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L’Immutabilité du Témoignage apostolique

bNous lisons dans l’Évangile selon Saint Marc, Marc 3.32, ces paroles : « Et la foule était assise autour de lui. » C’est sous cet aspect que j’aime à considérer cette assemblée. Je vois en esprit le Seigneur siégeant au milieu de nous, et les représentants des églises, à la fois unes et diverses, qui forment son corps ici-bas, recueillis autour de lui et prêts à recevoir tout ce qu’il aura à leur dire. Et le mot d’ordre qu’il me paraît nous adresser en ce moment, est celui-ci : « Les cieux et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point. »

b – Discours donné en 1879 au congrès de l’Alliance Évangélique, qui eut lieu à Bâle du 31 août au 7 septembre.

Mon collègue, M. d’Orelli, vient de vous parler de l’Immutabilité de l’Évangile apostolique au point de vue de l’œuvre de Christ. Il vous a montré que le salut chrétien, par les faits historiques sur lesquels il repose et par sa correspondance profonde avec les besoins indestructibles et universels de la conscience humaine, ne pourra céder la place à aucune autre forme de relation plus parfaite entre Dieu et l’humanité.

Mais, dans cette œuvre rédemptrice, il est un point d’une importance capitale auquel s’applique plus spécialement la thèse de l’Immutabilité de l’Évangile prêché par les apôtres, c’est celui de la personne du Rédempteur. Dès l’abord, ce que Christ a été personnellement pour les apôtres, a déterminé l’idée qu’ils se sont faite de l’importance de sa mission. Cependant ce point était primitivement comme enveloppé dans l’ensemble de son œuvre. Mais par degrés il s’en est dégagé, et il est enfin ressorti comme le point culminant de l’Évangile apostolique, de telle sorte que la valeur absolue du salut chrétien n’a pleinement éclaté aux yeux du monde qu’au moment où Christ lui a été présenté comme « la Parole faite chair. »

Nier ce fait central, la divinité essentielle et personnelle du Seigneur, c’est donc par le fait se condamner à modifier l’Évangile apostolique sur tous les points importants ; c’est s’exposer à faire baisser le niveau de son efficacité religieuse et morale, si j’ose m’exprimer ainsi, sur toute la ligne. Et, s’il en est ainsi, ce sera, lors même que plusieurs affirment précisément le contraire, livrer le christianisme affaibli, et comme désarmé, aux puissances hostiles qui le menacent, plus que jamais, à cette heure.

Et c’est là ce que font pourtant un grand nombre de penseurs et d’écrivains très sérieux. Je ne parle pas de ceux qui ne reconnaissent entre Jésus et nous qu’une différence de degré, qui ne voient en lui qu’un homme un peu plus saint que nous, dont l’apparition bienfaisante a servi à perfectionner dans notre conscience l’idéal moral, tellement que ses après-venants ou même déjà ses contemporains ont pu confondre cet idéal avec le personnage dans lequel il leur était apparu sous un jour plus radieux. Non, je pense ici à ces hommes, théologiens ou non, de plus en plus nombreux, qui reconnaissent en Jésus le Sauveur prédestiné de la race humaine, l’élu de Dieu, l’homme central suscité pour conduire l’humanité à la réalisation de sa destination, mais qui, avec tout cela, ne l’envisagent que comme un simple homme, qui n’existait pas plus que nous antérieurement à son passage sur la terre. Que s’ils lui accordent le titre de Dieu, ce n’est point comme au Dieu fait homme qu’adore en lui l’Église ; c’est comme à un homme que Dieu a associé à sa souveraineté universelle. Voilà la ligne que l’on est décidé à ne pas dépasser. Quant à la conception opposée, celle qui a régné jusqu’ici dans l’Église on n’y voit qu’une théorie métaphysique d’origine alexandrine, qui a fait irruption dans la théologie chrétienne à la suite du grand mouvement de la pensée évoqué par l’apparition du Christ. On déclare ce dogme de la divinité du Christ sans importance aucune pour la vie religieuse et morale soit des individus, soit de l’Église. Il serait même avantageux, prétend-on, de décharger l’Évangile apostolique de cette importation étrangère à la pensée de Jésus-Christ lui-même. Car elle ne fait qu’alourdir la marche de sa religion dans le monde et qu’entraver son action, surtout au sein d’une génération comme la nôtre, bien moins disposée à accueillir les éléments superstitieux que celles d’autrefois.

Quant aux déclarations bibliques, la manière d’agir des adversaires de la divinité essentielle et personnelle de Christ s’est peu à peu modifiée. Précédemment ils s’efforçaient plutôt de réduire la portée des expressions apostoliques à la mesure de leur conception. Aujourd’hui ils se montrent plus disposés à reconnaître le vrai sens des termes bibliques, mais refusent à ces déclarations toute autorité.

Notre tâche, en face de ce grand conflit, sera, d’abord de résumer l’enseignement apostolique sur la personne de Jésus-Christ ; puis de rechercher si la thèse de la divinité essentielle et personnelle du Seigneur Jésus est bien réellement une notion dont il serait utile de débarrasser le christianisme ; enfin d’examiner quelle serait la position faite à l’Évangile, ainsi transformé, dans la situation actuelle.

I.

Si nous n’avons pas entendu nous-mêmes les apôtres déclarer ce qu’ils pensaient de la personne de leur Maître, nous possédons leurs écrits, dans lesquels ils s’expriment plus ou moins explicitement sur ce sujet ; avant tout ceux de l’apôtre Paul, les premiers en date.

Dans ses premières lettres, celles aux Thessaloniciens, puis celles aux Galates, aux Corinthiens et aux Romains, cet apôtre traite plutôt de l’œuvre que de la personne du Rédempteur ; ainsi le comportait la situation de l’Église à ce moment là.

Cependant, tout en exposant l’œuvre du salut et ses effets, il ne peut pas ne pas remonter de temps en temps jusqu’à la personne de l’ouvrier. Ainsi dans l’épître aux Romains (Romains 8.3) il déclare que « Dieu a envoyé son propre Fils dans une chair semblable à notre chair de péché pour condamner le péché dans la chair. » Toutes ces expressions : son propre Fils, envoyer, envoyer dans la chair, ne peuvent laisser de doute sur la pensée de l’apôtre. Dans la première épître aux Corinthiens il attribue au Christ l’œuvre de la création de toutes choses et celle de la conduite du peuple d’Israël au travers du désert (1 Corinthiens 8.6 ; 10.4) ; ce qui suppose évidemment que Christ possédait, antérieurement à sa vie terrestre, une existence, et une existence de nature divine. Dans la seconde aux Corinthiens, voici comment il trace le tableau de la charité du Christ : « Lui qui, étant riche, s’est fait pauvre, afin que par sa pauvreté vous soyez rendus riches » (2 Corinthiens 8.9). La richesse a donc chez lui précédé la pauvreté, et celle-ci a été l’œuvre de sa charité, un dépouillement volontaire. Il a renoncé à l’état divin pour partager l’indigence de notre état humain, afin de pouvoir, par cette union à notre pauvreté, nous élever à la participation de sa divine richesse. Cette manière d’envisager la personne du Christ s’affirme plus distinctement encore dans les épîtres subséquentes de l’apôtre, celles aux Colossiens, aux Ephésiens et aux Philippiens. Comme ces lettres sont adressées à des croyants plus avancés, qu’il s’agit de soutenir dans la voie de la sanctification, l’apôtre plonge plus profondément ses regards et ceux de ses frères dans ces richesses incompréhensibles du Christ (Éphésiens 3.8), qu’il n’avait fait en quelque sorte qu’effleurer dans ses lettres précédentes. Déjà dans celles-ci il avait fait allusion à cet enseignement d’une nature supérieure, preuve qu’il en possédait déjà tout le contenu par devers lui. Ainsi il parlait aux Corinthiens de « la sagesse qu’il annonce », mais « parmi les parfaits » seulement, c’est-à-dire parmi les chrétiens plus avancés. Il comparait cette sagesse à la viande dont sont nourris les hommes faits », et il l’opposait au simple enseignement du salut et de la justification par la foi qu’il appelait le lait des enfants (1 Corinthiens 2.6).

Et en quoi consistait donc cette sagesse supérieure dont il parlait ainsi à mots couverts dès ses premières lettres ? Nous le comprenons par ses épîtres d’une date plus récente que nous venons de nommer. Il s’agit de la pleine connaissance de la dignité du Christ, l’auteur du salut, le chef de l’Eglise. Dans l’épître aux Colossiens il dévoile en la personne de ce Christ-Rédempteur le Créateur de toutes choses, des choses visibles comme des invisibles, des célestes comme des terrestres ; celui par qui tout subsiste encore à cette heure (Colossiens 1.15-17), tellement que la fondation de l’Église n’est que le couronnement de la création de l’univers, et que ces deux œuvres, dues à un seul et même auteur, ne forment en réalité qu’un grand tout continu. Dans les Philippiens il présente, exactement comme dans le passage de la seconde aux Corinthiens cité tout à l’heure, le Christ jouissant par nature de la forme de Dieu, de l’état divin, puis, au moment de paraître ici-bas, renonçant à l’égalité avec Dieu à laquelle il avait droit, revêtant volontairement la forme de serviteur, l’état humain, puis continuant à s’abaisser et à se dépouiller encore, en se rendant, comme homme, obéissant, obéissant jusqu’à la mort, obéissant jusqu’à la mort de la croix (Philippiens 2.6-8).

Nous apprenons par là l’impression que Saint-Paul avait conservée de l’apparition du Christ telle qu’il l’avait contemplée un moment sur le chemin de Damas, ainsi que de la révélation interne que Dieu lui avait donnée de son Fils à la suite de cette apparition (Galates 1.15-16). L’effet de cette double révélation avait été si puissant que Paul avait été amené par là à sacrifier sans hésiter tous les préjugés et toutes les répugnances que son monothéisme juif devait lui inspirer contre la déification d’un homme.

Le même phénomène se reproduit chez Jean, et ici d’une manière plus frappante encore. Ce disciple avait passé deux à trois années dans l’intimité de Jésus, qui avait daigné faire de lui son ami. Ce n’était donc pas seulement la sévérité du monothéisme israélite, c’était encore la familiarité même de ce commerce journalier avec Jésus-Christ, qui devait s’opposer chez lui à toute apothéose de propre imagination.

Et cependant au souvenir de la vie de son ami et en particulier de paroles telles que celles-ci qu’il avait entendues sortir de sa bouche : « Je suis la résurrection et la vie… C’est moi qui suis le pain vivifiant descendu du ciel… Que sera-ce quand vous verrez le Fils de l’homme remonter là où il était auparavant ?… Avant qu’Abraham fût, je suis… Celui qui m’a vu, a vu le Père… Père, rends-moi la gloire que j’ai eue auprès de toi avant que le monde fûtc, au souvenir, dis-je, de semblables déclarations il ne peut s’empêcher de reconnaître en lui un être complètement exceptionnel, un être d’origine et de nature divine ; « nous avons vu sa gloire, une gloire comme celle du Fils unique venu du Père », et de l’appeler « la Parole qui était au commencement, qui était auprès de Dieu et qui était Dieu ». Il le désigne comme « la lumière morale qui éclaire intérieurement chaque homme » ; comme « la vie éternelle qui était auprès du Père et qui a été manifestée » ; comme cet Adonaï qu’Ésaïe avait contemplé en vision, lorsqu’il avait entendu le séraphin s’écrier devant le trône : Saint, saint, saint est l’Éternel, le Dieu des arméesd.

cJean 11.25 ; 6.51, 62 ; 8.58 ; 14.9 ; 17.5, 24.

dJean 1.9 ; 1 Jean 1.2 ; 12.41.

L’enseignement des autres apôtres n’est pas parvenu jusqu’à nous d’une manière aussi détaillée. Mais nous pouvons constater encore le sentiment d’adoration qu’avec toute l’Église primitive ils portaient à la personne de leur Maître. Ne désignait-on pas dans ces premiers temps les chrétiens comme ceux qui invoquent le nom du Seigneur Jésuse ? Si nous nous rappelons l’austérité du monothéisme israélite, à cette époque, cette croyance, d’après laquelle un seul nom doit faire tomber l’homme à genoux, un seul nom peut être sans blasphème prononcé avec adoration — cette simple expression : « C’eux qui invoquent le nom du Seigneur Jésus », suffira pour nous révéler le sentiment que l’Église apostolique portait à la personne de Jésus. Nous connaissons du reste ce sentiment par la plume d’un païen du commencement du second siècle, le gouverneur Pline, qui d’une province d’Asie Mineure déjà toute remplie de chrétiens écrivait à l’empereur Trajan, en lui décrivant leur culte : « Ils chantent un hymne à Christ, comme à un Dieu. »

eActes 9.14,21 ; comp. Romains 10.12, 14 ; 1 Corinthiens 1.2 ; 2 Timothée 2.19.

La divinité personnelle de celui par qui Dieu a accompli notre rédemption, telle est donc bien la doctrine qu’ont enseignée les apôtres ; c’est là la foi que l’Eglise a reçue de leur bouche, et c’est par cette foi qu’elle a vaincu toutes les puissances liguées contre elle. Le moment serait-il venu pour elle, ainsi qu’une élite de penseurs cherche à le lui persuader, d’abandonner cette foi comme une superfétation inutile ou même nuisible, de la jeter loin d’elle comme une vieille épée rouillée ? C’est-ce que nous devons maintenant examiner de plus près.

II.

Chaque fois que je considère cette question devant Dieu, trois convictions me saisissent, s’emparant à la fois de mon esprit et de mon cœur :

La première, c’est que l’on ne peut ôter quelque chose à la divinité essentielle et personnelle du Christ, sans le retrancher en même temps à l’intimité de la relation entre Dieu et l’homme.

La seconde, c’est qu’ôter quelque chose à la divinité essentielle et personnelle du Seigneur, c’est le retrancher par là même à l’horreur que doit nous inspirer ce qui nous sépare de Dieu, le péché.

La troisième, c’est que tout ce qu’on ôte à la divinité essentielle et personnelle du Seigneur, on le retranche par le fait à la glorieuse réalité de la sainteté chrétienne.

Je vais essayer de justifier en quelques mots cette triple conviction.

1. L’intimité de la relation entre un supérieur et son inférieur dépend encore plus de ce qu’est le premier à l’égard du second que de ce qu’est celui-ci à l’égard du premier. Il en est ainsi de la relation entre Dieu et nous. Cette relation repose avant tout sur ce que Dieu est pour nous, et secondairement seulement sur ce que nous sommes pour Dieu.

Eh bien ! retranchez de l’Evangile le don que Dieu nous fait en Jésus de son propre Fils, dans le sens plein et apostolique de ce mot, vous en avez supprimé l’amour parfait, infini du Père envers nous. Il n’y a plus lieu de s’écrier : Dieu a tellement aimé le monde (Jean 3.16) ! Le vrai don, le don parfait, c’est celui de soi-même. Otez à Jésus sa nature essentiellement divine ; le don que Dieu nous fait en Jésus n’est plus le don de lui-même. Le raisonnement que fait l’apôtre (Romains 5.7-8) est désormais sans valeur : « A peine un homme meurt-il pour un juste ; encore pourrait-il arriver qu’un homme mourût pour le bien. Mais Dieu a fait éclater son amour envers nous, en ce que lorsque nous étions encore pécheurs, Christ est mort pour nous ! » Si Christ n’est pas Dieu, quel rapport y a-t-il entre le don que Dieu nous fait de lui et celui qu’un homme fait pour un autre de sa propre vie ? Comment après cela tirer encore de ce don la conclusion magnifique qu’en tire l’apôtre au ch. 8 de la même épître : « Lui qui n’a point épargné son propre Fils, mais qui l’a livré pour nous tous, comment ne nous donnera-t-il pas toutes choses avec lui (Romains 8.32) ! Représentez-vous qu’Abraham n’eût immolé sur Morijah qu’une des brebis de son troupeau, ou même que le plus fidèle et le plus précieux de ses serviteurs, l’Ange de l’Eternel pourrait-il lui dire : « Maintenant j’ai connu… » (Genèse 22.12). Je sais que tu es à moi, toi-même et tout ce que tu as ! Et nous, suffirait-il du don du plus saint des hommes, ou même du plus élevé des anges, pour que de notre cœur toujours troublé et anxieux, dans lequel le oui et le non se succèdent continuellement, nous pussions dire à Dieu avec une pleine assurance : « Maintenant je sais … ! » Tu es à moi, et avec toi toutes choses. Si Christ n’est pas personnellement Dieu, il reste vrai peut-être qu’un homme, l’homme parfait, l’homme central, comme on l’appelle, a aimé sa race jusqu’à se laisser immoler pour elle, dans le but de la conduire à sa suprême destination. Mais en quoi l’amour du Père est-il proprement impliqué dans le sacrifice que nous fait de sa vie l’un de nos semblables ? Qu’y met Dieu du sien (ἐκ τοῦ ἰδίου) ? Je vois bien un frère qui aime ses frères ; mais je ne trouve plus dans l’Évangile le Père qui aime ses enfants. Il me paraît que l’homme brille dans cette œuvre plus que Dieu ! Et Dieu qui ne met rien du sien dans le don, en profite cependant pour réclamer tout pour lui-même ! Aurait-il donc raison, le serviteur de la parabole qui accuse son maître de vouloir récolter là où il n’a pas semé (Matthieu 25.24) ? Jésus, au contraire, se donne lui-même et ne demande rien que pour Dieu. A qui est le beau rôle ? Où est la générosité ? Un tel mode de salut me lie à la créature, si Christ n’est qu’une créature, plus qu’au Créateur. C’est l’homme qui sort triomphant du drame rédempteur. Elle n’est donc pas si mauvaise qu’on le prétend, cette nature humaine, d’où a pu sortir un si admirable fruit. Ne me parlez plus de la foi comme du lien qui unit l’homme à Dieu. C’est à l’homme que m’unit ma foi.

Et ce n’est pas seulement l’amour du Père qui pâlit dans cette manière de voir. La charité de Jésus lui-même perd ce qu’elle a de plus saisissant, de plus poignant dans la conception apostolique. Lorsque Saint-Paul veut essayer d’extirper du cœur des Philippiens les dernières racines de l’amour-propre et de la vanité naturelle, que leur dit-il ? « Ayez les sentiments que Jésus-Christ a eus, lui qui, quoiqu’il fût en forme de Dieu, s’est anéanti lui-même et a pris la forme d’un serviteur, ayant paru comme un simple homme » (Philippiens 2.5-7). Le dépouillement volontaire de celui qui, possédant l’éclat divin, s’est fait homme par charité, voilà l’aiguillon que l’apôtre enfonce dans notre cœur naturellement égoïste et vaniteux, pour y détruire le règne du moi. « Le moi », a dit quelqu’un, « ne peut être détrôné dans le cœur de l’homme que par une révolution »f. Cette révolution, la plus difficile de toutes celles qui s’accomplissent dans l’histoire du monde, un prodige, un seul possède la vertu de l’opérer ; celui que Saint-Paul place devant les yeux des Philippiens. Supprimez-le, ce prodige, de la vie du Christ, il vous reste un Christ qui du néant passe à l’existence, qui de l’existence s’élève à la sainteté et enfin de la sainteté à la souveraineté universelle, qui, à travers des luttes douloureuses, des phases pénibles sans doute, monte et toujours monte ; là n’est pas le principe de la commotion capable de renverser l’idole dans mon cœur. J’ai en moi un homme qui tend à se faire Dieu. Si cet orgueilleux doit recevoir le coup de mort, ce ne peut être que par la vue du Dieu qui se fait homme, homme pour adorer, pour obéir, pour servir avec moi, homme pour m’entraîner dans son propre anéantissement.

f – Le journal l’Église libre.

Il était donc dans le vrai, oui, dans les dernières profondeurs du vrai, le frère vénéré, présent dans cette assemblée, de la bouche duquel je recueillais un jour cette parole : « Nul ne s’est jamais donné à Dieu en dehors du don que Dieu nous a fait de lui-même en Jésus-Christ »g. Ah ! ne traitez pas ce dogme, je vous en supplie, de subtilité métaphysique ! Ne parlez pas même de dogme ! C’est un fait, le fait capital dans l’histoire morale de notre race. C’est la révélation parfaite de l’amour divin, paternel et fraternel. C’est le fondement de notre éternelle adoption, en même temps que le renversement de notre fausse grandeur. C’est le ressort suprême que Dieu a fait mouvoir pour replacer l’univers moral sur ses vraies bases, pour recouvrer sa place souveraine dans l’univers, pour ramener la créature à la sienne, à son néant, pour faire triompher l’amour de l’orgueil, Dieu de Satan.

g – Parole de Mr. le pasteur Fisch adressée aux étudiants de la Faculté de théologie de l’église indépendante neuchâteloise.

2. J’ai affirmé, en second lieu, que tout ce qu’on ôte à la divine préexistence de Jésus-Christ, on le retranche par le fait à l’horreur que doit nous inspirer le péché.

Assurément la mort du Rédempteur, envisagée comme celle d’un simple homme innocent, est capable de nous révéler, jusqu’à un certain point, la profondeur de la perversité humaine, et de nous en inspirer l’horreur. La vue de l’hypocrisie pharisaïque et de la lâcheté ambitieuse, coalisées pour accomplir le plus grand forfait de l’histoire, est quelque chose de trop révoltant pour ne pas exercer une certaine action sur tout cœur humain doué encore de quelque sensibilité morale. Une émotion plus profonde ne manquera pas de se produire en moi si, à cette impression générale et simplement humaine, vient se joindre le sentiment plus personnel d’humiliation et de repentance qui résultera pour mon cœur du mystérieux : Lui pour moi ! dont me parlent les Ecritures, lors même que je ne verrais encore en lui qu’un homme. Lui, mon frère innocent, pour moi, coupable ! Entrevoyant alors quelque chose des miséricordes divines envers l’humanité repentante et des terreurs de son jugement futur sur les pécheurs persévérants, je ressentirai dans mon cœur comme un contre-coup de l’indignation de Dieu contre le mal. Mais si, embrassant toute la plénitude de l’enseignement apostolique sur cet insondable fait, dans ce frère plein d’amour, dans cette victime innocente, dans cet Agneau de Dieu préconnu avant la fondation du monde (1 Pierre 1.20), je discerne enfin le Fils lui-même, le Bien-aimé éternel, la Parole par laquelle j’ai reçu l’existence, celui qui bientôt reparaîtra pour être mon juge ; si je contemple ce Verbe divin dans celui que Dieu a choisi pour me donner par le supplice de la croix la démonstration vivante du traitement que j’ai mérité, de ce qui m’atteindra infailliblement si je demeure dans mon péché, — un tremblement saisit mon âme. Je comprends que le Dieu qui en a agi de la sorte, ne pactise à aucun prix avec le mal ; le péché cesse d’être pour moi une faiblesse pardonnable ; c’est un ennemi mortel ; il faut que l’un des deux, lui ou moi, périsse ! Un déchirement se produit en moi comme celui qui se consomme entre deux amis dont l’un rompt pour toujours avec l’autre. Les expressions mystérieuses de Saint-Paul : être mort au péché, être crucifié avec Christ, être baptisé en sa morth me deviennent une puissante réalité. C’est la foi au Fils de Dieu immolé pour moi, c’est elle seule qui a pu faire cela ! Nulle autre puissance n’eût été capable de m’arracher à l’impur embrassement du péché.

hRomains 6.2 ; Galates 2.20 ; Romains 6.3.

3. Le croyant meurt en Christ au péché, à sa propre vie ; mais il meurt comme Christ, non pour rester mort, mais pour ressusciter. La sainteté, la sainte vie de Christ lui-même s’ouvre à lui, comme le sanctuaire où il pénètre à travers ce tombeau de la mort à lui-même. « Je suis crucifié avec Christ, » dit Saint-Paul, « et je vis, non plus moi, mais Christ vit en moi ; et ce que je vis maintenant en la chair, je le vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et qui s’est donné lui-même pour moi » (Galates 2.20).

Ces paroles de Saint-Paul expriment en un incomparable langage le contenu de la troisième conviction dont je parlais tout à l’heure : tout ce que vous retrancheriez à la divinité essentielle et personnelle du Christ, vous l’ôteriez à la réalité de la sainteté qui constitue votre glorieuse destination. Deux expressions me frappent dans les paroles que je viens de vous citer, et leur corrélation m’enseigne : Le Fils de Dieu m’a aimé, et le Christ vit en moi. Il y a là deux choses inséparables : le Fils de Dieu et Christ en moi. Un homme ne saurait vivre dans un autre homme. Un homme nous laisse son souvenir, ses exemples, ses enseignements. Mais il ne revit pas lui-même en nous. Si Jésus n’est qu’un saint homme, un homme accompli, l’homme normal, la sanctification chrétienne se réduira tout naturellement à l’effort sincère de le suivre et de l’imiter. Et l’Église ne sera plus qu’une association de gens bien disposés qui se réunissent pour faire le bien en regardant ensemble à leur modèle, Jésus-Christ. Voilà le niveau auquel descendent immédiatement les notions les plus élevées et les plus glorieuses de l’Evangile, une fois que l’on a fait tomber de la tête du Christ sa divine couronne. Mais, croyez-en l’Écriture et l’expérience, la vraie sainteté chrétienne est autre chose qu’un effort, qu’une aspiration de l’homme ; c’est une communication de Dieu à l’homme ; c’est Christ en personne qui vient vivre en nous par le Saint-Esprit. Aussi Saint-Paul appelle Christ non seulement notre justice, mais aussi notre sanctification (1 Corinthiens 1.30). Et dans Saint-Jean Jésus s’exprime ainsi : « Je ne vous laisserai point orphelins ; je viendrai à vous » ; « en ce jour-là (celui de la venue du Saint-Esprit) vous connaîtrez que je suis dans le Père et que vous êtes en moi et moi en vous » ; « celui qui m’aime, sera aimé de mon Père … et nous viendrons à lui et nous ferons notre demeure chez lui » ; « parce que je vis, vous vivrez aussi ». Qui doit-il être, celui qui non seulement vient habiter en nous par le Saint-Esprit, mais dont l’habitation en nous est en même temps celle du Père ! « Hors de moi vous ne pouvez rien faire, » continue Jésus ; « je suis le cep, vous êtes les sarments ; celui qui demeure en moi et moi en lui, celui-là portera beaucoup de fruits » ; « l’Esprit me glorifiera »i. L’Esprit divin ne communique pas un homme aux autres hommes. L’Esprit divin ne glorifie pas un homme dans le cœur et dans la vie des autres hommes. L’Esprit divin glorifie un être divin, le Fils, qui, à son tour, glorifie le Père. Ainsi l’exige le monothéisme chrétien, résumé dans la formule du baptême. Et c’est en même temps là le secret de la sanctification chrétienne : La sainteté, c’est Christ, et Dieu en Christ, habitant en nous par le Saint-Esprit. Et l’Église ? Ce n’est pas seulement une association volontaire de sincères imitateurs de Jésus-Christ. C’est le corps de Christ, l’organe vivant qu’il remplit de sa plénitude, lui « en qui habite toute plénitude de Dieu. »j

iJean 14.18, 20, 21, 23, 19 ; 15.1, 5 ; 16.14.

jÉphésiens 1.23 ; Colossiens 2.9.

Oh ! comme la pensée divine déborde les cadres mesquins dans lesquels s’efforce de l’enfermer la pensée humaine ! Peu de jours avant sa mort, l’homme dont s’honore le plus la Suisse romande et qui a jeté dans cette ville même les premières clartés de la lumière qu’il devait faire briller plus tard avec tant d’éclat, Vinet, disait à l’un des frères ici présents : « Il y a une étrange bassesse, de la part de l’homme, à refuser le don royal que Dieu nous a fait d’un Christ-Dieu. » Le terme de bassesse a quelque chose de très sévère. Il exprime ce qu’aurait été ce refus pour l’auteur même de cette parole, au point de vue de ses propres convictions. Il serait injuste de l’appliquer au jugement d’un individu quelconque. Il peut y avoir, les faits le prouvent, une piété sincère, un amour sérieux pour Jésus-Christ, une admiration enthousiaste de sa personne et de son œuvre, chez celui-là même qui ne peut se résoudre à voir en lui autre chose que l’homme accompli. Il en est même plusieurs qui ne lui refusent une dignité supérieure que parce qu’ils craignent de le perdre en sa qualité d’homme réel, d’homme parfait. Là où cet attachement loyal pour lui existe, ce sentiment ne peut manquer de produire des impressions bienfaisantes. Lorsque Jésus vivait sur la terre, ne suffisait-il pas de toucher le bord de son vêtement pour ressentir une vertu émanant de lui ? Tout contact du cœur avec la personne de Jésus apporte à l’âme sincère une force sainte.

Mais remarquez bien que nous ne nous occupons pas ici des conditions du salut individuel. Il s’agit en ce moment des conditions d’existence du christianisme lui-même, du maintien de son rôle comme religion humanitaire. Il s’agit de ce qui arriverait de l’Évangile si nous y apportions une modification aussi considérable que celle de réduire la dignité du Christ à la qualité de représentant normal de l’humanité. Le christianisme pourrait-il conserver longtemps encore cette position de religion universelle qu’il a conquise depuis dix-huit siècles ?

De tout ce que je viens de vous dire il me paraît ressortir que du moment où l’Église consentirait à cet abaissement de la personne de son Chef, daterait infailliblement l’obscurcissement de la révélation de Dieu sur la terre, ainsi que le redressement de l’orgueil humain, un affaiblissement marqué de l’effroi produit dans la conscience humaine par le péché, et comme une évaporation de la vertu sanctifiante de l’Évangile, — par conséquent à tous égards un déclin de l’influence morale et religieuse de l’Évangile dans la société et dans l’Église. Il ne me reste plus après cela qu’à rechercher quel serait inévitablement le sort du christianisme ainsi privé d’une grande partie de sa force interne et diminué dans ses effets.

Pourrait-on raisonnablement nourrir l’espoir de le voir encore longtemps demeurer à la tête de la civilisation, conserver sa suprématie morale et résister victorieusement aux adversaires qu’il a vaincus autrefois, mais qui se relèvent aujourd’hui sur le champ de bataille, et le menacent d’une dernière lutte, la lutte à outrance.

III.

Quels sont ces adversaires ? Ce sont, à ce qu’il me paraît, — car je vous prie bien de considérer que, comme dans tout ce travail je ne parle au nom de qui que ce soit, ainsi dans les appréciations que je vais émettre tout doit rester à ma charge, — ces adversaires sont, me paraît-il, d’un côté le matérialisme païen, de l’autre le déisme juif.

Assurément la plupart de ceux qui ne voient en Jésus-Christ que l’homme normal, moralement parfait, sont absolument exempts de toute sympathie pour le matérialisme moderne. Il n’en est pas moins vrai que, si l’on envisage, non leurs sentiments personnels, mais le courant d’idées qui les entraîne, il existe un rapport plus étroit qu’ils ne se l’imaginent entre leur point de vue et la tendance qui domine maintenant la pensée du siècle.

Il existe, n’est-il pas vrai ? deux manières de concevoir le développement de l’univers. D’après l’une, tout s’élève, tout grandit, tout progresse par sa propre force interne ; à ce point de vue le devenir absorbe tout. D’après l’autre, tout ne monte que parce que tout est premièrement descendu. Dans ce point de vue, ce qui domine c’est l’idée de l’être, de l’être comme principe du devenir.

Dans la première intuition, le terme suprême du progrès, du moins jusqu’ici, c’est l’homme, et l’homme parfait, s’il existe. Cet homme accompli apparaît, dans ce cas, comme le fruit parfait sur l’arbre de l’humanité. L’espèce humaine se présente à son tour comme le point culminant de la vie organisée sur notre globe. Et la vie organisée elle-même, qu’est-elle autre chose que le produit admirable d’une combinaison heureuse des forces physiques et chimiques ? Et celles-ci enfin ne peuvent être que les manifestations multiples de la force naturelle, primitivement inhérente à la matière. On le voit, cette intuition forme un tout bien lié. C’est une histoire de l’univers dans laquelle tout monte et rien ne descend. Son point de départ, c’est la matière éternelle, et son terme, c’est l’homme, l’homme d’abord, puis l’homme parfait, le Christ.

Comment donc cette conception du christianisme pourrait-elle lutter avec succès contre l’intuition matérialiste de l’univers, puisque, comme nous venons de le voir, elle n’en est, ou du moins elle peut n’en être que le dernier mot. Encore une fois, c’est là un courant que je signale, et non une conséquence que je songe à imputer à qui que ce soit.

D’après la conception opposée du développement universel, tout part d’un être qui ne devient pas, mais qui est, Dieu. Et ce n’est que par une série de communications émanant de lui que tout devient et progresse. Par un premier acte de sa volonté, il pose la matière avec ses qualités multiples. Quand cette matière a été suffisamment élaborée, il y dépose lui-même le germe de la vie ; car la vie ne procède que d’un vivant. Dès ce moment, la molécule organique accomplit son épanouissement à travers toutes les sphères et de la végétation et de l’animalité. Puis quand l’heure d’un nouveau mouvement ascensionnel a sonné, au sein de la vie organique Dieu fait éclore par une nouvelle communication le principe supérieur de l’existence intelligente et libre, l’esprit, son propre souffle. L’homme apparaît avec une volonté consciente et maîtresse d’elle-même, image de celle de Dieu même. Et quand enfin cette volonté libre, au lieu de progresser vers la sainteté en s’appuyant sur celle de Dieu, se constitue en pleine révolte contre son auteur, alors Dieu puise au fond des entrailles de son amour et en tire une communication suprême, qu’il n’aurait pas refusée sans doute à l’humanité obéissante et fidèle, mais qui eût revêtu dans ce cas une autre forme ; il donne au monde un second lui-même ; il le greffe sur le tronc de la race déchue et par sa vie, sa mort et sa résurrection, non seulement il relève l’humanité de sa chute, mais il la fait parvenir du même coup à sa sublime destination, en l’élevant à l’union personnelle et parfaite avec lui-même, en la personne du Christ d’abord, puis par lui en la nôtre.

C’était là le terme éternellement prévu et voulu. L’incarnation du Fils de Dieu est le dernier mot de cette intuition monothéiste de l’univers, dans laquelle les grandes phases du progrès ont été provoquées chacune par une divine initiation. D’un côté donc, un homme qui devient Dieu : voilà le Christ qui répond à l’esprit du siècle. On l’a bien dit : cela ressemble à une aventure. De l’autre côté, le Dieu qui librement se fait homme : voilà le Christ du vivant monothéisme. C’est le prodige de l’amour.

Mais supposons que la première de ces deux conceptions parvînt à s’affranchir de l’effrayante solidarité qui la lie à l’esprit moderne, elle rencontrera immédiatement un second ennemi plus redoutable encore pour elle : le déisme juif.

A l’ouïe de ce mot : juif, plusieurs d’entre vous sourient peut-être. Ce qui porte le nom de juif ne leur semble pas bien redoutable pour l’Eglise. Ils ne disent pas : Peut-il venir quelque chose de bon ? mais plutôt : Peut-il venir quelque chose de dangereux de Nazareth ? A ce sourire dédaigneux j’en oppose un autre, celui des Israélites eux-mêmes, j’entends des Israélites intelligents, lorsqu’ils nous voient, nous autres chrétiens, nous agiter pour la propagation de l’Évangile, fonder des sociétés et construire des maisons de missions, envoyer des messagers du christianisme aux mahométans et aux païens, et porter la religion de la Bible aux extrémités du monde. Cette religion, disent-ils tranquillement, c’est la nôtre. Tout ce travail, c’est pour nous qu’il se fait. Ces sommes dépensées, ces vies sacrifiées, c’est nous qui en recueillerons les fruits. Car le Dieu des chrétiens, c’est le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ; c’est celui des Juifs. La doctrine de Jésus n’est autre que celle de nos prophètes. Un seul point nous sépare de ces chrétiens : l’adoration du Christ. Que ce dogme absurde de la divinité d’un homme, dogme contraire aux principes les plus élémentaires du monothéisme, que ce dernier reste du vieux paganisme dans le christianisme tombe, et l’Évangile ainsi épuré, c’est le judaïsme ! Chrétiens, nous vous attendons ! Ce n’est pas nous qui allons à vous ; c’est vous qui venez tout doucement à nous. A bientôt ! — Ainsi pensent, et quelquefois ainsi parlent les Juifs clairvoyants. Que font par conséquent ceux d’entre nos docteurs qui travaillent à réduire la personne du Christ à la mesure d’un simple homme, de l’homme normal ? Ils accomplissent, sans s’en douter, l’attente et le vœu ardent du judaïsme ; ils travaillent, sans le vouloir, à lui livrer la chrétienté. Ce sera assurément le moyen d’apaiser ce vieil ennemi, mais non pas celui d’en triompher. Continuez, aveugles conducteurs d’aveugles ! Minez au sein de nos populations la foi à la divinité de Jésus-Christ, et le terrain sera bientôt déblayé pour l’avènement de la monarchie finale, de l’empire israélite, et pour l’apparition du Christ charnel en qui elle se personnifiera.

IV.

Au terme du premier siècle de l’Église, Saint-Jean, témoin des premières hostilités du pouvoir païen et des premiers succès de l’hérésie, adressait aux chrétiens qui l’entouraient cette parole : « Qui est victorieux du monde, sinon celui qui croit que Jésus-Christ est le Fils de Dieu (1 Jean 5.5) ? » Ce mot d’ordre, venant de l’apôtre qui avait reposé sur le sein du Seigneur, aurait-il perdu de nos jours sa valeur ? Le secret de la victoire de l’Église aurait-il cessé de résider dans la foi à la divinité de son Chef ?

L’écrivain éminent qui vient de retracer à la France l’histoire des trois premiers siècles de l’Église, nous disait récemmentk : « Si l’arianisme l’eût emporté, c’en était fait du christianisme. » Cette parole s’applique aussi bien au socianisme contemporain qu’à l’arianisme d’autrefois.

k – Mr. de Pressensé.

A l’instant où l’on refuse au Christ sa nature divine, on ôte au christianisme son caractère définitif. Le christianisme n’est plus, selon l’expression d’un philosophe françaisl, « qu’une des journées de l’humanité ; » c’est une étape sur la voie du progrès, qui ne peut manquer d’être tôt ou tard suivie d’une étape nouvelle. Vous ouvrez ainsi la porte à cet autre qu’appelle le cœur charnel de l’homme naturel, et que Jésus annonçait en ces termes : « Je suis venu au nom de mon Père et vous ne me recevez pas ; si un autre vient en son propre nom, vous le recevrez, lui (ἐκεῖνον λήψεσθε, Jean 5.43) ! » Mot menaçant, gros d’un sombre avenir !

l – Lerminier.

Nous sommes avertis, frères bien-aimés, avertis par notre Maître ! Veillons donc !

On a déjà rappelé que cette ville, qui nous réunit hospitalièrement dans ces jours, fut autrefois témoin d’une autre assemblée bien plus importante que la nôtre, officiellement parlant. Elle était convoquée dans le but de faire rentrer dans ses limites le pouvoir usurpateur qui tyrannisait l’Église et de restituer à celle-ci le droit imprescriptible de s’administrer elle-même.

Représentants ici réunis des diverses églises qui forment le corps de Christ sur la terre, notre tâche est plus modeste et bien différente. Nous n’avons pas de décisions officielles à prendre, qui doivent imprimer une direction nouvelle à la marche de la chrétienté. Nous n’avons à destituer ou à émanciper personne. Mais nous avons une œuvre à faire, œuvre toute personnelle, œuvre intérieure, œuvre immédiate, à laquelle je vous convie à cette heure même ; c’est de nous placer, chacun en particulier et tous ensemble, devant le Chef de l’Eglise et de lui dire : Mon Seigneur et mon Dieu ! Me voici à tes pieds ! Je t’adore ! Sers-toi de moi pour maintenir cet Évangile que tu as donné à tes apôtres et qu’ils ont transmis à ton Église ! Sers-toi de ma voix, sers-toi de ma vie, sers-toi de ma personne entière, pour rendre hommage à ton suprême amour, en proclamant jusqu’à la fin ton éternelle divinité !

A Lui, le même hier, aujourd’hui, éternellement soit, comme dans le passé, gloire dans l’Église aujourd’hui et éternellement !

THÈSES.

  1. L’immutabilité de l’Évangile apostolique s’applique tout particulièrement à ce que les apôtres enseignent sur la personne de Christ.
  2. On ne peut porter atteinte à la divinité personnelle du Sauveur, telle que les apôtres l’enseignent, sans qu’il en résulte un affaiblissement de la puissance religieuse et morale de l’Evangile.
  3. Ainsi affaibli, le christianisme serait impuissant à lutter victorieusement contre ses anciens ennemis, le matérialisme païen et le déisme juif.
  4. Le devoir pressant des chrétiens évangéliques est donc de rendre hautement témoignage à la divinité personnelle du chef de l’Église.

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