l’enfer : Eli, Eli, lamma sabachtani ! ce cri lui-même devient le sujet d’un jeu de mots. Ils disent : « Il appelle Elie ; voyons si Elie va venir le délivrer ?Il a été tourné en dérision jusque dans ses prières ! Ô Jésus ! jamais amour fut-il semblable au tien ? jamais patience fut-elle égale à la tienne, lorsque tu souffris la croix, méprisant l’ignominie ?
Je sens qu’en décrivant ainsi les moqueries que le Seigneur a supportées, je n’ai pu vous présenter qu’une faible partie de l’ignominie par laquelle Il a passé, et que j’aurai à essayer de compléter ce tableau en vous parlant de sa mort ignominieuse. Il a souffert la croix de la même manière qu’il a méprisé la honte.
La croix ! la croix ! De nos jours, quand on parle de la croix, ce mot ne réveille point en nous l’idée de honte. Nous avons, pensons-nous, des supplices bien plus ignominieux que celui-là. La hache est un supplice déjà honteux, la guillotine l’est encore davantage, et le plus honteux de tous, c’est le gibet. Mais rappelez-vous que si le gibet entraîne une idée de profonde ignominie, cependant le mot même de gibet ne réveille pas l’idée de honte au point où le mot de croix l’éveillait dans l’esprit des Juifs, aux jours de Christ. Le supplice de la croix, nous apprend-on, ne pouvait être infligé qu’aux esclaves, et même alors fallait-il que le crime fût d’une atrocité étrange : il fallait que l’esclave eût trahi son maître, — qu’il eût conspiré contre sa vie ou qu’il l’eût assassiné. Pour des crimes moindres que ceux-là, un esclave même ne pouvait être crucifié. De tous les châtiments, la croix était considérée comme le plus épouvantable et le plus terrible ; tout autre genre de mort eût été préféré à celui-là. Toute autre peine capitale a quelque chose qui en atténue l’horreur, soit par sa rapidité, soit par sa dignité ; mais la mort de la croix était la mort réservée aux traîtres, aux meurtriers, aux assassins ; c’était la plus douloureuse et la plus lente de toutes, la plus riche en cruauté, en tortures et en ignominie. Christ a subi la croix !… La croix, proprement dite, est loin d’être aujourd’hui l’emblème de la honte. Tant de monarques l’ont portée sur leur diadème, tant de conquérants sur leurs bannières ! Il en est même qui l’adorent. Les plus belles gravures, les tableaux les plus célèbres ont eu la croix pour sujet. Gravée sur les pierres précieuses, elle est devenue à juste titre un grand et noble emblème. Aussi nous est-il, je crois, impossible aujourd’hui de comprendre pleinement l’opprobre de la croix. Mais les Juifs le connaissaient, les Romains le connaissaient, et Jésus savait combien il était horrible et honteux d’être condamné à mourir sur une croix.
Remarquez aussi que, dans le cas de Notre Seigneur, cette ignominie s’aggravait encore. Il avait dû porter sa propre croix ; il devait être crucifié sur le lieu ordinaire des exécutions, — au Calvaire. Il a été exécuté à un moment où Jérusalem regorgeait d’étrangers. La Pâque était proche, les foules accouraient déjà pour participer à la fête, et les représentants d’un grand nombre de nations étaient là pour jouir de ce spectacle. Parthes, Mèdes et Elamites ; ceux qui habitent la Mésopotamie, la Grèce, et, qui sait ? la lointaine Tarsis et les Îles de la mer, tous étaient là pour prendre part à l’immense risée et pour augmenter l’opprobre.
Enfin, Il fut crucifié entre deux voleurs, comme pour donner à entendre qu’il était encore plus vil qu’eux. Jamais ignominie fut-elle si grande ?
Mais laissez-moi vous conduire maintenant au pied de cette croix. La croix ! la croix ! Les larmes commencent à couler à la seule pensée de la croix. Voici la rude pièce de bois étendue par terre. Jésus est renversé sur elle. Quatre soldats s’emparent de ses mains et de ses pieds ; le fer maudit traverse ses chairs sacrées ; le sang commence à couler ; puis on l’élève dans les airs ; le pied de la croix est enfoncé dans le trou préparé pour le recevoir… Chaque membre est alors disloqué et chacun de ses os est disjoint par cette secousse. Il pend au bois, sans vêtements, livré aux
regards impurs de la foule. Le soleil darde sur lui ses feux ; la fièvre commence à le dévorer ; sa langue se dessèche et s’attache à son palais ; une goutte d’eau pour rafraîchir son corps brûlant lui est refusée. Ce corps, déjà appauvri par de longs jeûnes, déjà exténué par la flagellation soufferte dans la cour de Pilate, est là suspendu au bois. Ses mains et ses pieds — les parties les plus tendres de son corps — ont été percés, à l’endroit où les nerfs sont le plus nombreux et le plus sensibles, par un fer rêche et aigu. Le poids du corps suspendu à ces clous tend à déchirer toujours davantage tantôt les pieds, tantôt les mains. O spectacle horrible ! Et encore ne voyez-vous que ce qui est extérieur ; mais que se passe-t-il au dedans ? Cela, vous ne le pouvez voir. Et si vous pouviez le voir, alors même que vos yeux seraient ceux d’un ange, cette vue vous frapperait d’une cécité éternelle. — Que se passait-il dans cette âme ? Cette âme était mourante !… Connaissez-vous les angoisses d’une âme mourante ? Jamais âme n’était jusqu’ici morte sur la terre ; l’enfer est le lieu où meurent les âmes, — où elles meurent éternellement de la seconde mort. L’enfer se déchaînait alors dans le sein de Christ mourant. L’âme de Christ luttait à ce moment suprême avec toutes les puissances infernales, dont la malice furieuse était d’autant plus redoutable, que c’était la dernière bataille qu’elles avaient à livrer au Rédempteur. Il y a plus : Il avait perdu ce qui fait la force et le triomphe des martyrs ; Il avait perdu la présence de son Dieu ; Dieu lui-même appesantissait sa main sur Lui. Le Père a voulu le froisser ; Il l’a mis dans la langueur ; Il a mis son âme en oblation pour le péché. Ce Dieu, en la présence duquel Christ s’était égayé de toute éternité, lui cachait sa face. Le voilà donc seul, abandonné de Dieu et des hommes, seul à fouler au pressoir ; que dis-je ? à être foulé lui-même dans le pressoir et à rougir ses vêtements de son propre sang. Oh ! quelle douleur égala jamais cette douleur ? quel amour sera jamais assez ardent pour la dépeindre ? Si je pouvais concevoir une pensée adéquate des souffrances de Christ, elle me brûlerait les lèvres avant que j’eusse pu l’articuler. Les souffrances de Jésus ressemblaient à la fournaise de Nébuchadnetzar, rougie par sept fois. Chaque veine ’était devenue un sentier pour les pieds brûlants de la douleur ; chaque nerf une corde de harpe vibrant les notes déchirantes de l’agonie. Toutes les tortures des damnés s’étaient donné rendez-vous dans l’âme de Jésus. Il était devenu le point de mire de toutes les flèches du Tout-Puissant, — flèches trempées dans le poison de nos péchés. Toutes les furies de l’éternelle tempête fondaient ensemble sur ce rocher de notre salut. Il fallait qu’il fut froissé, foulé, écrasé, anéanti ; il fallait que son âme fût offerte en oblation et « triste jusqu’à la mort ! » Mais je m’arrête ; je ne puis décrire les souffrances sans nom du Rédempteur… Je puis pleurer, vous le pouvez aussi, devant ce spectacle. Les rochers se fendirent à la vue de cette mort, et il faudrait que nos cœurs fussent encore plus durs que le marbre pour demeurer insensibles. Le voile du temple se déchira en deux, et comment ne seriez-vous pas dans le deuil aussi ? Le soleil lui-même, aveuglé sans doute par ses larmes, sentit ses regards de flamme se troubler et s’obscurcir. Et comment ne pleurerions-nous pas, nous pour qui Jésus est mort ? Nos cœurs ne ressentiront-ils rien de cette profonde agonie qu’il a endurée à notre place ?
Remarquez néanmoins que, tout en la subissant, le Christ méprisa cette ignominie. Il la considéra comme tellement légère en comparaison de la joie qui lui était proposée, qu’il est dit qu’il la méprisa. Mais il n’est pas dit qu’il ait méprisé la croix. Non, car la croix était une chose trop terrible pour que Christ pût la mépriser, quoiqu’il fut le Fils de Dieu. Il est dit qu’il la souffrit. Il pouvait repousser l’ignominie, mais Il ne pouvait pas repousser la croix : Il devait la porter, Il devait s’y laisser clouer. « Il a souffert la croix, méprisant l’ignominie. »
Voyons maintenant son motif glorieux. Qu’est-ce qui portait Jésus à parler ainsi qu’il le faisait ? — « C’était la joie qui lui était proposée. — Et quelle était cette joie, mes bien-aimés ? — O pensée qui fondrait un rocher et qui émouvrait un cœur de fer ! cette joie c’était celle de nous sauver vous et moi. Je sais que c’était tout d’abord la joie d’accomplir la volonté de son Père, de s’asseoir sur le trône de son Père, d’atteindre à la perfection par la souffrance ; mais je sais aussi que le véritable, le grand et glorieux motif qui a porté Jésus à souffrir toutes ces choses, c’était la joie de nous sauver.
Connaissez-vous la joie qu’il y a à faire du bien aux autres ? Si vous ne la connaissez pas, je vous plains, car, de toutes les joies que Dieu nous a laissées dans ce désert, c’est une des plus douces. Avez-vous vu celui qui meurt de faim, faute de nourriture, après de longues heures d’attente ; l’avez-vous vu venir à votre porte, à demi-vêtu, parce qu’il s’était dépouillé de ses vêtements et les avait donnés pour avoir du pain ? Avez-vous entendu la douloureuse histoire de la femme racontant les détresses de son mari ? Avez-vous fait attention quand on vous donnait le récit des emprisonnements, des maladies, du froid, de la faim, de la soif, et n’avez-vous pas dit : Hé bien ! je vous vêtirai et je vous nourrirai ? — N’avez-vous jamais ressenti une joie céleste, quand votre or était donné au pauvre, quand votre argent était consacré au Seigneur, quand, après cela, vous retirant à l’écart, vous vous êtes dit : Dieu me garde de m’en enorgueillir et de m’en faire un mérite ! — Il me semble qu’il vaudrait la peine de vivre, quand ce ne serait que pour donner du pain à ceux qui ont faim, habiller ceux qui sont nus et faire du bien à ceux de nos pauvres frères qui souffrent. Or, c’est là la joie que Jésus éprouvait ; c’était la joie de nous nourrir du pain du ciel, — la joie de vêtir de malheureux pécheurs, — de couvrir leur nudité du manteau de sa justice, — la joie d’ouvrir les célestes demeures à des âmes sans asile, — de nous délivrer de la prison de l’enfer et de nous assurer la félicité éternelle des cieux.
Mais pourquoi Jésus-Christ a-t-il jeté les yeux sur nous ? Pourquoi nous a-t-il traités ainsi ? Nous ne méritâmes jamais rien de sa part. Comme le disait un vieil auteur : « Quand je regarde à la croix de Christ, je me souviens que mes péchés l’ont cloué au bois. J’oublie Pilate, et c’est moi que je vois à la place de Pilate, livrant le Christ pour m’acquérir les sympathies du monde. Je n’entends plus les cris des Juifs, mais j’entends mes péchés qui crient : Crucifie ! crucifie ! Je ne vois pas les clous de fer, mais je vois mes propres iniquités, fixant Jésus-Christ à la croix. Je ne vois plus la lance, mais je vois mon incrédulité perçant son côté. »
Car vous fûtes, ô mes péchés !
Vous fûtes ses plus cruels bourreaux.
Chacun de mes péchés est devenu un clou
Et mon incrédulité est devenue la lance.
La tradition porte que le soldat qui perça le côté du Seigneur fut converti plus tard et devint un de ses fidèles disciples. Je ne sais si cette tradition est véridique, mais elle est vraie dans un sens spirituel. Je sais que nous avons percé notre Sauveur ; je sais que nous l’avons crucifié ; et cependant, chose étrange ! ce sang que nous avons fait couler nous a lavés de nos péchés et nous a réconciliés avec Dieu dans le Bien-Aimé. Pouvez-vous comprendre cela ? — Voici l’homme se moquant du Sauveur, le traînant par les rues en triomphe, le clouant à la croix, puis s’asseyant pour se rire de ses souffrances. Et cependant ce Jésus n’a dans son cœur d’autre sentiment que celui de l’amour ! Il pleure pour ceux qui le crucifient ; Il oublie toutes ses souffrances — et elles étaient atroces — pour s’affliger uniquement de ce que ces hommes qu’il aimait le crucifiaient. Le coup qui le frappait était le plus cruel qui puisse être. — Vous vous souvenez de ce trait remarquable de l’histoire de Jules César, lorsqu’il reçut le coup de poignard de la main de son ami Brutus ? Quand le courageux César le vit s’approcher pour plonger, lui aussi, son stylet dans sa poitrine, cette ingratitude fut plus forte que les bras de tant de traîtres et le vainquit ; c’est alors seulement que son cœur intrépide se brisa. — Jésus a eu de même à supporter le coup de mort le plus sensible, puisque c’étaient ses élus qui le frappaient, — puisque c’était son église elle-même qui lui donnait la mort, — puisque c’était son peuple qui le clouait au bois. Pouvez-vous calculer les profondeurs d’un amour pareil à celui-là et qui lui a donné la force de se soumettre à un si cruel supplice ? — Représentez-vous que vous retournez chez vous, au sortir de ce lieu. Vous avez un ennemi qui, toute sa vie, vous a voulu du mal. Son père déjà vous détestait, et le fils a hérité de toute cette haine. Il ne s’est pas passé de jour que vous n’ayez fait tout au monde pour gagner son affection ; mais il a méprisé toutes vos bontés et il vous couvre de ses malédictions ; il fait du mal à vos amis et ne laisse passer aucune occasion de vous nuire. En reprenant le chemin de votre demeure aujourd’hui, vous apercevez une maison en feu ; les flammes se propagent avec fureur et une noire colonne de fumée s’élève vers le ciel. Des foules remplissent la rue, et l’on vous dit que dans la chambre la plus élevée se trouve un homme qui va être consumé par l’incendie… Personne ne peut le secourir. « Eh quoi ! vous écriez-vous, cette maison est celle de mon ennemi ! et vous le voyez à sa fenêtre. » C’est bien lui, — votre ennemi personnel, — votre ennemi mortel ! Il va bientôt être dévoré par les flammes.… Plein d’amour, vous vous dites : « Je veux le sauver, si je puis ! » Il vous voit approcher de la maison ; il se penche à la fenêtre pour vous maudire. « Puisse l’éternelle damnation te frapper ! vous crie-t-il. J’aimerais mieux périr qu’être sauvé par toi ! » Pouvez-vous supposer qu’après cela vous trouviez le courage de vous élancer au milieu des flammes et de gravir l’escalier embrasé pour le sauver ? Pouvez-vous vous représenter qu’une fois parvenu jusqu’à lui, il lutte avec vous et essaie de vous entraîner avec lui dans les flammes, et que, malgré cela, votre amour pour lui soit tellement puissant que vous consentiez à périr plutôt que de le laisser mourir brûlé ? — Vous me dites : « Je ne pourrais pas faire pareille chose ; c’est au-dessus des forces de l’homme. » — Ah ! je le sais bien ! cependant c’est ce que Jésus a fait. Nous l’avons haï et méprisé ; lorsqu’il est venu pour nous sauver, nous l’avons rejeté. Lorsque son Saint-Esprit vient pour contester avec nos cœurs, nous lui résistons. Mais Il veut nous sauver ; que dis-je ? Il a lui-même bravé les flammes pour nous en arracher comme un tison à demi-consumé. La joie de Jésus, c’était de sauver les pécheurs, et son vrai motif pour endurer toutes ces souffrances, c’était de nous les épargner.
Et maintenant, permettez qu’en terminant je vous offre la conduite du Sauveur comme modèle. C’est aux chrétiens que je m’adresse maintenant, à ceux, dis-je, qui ont goûté et éprouvé les douceurs de la Parole de vie. O chrétiens ! si Christ a souffert ces choses uniquement pour la joie de vous sauver, aurez-vous honte d’endurer quelque chose pour Christ ? Ces paroles d’un cantique reviennent sur mes lèvres involontairement :
Si pour ton Nom précieux l’opprobre doit couvrir ma face,
Je recevrai cet opprobre avec joie et supporterai l’ignominie.
O mon Seigneur ! pour toi je veux mourir.
Ah ! je ne m’étonne pas que les martyrs aient pu mourir pour un pareil Sauveur ! Quand l’amour de Christ est répandu dans nos cœurs, nous sentons alors que si le bûcher était là, nous l’affronterions et nous braverions le feu sans hésiter pour Celui qui est mort pour nous. Je sais bien que nos pauvres cœurs se fondraient bientôt en gémissements, une fois que nos corps seraient sur les fagots et au milieu des flammes furieuses ; mais certainement cet amour prévaudrait en nous sur notre incrédulité.
Y en a-t-il parmi vous qui craignent de perdre quelque chose en suivant Christ, — soit une place, soit leur réputation ? Appréhendez-vous d’être en butte aux moqueries, si vous quittez le monde pour suivre Jésus ? Oh ! vous détournerez-vous pour de si petites choses, quand Il les a affrontées, malgré toutes les moqueries de la foule, jusqu’à pouvoir dire : « Tout est accompli ! » Non ! que par la grâce de Dieu tout chrétien lève ses mains vers le Dieu tout-puissant, vers Celui qui a créé les cieux et la terre, et qu’il s’écrie :
Désormais, par amour, je veux porter son Nom.
Je regarde comme une perte tout ce qui m’était un gain ;
Je méprise mon opprobre, et sur sa croix
Je veux crucifier ma gloire et mon bonheur terrestre.
« Pour moi, Christ est ma vie, et la mort m’est un gain. » Je veux lui appartenir pendant ma vie ; je veux lui appartenir en mourant ; je veux vivre pour sa gloire, ne servir que Lui seul ! Qu’il daigne seulement m’être en aide, et, s’il le faut pour sa gloire, je saurai mourir par amour pour Lui !