Les serviteurs du roi Ézéchias vinrent vers Esaïe. Et Ésaïe leur dit : Vous direz ainsi à votre maître : Ainsi a dit l’Éternel : Ne crains point pour les paroles que tu as entendues, par lesquelles les serviteurs du roi des Assyriens m’ont blasphémé. Voici, je m’en vais mettre en lui un tel esprit, qu’ayant entendu un certain bruit, il retournera en son pays, et je le ferai tomber par l’épée dans son pays. Or, quand Rab-Saké s’en fut retourné, il alla trouver le roi des Assyriens qui battait Libna ; car il avait appris qu’il était parti de Lakis. Le roi donc des Assyriens eut des nouvelles touchant Tirhaca, roi d’Ethiopie : Voilà, lui disait-on, il est sorti pour te combattre. C’est pourquoi il s’en retourna, mais il envoya des messagers à Ezéchias, en leur disant : Vous parlerez ainsi à Ezéchias, roi de Juda et lui direz : Que ton Dieu en qui tu te confies ne t’abuse point en te disant : Jérusalem ne sera point livrée entre les mains du roi des Assyriens. Voilà tu as entendu ce que les rois des Assyriens ont fait à tous les pays, en les détruisant entièrement ; et échapperais-tu ? Les dieux des nations que mes ancêtres ont détruites ; savoir de Gozan, de Caran, de Rétseph, et des enfants de Héden, qui sont en Télazar, les ont-ils délivrés ? Où est le roi de Hanath, le roi d’Arpad, et le roi de la ville de Sépharvajin, Hamah et Hiva ? — Et quand Ezéchias eut reçu les lettres de la main, des messagers, et les eut lues, il monta dans la maison de l’Éternel, et Ezéchias les déploya devant l’Éternel. Puis Ézéchias fit sa prière devant l’Éternel, et dit ; — O Éternel, Dieu d’Israël ! qui es assis entre les chérubins, toi seul es le Dieu de tous les royaumes de la terre ; tu as fait les cieux et la terre. O Eternel ! incline ton oreille, et écoute ; ouvre tes yeux et regarde ; et écoute les paroles de Sanchérib, et de celui qu’il a envoyé pour blasphémer le Dieu vivant. Il est vrai, ô Éternel ! que les rois des Assyriens ont détruit ces nations-là et leur pays, et qu’ils ont jeté au feu leurs dieux, car ce n’étaient point des dieux, mais des ouvrages de mains d’hommes, du bois et de la pierre ; c’est pourquoi ils les ont détruits. Maintenant donc, ô Éternel, notre Dieu, je te prie, délivre-nous de la main de Sanchérib, afin que tous les royaumes de la terre sachent que c’est toi, ô Éternel ! qui es le seul Dieu. Alors Ésaïe, fils d’Amos, envoya vers Ézéchias, pour lui dire : Ainsi a dit l’Éternel, le Dieu d’Israël : Je t’ai exaucé dans ce que tu m’as demandé touchant Sanchérib, roi des Assyriens. C’est ici la parole que l’Éternel a prononcée contre lui : La vierge, fille de Sion, t’a méprisé, et s’est moquée de toi ; la fille de Jérusalem a hoché la tête après toi. Qui as-tu outragé et blasphémé ? Contre qui as-tu élevé la voix et levé les yeux en haut ? C’est contre le Saint d’Israël. Tu as outragé le Seigneur par le moyen de les messagers, et tu as dit : Avec la multitude de mes chariots je suis monté tout au haut des montagnes aux côtés du Liban ; je couperai les plus hauts cèdres, et les plus beaux sapins qui y soient, et j’entrerai dans les logis qui sont à ses bouts, et dans la forêt de son Carmel. J’ai creusé des sources après avoir bu les eaux étrangères ; et j’ai tari avec la plante de mes pieds tous les ruisseaux des forteresses. N’as-tu pas appris qu’il y a longtemps déjà que j’ai fait cette ville et qu’anciennement je l’ai ainsi formée ? et l’aurais-je maintenant amenée au point d’être réduite en désolation, et les villes murées en monceaux de ruines ? Il est vrai que leurs habitants, étant sans forces, ont été épouvantés et confus, et qu’ils sont devenus comme l’herbe des champs, comme l’herbe verte et le foin des toits, et comme la moisson qui a été touchée de la brûlure, avant qu’elle soit crue en épis. Mais je sais ta demeure, ta sortie et ton entrée, et comment tu es forcené contre moi. Or, parce que tu es forcené contre moi, et que ton insolence est montée à mes oreilles, je mettrai ma boucle en tes narines et mon mors dans tes mâchoires, et je te ferai retourner par le chemin par lequel tu es venu. — Et ceci te sera pour signe, ô Ezéchias ! c’est qu’on mangera cette année ce qui viendra de soi-même aux champs, et la seconde année ce qui croîtra encore sans semer ; mais la troisième année, vous sèmerez et vous moissonnerez, vous planterez des vignes et vous en mangerez le fruit, Et ce qui est réchappé et demeuré de reste dans la maison de Juda, étendra sa racine par dessous, et elle produira son fruit par dessus. Car de Jérusalem sortira quelque reste, et de la montagne de Sion quelques réchappés ; la jalousie de l’Éternel des armées fera cela. C’est pourquoi ainsi a dit l’Éternel touchant le roi des Assyriens : Il n’entrera point dans cette ville, il n’y jettera même aucune flèche, et il ne se présentera point contre elle avec le bouclier, et il ne dressera point de terrasse contre elle. Il s’en retournera par le chemin par lequel il est venu, et il n’entrera point dans cette ville, dit l’Éternel. Car je garantirai cette ville, afin de la délivrer, pour l’amour de moi, et pour l’amour de David mon serviteur. — Il arriva donc cette nuit-là, qu’un ange de l’Éternel sortit, et tua cent quatre-vingt-cinq mille hommes au camp des Assyriens, et quand on se fut levé de bon matin, voilà, c’étaient tous corps morts : Et Sanchérib, roi des Assyriens, partit de là, et s’en alla et s’en retourna, et se tint à Ninive. Et il arriva comme il était prosterné dans la maison de Nisroc, son dieu, que Adrammélec et Sareetser, ses fils, le tuèrent avec l’épée, puis ils se sauvèrent au pays d’Ararat ; et Ésarhaddon, son fils, régna en sa place.
Le magnifique épisode qui fait la matière de mon texte met en saillie de la manière la plus saisissante deux des instructions, peut-être, que nous avons le plus besoin qui nous soient répétées dans les jours où nous sommes.
La première de ces deux instructions, c’est que l’Eternel règne ; c’est que nous ne sommes point dans un monde où les événements succèdent aux événements, comme le hasard au hasard ; mais où Celui qui a fait toutes choses, et les cieux et la terre et les hommes, gouverne aussi toutes choses et la terre et les cieux et les hommes ; où il ne s’élève pas un empire, où il ne tombe pas un passereau en terre, pas un cheveu, que ce ne soit sous son contrôle et par sa volonté. — Notre Dieu est un Dieu vivant, notre Dieu est un Dieu puissant : C’est Lui qui fait vivre et qui fait mourir, qui élève et qui abaisse, qui appauvrit et qui enrichit, qui veut ou qui ne veut pas. C’est Lui qui dit aux flots de la mer, c’est Lui qui dit aux flots de la puissance humaine : Vous viendrez jusqu’ici et vous expirerez ! C’est Lui surtout qui garde celui qu’il veut garder, et quand il lui a fait entendre cette parole : Ne crains point ! c’est que la vie, la mort, les anges, les principautés, les puissances, le ciel, la terre, l’enfer fussent-ils rangés en bataille contre lui, pour lui il n’y a rien à craindre, il peut s’endormir sans crainte et se réveiller sans frayeur. C’est Lui qui arrête celui qu’il veut arrêter, et quand il à dit : Tu n’iras pas, tu ne feras pas, tu ne prévaudras pas ! c’est que celui-ci eût-il en main l’armée, en tête l’orgueil d’un Sanchérib, avec l’habileté d’un Satan, il n’ira, ni ne fera, ni ne prévaudra ; pas mieux que la vague qui se brise contre un roc et retombe en poussière. — Notre Dieu est le seul vrai Dieu, et il n’y en a point d’autre.
La seconde instruction de mon texte, c’est que l’Éternel entend les prières de ses serviteurs ; c’est que cette même volonté toute-puissante, irrésistible, plie et cède à la volonté impuissante de celui qui l’invoque ; c’est que cette même main qui gouverne, qui abaisse l’orgueil et fait marcher le superbe devant son écrasement, se laisse elle-même gouverner par la main suppliante du faible, du petit, qui s’élève vers lui dans sa détresse.
L’Éternel règne, l’Éternel exauce : — deux vérités qui ne vous sont pas nouvelles. Mais qu’avons-nous besoin qui nous soit surtout répété, sinon ce que nous savons le mieux ? — Du jour que vous avez appris à balbutier le nom de Dieu, vous l’avez appelé Tout-Puissant et vous avez fait monter une prière vers son trône. Et néanmoins, marchant par la vue et non par la foi, combien souvent ne nous arrive-t-il pas de donner aux événements, dans nos craintes et dans nos espérances, la place de Celui qui les fait ! Combien souvent, quand nous prions, ne nous arrive-t-il pas de commencer par désespérer de nos prières, de garder par devers nous cette pensée que, quoi que nous demandions, il n’en sera ni plus, ni moins ! Venez apprendre ce que c’est que l’intervention de Dieu dans les affaires d’ici-bas : venez apprendre ce que c’est que cette prière faite avec foi, dont il est dit, qu’elle a une grande efficace.
C’est moins un récit qu’un drame, qui fait la matière de mon texte. — Nous en allons suivre successivement les trois actes, s’il nous est permis d’employer de telles expressions.
Dans le premier, Ezéchias, serré de près par l’ennemi, réduit à la dernière extrémité, a, prié. — L’Éternel le rassure ; il lui fait entendre cette parole : Ne crains point !
Dans le second, la foi d’Ézéchias est mise à une nouvelle épreuve ; le danger grandit, le secours se fait attendre. — Ézéchias prie de nouveau.
Dans le troisième enfin, le drame se dénoue ; Ezéchias est exaucé, son attente est satisfaite ; l’Éternel intervient, il prend en main sa cause ; Il le délivre.
Deux acteurs sont sur la scène. Deux nations sont en présence. — L’une, le petit peuple de Dieu, en était venue à ce période d’épuisement et de désorganisation, où rien ne semble pouvoir arrêter la chute d’une nation. — L’autre, le grand royaume des Assyriens, en était au contraire à ce point de gloire et de puissance, où Dieu élève quelquefois un empire quand il en veut faire un instrument de sa vengeance, un fléau de sa justice. Les ruines qu’on découvre aujourd’hui sur l’emplacement de l’ancienne Ninive, ces palais, celui même du conquérant mentionné dans mon texte, ces inscriptions, ces bas-reliefs, qui sortent de terre comme par enchantement, après une sépulture de plus de vingt-cinq siècles, témoignent d’une grandeur et d’une puissance, que celles des empereurs de l’ancienne Rome n’ont peut-être pas dépassées.
Trois princes, trois généraux redoutables, avaient successivement étendu les limites de leur territoire par les calculs d’une politique toujours heureuse, et les exploits d’armées toujours triomphantes. Maîtres déjà de toutes les contrées qui séparent la Mésopotamie du Jourdain, la terre de Chanaan leur avait paru une proie belle et facile. Au reste, elle leur était désignée. La justice de Dieu la leur avait montrée du doigt. — Comme Damas été tombée sous les coups de Tiglat-Pilezer, Samarie avait succombé à ceux de Salmanazar. — Irrité contre Israël, remarque tristement l’historien sacré deux chapitres avant mon texte, irrité contre Israël, l’Eternel les avait rejetés, en sorte qu’il n’y eut que la seule tribu de Juda qui restât.
Il est vrai, celui qui la gouvernait, le pieux Ézéchias, n’avait pas encouru personnellement la même réprobation. Au contraire, le premier depuis une longue série de rois impies… hélas ! et le dernier avant une nouvelle série semblable, il était revenu à l’Éternel, avait rétabli solennellement son culte et s’efforçait de faire ce qui est droit devant ses yeux. Mais son peuple affaibli par de longues guerres, énervé par une longue habitude d’idolâtrie et de corruption, pouvait-il présenter une digue suffisante, pour arrêter le torrent dévastateur qui inondait alors l’Orient et, grossi de victoires et de conquêtes, dirigeait maintenant ses ravages de son côté ?
Sanchérib, roi des Assyriens, monte contre lui… Il était monté contre le roi de Hamath et le roi de Hamath était tombé ; contre celui d’Arpad, et le roi d’Arpad était tombé : contre ceux de Sepharvajim, de Hanah et de Hiwah, et l’on se demandait : où sont maintenant les rois de Sepharvajim, de Hanah et de Hiwah !
Sanchérib monte contre le roi de Juda. Le territoire est envahi, les places fortes tombent les unes après les autres. Ézéchias cherche à l’apaiser en lui sacrifiant ses richesses. Les trésors de la maison de l’Éternel et les trésors de la maison royale sont envoyés dans le camp des Assyriens :… sacrifice inutile ! c’est sa capitale qu’on exige !
Quatre généraux sont envoyés avec de grandes forces, pour en réclamer la reddition : les menaces, les insultes, sont prodiguées au malheureux prince par les orgueilleux représentants de son orgueilleux, rival, aussi assurés de cette victoire, pensent-ils, que de tant d’autres. On cherche à fomenter la révolte autour de lui, à lui aliéner le cœur de son peuple : Qu’Ezéchias ne vous abuse point, a-t-on crié aux soldats sur la muraille. N’écoutez point Ézéchias, car ainsi a dit le roi des Assyriens : Faites composition avec moi et sortez vers moi, et vous mangerez chacun de sa vigne et chacun de son figuier, et vous boirez chacun l’eau de sa citerne. N’écoutez point Ezéchias, quand il voudra vous persuader en disant : L’Éternel nous délivrera. Les dieux des nations ont-ils délivré chacun leur pays de la main du roi des Assyriens ? Où sont les dieux de Hamath et d’Arpad ? où sont les dieux de Sepharvajim, de Hanah et de Hiwah ? Et même ont-ils délivré Samarie de ma main ? Qui sont ceux d’entre les dieux de ces pays-là qui aient délivré leurs pays de ma main, pour dire : L’Éternel délivrera Jérusalem de ma main ? Qu’Ézéchias ne vous abuse point ! N’écoutez point Ézéchias !
Le peuple s’est tu, nul n’a répondu mot : Ézéchias l’avait ainsi ordonné. Les députés se sont retirés dans le camp de leur maître. Il ne reste plus qu’à cerner la ville et à la réduire par les horreurs de la famine. Ézéchias lui-même a déchiré ses vêtements ; il s’est couvert d’un sac, il s’est traîné dans la maison de son Dieu insulté. Tout est perdu. Jérusalem va tombera son tour !… Quand survient un troisième acteur sur la scène : C’est Ésaïe, qui a prié à la demande du roi et qui apporte une réponse ; — ou plutôt dans la personne de son prophète, c’est Celui qu’Ézéchias lui-même a supplié, c’est Celui qui n’arrive jamais ni trop tôt ni trop tard. Il a entendu la prière de l’affligé, il a entendu aussi les insultes de l’oppresseur. Il se décide à prendre enfin son rôle. Le voici : Écoutez :… Ne crains point ! — C’est toujours ainsi qu’il s’annonce. C’est sa première réponse à quiconque l’invoque, réponse qui devrait prévenir en un sens toute prière. Qu’a-t-il à craindre, celui qui se confie en l’Éternel ? — Si l’Éternel règne, s’il fait concourir toutes choses au plus grand bien de ceux qui l’aiment, la dispensation même qui fait la matière de notre crainte, ne devrait-elle pas bien plutôt faire celle de notre confiance et de notre joie ?
Mais il y a plus : l’Éternel est un Dieu de près, et non de loin ; c’est un Dieu qui connaît les circonstances de chacun, les besoins de chacun et qui répond à chacun selon ses circonstances et ses besoins. — Il s’agit ici d’un danger déterminé, qui menace, qui est à la porte. S’il se réalise, c’en est fait de Jérusalem, du temple, du peuple. Dieu condescend à annoncer à son serviteur que ce mal n’arrivera point ; qu’il est là pour le détourner : — Jérusalem sera délivrée ; Sanchérib retournera dans son pays. Ne crains point à cause des paroles que tu as entendues : Ne crains point à cause des menaces de ton ennemi, ne crains point ses armées, ne crains point ses succès jusqu’ici répétés. Ne crains point !… Ne suis-je pas celui qui réduis les princes à rien, et fais devenir les gouverneurs de la terre comme une chose de néant ? N’ai-je pas mille moyens d’arrêter sa marche et de briser son orgueil ? Voici même son cœur est en ma main, je l’incline comme un ruisseau d’eau. Il me suffit de faire parvenir à son oreille une certaine nouvelle, de lui faire entendre un certain bruit, pour que son esprit se trouble au dedans de lui, et qu’il s’estime heureux de regagner au plus vite sa demeure, où je l’attends pour mettre un terme à son impie carrière. — Ne crains point ! Parole faible pour rassurer, dans la bouche d’un homme faible. Parole toute puissante dans la bouche du Tout-Puissant, de Celui qui peut ajouter : Je ferai ! J’ai arrêté la chose dans mon conseil ; qui m’en empêchera ?
Tel est. le premier acte du drame que nous méditons. La lutte entre Ezéchias et son puissant rival est arrivée au point critique. Aucun accord n’est possible ; le dernier coup va se frapper. Toutes les apparences humaines sont en faveur du roi d’Assyrie ; à en juger par ses forces, par sa position militaire, par ses précédents succès, il est assuré de la victoire. Toutes les chances humaines sont contre le roi de Juda ; à en juger par sa faiblesse, par le point où en sont les affaires, par le sort de tant d’autres rois, il est perdu.
Mais une parole a été prononcée, un allié s’est déclaré, une épée invisible a été jetée dans la balance. — Que la lutte s’engage, maintenant : elle pourra présenter des péripéties variées, la puissance du fort pourra sembler un moment prévaloir ; le danger de l’opprimé pourra croître jusqu’à la détresse :… N’importe ! — Au milieu de son camp, maître du pays, nous savons que Sanchérib seul à sujet de tout redouter. Dans sa capitale assiégée, au milieu de son peuple réduit par la guerre et par la famine, sans espérance, nous savons qu’Ézéchias seul a sujet de tout espérer. L’Eternel règne : Tremble Sanchérib ! L’Éternel a entendu ta prière : Ezéchias, ne crains point !
A peine Ezéchias venait-il de recevoir une réponse aussi rassurante de la bouche du Dieu qui élève et qui abaisse, qui tient les cœurs des rois en sa main, et qui délivre le misérable criant à lui, qu’arrive un nouveau message de son ennemi. — Cette fois, ce ne sont plus des députés seulement, c’est Sanchérib lui-même qui parle, et comme s’il eût eu connaissance des promesses qui. venaient de rendre courage au roi de Juda, comme s’il eût entendu le : Ne crains point de Celui en qui il avait mis sa confiance : Que ton Dieu, en qui tu te confies, ne t’abuse point ! lui écrit-il. Qu’il ne t’abuse point en te disant : Jérusalem ne sera point livrée entre les mains du roi des Assyriens : Voilà, tu as entendu ce que les rois des Assyriens ont fait à tous les pays en les détruisant entièrement, et tu échapperais !…
L’impie !… Ne semble-t-il pas, en vérité, jeter un démenti à la face du Très-Haut ? Ne semble-t-il pas oublier son ennemi pour tourner ses menaces contre un rival plus digne de lui ? — Que ton Dieu en qui tu te confies ne t’abuse point ! N’est-ce pas comme s’il disait : Éternel, ne t’abuse point toi-même en disant : Jérusalem. ne sera point livrée entre les mains du roi des Assyriens ! N’as-tu pas entendu ce que les rois des Assyriens ont fait à tous les pays, en les détruisant entièrement ? Qui sont ceux d’entre les dieux de ces pays qui aient délivré leur pays de ma main, pour dire, toi, Dieu d’Israël, que tu délivrerais Jérusalem de ma main ? — Quel orgueil ! quel aveuglement ! quelle folie !… ou plutôt quel mensonge ! quel contraste avec ce qui se passe alors au dedans de lui ! quel démenti l’Éternel ne lui donne-t-il pas à l’heure même en son cœur ! — Ici, la scène change en effet. Les événements commencent. En même temps qu’il a parlé dans la ville assiégée, l’Éternel a agi dans le camp de l’ennemi.
Cette lettre de Sanchérib, qui vient jeter le trouble dans Jérusalem, cette lettre n’est, en réalité, qu’une vaine bravade, une dernière insulte arrachée par le dépit. En l’envoyant, il abandonne lui-même le terrain, plie ses tentes en toute hâte et se dispose à partir. Il y a en lui un tel esprit, qu’ayant entendu un certain bruit, il retourne dans son pays, à la rencontre de l’épée déjà prête pour le frapper. Que s’est-il donc passé ? Le voici : Sanchérib, dit le texte, eut des nouvelles touchant Tirhaca, roi d’Ethiopie : Voilà, lui disait-on, il est sorti pour te combattre.
Ce nouveau personnage, dont le nom seul, du reste, est ici tout le rôle, Tirhaca venait-il au secours d’Ézéchias ? Faisait-il une diversion, profitant de l’absence de son rival, pour l’attaquer au cœur même de ses états ? Sanchérib alla-t-il le combattre, et revenait-il chargé de ses dépouilles, quand plus tard son armée elle-même fut miraculeusement détruite ? Ou bien, faut-il entendre tout cela d’un faux, bruit, d’une alarme trompeuse qui vint répandre la panique dans son camp ?
La brièveté du récit sacré ne permet guère de décider d’une manière certaine entre ces diverses explications. Néanmoins, s’il faut donner ici notre opinion, en toute réserve et sans en énumérer les raisons qu’il serait trop long de déduire maintenant, nous dirions que ce qui nous paraît le plus vraisemblable, c’est que Sanchérib reçut la fausse nouvelle d’une invasion de son empire par le roi d’Ethiopie, et qu’à la distance où il était, il ne put ni en vérifier l’exactitude, ni trop se hâter de reprendre le. chemin de sa capitale en danger. Il n’est nullement besoin de supposer ici de grands projets de conquêtes ou de grands projets de mouvements d’armées ? L’Éternel ayant mis en lui tel esprit, ne suffisait-il pas d’un certain bruit pour qu’il se hâtât d’abandonner Jérusalem et de courir à sa perte ? L’Éternel règne, Sanchérib ! Ne t’étonne pas de ces marches et de ces contremarches. Sachant combien tu es forcené contre lui, il t’a passé sa boucle en tes narines et son mors en tes mâchoires, pour te mener docile et te faire retourner par le chemin même par lequel tu étais venu.
Mais, revenons à Ézéchias. — Au moment où il reçut les lettres de Sanchérib, enfermé dans Jérusalem, il n’avait certainement aucune connaissance, ni des nouvelles arrivées de Ninive, ni du mouvement qui s’opérait dans le camp de son ennemi ; comme il est facile de le supposer, facile même de s’en assurer, par les paroles de sa prière. Il ne put donc voir dans cet envoi qu’une menace de plus, mais cette fois une menace d’autant plus redoutable, qu’elle lui venait de la main même de son redoutable ennemi. Quelle épreuve nouvelle pour sa foi ! Quelle contraste avec ce qui était pour lui la vue ! D’une part, un simple Ne crains point, et pour l’appuyer, rien !… si ce n’est que l’Éternel l’a prononcé. De l’autre un Que ton Dieu ne t’abuse point !… et pour l’appuyer, la signature de Sanchérib, sa réputation d’invincible, son armée innombrable, un territoire dévasté, des places fortes rasées, une capitale cernée, des ressources épuisées, un peuple à l’extrémité, le danger le plus imminent, l’impuissance la plus désespérée, la détresse, en un mot. — Que va-t-il faire ?… Convoquer son conseil ? — Pourquoi ?… Pour délibérer ?… Quand Sanchérib est aux portes de Jérusalem ! — Tentera-t-il quelque nouvelle ressource ?… Laquelle ? N’a-t-il pas déjà tout tenté ? — Songerait-il à se rendre ?… Hier il le pouvait encore, aujourd’hui, les négociations sont rompues, la lettre de Sanchérib est un commencement, d’hostilités.
Non ! entre sa foi qui demeure inébranlable, et sa détresse qui est au comble, il ne lui reste qu’un parti : celui même par lequel il a commencé. Il monte à la maison de l’Éternel, il se prosterne, il prie. Voilà son conseil de guerre, voila sa dernière ressource !… Il prie : mais quelle prière ! Voulons-nous apprendre ce que c’est que la prière ? Relisons celle d’Ézéchias : — Ayant lu les lettres, il monta à la maison de l’Eternel et les déploya devant l’Éternel. Quelle simplicité ! quelle vérité ! quelle naïveté ! Si ce trait n’était pas d’un roi, il ne pourrait être que d’un enfant. — Puis Ézéchias fit sa prière devant l’Eternel disant : O Éternel, Dieu d’Israël, qui es assis entre les chérubins, toi seul es le Dieu de tous les royaumes de la terre : tu as fait les cieux et la terre. Quelle confiance ! Quelle assurance ! Comme on sent bien que celui qui débute par de telles paroles n’a pas oublié le ne crains point qui lui a été une fois répondu, et qu’il porte en son cœur ! — Eternel ! incline ton oreille et écoute, ouvre tes yeux et regarde ; écoute les paroles de Sanchérib et de celui qu’il a envoyé pour blasphémer le Dieu vivant. Quelle instance ! quelle ferveur ! quelle supplication ! quelle manière de forcer l’attention de celui auquel il s’adresse ! — Il est vrai, ô Éternel ! que les rois des Assyriens ont détruit ces nations-là et leurs pays, et qu’ils ont jeté au feu leurs dieux, car ce n’étaient point des dieux mais des ouvrages de main d’homme, du bois et de la pierre, c est pourquoi ils les ont détruit. Quel point de vue ! quelle piété ! un roi, un général, pour lequel les questions de guerre et de conquêtes ne sont que des questions de vérité ou d’erreur, de confiance bien ou mal placée ! — Maintenant donc, ô Éternel notre Dieu ! Je te prie, délivre-nous de la main de Sanchérib, afin que tous les royaumes de la terre sachent que c’est toi, ô Eternel ! qui es seul Dieu ! Quelle audace ! Quelle sainte hardiesse ! Un ver de terre ose rendre l’Eternel solidaire de sa cause : Délivre-nous, ta gloire en dépend ! Délivre-nous, sous peine de te manquer à toi-même !
Ainsi prie Ezéchias, et quelque chose ne vous dit-il pas déjà au dedans de vous qu’il est exaucé ? — Heureux, qui sait ainsi forcer la main à l’Eternel, quand l’Eternel est sa dernière ressource ! Malheur à celui contre lequel montent de semblables prières !
Sanchérib sait déjà à quoi s’en tenir. Ezéchias le saura bientôt.
La prière d’Ezéchias était un cri de détresse, la réponse de l’Éternel est un chant de triomphe. — Empruntant la voix de son prophète, et poursuivant de son dernier mépris celui qui l’a méprisé ; il se réjouit pour son peuple de la délivrance qu’il vient de lui procurer, et qu’il est seul à connaître encore. Tandis que Jérusalem fait des préparatifs de défense, qu’elle attend, qu’elle tremble entre ses murs ; du palais de sa sainteté, il contemple l’ennemi dans le désordre d’une retraite déjà semblable à celui d’une déroute. Tandis que Jérusalem lui crie : Délivre-nous, délivre-nous de la main des Assyriens ! de son regard éternel, il voit Jérusalem exaucée, son adversaire confondu, son peuple dans l’ivresse. Il oublie le temps… La veille du combat, dans sa bouche devient un lendemain de victoire. Quelle entrée en scène ! — La vierge, fille de Sion t’a méprisé, et s’est moquée de toi : La fille de Jérusalem a hoché la tête après toi : Qui as-tu outragé et blasphémé ? Contre qui as-tu élevé la voix et levé les yeux en haut ? C’est contre le saint d’Israël : Tu as outragé le Seigneur par tes messagers. Tu as dit : Je m’élèverai, je prévaudrai. Mais je connais ta demeure, ta sortie et ton entrée, et combien tu es forcené contre moi. C’est pourquoi je te ferai retourner par le chemin par lequel tu es venu, et tu n’entreras point dans cette ville ; car je garantirai cette ville, afin de la délivrer pour l’amour de moi et pour l’amour de David mon serviteur. Et ceci te sera pour signe, ô Ezéchias, c’est qu’on mangera cette année ce qui viendra de soi-même aux champs, et la seconde année ce qui croîtra encore, sans semer ; mais la troisième année vous sèmerez, et vous moissonnerez, vous planterez des vignes, et vous en mangerez le fruit. Il arriva donc… (N’oubliez jamais de mettre un donc après chaque parole de l’Éternel : Il a dit, donc… Il a promis, donc… Il a déclaré, donc… C’est la logique de la foi, plus infaillible, croyez-nous, même que celle de la raison.) — Il arriva donc cette nuit-là, que l’ange de l’Eternel sortit et tua cent quatre-vingt-cinq mille hommes au camp de l’Assyrien. — C’est contre l’Éternel qu’il s’était élevé : C’est à l’Éternel qu’appartient la vengeance.
Nous avions laissé Sanchérib au milieu de ses préparatifs de départ, levant son camp, et se disposant à reprendre le chemin de sa capitale. Il se flattait sans doute de la délivrer promptement, et de revenir, fort d’une nouvelle victoire, châtier le roi de Juda de son obstination. — Mais Celui qui est comme une bride aux mâchoires des peuples, et qui se rit du méchant, en avait décidé autrement. C’est au départ qu’il l’arrête. C’est du théâtre de son orgueil, qu’il veut faire celui de son écrasement. Il le veut à cause de sa gloire ; il le veut à cause de l’affligé auquel on a fait honte de s’être choisi l’Eternel pour retraite ; il le veut à cause de la fille de Jérusalem qui a été insultée ; il le veut à cause d’Ézéchias qui a prié, afin qu’ils voient de leurs yeux la ruine de leur ennemi, et soient les premiers à hocher la tête après lui.
Il arriva donc, cette nuit-là même, que l’ange de l’Éternel sortit et lui frappa cent quatre-vingt-cinq mille hommes de son armée… On demeure muet d’étonnement à l’ouïe d’un tel désastre, peut-être sans pareil dans l’histoire ; on cherche à s’en rendre compte, à se l’expliquer de quelque manière. — Les uns ont voulu voir l’armée de Tirhaca dans cet ange exterminateur. Elle arriva pendant la nuit, disent-ils, fit un massacre, et disparut. D’autres ont parlé d’une peste, d’une épidémie soudaine et foudroyante. Mais le texte ne me paraît autoriser en aucune manière ni l’une ni l’autre de ces opinions. — S’il vaut la peine de chercher l’instrument que mania dans cette occasion le bras du Tout-Puissant, la cause seconde du miracle, nous pensons qu’il n’est pas sans vraisemblance de supposer ici un souffle miraculeux de ce samoum, ce vent mortel du désert que les caravanes redoutent surtout la nuit parce qu’il suffoque sans les éveiller ceux qu’il surprend dans leur sommeil. Si pour la destruction de Sodome, l’Éternel avait fait d’une flamme de feu son ministre, ne peut-il pas cette fois faire d’un vent son ange ? L’hypothèse, du reste, il faut l’avouer, concorde bien avec ces traits d’une destruction tranquille, uniforme, mystérieuse, qui sont comme cachés sous les paroles du texte.
Quoi qu’il en soit, le roi des Assyriens s’était endormi dans sa force :… à son réveil, la vengeance de l’Éternel lui a brisé les reins. Il part… elle le poursuit encore. Oh ! c’est une chose terrible, que de tomber entre les mains du Dieu vivant ! Sans repos, sans paix, serré toujours de près, contre ce feu consumant il pense enfin trouver un abri dans la maison de son Dieu, Nisroc. Il se jette aux pieds de l’idole. Mais !… — Que ton Dieu en qui tu te confies, ne t’abuse point, Sanchérib ! N’as-tu pas entendu ce que le Dieu d’Israël a fait à tous ceux qui s’étaient élevés contre Lui ? Les dieux de Pharaon et de Moab, les ont-ils délivrés de sa main ? Les dieux des nations les ont-ils délivrées même de la tienne ? Où sont les dieux de Hamath et d’Arpad, de Sepharvajim, de Hanah et de Hiwah ? Voici, ce n’étaient point des Dieux, mais des ouvrages faits de main d’homme, du bois, de la pierre, et c’est pourquoi tu les as détruits. Tel est aussi ton dieu Nisroc… Quand tu l’auras encensé, quand tu l’auras supplié, te délivrera-t-il de cette colère que tu as provoquée et qui te consume comme une vermoulure des os ?… Te délivrera-t-il de cette épée dont il a été dit que tu périras ?
Au moment même qu’il était prosterné dans la maison de Nisroc son Dieu, il arriva qu’Adramelec et Sareetser ses fils le tuèrent avec l’épée, puis ils s’enfuirent au pays d’Ararat et Esaraddon son fils régna en sa place !
Qui a résisté à l’Éternel et s’en est bien trouvé ? Que machineriez-vous contre l’Éternel ? C’est lui qui réduit à néant. A Lui seul appartiennent le règne, la puissance et la gloire au siècle des siècles !
Cependant, à Jérusalem, on attendait dans l’angoisse…. Après le mouvement des députés, allant et venant accompagnés d’armées ; après les insultes de Rab Saké et les messages secrets de Sanchérib, un silence de crainte avait succédé. Plus de nouvelles, plus de bruit !… Les sentinelles continuaient à faire le guet sur la muraille. On s’attendait, chaque matin, à voir la ville entourée d’une ceinture de soldats… Rien !… Dans le lointain ?… Rien non plus ! — Que penser ?… On envoie des éclaireurs, on se hasarde à faire des reconnaissances… Bientôt une nouvelle étrange se répand. On sort, on approche du camp…. Silence de mort !… On soupçonne une ruse ; on pénètre en tremblant. Le premier qu’on rencontre… c’est un cadavre ! Le second… cadavre encore !… et le troisième aussi ! Et voilà, c’étaient tout de corps morts… Cent quatre-vingt-cinq mille ! — Qui a fait cela ?
Pour l’expliquer, il ne reste que cette sinistre prophétie : — Ceci te sera pour signe, ô Ézéchias ! c’est qu’on mangera cette année ce qui viendra de soi-même, et la seconde année, ce qui croîtra encore sans semer. Mais la troisième année, vous sèmerez et vous moissonnerez, vous planterez des vignes, et vous en mangerez le fruit… La nourriture est sortie de celui qui dévorait, et du fort est procédée la douceur ! — L’ange de l’Éternel, l’ange de l’Éternel, a fait cela ! — Qu’on rentre maintenant dans Jérusalem ! Qu’on partage le butin ! Qu’on rende au temple ses trésors ! Et qu’on y chante un cantique à l’Éternel : L’Éternel est notre retraite ; notre force, notre secours dans les détresses, et fort aisé à trouver ! Nous l’avons invoqué, il nous a délivrés, nous l’en glorifierons. A lui seul appartiennent l’honneur, la louange et la gloire au siècle des siècles !
Les temps changent, mes frères, et les théâtres et les hommes… l’Éternel seul ne change point. — Depuis les jours de Sanchérib, et depuis ceux d’Ézéchias : c’est Lui qui règne au ciel et sur la terre ; c’est Lui qui exauce et c’est Lui qui délivre.
En douterions-nous ?… Eh ! quoi ! Ne sommes-nous pas dans une ville qui s’appelle encore Genève ? — Il y a trois jours à peine, ne chantions-nous pas une délivrance que nos pères chantaient déjà il y a deux siècles et demi passés ? Dans trois jours n’en chanterons-nous pas une autre que plusieurs d’entre vous chantèrent pour la première foisa ? Et si ce fut une merveille qu’on célébrât l’Éternel dans Jérusalem après les jours d’Ézéchias, n’en est-ce pas une double que nous célébrions ici, aujourd’hui, ce culte institué aux jours mêmes de la réforme ? Ces murs, ces bancs, cet auditoire, cette chaire, cette foi dans nos cœurs et cette Bible en nos mains ; tout ne nous crie-t-il pas avec mon texte, et d’une voix plus haute encore s’il est possible : Oui, l’Éternel règne ! oui, l’Éternel exauce ! et Celui que nos pères avaient si pieusement nommé leur Patron n’a pas encore cessé de l’être ?
a – Ce discours a été prêché entre les deux anniversaires de l’Escalade, 12 décembre (22 ancien style) et de la Restauration, 31 décembre.
Hélas ! que les temps ont changé pourtant !… Où est-elle la Genève d’autrefois ? Qu’est-elle devenue cette sainte patrie dont nous parle notre histoire ? — Par la bonté de Dieu, un reste s’y trouve encore. Mais qu’il est faible et qu’il est menacé !… à vous entendre. Deux ennemis, le matérialisme pratique, la corruption, les mœurs des grandes villes d’une part, de l’autre l’erreur et la superstition, nous investissent comme une double armée de ténèbres. Ce n’est pas un Sanchérib qui menace ; ce n’est pas un péril pour demain, ni pour après demain : c’est un péril pour l’avenir ;… ce sont des influences sourdes et cachées qui s’exercent autour de nous et au milieu de nous…. Hé ! mieux vaudrait cent fois une armée, mieux vaudrait cent fois un péril à trembler, que ces ennemis qui se meuvent dans les airs, que ces puissances spirituelles qui nous assiègent invisiblement. Chacun sent le danger, personne n’ose avouer ce qu’il a senti ; chacun observe, fait ses réflexions, s’afflige, puis chacun se tait… Et si l’on entend parfois ces sinistres paroles : Depuis dix ans, depuis vingt ans voyez quels pas ! qui oserait ajouter : dans dix ans, dans vingt ans quel nouveau pas… La première des petites villes, comme on l’avait si glorieusement nommée, s’en va ! pour laisser sur ses ruines, quoi ?… Peut-être la dernière des grandes !
En cette extrémité d’où nous viendra le secours ? Ce n’est pas moi qui vous le dirai. Écoutez une prophétie : J’ai vu cette sagesse sous le soleil, dit Salo-mon, c’est qu’il y avait une petite ville, dans laquelle se trouvaient peu de gens. Un grand roi est monté contre elle, il l’a investie ; il a bâti de grands forts contre ses murailles. Mais il s’est trouvé en elle un homme pauvre et sage, qui l’a sauvée par sa sagesse. — M’avez-vous compris ?
Qu’importe après tout que Genève perde sa gloire ! L’Église de Christ en perdra-t-elle la sienne pour cela ? Les portes de l’enfer peuvent prévaloir contre nous, contre elle prévaudront-elles jamais ? Celui qui des pierres même peut susciter des enfants à Abraham, — du dernier village de la dernière des tribus, ne peut-il pas faire cette ville située sur une haute montagne, que nous nous glorifions d’avoir été ?
Mais aimons-nous notre patrie, aimons-nous notre Eglise, comme nos pères l’ont aimée ; non pas de cet amour d’orgueil qui la perd aujourd’hui, mais de cet amour saint qui l’a deux fois sauvée ? Avons-nous à cœur de la. voir briller de nouveau pour le salut de ses enfants, et la gloire de son Dieu ? Que nous demande-t-elle pour cela ? — D’abord ce n’est pas qu’au sortir de ce temple et pour tout fruit de nos paroles, vous vous contentiez de les avoir entendues : ce sont des résolutions, comprenez-nous bien, des actes, des réalités, ou rien ! — Ce qu’elle nous demande maintenant,… oh ! que ne puis-je ici verser dans votre âme une conviction depuis si longtemps à l’étroit dans la mienne ? — Ce qu’elle nous demande, ce qu’elle attend de nous, c’est un peuple de prières,… ou mieux encore, un homme de prière, un Ézéchias, un homme pauvre et sage, que chacun de vous peut être. Oui ! Voilà, voilà ce qu’elle nous demande aujourd’hui. — Alors, et j’exprime encore ici ma plus intime conviction, — alors tout est prêt pour son salut. — Hé ! ne sommes-nous pas un reste qui demeure, prêt à pousser sa racine par-dessous et à donner son fruit par-dessus ? — Ne sentons-nous pas comme un printemps sous terre, qui ne demande qu’à sortir, s’il tombe seulement une rosée, s’il survient une pluie : la rosée de vos prières, la pluie de vos supplications ? — N’avons-nous pas notre Israël ? N’avons-nous pas nos Josué prêts à descendre, prêts à triompher dans la plaine, s’il se trouve seulement un Moïse sur la montagne ? — Que dis-je ? Notre cause, bien plus encore que celle des Ézéchias, ou celle des Josué, n’est-elle pas celle de l’Éternel lui-même, si nous savons seulement le lui rappeler comme eux ? — Oh ! Éternel ! délivre-nous de la main de nos ennemis ! Car voici : comme toi, nous ne demandons point leur mort, mais leur conversion et leur vie. De nos ennemis fais-nous des frères ! Qu’ils viennent eux-mêmes combler nos vides et réparer nos brèches ! Et qu’un jour nous puissions ensemble, avec eux, monter en ta maison pour y entonner d’un cœur et d’une âme le cantique de cette délivrance des délivrances : Gloire soit à Dieu, au plus haut des cieux ! Paix sur la terre ! Et-bienveillance envers tous les hommes !
Amen.