La paix de 519 avait consacré en Orient le triomphe officiel de l’orthodoxie chalcédonienne. Le problème cependant subsistait toujours et pour les théologiens et pour les politiques. Les théologiens devaient expliquer comment les décisions du concile de 451, dans lequel cependant la doctrine de saint Cyrille avait été approuvée, pouvaient s’harmoniser avec cette doctrine, et devaient rendre cette harmonie assez évidente pour que la fraction sévérienne des monophysites la reconnût et l’acceptât. Les politiques avaient la charge de refaire l’unité religieuse de l’État brisée par le schisme, et de concilier à l’empereur les provinces entières qui s’en détachaient. La période qui va de 519 à 553 fut particulièrement consacrée à l’accomplissement de cette double tâche. Elle est caractérisée par un effort des théologiens et des politiques pour interpréter dans un sens cyrillien la doctrine dyophysite et faciliter aux dissidents leur réunion à l’Église. Nous allons en donner ici une idée.
L’entreprise commença par l’affaire dite des moines scythes. Les légats d’Hormisdas n’avaient pas encore débarqué à Constantinople quand des moines, attachés à la maison du magister militum Vitalien, demandèrent que l’on approuvât la formule Unus de Trinitate crucifixus est ou passus est in carne, εἷς τῆς ἁγίας τριάδος ἔπαϑε σαρκί. C’était revenir avec insistance sur le douzième anathématisme de saint Cyrille, si maltraité par Théodoret, et où l’on avait voulu voir le théopaschisme. Mais ce retour, pensaient les moines, était nécessaire pour corriger ce que les formules de Chalcédoine offraient d’un peu exagéré dans le sens d’une distinction des hypostases.
Rien ne pouvait être plus inopportun que ces discussions nouvelles, soulevées au moment de la conclusion de la paix entre Rome et Constantinople. Les légats, consultés à leur arrivée, en référèrent au pape, sans cacher leur défiance vis-à-vis d’expressions qui leur paraissaient une nouveauté dangereuse, et d’une démarche qui semblait une manœuvre contre les décisions de Chalcédoine. Justinien, associé dès lors aux affaires de l’empire, ne voyait pas les choses autrement. Ces moines, à son avis, étaient des brouillons et leurs formules des paroles vaines. Mais ces moines étaient tenaces. Pendant que quatre d’entre eux partaient pour Rome afin d’y plaider leur cause auprès d’Hormisdas, les autres agirent si bien auprès de Justinien qu’ils l’intéressèrent d’abord, puis le convertirent à leurs idées. Justinien pressa le pape de se prononcer. Hormisdas temporisa, essaya d’une sorte de réfutation, et finalement ne donna aucune décision. L’affaire en resta là pour le moment, mais elle fut reprise plus tard. Fatigués des atermoiements du pape, les moines scythes qui se trouvaient à Rome avaient interrogé sur leur doctrine le groupe des évêques africains exilés en Sardaigne par Thrasamond, et parmi lesquels se trouvait saint Fulgence. Celui-ci répondit par une longue lettre, dans laquelle il déclarait cette doctrine orthodoxe. C’était un premier gain. D’autre part, un groupe de moines de Constantinople connus pour leur dyophysisme farouche, les acémètes, avaient interprété les hésitations du pape comme une condamnation de cette même doctrine, partant de la communication des idiomes, et en étaient venus à rejeter le ϑεοτόκος. Dans ces conditions, une solution devenait nécessaire : Justinien en prit l’initiative. A la suite de la conférence avec les sévériens en 531, il porta un édit qui déclarait anathème quiconque nierait que « Jésus-Christ, le Fils de Dieu, notre Dieu incarné, fait homme et crucifié, est un de la sainte et consubstantielle Trinité », et demanda au pape, qui était alors Jean II (532-535), d’approuver cette déclaration. Le pape parut d’abord hésiter, puis, voyant que la formule était jugée orthodoxe par les théologiens occidentaux, il donna l’approbation demandée, et en écrivit à Justinien et au sénat « quod quia apostolicae doctrinae convenit, nostra auctoritate confirmamus ». Ces mêmes lettres condamnaient les acémètes.
On ne pouvait démontrer d’une façon plus claire que les décisions de Chalcédoine ne devaient pas se confondre avec le nestorianisme, et que leurs partisans acceptaient sans arrière-pensée la doctrine de l’unique personnalité du Verbe dans le Christ et de la communication des idiomes. Cette approbation n’en était pas moins une victoire pour les conceptions christologiques de saint Cyrille, et Justinien s’efforça d’en profiter en demandant, dans une intention de rapprochement, à tous les évêques, de souscrire aux formules approuvées. Les monophysites souscrivirent ; mais ils n’entendaient pas, pour autant, reconnaître le concile de 451.