Car Dieu a tellement aimé le monde, qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle.
Une affection nous est d’autant plus précieuse que celui qui nous l’accorde est plus élevé en puissance ou plus recommandable par ses vertus. D’après cette règle, essayons d’apprécier l’amour qui nous est offert dans le texte que vous venons de lire.
D’abord quel est celui dont l’Évangile nous offre l’amour ? Est-ce un de ces grands hommes que les peuples vénèrent, et dont les vertus ou la science ont laissé après eux sur la terre une brillante trace de lumière ? Non, il y a ici plus qu’un homme, qu’un sage, qu’un philosophe. Est-ce un roi puissant de ce monde qui désire nous donner la première place dans ses affections, et les plus hautes marques de distinction et de gloire au milieu d’une cour brillante ? Non, il y a ici plus qu’un roi, sa cour et ses honneurs. Est-ce un être céleste, un messager des cieux, qui veuille nous aimer, nous protéger et nous ouvrir la connaissance de ce monde de merveilles qui échappe à nos yeux ? Non, il y a ici plus qu’une intelligence céleste. Celui qui nous aime est plus qu’un sage, plus qu’un roi : c’est un Dieu ! un Dieu unique, souverain arbitre de l’univers, resplendissant de gloire, de puissance et de sainteté. L’homme est sa créature ; les rois ne sont que poussière devant le soleil de sa gloire ; les anges par milliers le servent et lui obéissent. Celui qui nous aime est l’Être des êtres, le Seigneur des seigneurs, le Saint des saints ; Celui qui nous aime est un roi, mais un roi dont la terre est le marchepied ; son trône est dans les cieux ; son règne s’étend sur l’univers entier. Celui qui nous aime est une intelligence céleste, mais une intelligence céleste aussi élevée au-dessus des anges que les cieux sont distants de la terre, que l’orient est loin de l’occident. Pour lui la mer est sans abîme, le ciel sans hauteur, le soleil sans éclat, les ténèbres sans obscurité, les siècles sans durée ; pour lui mille ans sont comme un jour, un jour comme mille ans. Voilà, voilà Celui qui nous aime, qui veut notre bonheur, qui vient au-devant de nous, nous ouvre les bras, nous sourit tendrement ; voilà, le Dieu qui a tant aimé.
Mais qui donc ce Dieu a-t-il tant aimé ? Le monde, répond notre texte. Jésus ne nous dit pas : Dieu a tant aimé ses enfants, Dieu a tant aimé les hommes ; mais Dieu a tant aimé le monde ; comme s’il voulait par ce mot relever encore la grandeur de l’amour de Dieu en le rapprochant du peu de mérite de l’objet de cet amour. C’est ce monde qui est blâmé, censuré, condamné dans mille passages de ce même Évangile. Ce n’est donc pas que ce monde soit digne de cet amour ; mais Dieu a voulu épuiser sur lui tous les trésors de ses miséricordes. Ce n’est pas que les hommes aient seulement recherché, désiré, demandé cette affection ; mais c’est Dieu qui les a aimés le premier. Ce monde que Dieu a tant aimé, c’est ce monde qui semble ignorer l’existence de Dieu, si rarement il y pense et tant il est absorbé par les choses d’ici-bas. Ce monde que Dieu a tant aimé, c’est ce monde qui aime si peu son Dieu, qui trouve une place dans son cœur pour mille objets terrestres, imparfaits, méprisables, et n’en a pas pour son Créateur, son père, son ami, son Dieu, qui répond aux bienfaits par son ingratitude, à l’amour par son indifférence, aux conseils salutaires par d’insolents mépris. Ce monde que Dieu a tant aimé, et qui du moins devrait obéissance aux ordres de son maître, c’est ce monde qui méprise sa divine Parole et refuse d’obéir aux préceptes de sa loi. Foi, sanctification, charité, voilà son devoir ; incrédulité, péché ; égoïsme, voilà sa conduite. Tel est le monde que Dieu a tant aimé ! Oh ! prodiges d’amour ! quelle bouche humaine pourrait vous exprimer ! quelle âme pourrait vous peindre ! Pour moi, j’y renonce, et me contente de m’écrier : Que d’amour ! mon Dieu ! que d’amour !
Mais à ce monde qu’a donné ce Dieu pour preuve de son affection ? Il a donné son Fils unique, répond encore mon texte. Ah ! pour être mieux compris, je voudrais avoir à ne parler ici qu’à des pères et à des mères. Je suppose que vous ayez un fils, un fils unique ; je suppose qu’un ami… mais non, je suppose qu’un ennemi vienne vous demander cet enfant pour le conduire en exil sur une terre étrangère… non, je suppose plus : je suppose qu’il vous demande votre fils pour le jeter dans un cachot et l’y charger de fers… Je suppose mieux encore : cet homme, sous prétexte de se guérir d’une maladie mortelle en se désaltérant dans le sang, vient vous demander votre fils unique pour lui plonger un poignard dans le sein. Lui donnerez-vous votre enfant ? Non, mille fois non ! Il me semble vous voir d’un bras entourer votre fils, de l’autre repousser cet homme, et lui dire : « C’est impossible, impossible ! Cet enfant est la chair de ma chair, le sang de mon sang, les os de mes os ! Prenez ma fortune, prenez mon temps, prenez ma santé, arrachez-moi la vie ; mais laissez-moi, laissez-moi mon enfant ! » Eh bien, si vous, homme pécheur, pouvez aimer ainsi un enfant pécheur comme vous, dites, comprenez-vous combien Dieu, qui est amour, doit aimer le Fils unique sur qui repose toute son affection ? Si vous le comprenez, mesurez, à cette heure, l’amour de ce Dieu pour vous-même : ce Dieu vous a donné son enfant ; il l’a envoyé sur cette terre d’exil, non pour partager vos joies, mais pour s’abreuver à un calice d’amertume. Humiliations, mépris, insultes, il a tout souffert de la part de ce monde qu’il venait sauver. Ce Fils vous a été donné par son père pour être livré à la mort, non à une mort tranquille sur un lit de repos, entouré de ses amis, consolé par leurs paroles, regretté et pleuré de ceux qui entourent sa couche funèbre, mais d’une mort cruelle sur une croix infamante, au milieu de ses ennemis, aux acclamations d’une populace barbare, insulté, outragé par une grossière soldatesque. Voilà le don que le Ciel fait à la terre, voilà le témoignage de son amour pour nous. Dieu a aimé ce monde plus que l’Agneau sans tache, plus que le Prince de la vie, plus que son Fils ! Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils au monde.
Si la grandeur de Dieu, l’indignité du monde et le don précieux qui nous a été fait sont propres à peindre l’amour dont nous avons été aimés, cette peinture est encore bien pâle auprès de celle que présentent les derniers mots de notre texte : « Afin que quiconque croirait ne pérît point, mais eût la vie éternelle. » Pour sentir toute la grandeur de l’amour de Dieu, il faudrait pouvoir mesurer l’immensité d’un tel bienfait, une vie éternelle ! Que de choses dans ce mot ! Pénétrons, s’il se peut, la portée qu’il a dans la bouche de Jésus. D’abord il nous apprend que notre avenir est une vie ; mais gardons-nous de confondre cette vie avec celle dont nous jouissons ici-bas. Pour bien des gens, fournir aux besoins de la nature, se livrer au repos ou aux occupations de ce monde, aller, venir, naître, croître et vieillir, voilà la vie ; mais ce n’est pas celle qui nous attend dans le ciel. Dans ce monde même il en est une autre bien supérieure. La vie qui seule en mérite le nom, c’est l’exercice de nos facultés morales et intellectuelles ; s’élever à la contemplation des merveilles de cet univers, s’efforcer de comprendre les secrets de la nature, trouver dans une fleur un remède aux souffrances, lire dans les cieux les révolutions des astres, c’est vivre ; se livrer aux douces affections de notre cœur, épancher ses pensées dans le sein d’un ami, serrer son fils dans ses bras, travailler au bonheur d’une épouse chérie, aimer enfin, c’est vivre ; élever son âme au Dieu qui la créa, méditer la divine Parole, faire monter vers le Ciel une ardente prière, c’est encore vivre. Dès lors vous comprenez que la vie c’est le bonheur, et le bonheur dans ce qu’il a de plus pur, de plus réel. Dans ce sens, il n’est sans doute aucun de nous qui n’ait plus ou moins vécu. Que chacun donc rappelle à son esprit les courts instants d’une telle existence dont il a joui ici-bas, qu’il les réunisse pour en former un nombre continu de jours heureux ; que l’adolescent joigne au jour où il fit son entrée dans l’église le jour où ses parents lui donnèrent quelques marques éclatantes de leur tendresse ; que l’épouse réunisse à l’heure qui la vit au pied des autels l’heure fortunée où elle ouvrit les yeux sur un fils nouveau-né ; que le vieillard rassemble les instants de joie pure semés sur sa longue carrière. Sans doute, nous ne pourrons faire ainsi qu’un nombre bien petit de ces jours fortunés ; pour quelques-uns, peut-être, ces jours ne seront que quelques heures ; mais, du moins, ces heures seront douces, heureuses, enivrantes ; toutes ces joies, toutes ces émotions réunies feront une vie courte, il est vrai, mais une vie de délices. Eh bien, une vie entière composée de ces heureux instants n’est qu’une mort comparée à la vie céleste : c’est le songe et la réalité, c’est l’ombre et son objet, c’est la terre et le ciel. Partageant ici-bas les destinées d’un corps méprisable et plein d’infirmités, notre âme, dans le ciel, libre de toute entrave, goûtera le bonheur dans toute sa plénitude. Cette vie est semée d’afflictions, de peines, de souffrances ; la vie céleste n’aura ni deuil, ni cris, ni travail, et toute larme y sera essuyée. Dans cette vie nos connaissances sont imparfaites, nous voyons les choses comme par un verre obscur ; dans la vie céleste nous verrons face à face, les mystères des cieux nous seront découverts. Cette vie, malgré nos efforts, est encore souillée d’imperfection, de vice et de péché ; la vie céleste est l’héritage des saints, le séjour des anges, le royaume de Jésus et le trône de Dieu. Et quel sera le terme d’une aussi douce vie ? Son terme ? l’éternité ! Si vous voulez vous faire une faible idée d’une vie éternelle, ajoutez à la durée de votre vie celle de vos pères, à celle de vos pères le siècle précédent ; à ce siècle ajoutez d’autres siècles, accumulez générations sur générations, remontez d’âge en âge, de siècle en siècle ; ajoutez encore, multipliez toujours, et cet amas de siècles dans la vie éternelle se perd comme un point dans l’espace, un grain de sable dans l’Océan, une seconde sur le cadran de l’éternité. Une vie est éternelle ! Oh ! mon Dieu ! quand j’y pense, mon imagination s’égare, mes pensées se confondent. Une vie éternelle ! une vie éternelle ! mon Dieu, que faut-il faire pour l’obtenir ? Parle, Seigneur, parle, que veux-tu de nous ? Te faut-il nos biens, nos affections, nos vies ? Nous te sacrifierons tout ! Commande, et nous obéirons… Que dis-je ? nos biens, nos affections, nos vies ? Est-ce là ce que Dieu réclame pour nous donner la vie éternelle ? Non, la seule condition est encore dans notre texte : « Afin que quiconque croirait… » Quoi ! il me suffit de croire pour obtenir une vie éternelle ? il me suffit de ne pas retirer la main pour recevoir ? en sorte que le ciel, le bonheur, l’éternité sont des dons purs et gratuits ? Oh ! je reconnais bien là la condition seule digne d’un Dieu puissant et bon. Oui, ce Dieu savait que mon cœur égoïste n’aurait jamais soupçonné qu’on pût donner une vie éternelle ; il savait que ce cœur incrédule aurait peine à croire de lui-même sans y être expressément invité ; et, pour qu’il ne nous eût pas ouvert inutilement les trésors de son amour, ce Dieu a posé une condition qui vient précisément enlever le seul obstacle qui pût nous arrêter. Crois, crois, nous dit-il, et tu seras sauvé ! Oh ! qu’il est vrai que les voies de Dieu ne sont pas nos voies, et que son cœur n’est pas notre cœur ! De ce don magnifique d’une éternité céleste, ai-je le droit d’être surpris quand Celui qui me l’offre m’a déjà tant donné sur la terre ? Non, Seigneur, tu m’aimes, et moi je ne sais pas même comprendre ton amour ! Oh ! élargis mon cœur, grandis mon imagination, fais entrer dans mon âme la conception de ta puissance et de ta bonté, afin de me faire accepter tes dons. Mon Dieu ! que je sache combien tu m’aimes pour qu’à mon tour j’apprenne à t’aimer et à t’obéir.
Voilà comment Dieu a aimé les hommes ! Voulez-vous savoir, maintenant, comment les hommes ont répondu à cet amour ? Écoutez.
En entendant ces promesses pour une vie à venir, les uns ont dit dans leurs cœurs : « Qu’on nous rende seulement heureux sur cette terre, en nous donnant en abondance biens, plaisirs, santé et longue vie ; nous ne demandons rien de plus ; nous aimons mieux jouir dans le temps qu’espérer pour l’éternité. » Voilà les incrédules. Insensés, qui n’ont pas vu qu’un seul reproche de leur conscience méprisée réclamait un juge pour l’avenir, comme l’existence d’un seul brin d’herbe exigeait un créateur dans le passé.
D’autres on dit : « Parlez-nous moins de tous ces dogmes et un peu plus de morale ; un peu moins de nos péchés, ce qui nous abaisse, et un peu plus de notre dignité d’homme, ce qui nous relèvera. Aveugles, qui n’ont pas compris qu’ils ne sont grands qu’à la mesure de la morale humaine, de cette morale que chacun abaisse ou élève à sa propre hauteur, qui n’interdit que ce qu’on ne veut pas faire, et n’exige que ce qui coûte peu ; cette morale que chacun façonne sur son caractère, ses goûts, ses passions ; mais ils n’ont pas vu que la morale qui doit leur être appliquée est celle de la Bible, qui demande d’aimer Dieu de tout son cœur et son prochain comme soi-même, de pardonner les offenses, de bénir ses ennemis, d’éviter même un regard, même une pensée de convoitise ; morale qui, lorsqu’un homme s’abuse au point de se croire irréprochable, lui reproche par cela même d’être orgueilleux.
D’autres ont dit, au contraire : « Oui, nous sommes de misérables pécheurs ; oui, Christ seul peut nous sauver ; oui, la vie éternelle est un don gratuit…. » Et, tout en parlant ainsi, ces hommes nouveaux sont restés à peu près ce qu’ils étaient jadis ; parlant de Dieu et agissant pour le monde ; déplorant leur misère spirituelle en y restant plongés ; criant à Dieu : « Que ton règne vienne, » sans oser le répéter aux hommes ; souscrivant aux sociétés bibliques sans placer eux-mêmes une Bible ; lisant des discours, des rapports à ceux qui les savent d’avance par cœur, et oubliant d’en parler au monde, qui n’en sait rien. Voilà nos chrétiens ! O mon Dieu, mon Dieu, quand je compare notre vie à nos principes, quand je vois tant de misères, tant de langueur, tant de péchés à côté de si magnifiques espérances, je me dis : Est-il bien vrai, est-il bien vrai que nous ayons cru ? est-il bien vrai que nous attendions une vie éternelle, une vie dans le ciel, une vie heureuse, une vie près de toi ? Seigneur, pardonne tant d’ingratitude ! Après nous avoir fait rougir, apprends-nous à t’aimer ; que ce ne soit plus en paroles, mais en réalité ; que nous aussi nous sachions, au besoin, te donner, non pas un fils unique, un ciel, une vie éternelle, mais au moins notre pauvre cœur et un peu d’activité sainte pendant cette vie de quatre jours !