1° Pleine révélation de la loi morale et des rétributions futures, etc. — 2° Caractère moral de la foi salutaire.
Les textes qui proclament le but moral de la rédemption sont aussi nombreux que positifs. Notons-en quelques-uns : Christ s’est donné lui-même pour nous, afin de nous retirer du présent siècle mauvais (Galates 1.4). — Il a porté nos péchés en son corps sur le bois, afin que mourant, nous-mêmes au péché nous vivions à la justice. (1 Pierre 2.24). — Il est mort pour tous, afin que ceux qui vivent ne vivent plus à eux-mêmes, mais à celui qui est mort et ressuscité pour eux. (2 Corinthiens 5.14). — (Voy. encore Romains 6.4-6 ; Éphésiens 2.5 ; Tite 2.11-14 ; 1 Jean 3.16 ; 4.9-11).
L’étude des textes de cette classe donne lieu à une observation qu’on ne fait pas assez. Remarquez en quel sens la rédemption y est invoquée comme motif et aliment de la vie spirituelle, ou, en d’autres termes, comme principe moral. C’est en tant que sa vertu propitiatoire nous délivre de la condamnation que la loi faisait peser sur nous ; c’est parce qu’elle nous arrache à la peine du péché qu’elle doit nous arracher aussi à son empire. Rachetés à grand prix, nous ne sommes plus à nous-mêmes, et nous devons glorifier le Seigneur dans nos corps et dans nos esprits qui lui appartiennent (1 Corinthiens 6.20). Le Nouveau Testament se sert de la grâce émanée de la croix de Christ pour éveiller et mettre au service de la sainteté les divers mobiles d’action que recèle le cœur humain, la gratitude et la confiance, l’amour et le dévouement, mais aussi la crainte et l’intérêt. Au nom du don de Dieu en Jésus-Christ, au nom de cette ineffable manifestation de sa miséricorde, de cette grâce toute gratuite, pour répéter le pléonasme de saint Paul, nous, sommes appelés à nous détourner du mal et à nous attacher invariablement au bien, en nous consacrant au Dieu de notre salut. Si nous nous refusons à cet appel de la clémence, les sévérités de la justice redoublent contre nous (Jean 3.19).
Les textes de cette catégorie reflètent, si je puis ainsi dire, la croyance que délaisse le courant du jour. En reliant aux souffrances de Jésus-Christ la rédemption et la régénération, ils les distinguent l’une de l’autre comme l’effet et la cause ; ils montrent la cause là où l’on voudrait aujourd’hui voir l’effet, et vice versa. Ils partent du pardon et du fait qui le motive dans les conseils divins pour en dériver la sanctification : à la base de l’édifice spirituel, à la racine du renouvellement que réclame et opère l’Évangile, ils posent le mystère de la Croix et l’amnistie céleste qui en émane. Autant ces textes, pris dans leur fond réel, déposent en faveur de la doctrine commune, autant ils sont contraires aux théories théologiques qui méconnaissent le caractère expiatoire de la rédemption, ou qui, ne le retenant que nominalement, l’absorbent, par des interprétations forcées, dans son caractère moral. Ce que les textes séparent, ces théories le confondent. Elles effacent la différence entre le principe et le résultat, entre le moyen et la fin, je veux dire entre la justification et la régénération, dont elles font une seule et même chose. Quand, en considération de la rédemption, le Nouveau Testament sollicite aux vertus chrétiennes, c’est, sous une forme ou sous l’autre, la Passion du Sauveur qu’il met en perspective. Ce n’est pas la puissance de sa doctrine, comme le voulaient le Socinianisme et le rationalisme ancien ; ou l’influence sanctifiante de son union avec l’humanité, comme le prétend le rationalisme nouveau ; ou notre crucifixion avec lui, comme l’entend une certaine mysticité : cette crucifixion est l’effet qu’il s’agit de produire. Sans doute, l’action régénératrice de la parole et de la vie de Christ, de même que de sa résurrection et de son ascension, est pressée ailleurs, — nous n’avons garde de le contester — ; tout concourt en lui à la restauration des âmes. Mais le fait que nous désirions signaler n’en reste pas moins. C’est à la mort de Christ que les textes dont nous nous occupons rattachent l’œuvre de sainteté. Bien loin de fondre le caractère expiatoire de la rédemption dans son caractère moral, bien loin de ramener le premier de ces caractères au second et de l’en faire sortir comme une sorte de corollaire ou de complément, ils tirent au contraire l’effet moral de l’effet expiatoire : Rachetés à grand prix, vous n’êtes plus, etc. Ces textes, dans lesquels les théories actuelles devraient surtout trouver leur appui et où elles le cherchent en effet, se retournent contre elles. En un sens et au premier abord, ils paraissent les légitimer, car ils attestent que l’œuvre rédemptrice est une œuvre régénératrice. Mais dans un autre sens et dans la réalité, ils les condamnent, car ils distinguent formellement la rédemption de la régénération ou, selon l’expression protestante, la justification de la sanctification. Ils érigent en principe ce que ces théories érigent en conséquence, et en conséquence ce qu’elles érigent en principe. C’est, à vrai dire, un renversement.
Cette remarque faite, continuons à montrer, d’après les Livres saints, que si la rédemption a pour objet immédiat la rémission des péchés, elle a pour objet ultérieur et capital la transformation des croyants, la création nouvelle. Ce qu’établissent les déclarations directes que nous venons d’opposer, se confirme par l’enseignement général du Nouveau Testament. Jésus-Christ donne, à la fois, le pardon et la conversion (Actes 5.31). Il nous est fait, de la part de Dieu, justification et sanctification tout ensemble (1 Corinthiens 1.30). Ces deux grâces, qui nous ouvrent le Ciel et résument l’Évangile, ne vont point l’une sans l’autre : il est impossible que l’homme soit délivré de la peine du péché sans l’être du péché lui-même, qui porte en soi son châtiment. Si Dieu a voulu, par la rédemption, ramener les fils d’Adam à la félicité, il a dû vouloir les ramener aussi à la sainteté ; il ne pouvait, d’après la nature des choses, les rendre heureux qu’en les arrachant au mal, première cause de leur misère, et en les réintégrant dans le bien, seule source de la véritable béatitude. Deux choses avaient été perdues par la chute, la faveur divine et l’image divine. L’Évangile est venu les restituer toutes les deux. Elles sont inséparables en principe et également nécessaires en fait.
Le renouvellement n’est pas moins essentiel que le pardon ; il est une partie constitutive du salut ; il est en un sens le salut lui-même, puisque nul ne peut voir le Royaume de Dieu s’il ne naît de nouveau, et que la vie du Ciel est l’harmonie du cœur et de la volonté avec la loi morale. Le pardon seul nous laisserait comme des étrangers dans les demeures éternelles, en supposant que l’entrée pût nous en être accordée sans l’amendement. La croix de Christ nous apporte les deux bienfaits réunis ; et à moins que nous n’acceptions l’un, nous ne saurions obtenir l’autre. S’il n’y a plus de condamnation, c’est pour ceux qui marchent selon l’esprit et non selon la chair (Romains 8.1-4). L’âme qui reste irrégénérée rend inutile le dessein de Dieu à son égard, elle demeure dans la mort (Romains 6.16). Il faut avoir pour fruit la sanctification, si l’on veut avoir pour fin la vie éternelle (v. 22). C’est là l’esprit et la lettre du Nouveau Testament.
L’expression αιρειν τας αμαρτιας, appliquée à l’œuvre de Christ, en comprend les deux grands effets. Dans Jean 1.29, elle marque la délivrance de la condamnation ; dans 1 Jean 3.5, elle peut avoir la même signification, mais elle me semble désigner plutôt la délivrance de la corruption : tant la justification et la régénération se supposent l’une l’autre. C’est, pour Jean, l’eau et le sang sortis ensemble du côté de Jésus-Christ, fait symbolique ou mystique qu’il a jugé important de constater dans son Évangile (Jean 19.31) et sur lequel il revient dans son Épître (1 Jean 5.6). Pour lui, la régénération, signe et fruit de notre communion avec Dieu en Jésus-Christ, et se manifestant par-dessus tout sous les formes de la charité, est le fondement de notre paix ; mais elle implique et ramène toujours la foi à la justification gratuite, parce qu’elle s’appuie, dans son principe et dans ses développements, sur la conscience du péché et sur le besoin du pardon qu’assure aux croyants l’acte propitiatoire (1 Jean 1.7 ; 2.1-2). Ce qui fait la substance de cette Épître, où respire une pureté céleste et qu’on ne se lasse pas de méditer, c’est cette pensée, reproduite de mille manières, qu’on n’est en communion avec le Seigneur, qu’on ne le connaît véritablement, qu’on ne participe à ses promesses et à ses grâces, qu’on n’est purifié par son sang que lorsque, animé de son esprit, on travaille à être dans ce monde tel qu’il y a été lui-même.
Même pensée, sous d’autres formes, dans le reste des écrits apostoliques, car elle est au centre du Christianisme. Il suffira d’une remarque sur l’Épître aux Romains, qui a à sa base la rédemption-expiation. Après avoir établi, dans les cinq premiers chapitres, que la foi en Christ, mort pour nos offenses, est la seule justification de l’homme, saint Paul prouve, dans les chap. 6 à 8, qu’elle est aussi le seul moyen de sanctification vraiment efficace, et qu’à ce dernier égard comme au premier l’Évangile fait ce que la loi ne pouvait faire. La loi de l’esprit de vie qui est en Jésus-Christ affranchit de la loi du péché et de la mort (Romains 8.2).
C’est là, du reste, la doctrine qui ressort de partout. La rédemption se lie au plus haut développement de la loi morale, auquel elle sert de base et de sanction. La foi qui obtient les grâces de la rédemption est le principe immanent de la vie spirituelle. La rédemption est le fait fondamental du Christianisme ; et l’objet final du Christianisme est le rétablissement de l’homme à l’image de Dieu. Au sacrifice de Christ, qui sauve les âmes de la condamnation, se joint l’Esprit de Christ qui les régénère.
Un mot sur chacun de ces points :
1° C’est dans le Nouveau Testament, c’est à côté du dogme de la rédemption, que la loi morale se déploie sous sa forme la plus élevée, la plus pure, la plus complète, qu’elle atteint son plus haut degré de spiritualité, et qu’elle devient vivante dans la personne de Jésus-Christ, s’offrant ainsi avec la double autorité du précepte et de l’exemple. C’est aussi dans le Nouveau Testament, c’est à côté de la rédemption, que la redoutable perspective des rétributions éternelles est mise dans tout son jour. Ce n’est pas en vain que cette pleine révélation de la loi divine et de la destinée humaine a été mêlée ainsi à celle de la grâce. Qu’on réfléchisse à l’union de l’office de Juge et de celui de Sauveur en Jésus-Christ, de même qu’à la place qu’occupe près de la justification par la foi le jugement selon les œuvres ; c’est une donnée générale de la doctrine évangélique, dont la dogmatique et la prédication elle-même ne tiennent pas toujours assez de compte, et qui me paraît avoir besoin d’être relevée vis-à-vis de la théologie nouvelle à peu près autant que vis-à-vis de l’ancien ultraprotestantisme. Une notable portion de l’enseignement divin est jetée ou laissée dans l’ombre. J’ai pu voir des adhérents de la jeune école s’étonner, comme d’une anomalie, du principe, partout répandu chez saint Paul et chez tous les écrivains sacrés, qui rehausse si fort les œuvres dans la sanctification et dans la rétribution, les faisant aussi obligatoires sous l’Évangile que sous la loi. Le mérite et la gloire de cette direction théologique est de tout ramener à Christ ; mais si elle magnifie en lui le Restaurateur divin, elle voile le Juge du monde, de même que le Sacrificateur éternel, et semble annuler deux des grands aspects sous lesquels le présente le Nouveau Testament (Matthieu 25.30) ; indice d’une grave lacune, qui porte en germe bien des périls et des écarts.
L’Évangile nous dit d’un bout à l’autre : Agissez, aussi bien que croyez et aimez ; il nous crie aussi fortement que la loi : travaillez, combattez (αγωνιζεσθε : Luc 13.24) ; employez-vous à votre salut avec crainte et tremblement (Philippiens 2.12). C’est le juste qui vit par la foi (Romains 1.7), et le juste, sous l’Évangile de même que sous la loi, est l’homme qui pratique la justice (ο ποιων την δικαιοσυνην : 1 Jean 2.29 ; 3.7).
Au premier abord ceci peut sembler contraire à Romains 4.5 et à la doctrine générale de saint Paul. Dans les textes que nous venons d’indiquer, celui qui est sauvé par la foi, c’est celui qui garde les commandements, c’est le régénéré : et d’après Romains 4.5 c’est celui qui ne fait pas ce qui est commandé, c’est le pécheur (μη εργαζομενος, ασεβης). La contradiction paraît bien formelle. Mais elle n’est en réalité que dans l’expression. Et de ces contradictions-là, le Nouveau Testament en est plein. Rappelons-en une autre, à laquelle tient celle-ci, et qui pourra nous l’expliquer. Il est fréquemment parlé des justes (Matthieu 25.46 ; Luc 1.6 ; 2.25, etc.) ; c’est un des noms des disciples comme celui de saints : et pourtant il est affirmé qu’il n’y a point de justes, pas même un seul (Romains 3.10). C’est qu’il existe une justice absolue et une justice relative. Saint Paul presse la première au point de vue de la justification ; au point de vue de la sanctification, la seconde. La justice absolue ne se trouve pas sur la Terre : elle ne s’y est montrée qu’en Jésus-Christ. Tous les hommes sont condamnés par leurs œuvres, le plus vertueux devant confesser qu’il a de mille manières négligé ce que la loi ordonne et fait ce qu’elle défend, le plus saint devant s’unir au cri du péager (Luc 18.14) ou à l’aveu de l’apôtre (1 Timothée 1.15). Mais s’il n’y a pas de justice absolue, il y a une justice relative, celle de l’homme attaché au bien, qui, malgré sa faiblesse, est soumis dans son cœur à la vérité et à la volonté divine : justice remplie d’humilité, aussi éloignée de la sainteté pharisaïque que de la moralité mondaine. L’Évangile exige que les justes se reconnaissent pécheurs et que les pécheurs deviennent justes. Embrassez les diverses faces de sa doctrine, et vous verrez les divergences verbales, les antinomies apparentes se résoudre en une unité foncière. Au fait Romains 4.5 ; 1.7 renferment la même assertion, car dans le premier de ces textes l’apôtre a en vue Abraham et David. Le juste, au seul sens où l’homme puisse l’être, est encore un pécheur, indigne du Ciel ; jugé selon la loi il serait condamné, parce que sa justice, quelque réelle qu’elle soit, est infiniment défectueuse. Il est donc sauvé κατα χαριν et non κατα οφειλημα (Romains 4.4) ; s’il vit devant Dieu, c’est par sa foi et non par ses œuvres. Ceci s’éclaircira davantage à l’article de la justification.
Un mot, en passant, de deux formules, vraies au fond, mais susceptibles d’égarer si on les prend dans un sens trop absolu ou trop littéral. On dit souvent que ce qui sépare le Christianisme de toutes les autres religions, c’est que ces religions prescrivent d’agir et que le Christianisme ordonne de croire. — Sans doute, dans l’Évangile le Ciel s’ouvre par la foi ou par grâce et non par les œuvres. Il est le don de Dieu en Jésus-Christ et non le salaire de l’obéissance. Mais il importe d’ajouter qu’on n’y arrive cependant que par la voie de la régénération. Nous n’avons pour fin la vie éternelle qu’autant que nous avons pour fruit la sanctification (Romains 6.22). Si nous sommes arrachés en Christ aux malédictions que la loi prononce (Galates 3.13), nous ne sommes pas dispensés, tant s’en faut, des obligations qu’elle impose (Romains 3.30 ; 8.4) ; et si nous négligeons ses obligations, ses malédictions reviennent plus terribles qu’auparavant (Hébreux 12.25-29). Le jugement selon les œuvres, redisons-le, se coordonne à la dispensation de grâce (2 Corinthiens 5.10).
On dit encore : Venez à Jésus-Christ tel que vous êtes, car vous avez tout à recevoir de lui et rien à lui apporter que le sentiment de votre misère et de sa grâce. — Sans doute, puisque le salut est un pur don de miséricorde, il s’agit de l’accepter, non de le mériter. Mais il faut rappeler ici, comme partout, que le don n’exclut pas le devoir, qu’il l’environne au contraire de sanctions nouvelles qui le rendent plus pressant et, en quelque sorte, plus saint. Au fait on ne va réellement à Christ que par le renoncement, ce sacrifice de soi-même, principe de soumission de la volonté propre à la volonté divine. C’est la bénédiction de l’Évangile que nous puissions ainsi, dans tous les états et dans tous les temps, fût-ce au plus bas degré de la corruption ou à la dernière heure de la vie, nous approcher avec une pleine confiance de Celui qui tient en sa main les clefs de l’Enfer et du Ciel. Mais aller à lui c’est avoir déjà cessé, en esprit, d’être ce qu’on était. Jésus-Christ ne se donne qu’à qui se donne.
Dans l’esprit de l’Évangile la rédemption vivifie toutes les dispositions et les œuvres saintes.
2° Cela se constate encore par la nature de la foi à laquelle les grâces de la rédemption ont été comme suspendues. La foi purifie le cœur (Actes 15.9) ; elle donne la victoire sur le monde (1 Jean 5.4) ; elle agit par la charité (Galates 5.6). Nous plaçant en communion avec Jésus-Christ, elle implique l’abandon de notre vie ancienne et l’entrée dans une vie nouvelle. Saint Paul, répondant à l’objection qu’on faisait à sa doctrine de la justification par la foi sans les œuvres, montre que cette objection suppose l’impossible et l’absurde, ceux qui sont en Christ devenant une même plante avec lui, et participant spirituellement à sa mort, à sa résurrection, à son ascension (Rom. ch. 6 et 7 ; Éphésiens 2.1-8). Ce n’est plus moi qui vis, s’écrie-t-il, au nom de tous, c’est Christ qui vit en moi (Galates 2.20). Ce côté mystique de l’Évangile, que relève avec raison la nouvelle théologie, mais dont elle a le tort de faire le tout, l’ancienne dogmatique ne le négligeait pas. Calvin lui donne une haute et large place dans son Institution, en se gardant de transformer, comme on le fait si généralement aujourd’hui, l’union spirituelle en union substantielle.
Remarquons, du reste, que là même où la foi est saisie sous un rapport moins intime et moins profond, elle conserve encore sa force sanctifiante, pourvu, qu’embrassant Jésus-Christ comme Roi en même temps que comme Sauveur, elle ne scinde pas le Christianisme, et qu’elle adore le Dieu de son salut dans l’ensemble de ses attributs et de ses conseils, tel qu’il se révèle dans l’Écriture, tel qu’il se révèle en particulier dans la rédemption, où se manifestent si hautement et sa haine irréconciliable contre le péché et son amour immense envers le pécheur.
C’est un christianisme bien superficiel ou, pour mieux dire, bien illusoire, que celui qui peut nourrir la sécurité au sein de l’inertie morale. On ne comprend pas la doctrine de la grâce quand, après l’avoir admise pour base de ses espérances, on se sent moins d’ardeur contre le mal. Et il est à craindre qu’il n’en soit souvent ainsi ; il est à craindre qu’on ne se repose avec une assurance trompeuse sur une notion ou un sentiment stérile, prenant pour la foi ce qui n’en est qu’une profession verbale ou une analyse métaphysique, et disant : paix, paix, là où il n’y a point de paix. Il n’est pas rare de montrer, après ce qu’on nomme son entrée dans la voie évangélique, moins de vigilance sur soi-même, moins d’inquiétude au sujet de ses négligences et de ses fautes, moins d’énergie pour les bonnes œuvres, que lorsqu’on cherchait à établir sa propre justice. Cette aberration, signalée en divers sens dans la direction objectiviste, que sa jalousie de la vérité expose à confondre la profession de foi avec la foi, me paraît sensible dans la direction subjectiviste, qui remplace l’intellectualisme par le mysticisme. Son principe absolu de l’amour divin, sur lequel elle construit tout, tend à voiler les saintes sévérités de la justice céleste et des rétributions futures ; son principe d’autonomie, passant de la sphère dogmatique dans la sphère pratique, aboutirait logiquement à faire du sens individuel, c’est-à-dire en dernière analyse de la volonté propre, la règle et la mesure du devoir. On voit quelles fatales influences peuvent sortir de là pour des êtres tels que les hommes. Il y a nécessairement une vue erronée de l’Évangile partout où l’activité morale se ralentit au moment où elle devrait devenir plus ferme, plus constante, plus vive, sous l’action des nouveaux mobiles qui viennent se joindre aux anciens. Et il faut rappeler alors les nombreuses déclarations du genre de celle-ci : Celui qui dit : je l’ai connu et qui ne garde pas ses commandements est menteur, etc. — Ce ne sont pas ceux qui me disent : Seigneur ! Seigneur ! etc. — Sans la sanctification, personne ne verra le Seigneur, etc., etc. (J’avais indiqué encore comme lié au but de la rédemption ce qui est dit du rétablissement de l’image de Dieu et de l’œuvre du Saint-Esprit. Mais ces deux faits sont si saillants dans les Écritures qu’il serait superflu de s’y arrêter).
Soit donc que nous regardions à l’enseignement général du Nouveau Testament, soit que nous regardions à ses déclarations directes, partout et toujours nous rencontrons comme résultat formel que quiconque demeure dans le péché n’a pas trouvé véritablement le Sauveur. Le salut est là, accompli pour tous, offert à tous ; mais n’y participent que ceux qui se l’approprient par la foi, en se renonçant eux-mêmes. L’obstacle extérieur est levé : Nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils ; mais il faut que l’obstacle intérieur tombe aussi, et que nous obéissions à cette voix du Ciel : Revenez vers moi, car je vous ai rachetés. L’homme est justifié en Christ dans le double sens que les différentes écoles ont attaché à ce mot, c’est-à-dire tout à la fois pardonné et sanctifié ; justification objective, expiation ; justification subjective, régénération : et là où n’est pas la sanctification, là n’est pas non plus le pardon. La rédemption ne délivre de la mort qu’en produisant la vie.
Voilà l’Évangile. Le salut qu’il annonce se compose des deux grands termes de la dogmatique protestante, distincts, mais inséparables. Si le Ciel ne s’ouvre devant nous que par les mains de la miséricorde, nous n’y arrivons que par la voie de la sainteté. L’image divine et la faveur divine nous sont rendues, en même temps. L’œuvre de Christ pour nous ne devient effective à notre égard que lorsque nous nous associons à son œuvre en nous. Il y a relation, c’est-à-dire — répétons-le — union et distinction tout ensemble entre les deux grâces qui découlent de la Croix. Jésus-Christ est notre paix et notre vie ; il est l’un et l’autre, ou il n’est ni l’un ni l’autre. Nous devons nous réserver le droit d’exposer ces deux effets de la rédemption, en gardant les larges et libres allures de la Parole Sainte ; mais à la condition de maintenir l’équilibre des principes évangéliques, afin de maintenir leur action régulière. Or, autant on a pu pencher autrefois vers un extrême, autant on penche aujourd’hui vers l’extrême opposé, en répétant, sous mille formes et comme une découverte, que le Christianisme est une vie, non une doctrine…
Sans doute, le Christianisme est une vie ; on l’a toujours su, toujours cru, toujours dit. Mais ce n’est rien de le dire. L’important est de saisir la vie chrétienne dans sa profondeur, pour la reproduire dans sa plénitude. Et, hélas ! qu’elle reste défectueuse là même où elle est le plus sincère ! Que de compromis avec le monde, qui l’amoindrissent, l’abaissent, la faussent en tout sens ! Si elle ne peut être jamais qu’un idéal ici-bas, que du moins cet idéal régulateur s’offre intègre à la conscience et à l’Église. Or, qu’il est loin de l’être, par quelque côté qu’on le considère, soit comme tendance vers les choses d’En haut, soit comme communion avec Dieu, soit comme imitation de Jésus-Christ. Où est cette disposition qui, rendant citoyen des deux, selon l’expression de saint Paul, fait chercher en tout et par-dessus tout le Royaume de Dieu et sa justice ? Où est cet amour de Dieu, substitué à l’amour du monde et maîtrisant la triple convoitise du mal (1 Jean 2.16) ? Où est cette vie cachée avec Christ en Dieu, cette vie de foi et de charité, si humble et en même temps si haute et si forte ? Où est, je ne dirai pas la pleine réalisation, mais la pleine notion pratique de l’Évangile ? Sent-on bien ce qu’emporte cette formule devenue courante : « la vie de Christ en nous » ? On est d’accord sur les lacunes du passé à cet égard. Puisse l’avenir se préserver des redoutables illusions que le cœur naturel jette sans cesse dans le cœur chrétien ! Puissent les nouvelles générations respirer et répandre plus largement l’esprit réel de l’Évangile ! Ce qui me paraît distinguer surtout le christianisme primitif, c’est qu’il vivait beaucoup plus qu’on ne l’a fait depuis de cette vie du Ciel, qui élève au-dessus des séductions de la Terre en élevant au-dessus de ses intérêts passagers. C’est par là que le Christianisme vainquit alors ; c’est par là qu’il doit vaincre encore aujourd’hui. C’est là ce qui peut amener cette Église de l’avenir, qu’on cherche par tant d’autres voies. Oh ! si cette vie devenait la nôtre dans de larges proportions ! Efforçons-nous, pour cela, de nous mettre et de nous tenir au point de vue dogmatique qui la révèle, l’inspire et l’assure le mieux, c’est-à-dire celui qui, montrant par le prix de la rédemption la grandeur du salut, manifeste la sainteté de l’obligation par l’immensité de la grâce ; et c’est certainement celui qu’eurent à défendre saint Paul et les Réformateurs.
Essayons de l’établir en nous plaçant simplement devant la croix de Christ et en ouvrant nos esprits et nos cœurs aux impressions qui en émanent.