En donnant les mains à la convocation des Etats généraux, les Lorrains nourrissaient plus d’une arrière-pensée. Ils se flattaient d’en finir avec les Bourbons, d’envelopper les huguenots dans la ruine de leurs chefs, et de conquérir la majorité dans les Etats par la séduction ou par la terreur.
Antoine de Bourbon et le prince de Condé furent invités à venir occuper leurs sièges de princes du sang. Ils savaient que de grands dangers les y attendaient, mais un refus aurait été représenté comme une rupture ouverte avec l’autorité royale. Les caractères opposés des deux princes concoururent encore à leur faire accepter l’invitation. Le roi de Navarre était trop faible pour braver si directement la couronne ; Louis de Condé trop hardi pour s’exposer au soupçon de la craindre. L’un se mit en route, parce qu’il n’osait pas assez ; l’autre, parce qu’il osait trop.
A peine entré à Orléans, Condé fut arrêté sous l’accusation de haute trahison, et l’on nomma des commissaires pour le juger. Il refusa de répondre, disant qu’un prince du sang ne devait être jugé que par le roi et les pairs, toutes les chambres du parlement assemblées. Les Lorrains lui firent signifier une ordonnance qui le déclarait coupable de lèse-majesté, s’il persistait dans son refus. « Il ne faut pas tolérer, disait le duc de Guise, qu’un petit galant, pour prince qu’il soit, fasse de telles bravades. Il faut couper d’un seul coup la tête à l’hérésie et à la rébellion. »
Le chef de la maison de Bourbon s’humilia devant le duc et le cardinal, en sollicitant la grâce de son frère. Ils le reçurent avec hauteur, et le firent garder à vue. Tous les historiens rapportent qu’ils formèrent contre lui-même un horrible projet d’assassinat. Comme on n’osait le mettre en jugement, on avait résolu de l’appeler devant François II, qui, se prenant de querelle avec lui, tirerait son épée. A ce signal les courtisans devaient se jeter sur Antoine de Bourbon et le poignarder.
Averti du complot, l’excès du danger lui inspira quelque courage, et il dit au capitaine Renti : « Je m’en vais au lieu où il y en a qui ont juré ma mort. Si je meurs, prenez la chemise que j’ai sur moi ; portez-la à ma femme, puisque mon fils n’est pas encore en âge de pouvoir venger ma mort, et qu’elle l’envoie aux princes chrétiens qui me vengeront. Alors il entra dans la chambre du roi, et le cardinal de Lorraine ferma la porte après lui. Le roi lui tint quelques rudes propos ; mais soit timidité d’enfant, soit pitié, il n’osa pas donner le signal. O le lâche ! ô le poltron ! murmurait François de Guise caché derrière la porte. Un roi de dix-sept ans chargé d’assassiner son oncle ! Quelles mœurs ! quel règne ! quelle cour[a] !
[a] Voir sur ce fait Regnier de la Planche, Jean de Serres, d’Aubigné, de Thou, et, parmi les historiens plus modernes, Anquetil, Sismondi, M. Lacretelle, et autres.
Le cardinal de Lorraine avait aussi imaginé, pour l’extermination des hérétiques, un plan analogue à ceux qui avaient été exécutés contre les Albigeois du Languedoc ou les Maures d’Espagne. On voudrait, pour l’honneur de l’espèce humaine, pouvoir nier de si exécrables desseins ; mais ils sont attestés par des écrivains catholiques, et même par le jésuite Maimbourg.
Le cardinal avait donc décidé de faire signer à tous les Français une formule de foi dressée par la Sorbonne en 1542, formule, dit Jean de Serres, que nul homme de la religion n’eût voulu pour mille vies approuver ni signer. Le roi devait la présenter, le jour de la Noël, à tous les princes, officiers et chevaliers de la cour ; la reine, à toutes les dames et demoiselles du palais ; le chancelier, aux députés des Etats généraux et aux maîtres des requêtes ; les chefs des parlements et des bailliages, à leurs subordonnés ; les gouverneurs des provinces, aux gentilshommes ; les curés, à tous les habitants de leurs paroisses ; les maîtres de maison enfin, à leurs serviteurs. Quiconque eût refusé sa signature, ou demandé seulement un sursis, devait être dès le lendemain exécuté à mort, ou, suivant la version mitigée de Maimbourg, dépouillé de tous ses biens et banni du royaume. Quatre maréchaux devaient battre les provinces avec leurs troupes pour prêter main-forte à cette loi d’extermination. Le cardinal, joignant le burlesque à l’atroce, appelait cette formule de foi la ratière des huguenots.
Jamais les réformés de France n’avaient été réduits à une si affreuse extrémité, lorsque tout à coup François II fut atteint d’une grave maladie. Le cardinal de Lorraine fit faire à Paris des processions publiques pour sa guérison. Le jeune prince invoquait la Vierge et les saints, disant, avec le fanatisme imbécile dans lequel il avait été nourri, que s’il plaisait à Dieu de lui rendre la santé, il n’épargnerait ni femme, ni mère, ni frères, ni sœurs, pour peu qu’ils fussent soupçonnés d’hérésie. Ces vœux ne furent pas exaucés. François II mourut dans sa dix-septième année, après un règne de dix-sept mois, le 5 décembre 1560.
Personne ne prit soin de ses funérailles, tellement la reine mère, les Bourbons, les Guises, les cardinaux et les courtisans étaient occupés de leurs propres affaires. François II fut conduit à Saint-Denis par un vieil évêque aveugle et deux anciens serviteurs de sa maison.
Avant qu’il eût rendu le dernier soupir, les Lorrains étaient allés se barricader dans leur logis, où ils restèrent trente-six heures, jusqu’à ce qu’ils fussent rassurés sur les intentions de la reine mère et du roi de Navarre. On leur conserva leurs gouvernements et dignités, mais ils ne furent plus les maîtres de l’Etat. Charles IX, âgé de dix ans et demi, fut proclamé roi, Catherine de Médicis régente, et Antoine de Bourbon lieutenant général du royaume. Il aurait pu, comme premier prince du sang, réclamer la régence ; mais il perdit la partie par manque de fermeté. Le prince de Condé sortit de prison ; le connétable Anne de Montmorency reprit son office de grand-maître auprès du nouveau roi ; et l’amiral Coligny, ne demandant rien pour lui-même, tâcha d’employer ces circonstances à obtenir le libre exercice de la religion. Toute la face des affaires se trouva changée. Les fidèles respiraient.
Les Etats généraux s’ouvrirent à Orléans le 13 décembre. Le chancelier Michel de l’Hospital, prenant le premier la parole au nom du roi mineur et de la régente, avoua que le dérèglement de l’Église avait été cause de la naissance des hérésies, et qu’une bonne réformation pourrait seule les éteindre. Il conseilla aux catholiques de se garnir de vertus et de bonnes mœurs, et d’attaquer leurs adversaires avec les armes de la charité, de la prière et de la persuasion. « Le couteau vaut peu contre l’esprit, dit-il : la douceur profitera plus que la rigueur. Otons ces noms diaboliques, ces noms de partis, factions et séditions : luthériens, huguenots, papistes. Ne changeons pas le nom de chrétien. » Il conclut en proposant la réunion d’un concile national pour pacifier tous les différends de religion.
L’orateur du tiers-état, Jean Lange, avocat au parlement de Bordeaux, attaqua très vivement trois vices du clergé catholique : l’ignorance, l’avarice et le luxe, laissant entrevoir que les troubles cesseraient quand ces abus seraient corrigés.
Jacques de Silly, seigneur de Rochefort, parla pour la noblesse, et n’épargna pas plus les prêtres que l’orateur du tiers. Il se plaignit de leur intervention dans l’administration de la justice, de leurs grands biens, de la non-résidence des évêques, de leur défaut de zèle pour l’instruction des troupeaux, et finit en demandant des temples pour les gentilshommes de la religion.
Quelques mois après, aux Etats de Saint-Germain, un autre orateur du tiers, le premier magistrat de la ville d’Autun, proposa même, en s’appuyant sur ses cahiers, d’aliéner les biens de l’Église, qu’il estimait à 120 millions de livres. Le roi ferait vendre ces biens, et en réserverait 48 millions qui, au denier douze, produiraient un revenu annuel de 4 millions, qui suffiraient pour l’entretien des prêtres. Il resterait 72 millions, dont 42 seraient employés à éteindre les dettes de la couronne, et les 30 autres à encourager l’agriculture et le commerce. Quant aux différends de religion, le même orateur proposait de les vider dans un concile national, libre et légitime, de sûr accès et retour.
On est confondu de rencontrer en 1560 des pensées qui ne se sont accomplies qu’en 1789. C’était la grande voix de la nation qui se faisait entendre. Les guerres civiles n’avaient pas encore fanatisé les esprits et rendu les cœurs impitoyables. Ce fut un de ces courts moments où la Réforme pouvait devenir dominante en France. La noblesse était aux trois quarts gagnée ; la bourgeoisie était prête, la magistrature attendait, et le menu peuple, déjà favorable aux idées nouvelles dans une partie du royaume, n’aurait-il pas suivi l’impulsion dans l’autre ? Qu’est-ce donc qui arrêta ce vaste mouvement, d’où aurait pu sortir une nouvelle France, une nouvelle Europe ? Regardons à Dieu d’abord, dont les voies sont enveloppées de mystères. Mais en regardant aux hommes, que trouvons-nous ? Chez plusieurs, sans doute, des convictions sincères, le poids des anciennes traditions, le respect des souvenirs et des habitudes : n’attribuons pas seulement à des motifs égoïstes les grands événements humains. Mais il faut signaler aussi la tortueuse politique de Catherine de Médicis, l’ambition des Guises, les intrigues du roi d’Espagne, les calculs et la cupidité du clergé.
La position des prêtres était difficile aux Etats généraux d’Orléans, et ils y apportèrent d’autant plus de violence qu’ils se sentaient plus faibles. L’orateur qu’ils avaient choisi, Jean Quintin, professeur en droit canon, commença par exprimer le regret que la noblesse et le tiers eussent voulu parler pour leur propre compte, attendu que les Etats généraux formaient un corps dont le roi était la tête, et dont l’Église était la bouche. Il accusa les hérétiques de n’avoir d’autre évangile que celui d’abattre les autels, de se soustraire à l’obéissance ecclésiastique, et de renverser les lois civiles : sur quoi il invita Sa Majesté à les poursuivre à outrance, le glaive n’étant pas pour autre chose entre ses mains. Il ajouta que, puisqu’ils étaient excommuniés, il ne fallait ni habiter, ni converser, ni marchander avec eux ; mais les battre, les frapper jusqu’à la mort, de peur de participer à leur péché.
« Sire, dit-il en finissant, tout le clergé de votre royaume à deux genoux, de corps et de cœur humblement fléchis devant Votre Majesté, vous prie d’être son protecteur et défenseur. Que si quelque fossoyeur de vieilles hérésies mortes et ensevelies s’ingérait de vouloir renouveler aucune secte déjà condamnée, et qu’à cette fin il présentât requête, demandât des temples et la permission d’habiter ce royaume » (ici tous les regards se tournèrent vers Coligny qui était assis en face de l’orateur), « nous supplions qu’il soit tenu et déclaré pour hérétique, et qu’on procède contre lui selon la rigueur des lois canoniques et civiles, afin que le méchant soit retiré du milieu de nous. »
Bien qu’on fût accoutumé aux déclarations et aux invectives des prêtres, cette harangue dictée par un fanatisme sauvage étonna les Etats généraux. L’amiral demanda satisfaction à la reine mère de l’insulte qui lui avait été faite, et Jean Quintin fut forcé de lui adresser des excuses. « Peu de jours après, dit Jean de Serres, il en mourut de fâcherie, se voyant découvert par plusieurs réponses que l’on publia contre sa harangue, où ses calomnies et faussetés étaient solidement réfutées (p. 128).