I. Ce qu’il y a de plus difficile dans la contemplation céleste, c’est d’entretenir dans nos cœurs un vif sentiment des choses du ciel ; il est plus facile de penser simplement au ciel pendant une journée entière, que d’en avoir des idées vives et ardentes pendant un quart-d’heure. Ce sera un bonheur pour nous si nous pouvons nous faire des amis de nos ennemis ; si nos sens qui nous ont si souvent éloignés de Dieu peuvent nous aider à nous élever à lui. — Pourquoi le Saint-Esprit décrit-il la gloire de la nouvelle Jérusalem en des termes qui doivent plaire même à la chair ? Est-ce pour nous faire croire que le ciel est fait d’or et de perles ? que les anges et les saints mangent et boivent ? — Non, sans doute ; mais il se sert de ces phrases comme d’un miroir dans lequel nous pouvons voir une représentation imparfaite de ces objets jusqu’à ce que nous les voyions de nos yeux et sans intermédiaire.
Pour animer vos affections dans l’œuvre de la contemplation céleste, représentez-vous les joies d’en-haut aussi hardiment que l’Écriture les a exprimées. Un commerce familier est propre à nourrir l’amour et la joie. Notre imagination se perd, et nous n’avons rien sur quoi arrêter nos pensées, lorsque nous voulons songer à Dieu et à la gloire éternelle, sans le secours des images que nous en présente l’Écriture. Sans l’Écriture nous plaçons ces objets si loin de nous que nous n’en avons que des idées tout-à-fait confuses, et que nous sommes prêts à dire : Ce qui est au dessus de nous n’est rien pour nous. En les regardant comme des choses au-dessus de notre conception, nous ne parviendrons pas à nous y attacher fortement.
Ainsi n’éloignez pas Christ de vous plus qu’il ne s’en est éloigné lui-même ; représentez-vous Christ comme revêtu de notre nature glorifiée : représentez-vous les saints comme des hommes devenus parfaits. — Accompagnez en esprit saint Jean dans son examen de la nouvelle Jérusalem ; contemplez avec lui les trônes, la majesté, les armées célestes et la gloire resplendissante qu’il vit. Si vous aviez réellement vu ce tableau, dans quel ravissement auriez-vous été ! Et plus vous vous placez dans la même position, plus votre méditation élèvera votre cœur. N’en dessinez point des tableaux ; mais formez-en dans votre esprit l’image la plus vive possible, en contemplant celles que l’Écriture vous en offre. Combien vous ranimerez vos affections en vous représentant la félicité éternelle d’après le langage dont le Saint-Esprit a bien voulu se servir !
Nos sens peuvent encore nous aider dans cette œuvre céleste en comparant les objets sensibles aux objets de la foi. Par exemple : comparez les joies célestes avec les consolations que vous avez reçues ici-bas. La Bible n’a-t-elle pas été pour vous une source abondante de consolations ? Puisque la promesse seule est si douce, que sera-ce quand elle sera accomplie ? Si le testament de notre Seigneur et notre titre à la gloire du ciel sont si consolants pour nous, que sera-ce quand nous posséderons le royaume lui-même ? — Dites-vous intérieurement : « Quelles jouissances m’a procurées la prédication de la parole ! Comme mon cœur s’échauffait en écoutant un prédicateur qui me remuait jusqu’au fond de l’âme ! Combien de fois me suis-je rendu à l’assemblée, le cœur plein de trouble, et en suis-je revenu tout joyeux ! Combien de fois m’y suis-je rendu tourmenté par le doute, et Dieu m’a-t-il renvoyé avec la certitude de son amour en Christ ! Quelle joie pour moi de trouver accès auprès de Dieu par la prière, de pouvoir sans cesse aller à lui, de lui exposer ma situation, d’épancher mon âme auprès de lui, comme auprès de mon ami le plus fidèle ! Mais quelle joie ineffable quand je serai délivré de tous mes besoins et de toutes mes misères, et que Dieu lui-même sera le partage de mon âme ! »
Comparez encore le glorieux changement que vous éprouverez à la résurrection, avec le bienheureux changement que le Saint-Esprit a opéré dans votre cœur. La moindre de vos grâces spirituelles est infiniment plus précieuse que toutes les richesses de l’Orient ; un seul de vos soupirs après Jésus-Christ a plus de prix que tous les royaumes du monde. Une nature régénérée est l’image de Dieu : Christ habite en nous, et l’Esprit de Dieu demeure en nous. Il élève l’homme au-dessus de toute noblesse : il le rend propre à reconnaître et à exécuter la volonté de son Créateur et à recevoir sa gloire. Si une seule étincelle de la vie a tant de prix, quelle est donc la valeur immense de la source de cette vie divine !
Comparez enfin les joies que vous aurez au ciel avec les avant-goûts que le Saint-Esprit vous en a donnés sur la terre. Dieu ne s’est-il pas quelquefois révélé à votre âme d’une manière si extraordinaire que vous avez été près de vous écrier : Oh ! si cet état pouvait toujours durer ! Ou bien, si vous n’avez pas encore reçu ces avant-goûts délicieux (car ils ne sont pas le partage de tous les croyants), faites usage des jouissances que vous avez éprouvées, afin de vous représenter plus fidèlement celles que vous éprouverez plus tard.
II. J’exposerai maintenant comment la contemplation céleste peut être préservée des pièges d’un cœur inconstant. Le cœur sera le plus grand obstacle à cette œuvre céleste, soit par sa répugnance à l’entreprendre, soit par sa légèreté à l’accomplir, soit par ses divagations fréquentes vers d’autres objets, ou en quittant brusquement la tâche quand elle est à peine commencée. — Ce sont autant de dangers qu’il faut soigneusement éviter.
1°. Vous trouverez dans votre cœur autant d’éloignement pour cette œuvre que pour toute autre pratique de la religion. Que d’excuses il alléguera ! Que de défaites il inventera ! Que de délais, que de retards, même quand il sera convaincu ! Il mettra en doute si c’est un devoir ou non, et si c’en est un pour vous comme pour les autres. Il vous dira : « C’est un devoir pour les ministres ou pour les personnes qui ont plus de loisir que vous. » Si vous êtes ministre, il vous parlera de vos autres occupations, vous engagera à remplir vos autres devoirs, car il en préférerait tout autre à ce commerce avec Dieu. Il vous dira peut-être : « Les autres devoirs sont pressants, et celui-là doit leur céder la place puisque vous n’avez pas assez de temps pour tous. Vos fonctions publiques sont plus importantes. La prédication pour le salut des âmes doit passer avant ces méditations privées. » Comme si vous n’aviez pas le temps de travailler à votre salut en veillant à celui des autres : comme si votre charité pour les autres était telle qu’elle vous forçât à négliger le soin de votre éternelle félicité comme s’il y avait un meilleur moyen d’être utile aux autres que de faire nous-mêmes cette expérience sur notre doctrine. Assurément, le ciel est le foyer le plus pur où nous puissions allumer notre lampe, et le meilleur livre qu’un prédicateur puisse étudier : et si nous prenions sur nous de l’étudier davantage, l’église serait plus abondamment éclairée de la lumière céleste. Lorsque nos études et nos dispositions seront divines, notre prédication le sera aussi, et c’est à juste titre que nous serons appelés les ministres de Dieu.
Que si votre cœur n’a rien à objecter contre cette occupation, il perdra le temps en délais, il renverra au lendemain, et ne commencera jamais. Ou bien il vous refusera nettement, et opposera sa répugnance à votre raison. Je n’en parle ici qu’en tant que cœur charnel, car un cœur spirituel regardera cette occupation comme la tâche la plus douce. Veillez donc soigneusement sur votre cœur : engagez-le à remplir cette tâche, ne souffrez point de refus, employez la violence. Appelez à votre aide l’Esprit de Christ qui ne vous refusera point son secours : dites-lui : « Envoie ton Esprit pour appuyer tes commandements et pour contraindre mes pensées à se soumettre à ta volonté. » Par ce moyen votre cœur se soumettra, sa résistance sera vaincue, et sa répugnance sera changée en un acquiescement prompt et cordial.
2°. Votre cœur vous trahira aussi par sa frivolité. C’est en faisant leur devoir comme s’ils ne le faisaient point que beaucoup de gens se perdent. Cependant ne croyez point que cette frivolité de votre cœur soit une raison pour vous dispenser de ce devoir ; vous détruiriez ainsi toute obéissance spirituelle, car le cœur résistera tant qu’il sera charnel. Mais considérez plutôt la corruption de votre nature : pensez que cette coupable répugnance ne change pas les commandements de Dieu, qu’un péché n’en excuse point un autre, et que Dieu nous a fourni les moyens d’exciter nos affections. Ce devoir de la méditation céleste est un moyen excellent de faire naître et d’accroître l’amour. Ne vous en dispensez donc point jusqu’à ce que vous sentiez que l’amour vous y porte : pas plus que vous ne vous éloigneriez du feu, avant que vous vous sentissiez réchauffé. Au contraire, appliquez-vous à cette tâche jusqu’à ce que votre amour soit excité, et alors cette affection vous engagera à y persévérer.
3°. Votre cœur se détournera aussi vers d’autres objets. Comme un serviteur négligent, il s’arrêtera pour causer avec le premier passant. Lorsque votre esprit ne devrait être occupé que du ciel, il pensera à votre vocation, à vos peines ; il se laissera distraire par tous les oiseaux, tous les arbres, tous les lieux qui s’offrent à vos regards. Le remède est le même que pour le cas précédent : employez la vigilance et l’énergie. Dites à votre cœur : Suis-je venu ici pour penser à mes affaires mondaines, aux nouvelles du jour, à tout autre chose qu’au ciel ? Ne peux-tu pas veiller une heure ? Est-ce ainsi que tu aimes ton ami ? Ne préfères-tu pas à tout cela Christ et le lieu de ton éternel et bienheureux repos ? Si vos pensées vagabondes, semblables à des oiseaux affamés, dévorent les méditations qui étaient destinées pour le ciel, elles dévorent votre vie et votre joie : chassez-les donc d’auprès de votre offrande, et tenez rigoureusement votre cœur à votre ouvrage.
4°. Votre cœur vous trompera encore en mettant fin à votre méditation quand elle sera à peine commencée : vous pouvez facilement vous apercevoir que cela vous arrive dans la pratique de vos autres devoirs. Quand vous priez en secret, votre cœur ne vous presse-t-il point d’abréger votre prière et d’en finir promptement ? Mais ordonnez-lui de ne point faire à moitié une œuvre si importante ; dites-lui : « Tu es venu ici dans l’espérance de t’entretenir avec Dieu, veux-tu t’en aller avant de l’avoir vu ? Tu es venu pour explorer la terre promise, ne pars point sans remporter une grappe de raisins, pour servir d’encouragement à tes frères. Que l’allégresse de ton cœur montre que tu as goûté d’un vin délicieux ; que l’éclat de ton visage leur prouve que tu as été oint d’une huile précieuse ; que la douceur de tes manières et de tes paroles leur fasse voir que tu t’es nourri de lait et de miel. Le feu céleste fondrait ton cœur, le raffinerait et le purifierait ; mais il faut lui laisser le temps de produire son effet.