3 Que ni la fornication, ni aucune impureté ou avarice ne soient même nommées parmi vous, comme il convient à des saints ; 4 ni chose malhonnête, ni grossièreté, ni plaisanterie, qui sont des choses malséantes ; mais plutôt des actions de grâces. 5 Car vous savez bien ceci, qu’aucun fornicateur, ou impur, ou avare, qui est un idolâtre, n’a d’héritage dans le royaume de Christ et Dieu. 6 Que nul ne vous séduise par de vains discours ; car c’est pour ces choses que la colère de Dieu vient sur les fils de la rébellion. 7 N’ayez donc point de part avec eux. 8 Car vous étiez autrefois ténèbres, mais à présent vous êtes lumière dans le Seigneur ; marchez comme des enfants de lumière, 9 (car le fruit de l’Esprit est en toute bonté, justice et vérité), 10 éprouvant ce qui est agréable au Seigneur, 11 et ne vous associez point aux œuvres infructueuses des ténèbres, mais plutôt reprenez-les. 12 Car les choses qui se font par eux en secret, il est honteux même de les dire. 13 Mais toutes ces choses, étant reprises, sont manifestées par la lumière ; car tout ce qui est manifesté est lumière. 14 C’est pourquoi il est dit : « Réveille-toi, toi qui dors, et te relève d’entre les morts, et Christ reluira sur toi. » 15 Prenez donc garde comment vous marchez exactement, non en imprudents, mais en sages, 16 achetant l’occasion, parée que les jours sont mauvais. 17 C’est pourquoi ne soyez pas sans intelligence, mais comprenant quelle est la volonté du Seigneur. 18 Et ne vous enivrez pas de vin, en quoi il y a du dérèglement, mais soyez remplis de l’Esprit, 19 vous entretenant les uns les autres par des psaumes, des hymnes et des odes spirituels, chantant et psalmodiant dans votre cœur au Seigneur ; 20 rendant grâces en tout temps pour toutes choses, au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, à celui qui est Dieu et Père.
Des péchés contre la justice, l’Apôtre passe aux péchés contre la sainteté (4.24). Ils font l’objet de ce paragraphe, qui se termine par un contraste établi entre l’entraînement et les plaisirs de la chair, et la joie pure et élevée que communique le Saint-Esprit.
Avarice. Ce mot étonne à cette place, ainsi que le mot avare dans le verset 5 ; on a peine à comprendre que l’avarice soit si étroitement unie aux péchés d’impureté qu’elle l’est dans ces deux versets, et surtout dans le verset 3 ; et même qu’elle ait trouvé place dans un développement dont tous les autres traits se rapportent aux convoitises de la chair, et dont elle seule rompt l’uniformité. Il faut convenir aussi que la recommandation de ne pas même nommer certains péchés s’explique moins bien pour l’avarice que pour les dérèglements de la chair, auxquels saint Paul semble la restreindre lorsqu’il éclaircit cette pensée, dans le verset 4. Ces raisons ont déterminé plusieurs commentateurs, anciens et modernes, au nombre desquels sont Harless, Olshausen et Gerlach, à traduire par intempérance et intempérant, les deux mots que nous avons rendus, avec les versions reçues, par avarice et avare. Il s’agirait alors de l’intempérance dans le manger et le boire, à laquelle l’Apôtre fait encore allusion dans le verset 18 de notre chapitre, et non de l’incontinence, comme quelques-uns l’ont pensé. Car, dans le passage correspondant de l’épître aux Colossiens (3.5), où le même mot se retrouve, et, de l’aveu de tout le monde, dans la même acception qu’ici, il est distingué nettement dans l’original par l’article qui le précède, d’avec les péchés mentionnés auparavant. Ce changement dans la traduction reçue se justifie, d’abord, par l’étymologie du mot grec, qui signifie proprement la cupidité ou l’avidité, sans spécifier l’objet auquel elle s’applique ; ensuite par l’emploi du même mot dans les écrits des Pères1 ; enfin, par Éphésiens 4.19, où nous avons trouvé le même mot et où nous avons reconnu qu’on ne saurait guère le traduire que par avidité, ainsi que nous avons fait, ou par intempérance, ainsi que le font Olshausen et Harless.
1 – Chrysostome, cité par Harless, page 407 : « Les maladies se développent dans nos corps par l’intempérance ; évidemment, on ne saurait traduire par l’avarice.
Une difficulté semblable se présente dans 1 Thessaloniciens 4.6, où le verbe correspondant au substantif qui nous embarrasse dans notre verset est entendu, dans nos versions reçues, de l’avarice, mais par Olshausen, etc., de l’adultère ; et il faut avouer qu’une exhortation contre l’avarice serait singulièrement placée entre les versets 3-5 et le verset 7. Il est vrai que les noms d’idolâtrie (Colossiens 3.5 ; Éphésiens 5.5) et d’idolâtre (Éphésiens 4.5), donnés au péché qui nous occupe et à ceux qui s’en rendent coupables, semblent convenir mieux à l’avarice qu’à l’intempérance ; cependant, ils peuvent aussi s’appliquer à celle-ci, l’intempérant faisant « un Dieu de son ventre » (Philippiens 3.19 ; voyez aussi Romains 16.18). Il y a d’ailleurs une relation étroite entre un culte idolâtre et les convoitises charnelles ; elle est indiquée dans Romains 1.23-24, et fréquemment montrée dans l’Ancien Testament2.
2 – Il est digne de remarque que le mot grec qui nous donne tant de peine à traduire dans notre verset, est employé quelquefois par les Septante en parlant de l’idolâtrie proprement dite.
Ces raisons sont fortes ; mais elles ne nous paraissent pourtant pas décisives. On peut leur opposer l’épithète idolâtre qui, après tout, s’applique plus naturellement à l’avare qu’à l’intempérant ; la distinction assez tranchée qui est faite dans Colossiens 3.5 (voir l’original) entre le péché qui nous occupe et ceux qui lui sont associés ; enfin, et surtout, la signification ordinaire du même mot dans les évangiles (Marc 7.22 ; Luc 12.15), dans les épîtres (2 Pierre 2.3, 14), et dans saint Paul lui-même (Romains 1.29 ; 2 Corinthiens 9.5 ; 1 Thessaloniciens 2.5). Nous sommes dans le doute, et c’en est assez pour que nous nous en tenions à l’interprétation la plus naturelle et la plus ordinaire. Harless lui-même, quoique fort affirmatif en général, et quelquefois un peu trop, selon nous, n’ose se prononcer, bien qu’il incline pour la traduction intempérance. Nous partageons exactement ce sentiment. Si c’est cependant de l’avarice qu’il s’agit, ce passage, et les passages parallèles, Colossiens 3.5 et 1 Thessaloniciens 4.6, jettent un jour intéressant sur la nature de ce péché. Nous l’aurions rangé de préférence parmi les péchés contraires à la justice (4.25 ; 5.1-2). En le rangeant parmi ceux qui sont opposés à la sainteté, l’Apôtre en révèle le caractère charnel, et il est, dans tous les cas, digne de remarque qu’il est plus d’une fois associé à l’impureté, par exemple : 2 Pierre 2.3, 14. Au surplus, l’avarice doit être entendue ici dans le sens biblique du mot et non dans la signification qu’il a ordinairement dans notre langue ; c’est l’amour de l’argent, en général, et non la manie d’amasser. On trouvera cette distinction expliquée et justifiée dans notre sermon intitulé : l’Ami de l’argent.
Ne soient même nommées parmi vous (Psaumes 16.4), car ce sont des choses honteuses même à dire (12) ; combien plus à faire ! Que la conduite des chrétiens doive être exempte de toutes ces souillures, c’est ce que saint Paul ne croit pas même nécessaire de dire ; leurs discours mêmes doivent en être purs. « Car les discours, dit Théophylacte en expliquant ce verset, mènent aux actions3. » Ce que l’Apôtre dit des discours ne l’étendrons-nous pas à nos lectures ? La lecture est un entretien entre l’auteur et le lecteur, entretien muet et permanent, mais d’autant plus dangereux s’il est mauvais. Peut-être notre Apôtre en eût-il fait un article à part, si la lecture, au lieu d’être rare comme elle l’était de son temps, avait été aussi commune qu’elle l’est de nos jours. Un cœur droit saura bien y suppléer. L’impureté occupe aujourd’hui dans nos écrits les plus répandus, et jusque dans les feuilles quotidiennes, une place considérable et croissante. La contemplation habituelle de telles images est-elle sans danger pour des cœurs tels que les nôtres ? Convient-elle à des saints ? à des jeunes gens, à des femmes chrétiennes, tels que les veut saint Paul (Tite 2.1 ; 1 Timothée 2.9-10, etc.) ? Nous ne le pensons pas, et vous ne le pensez pas davantage vous qui « vous séduisez par de vains discours. » Il y a là un grand péril et un grand péché. Assortissez vos lectures et ne vous en permettez pas que la seule vue de saint Paul, entrant dans votre cabinet, eût suffi pour vous faire tomber des mains.
3 – Hérodote (I, 138) dit en parlant des Perses : « Les choses qu’il ne leur est pas permis de faire, il leur est également interdit de les dire. »
Ni chose malhonnête, ou ni indécence. Il s’agit d’indécence dans les paroles (Colossiens 3.8), car c’est aux paroles que se rapporte tout ce verset. La signification du verbe être nommé fléchit un peu en passant du verset 3, où il s’applique aux actions, au verset 4, où il s’applique aux discours. Il faut sous-entendre les mots : Qu’on n’y entende au commencement du verset 4. Les deux mots qui suivent, et qui signifient proprement, le premier parole folle, le second plaisanterie, nous paraissent emprunter du contexte un sens plus déterminé, et désigner ici des discours licencieux, bien que cette application spéciale soit niée par Harless. Du moins, s’il ne s’agit pas exclusivement de discours indécents, il s’agit de ceux-là principalement d’après ce qui précède et ce qui suit. Entre ces deux espèces de discours indécents, saint Jérôme voit une nuance qui nous paraît véritable : c’est que la première consiste en propos grossiers et sans esprit, la seconde en propos agréables et risibles, où l’esprit est mal employé. Les Éphésiens passaient pour être particulièrement adonnés à la plaisanterie licencieuse4.
4 – Plaute, Mil. Glor., III, 1.
Mais plutôt des actions de grâces. Quelques commentateurs n’ont pu comprendre que saint Paul ait pu opposer aux péchés de la langue qu’il vient de nommer un précepte aussi spécial que l’action de grâces ; et ils ont cherché au mot que nous traduisons de la sorte un autre sens : les uns, celui de discours propres à communiquer la grâce et à édifier ceux qui les entendent (4.29) ; d’autres, celui de discours agréables ou même de plaisanterie polie et innocente ! Mais le terme original n’est susceptible que du sens que nous lui avons donné. Les commentateurs qui s’en étonnent ne paraissent pas avoir compris la place que l’action de grâces doit occuper dans la vie chrétienne, ni l’influence qu’elle y exerce. L’action de grâces doit être le caractère prédominant des discours d’un racheté de Jésus-Christ, et pourvu qu’ils en soient empreints, ils seront exempts de toute indécence ; car elle serait également repoussée et par la gravité et par la sérénité que l’action de grâces inspire. L’action de grâces peut tenir lieu de tout le reste, parce qu’elle répond de tout le reste ; voyez verset 20 et Colossiens 2.7 ; 3.17 ; 4.2 ; 1 Thessaloniciens 5.18, etc.
Car vous savez et non sachez, comme on peut traduire encore, et comme quelques-uns l’ont fait. Rapprochez 1 Corinthiens 6.9 ; Galates 5.21.
Qui est un idolâtre. Le pronom relatif qui se rapporte, selon Harless, à tous les substantifs qui précèdent, tant ici que dans Colossiens 3.5, tandis que les autres commentateurs le rapportent seulement au dernier. Cette construction nous paraît admissible dans les deux cas, et en étendant le reproche d’idolâtrie à toutes les convoitises mentionnées dans les versets 3 et 5, elle fait disparaître l’une de nos objections contre la substitution des mots intempérance et intempérant à ceux d’avarice et avare. On pourrait dire aussi, en faveur de la construction adoptée par Harless, qu’on ne se serait pas attendu à voir notre Apôtre insister spécialement, comme il le fait selon la construction reçue, sur le caractère criminel du dernier péché mentionné, que ce soit l’avarice ou l’intempérance, dans un développement dont le point de départ et l’objet essentiel est sans contredit l’impureté. Cependant, il faut reconnaître que cette construction n’est pas celle qui s’offre le plus naturellement à l’esprit, surtout dans le passage de l’épître aux Colossiens. Si l’on adoptait la traduction intempérance et intempérant, nous nous déciderions pour la construction de Harless ; mais en maintenant la traduction avarice et avare, nous nous en tenons aussi à la construction ordinaire, le dernier péché mentionné ayant alors un caractère plus distinct d’avec les autres, et qui explique mieux une épithète spéciale.
De Christ et Dieu ; ou, selon la version plus exacte, mais un peu pesante, de Lausanne 1839 : « De celui qui est Christ et Dieu. » Car nous croyons, avec Harless, et contre l’avis d’Olshausen, que l’absence de l’article devant le mot Dieu ne peut s’expliquer qu’en y voyant un second nom donné au même être qui vient d’être appelé Christ, et que ce passage est ainsi de ceux qui rendent témoignage à la déité du Seigneur. Rapprochez Tite 2.13 : « l’apparition de la gloire de notre grand Dieu et Seigneur Jésus-Christ » (ou « du grand Dieu et notre Sauveur Jésus-Christ »), où la version de la compagnie de Genève, 1805, maintenue dans sa version nouvelle de 1835, n’a pu traduire : « du grand Dieu, et de notre Sauveur Jésus-Christ, » qu’en faisant violence à toutes les règles du langage, sans parler du bon sens et du contexte qui s’opposent également à l’idée d’une double apparition, l’une de Dieu, l’autre de Jésus-Christ. – Au reste, les mots et Dieu ne sont pas étrangers au but particulier de l’Apôtre dans notre texte. Voulant effrayer salutairement ses lecteurs par la pensée que l’esclave des convoitises charnelles n’a point de part au royaume de Christ, il n’était pas superflu d’ajouter que qui dit Christ, dit Dieu. La pensée demeure la même avec une légère nuance : qui dit royaume de Christ, dit royaume de Dieu, – si l’on traduit, avec Olshausen, « le royaume de Christ et de Dieu. » Mais cette traduction ne nous paraît pas justifiable.
Par de vains discours. Littéralement des discours vides ; sans vérité et sans utilité, faux et nuisibles. Il ne s’agit pas ici des maximes qui régnaient chez les païens (Romains 1.32), et dont les chrétiens étaient mis à l’abri par leur profession ; mais des sentiments relâchés qui pouvaient se glisser chez des membres de l’Église chrétienne, soit qu’ils se « fissent de la liberté » chrétienne, mal entendue, « un prétexte pour mal faire » (1 Pierre 2.16 ; Jacques 2.14), soit qu’une longue habitude des péchés de la chair avant leur conversion eût endurci leur conscience, soit enfin qu’ils prétendissent les excuser par la facilité avec laquelle la nature corrompue s’y laisse entraîner. Le monde, païen ou chrétien, n’a jamais manqué de tolérance pour des égarements si communs que chacun presque a besoin de les justifier chez autrui pour les justifier chez lui-même. Mais ses maximes sur cette honteuse matière ne prouvent qu’une chose, la profondeur et l’étendue du mal ; et ces maximes, démenties par la conscience de ceux qui les soutiennent, sont pires que les actions elles-mêmes, selon cette pensée profonde de notre Apôtre que nous venons de rappeler (Romains 1.32). Il va sans dire qu’il ne faut pas confondre la séduction ici mentionnée avec cette autre séduction, contre laquelle saint Paul prémunit, dans Colossiens 2.8, des chrétiens rigoristes et superstitieux. L’une est une séduction de relâchement, qui abuse de la liberté chrétienne ; l’autre, une séduction d’étroitesse, qui n’en use pas. Au reste, quoique la seconde soit assurément plus respectable que la première, elles éloignent également de la vraie sainteté ; et même, toutes contraires qu’elles sont en principe, elles se touchent souvent dans la pratique et s’associent quelquefois.
C’est pour ces choses que la colère de Dieu vient sur les fils de la rébellion. Par une opposition directe au jugement du monde, les péchés de la chair sont particulièrement abominables devant Dieu. Tout péché excite sa colère ; mais cette classe de péchés l’excite d’une façon spéciale, et c’est elle surtout qui a fait des païens « des enfants de colère » (Éphésiens 2.3). La même pensée est exprimée dans 2 Pierre 2.10, où l’Apôtre ayant à nommer les deux classes de pécheurs les plus dignes du châtiment de Dieu, désigne d’abord les incontinents, et puis les séditieux. Que dira le monde du choix de la première classe, et notre siècle de celui de la seconde ? Saint Paul donna une raison profonde de la haine particulière de Dieu pour l’impureté. C’est qu’il n’est point de péché où la personnalité de l’homme soit plus engagée. « Fuyez la fornication. Tout péché que fait un homme est hors du corps ; mais celui qui commet fornication pèche contre son propre corps » (1 Corinthiens 6.18). Le péché de l’impureté obtient partout dans la Parole de Dieu une honteuse priorité. C’est le premier qui paraît dans le monde à la suite de la chute (Genèse 3.7). C’est encore le premier fruit de cette autre chute que fait le monde en étouffant les lumières qui lui sont demeurées (Romains 1.21-24), c’est enfin le trait dominant de ce hideux tableau que le Saint-Esprit trace de la nature humaine sous l’empire du paganisme.
Rapprochez Colossiens 3.6. La colère de Dieu dont il est ici parlé est sa colère présente et à venir tout ensemble. Elle commence à se déclarer dès cette vie (Romains 1.18 et suivants), en attendant qu’elle achève de se déployer dans l’autre (1 Thessaloniciens 1.10). Le royaume de Dieu, au verset 6, doit être également entendu dans cette double acception qui embrasse l’existence tout entière de l’homme.
N’ayez point de part avec eux (2 Corinthiens 6.14).
Vous étiez autrefois ténèbres, mais à présent vous êtes lumière : Tel est le changement qui s’est accompli en eux (2 Corinthiens 5.17). Cela est beaucoup plus fort que s’il eût dit : Dans les ténèbres, et dans la lumière.
Nous verrons plus bas le parti que tire l’Apôtre de ce que les chrétiens sont devenus eux-mêmes une lumière, sous l’influence de la lumière de Christ.
Dans le Seigneur. Voyez notre remarque sur 4.1.
Comme des enfants de lumière. Voyez notre remarque sur les mots fils de la rébellion, 2.2. Le beau titre que saint Paul donne ici aux chrétiens marque qu’une étroite relation les unit à la lumière, et que cette relation a de l’analogie avec celle d’un enfant avec son père. Issus de la lumière, ils participent à la lumière, comme ils participent à la nature divine parce qu’ils sont nés de Dieu.
Car le fruit de l’Esprit est en toute bonté, justice et vérité ; ces versets forment une parenthèse, et le participe éprouvant par lequel commence le verset 10 fait suite à l’impératif marchez du verset 8. Marchez comme des enfants de lumière, éprouvant, etc. Voyez une construction semblable 2 Corinthiens 10.4 ; 8.9. La conjonction car tient à une idée sous-entendue : Marchez comme des enfants de lumière (et alors vous ne. ferez rien de semblable à ce que font ces païens), car le fruit de l’Esprit, etc. On rendrait exactement la pensée dans notre langue en substituant or à car ; « Or, le fruit de l’Esprit, etc. » Un certain nombre de manuscrits lisent de la lumière au lieu de de l’Esprit, ainsi que quelques versions et quelques Pères ; et cette leçon a été substituée par les critiques allemands à l’ancienne, que nous avons retenue. Les arguments externes se balancent à peu près ; et l’argument interne, par lequel il faut dès lors se décider, nous paraît en faveur du texte reçu. On a pu facilement, disent Harless et Olshausen, remplacer lumière par Esprit, pour se mettre mieux d’accord avec Galates 5.22. Mais il nous semble que l’on a pu, plus facilement encore, remplacer Esprit par lumière, pour se mettre mieux d’accord avec les versets qui précèdent le nôtre ou qui le suivent, et donner à tout ce passage un tour plus symétrique. Cette réflexion nous est fournie par un critique anglais Bloomfield, qui hésite plus que les Allemands à s’écarter du texte reçu, et qui nous paraît avoir quelquefois raison contre eux. Par une raison semblable, il conserve, dans le verset 5 de notre chapitre, une ancienne leçon que les critiques allemands ont changée ; mais nous n’avons pas indiqué cette différence, qui, n’influant pas sur le sens, n’est pas sensible en français. On comprend d’autant mieux que la phrase incidente qui nous occupe ne soit pas exactement symétrique avec le contexte, qu’elle s’en détache, pour la forme, et pour le fond. Pour la forme : car elle fait une parenthèse. Pour le fond : car elle exprime une pensée générale, qui nous reporte au verset 24 du chapitre précédent, et qui s’applique ainsi bien aux obligations de la justice qu’à celles de la sainteté.
Remarquez que le mot bonté dans notre verset ne répond pas au même terme grec que dans Colossiens 3.12 (Éphésiens 4.32). Là, il signifie la bonté du cœur ; ici, la bonté morale, en sorte qu’il est à peu près synonyme du mot sainteté. Le même mot est employé dans le même sens dans Romains 15.14 ; 2 Thessaloniciens 1.11 et Galates 5.22, où il est distingué d’avec cette autre bonté, mais où nos versions l’ont rendu assez mal à propos par bénignité.
Éprouvant ce qui est agréable au Seigneur. Le chrétien doit faire cette épreuve (Romains 12.2 ; 1Thessaloniciens 5.20), et il le peut, ayant une règle exacte dans la Parole de Dieu (Romains 2.18) ; et une autre règle, que saint Paul vient d’indiquer au verset 9, dans son sens moral exercé par cette Parole et par l’expérience de la vie de Dieu. – Rapprochez l’exhortation de notre Apôtre aux Philippiens (1.10, où il faut traduire, ainsi que dans Romains 2.18, « les choses qui diffèrent, » les différences, ce qui est bien et ce qui est mal, ce qui est vrai et ce qui est faux).
Ne vous associez point aux œuvres infructueuses des ténèbres, mais plutôt reprenez-les. L’épithète infructueuse choisie pour faire contraste avec le fruit de l’Esprit (ou de la lumière) dont l’Apôtre a parlé au verset 9, emprunte de cette opposition un sens particulier. Elle ne signifie pas qui ne produit aucun fruit, car, dans ce sens, c’est aux ténèbres (la cause) et non aux œuvres de ténèbres (l’effet) qu’elle pourrait s’appliquer ; mais elle signifie qui ne renferme aucun fruit, qui n’a rien de ce qui constitue le fruit, rien de bon et de désirable. Il va sans dire que le mot fruit n’est pris ici que dans son acception favorable. Il en a aussi une contraire (Matthieu 7.17), d’après laquelle « les œuvres des ténèbres » pourraient être appelées du fruit, mais un mauvais fruit d’un mauvais arbre.
L’obligation générale imposée aux chrétiens, dans le verset 7, est reprise ici et subdivisée en deux obligations, l’une passive, l’autre active. La première consiste à s’abstenir pour son propre compte des convoitises de la chair ; la seconde à les combattre chez lui. Le vrai chrétien ne veut pas seulement observer la loi de Dieu, mais encore la faire observer. Ce n’est pas la charité seule qui l’y oblige ; il le doit à la sainteté elle-même. Ne tenir à la sainteté que pour nous, c’est ne pas l’aimer en soi et comme Dieu l’aime ; ou plutôt, c’est n’en aimer que les avantages et non pas l’aimer elle-même.
Reprenez-les. Le mot grec que nous rendons de la sorte n’a pas d’équivalent parfait dans notre langue. Il réunit en soi deux idées : manifester, et reprendre ; et comme c’est tantôt l’une, tantôt l’autre qui prédomine, on devra le traduire, tantôt par l’un de ces deux verbes, tantôt par l’autre. C’est le mot employé, dans Jean 3.20 ; mais au verset 21, le mot manifester y est substitué. C’est encore le mot employé dans Jean 16.8, où on l’a traduit par convaincre ; et où l’on ne peut guère le rendre autrement ; seulement il faut se rappeler que la conviction dont il s’agit ici renferme implicitement une idée de reproche. La pensée de saint Paul dans notre verset est celle-ci : Faites ressortir ce qu’il y a de mal dans la conduite de ceux qui vous entourent. Cela doit se faire par tous les moyens que Dieu mettra à la portée des lecteurs de saint Paul ; mais essentiellement par la sainteté de leur vie qui fera contraste avec la vie païenne, comme la lumière avec les ténèbres. – L’obligation faite ici au chrétien de combattre directement le mal qui est dans le monde est importante à remarquer. Comme elle coûte beaucoup à pratiquer, on s’en dispense volontiers ; et l’on croit avoir pour cela de raisons d’autant plus spécieuses qu’elles ont un faux air d’humilité. Le chrétien est un homme de résistance. Il nous semble que l’oubli de ce devoir est l’un des traits auxquels on reconnaît dans l’histoire de l’Église les personnes et les sociétés qui ont saisi l’Évangile sincèrement, mais imparfaitement : par exemple les catholiques romains pieux, les jansénistes mêmes ; et dans l’Église protestante, les mystiques.
Car les choses qui se font par eux en secret, il est honteux même de les dire. La liaison de ce verset avec le précédent, indiquée par la préposition car, a embarrassé les commentateurs. Harless suppose que le verset 12 correspond à la première exhortation du verset 11, et le verset 13 à la seconde. « Ne vous associez point aux œuvres de ténèbres, – car elles sont honteuses même à dire ; mais reprenez-les, – car toutes ces choses étant reprises par la lumière sont manifestées. » Cette division symétrique, qui est fort dans le goût de ce commentateur (voyez nos notes sur 2.14-15 et sur 4.18), nous paraît, comme à Olshausen, qui admet pourtant une construction analogue dans 4.18, trop ingénieuse pour convenir à la simplicité de notre Apôtre. Nous aimons mieux dire que le verset 12 explique pourquoi le chrétien doit rompre avec les œuvres de la vie païenne ; et que le verset 13 l’assure que sa fidélité ne sera pas inutile au monde qui l’entoure. – Les œuvres des païens sont si mauvaises qu’on ne saurait trop s’en séparer, ni trop les reprendre (verset 12) ; mais quelque mauvaises qu’elles soient, elles ne sauraient résister à l’influence sanctifiante des enfants de Dieu (verset 13).
Il est honteux même de les dire, – (Voyez verset 3, et la note). Quelqu’un a demandé : Mais si l’on ne doit pas les dire, comment les reprendra-t-on ? Nous répondons, d’abord, que c’est plus encore par ses œuvres que par ses discours que le chrétien doit les reprendre, ainsi que nous l’avons expliqué ci-dessus ; ensuite, qu’autre chose est de parler des péchés des païens, par légèreté, par tolérance ou par curiosité, autre chose est d’en parler pour les faire cesser. Assurément saint Paul lui-même n’a pas manqué à la pudeur qu’il prescrit dans le verset 12, en écrivant les versets 3 et 4 de ce chapitre, ni même en écrivant le chapitre 1 de son épître aux Romains. Il y a une réserve sainte, et une liberté sainte, qui se concilient à merveille.
Mais toutes ces choses, étant reprises par la lumière, sont manifestées. On peut traduire aussi, avec Harless et Olshausen : « étant reprises, sont manifestées par la lumière, » sans que le sens en soit aucunement changé. Quand les péchés des païens sont mis en présence de l’Évangile et de la vie de ceux qui l’ont reçu, ils se montrent, pour la première fois, tels qu’ils sont, criminels, odieux, inexcusables5. En approchant des ténèbres, la lumière les a dissipées. Telle est la nature de la lumière qu’elle ne saurait se trouver à côté des ténèbres sans les pénétrer et les absorber, et les transforme en sa propre substance. Le seul contraste de la lumière avec les ténèbres est déjà la victoire de celle-là sur celles-ci. Belle image de ce qui se passe dans le monde moral. La sainteté évangélique ne peut être mise en contact avec la corruption naturelle, qu’elle ne la fasse apparaître dans son vrai jour et ne la traverse, si l’on peut ainsi dire, de part en part. Mais cette vue du péché, c’est déjà la sainteté, puisque « c’est être intelligent que de haïr le mal » (Job 28.28), et qu’il suffit d’avoir appris à dire : « Mon Dieu, sois apaisé envers moi, pécheur, » pour « s’en retourner justifié dans sa maison. » Que le chrétien ne se laisse donc pas abattre par la pensée qu’il lutterait vainement contre les ténèbres du monde. Il n’a qu’à les reprendre par la lumière qui est en lui ; et les ténèbres perdront leur caractère et seront transformées elles-mêmes en lumière. S’il se contente de s’abstenir du mal pour son compte, il sera bien, lui, dans la lumière ; mais les ténèbres qui sont autour de lui demeureront ténèbres, comme celles de l’Egypte autour des maisons d’Israël (Exode 10.22-23). Mais s’il porte sa lumière dans les ténèbres du monde (Matthieu 5.16), il les dissipera et les absorbera ; et, vrai imitateur de Dieu, il contraindra le Gentil à lui parler comme le Psalmiste parle à Dieu : « Si je dis : Les ténèbres au moins me couvriront, – la nuit même sera une lumière tout autour de moi ; même les ténèbres ne me cacheront point à toi ; la nuit resplendira comme le jour et les ténèbres comme la lumière » (Psaumes 139.11-12). Merveilleuse vertu de l’Évangile dans le monde ! Victoire assurée à la sainteté sur le péché, non seulement au-dedans de nous, mais au dehors ! Sans doute on peut se soustraire à cette influence salutaire, si on le veut absolument ; mais c’est en fermant son cœur, pour n’être pas guéri (Matthieu 13.15). Les ténèbres, une fois mises en contact avec la lumière, ne peuvent demeurer ténèbres, ou, pour parler plus exactement, ne peuvent redevenir ténèbres qu’à la condition de reculer devant elle et de chercher un lieu où elle n’est pas (Jean 3.20) ; ce qui est une autre manière de reconnaître sa victoire, en lui cédant le champ de bataille.
5 – Plutarque : « Réjouissons-nous de ceux qui nous reprennent ; car ils ne nous affligent que pour nous réveiller. »
Car tout ce qui est manifeste est lumière. Ces paroles se trouvent déjà expliquées par ce qui précède. Tout ce qui est mis en lumière par la lumière devient, plus encore, est déjà, ipso facto, lumière à son tour. C’est la doctrine même que nous venons de développer pour expliquer le commencement de notre verset ; car les deux parties en sont si étroitement unies qu’on ne peut les séparer. La première suppose la seconde ; ce ne sont que les deux faces d’une même pensée. Les chrétiens auxquels saint Paul écrit sont eux-mêmes une preuve vivante de la vérité qu’il exprime. « Ils étaient autrefois ténèbres, » mais, le Seigneur ayant fait luire sa lumière sur eux, « ils sont à présent lumière. » Qu’ils fassent pour les Gentils inconvertis ce que Jésus-Christ a fait pour eux ; et par leur lumière, ces Gentils, à leur tour, de ténèbres qu’ils sont deviendront lumière ; après quoi ils pourront faire auprès d’autres Gentils le même office de sainteté et de charité, et ainsi en continuant jusqu’à la fin des siècles et jusqu’aux extrémités du monde. La maxime que nous avons sous les yeux est le fondement et l’espérance des missions. Il y a quelque analogie entre cette pensée, et cette autre pensée qui est exprimée par le Seigneur (Jean 7.37-38). Le croyant, en s’approchant du Seigneur, n’étanche pas seulement sa propre soif (37), mais il devient capable d’étancher celle de ses semblables (38). En buvant à cette source, il devient source lui-même ; comme on devient lumière, en s’éclairant de cette lumière.
Cette dernière pensée serait mise encore plus en saillie, si l’on supposait une ellipse entre les deux parties de notre verset, et qu’on expliquât la conjonction car à peu près comme nous l’avons fait dans le verset 9 : « Toutes ces choses, étant reprises par la lumière, sont manifestées (et cela est un grand bien), « car tout ce qui est manifesté est lumière, » On pourrait traduire alors : « Toutes ces choses, etc., sont « manifestées ; or, tout ce qui est manifesté est lumière. » Cette explication s’écarte peu, au fond, de celle que nous avons développée, et qui a été suivie par Harless.
Bloomfield explique autrement la fin de notre verset. Il voit un verbe réfléchi où nous voyons un verbe passif, et commente en ces termes la pensée de l’Apôtre : « Ce qui se manifeste au monde et ne cherche qu’à se montrer, comme le peut faire hardiment la vie des vrais chrétiens (Matthieu 5.14), c’est la vraie lumière, laquelle est capable de découvrir les ténèbres par le contraste. » Mais nous ne voyons pas comment cette maxime, assez insignifiante en soi, explique le commencement de notre verset, auquel la fin doit servir d’appui, d’après la conjonction car ; sans compter qu’on n’a aucune raison pour prêter le sens réfléchi à un verbe qui a évidemment le sens passif dans la première moitié du verset. On en a moins encore pour lui prêter le sens actif, comme le font nos versions reçues : « la lumière est ce qui manifeste tout, » et ce n’est pas la seule raison grammaticale qui rend cette traduction absolument et évidemment inadmissible. On ne peut l’expliquer que par l’embarras où se sont trouvés les traducteurs, faute d’avoir compris l’original. La version anglaise a commis la même erreur avec une légère nuance : « Tout ce qui manifeste, est lumière. » Celle de Luther en a été préservée.
C’est pourquoi il est dit : Réveille-toi, toi qui dors, et te relève d’entre les morts, et Christ reluira sur toi. Ceci termine l’exhortation que l’Apôtre vient d’adresser aux enfants de lumière, pour les porter à faire luire leur lumière devant le monde païen (8-14). Le chrétien qui ne se sépare pas nettement des œuvres ténèbres, et en s’en abstenant et en les reprenant, se confond en quelque sorte avec les Gentils qui l’entourent. Il est vrai qu’il y a en lui un principe spirituel qui n’est pas en eux ; mais ce principe ne peut être discerné des hommes tant qu’il ne se montre pas mieux dans la conduite. Un tel chrétien est comparé par l’Apôtre à un homme qui dort au milieu des morts. Bien que sa condition diffère essentiellement de la leur, puisqu’il a seul la vie qui manque aux autres, cette différence demeure inaperçue tant qu’il demeure couché et endormi, et ne se découvre que lorsqu’il se réveille et qu’il se lève ; ou, pour suivre de plus près l’image développée par l’Apôtre, l’endormi est privé de la lumière aussi bien que le mort, jusqu’au moment qu’il se réveille et se lève ; alors seulement, la lumière du soleil, à laquelle les yeux des autres demeurent fermés, reluit sur lui. Qu’ainsi le chrétien secoue toute ressemblance avec le monde païen qui l’entoure ; alors « Christ reluira sur lui, » et par cette lumière de Christ, il pourra remplir au milieu du monde qui l’environne la belle tâche que l’Apôtre vient de lui tracer. La conjonction c’est pourquoi se rapporte, non au verset 13 seulement, mais à tout le développement qui précède, et surtout au verset 11.
Reste à savoir à quel endroit de l’Ancien Testament saint Paul a emprunté cette citation. Nous disons de l’Ancien Testament, car comment admettre, avec quelques commentateurs, qu’il l’ait prise ailleurs, ou dans un ancien cantique, ou dans un livre apocryphe, ou dans un livre canonique qui se serait perdu ? Harless et Olshausen ont fait justice de ces suppositions et elles se réfutent d’elles-mêmes pour le commentateur chrétien. Cependant, les paroles citées par l’Apôtre ne se trouvent nulle part textuellement dans l’Ancien Testament. Nous pensons, avec les deux commentateurs que nous venons de nommer, que c’est ici l’un de ces cas où les auteurs du Nouveau Testament ont cité l’Ancien, non d’après les mots du texte, mais d’après le fond de la pensée6, et que le passage auquel notre Apôtre a fait allusion est Ésaïe 60.1-3. Là, le prophète qui, dans le chapitre précédent, a comparé les enfants d’Israël à des hommes privés de la lumière (9) et même de la vie (10), exhorte ce peuple à se lever parce que sa lumière est venue (1). Tout autour de lui les ténèbres couvrent les peuples ; mais le Seigneur va se lever sur lui (2), et alors les nations (les Gentils) marcheront à la lumière d’Israël (3). Saint Paul applique cette prophétie à l’Église et substitue au langage de la prédiction celui de l’accomplissement. Il faut que le croyant, longtemps confondu par un lâche sommeil avec les morts qui l’entourent, se réveille et se lève du milieu d’eux ; Jésus-Christ reluira sur lui et fera paraître à tous les yeux la différence qui est entre les Gentils et lui ; mais ce sera pour qu’il fasse luire sur eux la lumière qu’il a reçue du Seigneur, et que par cette lumière il change en lumière leurs ténèbres. Ainsi l’entendent Harless, Olshausen, Gerlach, Bloomfield, etc. On pourrait supposer, au reste, que tout en faisant plus spécialement allusion au passage d’Ésaïe que nous venons de rappeler, l’Apôtre avait encore présents à l’esprit d’autres endroits de l’Ancien Testament où des idées analogues sont présentées, tels que Ésaïe 9.1 ; 26.19 ; 52.1-2 ; Jonas 1.6 ; Psaumes 13.4 ; mais cela n’est pas nécessaire.
6 – Nous en avons un bel exemple Romains 10.6 et suivants.
Pour le fond de l’exhortation renfermée dans les versets 8-14, il est intéressant de rapprocher Romains 13.11-14 et 1 Thessaloniciens 5.5-8.
Prenez donc garde. Littéralement regardez (Luc 8.18 ; Colossiens 4.17). Puisque telle est votre tâche dans le monde, vous avez besoin d’une circonspection extrême dans toute votre conduite. L’Apôtre reprend ici et développe l’exhortation contenue dans le verset 10, mais la reprend avec un nouveau degré d’insistance après les considérations sérieuses et pressantes qui ont fait l’objet des versets 11-14.
Comment vous marchez exactement. Ce que cette locution a d’étrange existe également dans l’original. Elle doit s’expliquer par une ellipse ; l’Apôtre réunit dans une seule proposition ces deux pensées : Prenez garde comment vous marchez, et prenez garde que vous marchiez exactement. Exactement : point de caprice ni de laisser aller. Ayez une règle exacte et conformez-vous exactement à cette règle. Le chrétien doit être un homme exact ; maître de soi, modéré, et il importe qu’il en ait la réputation, surtout dans ses rapports avec le monde. Cette excentricité à laquelle quelques-uns s’abandonnent peut plaire une fois, mais à la longue elle compromet tout. Aussi bien, elle provient de l’esprit naturel et non de l’Esprit de Dieu. Il y a plus de simplicité véritable, et aussi plus de puissance réelle, dans une marche réglée, mesurée, ferme et conséquente avec elle-même. C’est l’eau qui use le rocher.
Non en imprudents (littéralement sans sagesse), mais en sages. L’Apôtre présente l’exhortation par le côté négatif et par le côté positif tout ensemble, pour en faire mieux ressortir l’importance, comme dans le verset 17. Rapprochez Colossiens 4.5, qui achève la pensée : « marchez en sagesse envers ceux du dehors. »
Achetant l’occasion ; nous traduisons achetant au lieu de rachetant, parce que la nuance indiquée dans notre langue par la particule ne dans les verbes composés, ne se trouve pas dans l’original ; le verbe employé par saint Paul signifie acheter avec empressement, mais non acheter de nouveau.
Nous traduisons encore occasion au lieu de temps, parce que la langue grecque a deux mots bien distincts correspondant à notre mot temps, et dont l’un exprime la durée (comme Marc 9.21, etc.) et l’autre l’opportunité (comme 2 Corinthiens 6.2, etc.), et que c’est le second dont saint Paul se sert en cet endroit. Il suffit d’avoir ainsi rétabli le sens des mots pour écarter l’explication qu’on donne ordinairement de ce passage : Employez bien le temps ou : Regagnez le temps perdu. Le texte original n’est pas susceptible de cette traduction, sans compter que cette exhortation serait ici peu à sa place et qu’elle aurait dû être motivée par la brièveté du temps, et non, comme elle l’est chez l’Apôtre, par le caractère de l’époque. D’autres ont traduit : « Prêtez-vous aux circonstances, » c’est-à-dire usez de précaution et gagnez du temps pour échapper à la persécution. Mais cette traduction ne s’accorde pas mieux que la première, ni avec la phrase grecque, ni avec le contexte. La seule explication qui se puisse défendre est celle qui a été adoptée par Harless, Olshausen, Gerlach, etc. : Saisissez avidement l’occasion de faire du bien au monde qui vous entoure, comme un homme qui trouve un objet en vente à sa convenance s’empresse de l’acheter de peur qu’un autre ne le prévienne (Proverbes 20.14). Le passage parallèle de l’épître aux Colossiens, dont nous avons déjà cité le commencement, achève de justifier cette interprétation : « Marchez en sagesse envers ceux du dehors, achetant l’occasion. » Rapprochez ce mot de l’empereur Antonin cité par Harless : « On doit mettre à profit (littéralement gagner) le présent ; » et cette maxime d’un ancien sage de l’antiquité, Libanius (Epist. 627) : « J’estime que le sage doit mettre l’occasion à profit pour n’avoir pas à la regretter quand elle sera passée. » Ces derniers mots se rapportent assez bien à l’argument de saint Paul : parce que les jours sont mauvais. On peut entendre par là soit l’époque particulière à laquelle écrivait l’Apôtre, soit le présent siècle en général (Galates 1.4 ; Psaumes 49.6). Dans un tel monde et plus spécialement à une telle époque, on doit saisir d’autant plus avidement l’occasion de bien faire, qu’elle s’offre rarement, et qu’ayant été une fois manquée, elle pourrait ne pas se représenter. Aisément les jours mauvais nous découragent. Saint Paul veut qu’ils nous excitent à redoubler de vigilance. Ainsi le négociant habile ne laisse échapper aucune occasion favorable à l’accroissement de sa fortune quand les temps sont difficiles ; et l’agriculteur prudent est doublement soigneux de mettre à profit les beaux jours, quand la saison est mauvaise. La pensée de l’Apôtre est analogue à celle de l’Ecclésiaste 9.10. Au reste, l’expression « acheter l’occasion, » paraît empruntée de Daniel 2.8 (où gagner du temps ne rend pas exactement l’original ; il s’agit de gagner l’occasion, c’est-à-dire attendre une circonstance favorable pour se tirer d’embarras), et l’expression « les jours sont mauvais, » de Amos 5.13. On ne saurait trop remarquer combien le Nouveau Testament est rempli de l’Ancien.
C’est pourquoi ne soyez pas sans intelligence.. Nous avons expliqué, dans notre note sur 1.8, comment l’intelligence se rapporte à la sagesse. Pour parvenir à une conduite sage, il faut commencer par avoir un esprit intelligent. « Ne soyez pas comme le cheval ou le mulet, sans intelligence » (Psaumes 32.9). Au reste, le sens propre du mot que nous rendons par sans intelligence nous paraît être irréfléchi ; c’est le même mot qui est employé dans 1 Corinthiens 15.36. La réflexion est le chemin de la sagesse.
Mais comprenant quelle est la volonté du Seigneur. La vraie sagesse étant l’accomplissement de la volonté de Dieu (Psaumes 111.10), la vraie intelligence consiste à la discerner (Psaumes 143.8, 10 ; Romains 12.2) ; discernement souvent délicat et difficile (Romains 2.18 ; Philippiens 1.9). Rapprochez le verset 10 de notre chapitre. Telle est la corruption de notre nature que nous faisons le mal dès que nous « marchons après nos pensées » (Ésaïe 65.3), et que nous « suivons nos voies et trouvons notre volonté » (Ésaïe 58.13).
Ne vous enivrez pas de vin. Les commentateurs s’étonnent de trouver cette recommandation à cette place ; une recommandation qui semble interrompre le cours des pensées développées dans les versets 15-20, pour nous ramener brusquement au sujet traité dans les versets 3-5, et nous y ramener par un trait si spécial et si vif. Harless et Olshausen pensent, sinon lever, du moins diminuer la difficulté en faisant remarquer que le mot rendu par avarice dans le verset 3, peut avoir la signification d’intempérance ; et le verset 18 est ainsi, selon eux, une raison presque décisive pour donner la préférence à cette traduction nouvelle du verset 3. Cela ne nous satisfait pas, et voici comment nous croyons devoir expliquer la mention de l’ivresse au verset 18. L’Apôtre n’a pas eu proprement en vue de détourner ses lecteurs de l’ivresse ; mais il a nommé subsidiairement et en passant, l’ivresse ignoble que produit le vin, pour mettre en contraste avec elle cette espèce d’ivresse pure et élevée que produit le Saint-Esprit ; comme s’il eût dit : « Et, au lieu de vous remplir de vin, comme ces païens, soyez remplis de l’Esprit de Dieu. » L’abus du vin, ne figurant alors que pour relever le don du Saint-Esprit, serait à sa place dans tous les cas7 ; mais cette opposition avait quelque chose de plus naturel et de plus frappant qu’ailleurs, dans un endroit où l’Apôtre venait d’exhorter les Éphésiens à se séparer des convoitises charnelles des païens8.
7 – Philon, Vit. Mos. : « Étant ivres, non de l’ivresse que produit le vin, mais de celle qui va avec la sobriété. »
8 – Le rapport du verset 18 avec ce qui précède pourrait être expliqué encore de cette autre manière : l’idée de vigilance aurait conduit l’Apôtre à celle de sobriété ; et à cette dernière idée se serait rattachée celle d’être rempli du Saint-Esprit, par opposition à l’ivresse que produit le vin. Ce serait à peu près le même ordre d’idées que nous retrouvons dans 1 Thessaloniciens 5.5-7.
On découvre des traces de la grandeur première de notre nature jusque dans ses égarements les plus déplorables. Comme il y a au fond de l’impureté l’abus du besoin d’aimer, il y au fond de l’ivrognerie l’abus d’un certain besoin d’ardeur et d’enthousiasme, qui est naturel, noble même, en soi ; et ce même besoin explique en partie le goût des lectures et des spectacles qui remuent fortement l’esprit. L’homme veut se sentir vivre ; il vivrait double, s’il le pouvait ; et il aime mieux être remué par des choses horribles que de n’être pas remué du tout. Mais ces moyens factices et charnels trompent le besoin de vie, et ne le satisfont pas ; et, sans parler de ce qu’ils ont de contraire à la loi de Dieu, ils n’élèvent un moment l’esprit de l’homme au-dessus des réalités tristes ou froides de la vie présente que pour le laisser bientôt retomber au-dessous (plus bas qu’avant) ; c’est une excitation criminelle et passagère, que suit un plus grand affaissement. La foi seule satisfait ce besoin purement, salutairement et constamment ; elle le satisfait surtout par le don du Saint-Esprit. Comme elle substitue à l’amour charnel un amour saint, elle substitue, à l’ivresse des sens l’ivresse spirituelle. Entre ces deux ivresses, il y a une certaine analogie dans les apparences, comme l’indique la terminologie commune appliquée à l’une et à l’autre, dans toutes les langues, et dans celle même de l’Écriture (Psaumes 36.8) : « Ils seront enivrés (traduction littérale, et suivie par les Septante ; saint Paul a pu avoir cet endroit devant les yeux) ils seront enivrés de la graisse de ta maison, et tu les abreuveras du fleuve de tes délices. » Voyez encore Cantique des cantiques 5.1, etc. ; Ésaïe 55.1, (après la promesse du Saint-Esprit, 54.13, expliqué par Jean 6.44). Aussi, quand les Apôtres sont pour la première fois « remplis du Saint-Esprit, » (Actes 2.4), les prend-on pour des gens ivres (13), jusqu’à ce que saint Pierre ait expliqué qu’ils ne sont ivres que de la manière qui a été prédite par le prophète Joël (13, 16). Mais, pour l’observateur attentif, cet air de ressemblance disparaît bientôt dans les effets contraires que les deux ivresses produisent. Celle du vin engendre les désordres de toutes sortes ; et celle de l’Esprit, les chants spirituels, la joie intérieure et l’action de grâces.
Ici, comme partout, le caractère chrétien apparaît sous une double face. Il a un côté froid, et un côté ardent ; la circonspection, et l’enthousiasme chrétien. L’un et l’autre tiennent à un même principe et sont produits par le Saint-Esprit. Les versets 19 et 20 de notre chapitre ne font pas opposition aux versets 15-17 ; ils y font suite, comme l’indique la conjonction et au commencement du verset 18 ; et le Saint-Esprit leur sert de lien. Aussi, dans l’épître aux Colossiens, tout cela est réuni dans le même verset (3.16). Celui à qui « le Père ne donne pas l’Esprit par mesure » (Jean 3.34) a seul, entre tous les hommes, réalisé l’union de ces deux dispositions, portées au même degré de perfection. Chez la plupart des chrétiens l’une des deux dispositions prédomine aux dépens de l’autre. L’ardeur manque au plus circonspect, et la circonspection à l’ardent. Qu’ils ne se jugent pas mutuellement, mais qu’ils reçoivent instruction l’un de l’autre. Car chacun des deux reproduit une face du caractère de Jésus-Christ, et il faudrait les réunir pour avoir un homme complet. Au surplus, cette réunion n’est pas impossible en soi ; et les Apôtres ont approché sur ce point de l’exemple de Jésus-Christ. Saint Paul était sans doute plus porté par son naturel vers l’ardeur que vers la circonspection ; et cependant cette ardeur est tempérée par une rare prudence, apprise à l’école du Saint-Esprit. Étudiez sous ce point de vue Actes 16.23-fin. Il disait de lui-même et de ses compagnons d’œuvre : « Soit que nous soyons hors de nous-mêmes, c’est pour Dieu ; soit que nous soyons de sens rassis, c’est pour vous » (2 Corinthiens 5.13). Cette parole remarquable nous avertit en même temps que le sang-froid doit prédominer dans nos rapports avec les hommes, et l’enthousiasme être en général réservé pour nos relations avec Dieu. Si nous le faisons paraître devant les hommes, que ce soit devant les frères (verset 19 de notre chapitre) ; le monde ne le comprendrait pas, et pourrait en mal juger.
En quoi il y a du dérèglement. Nous disons, en quoi, et non dans lequel, parce qu’il nous paraît, comme à Harless, que le pronom relatif doit être rapporté plutôt au verbe s’enivrer, qu’au substantif vin. L’abus du vin ne va jamais seul ; il entraîne après lui des dérèglements de toute sorte, et plus spécialement les péchés de la chair (Voyez Proverbes 23.29-fin).
Mais soyez remplis de l’Esprit. Évidemment du Saint-Esprit (note sur 2.22) ; littéralement dans l’Esprit. Cette construction est singulière. Harless rapproche Colossiens 2.10 et 4.12. Mais l’analogie ne nous paraît pas complète et nous traduirions dans ces deux endroits remplis en lui, remplis en toute volonté de Dieu (nos versions et Lausanne 1839 : accomplis en lui, accomplis en toute volonté de Dieu), ce dont les Colossiens doivent être remplis étant sous-entendu : c’est la plénitude de Dieu. Dans notre passage n’y aurait-il pas une image prise d’un vase qu’on plonge tout entier dans l’eau pour l’en remplir jusqu’aux bords ? On pourrait traduire : Remplissez-vous, comme on traduit ne vous enivrez pas et non ne soyez pas enivrés ; car la forme du verbe employée dans les deux cas est la même. Mais il nous a paru que le verbe réfléchi rend mieux l’une de ces pensées, et que le verbe passif rend mieux l’autre, dans notre langue. Quoi qu’il en soit, il est évident que nous remplir du Saint-Esprit c’est proprement l’œuvre du Saint-Esprit et non la nôtre ; mais c’est aussi la nôtre dans ce sens que nous pouvons « résister au Saint-Esprit » (Actes 7.51), et appeler au-dedans de nous le Saint-Esprit par la prière (Luc 11.13). De là, cet impératif appliqué à une chose qui ne dépend pas directement de notre volonté : c’est qu’elle en dépend indirectement. La doctrine des Écritures est pleine de choses semblables et nous tient responsables pour beaucoup de choses que nous ne pouvons accomplir par nous-mêmes. Rapprochez Éphésiens 4.23 ; 2 Corinthiens 5.20, etc. L’enthousiasme divin, la joie du Saint-Esprit, est seule capable d’éteindre la joie du monde et l’ardeur de la passion.
Par des psaumes, des hymnes et des odes spirituels. Le chant est l’expression naturelle de la joie. La joie du monde enfante des chants mondains ; la joie chrétienne doit enfanter des chants spirituels, c’est-à-dire qui sont inspirés par le Saint-Esprit. « Quelqu’un est-il joyeux (littéralement en bonne humeur) ? qu’il psalmodie » (Jacques 5.13). Au verset précédent saint Jacques avait dit : « Quelqu’un est-il dans la souffrance ? qu’il prie. » Ainsi l’exaltation spirituelle de l’âme répond à la fois au double but que se propose l’homme du monde quand il se livre à l’ivresse : oublier ses chagrins et donner carrière à un esprit content. C’est le second dont s’occupe surtout notre Apôtre. La citation que nous venons de faire de saint Jacques montre qu’il ne s’agit pas seulement ici du chant religieux dans le culte, c’est d’un point de vue plus général que saint Paul envisage le chant, comme l’expression du contentement intérieur qui a besoin de se répandre au dehors. Mais il est vrai que ce besoin s’est manifesté tout spécialement de la sorte dans les assemblées religieuses et qu’elles peuvent ainsi être rappelées indirectement dans notre texte. D’après 1 Corinthiens 14.15, etc., le don de parler des langues étrangères se produisit de bonne heure sous une forme poétique, et il y a lieu de croire que les cantiques improvisés eurent aussi dans l’Église primitive un caractère musical. Nous parlons de musique vocale ; la musique instrumentale ne vint que plus tard, il y a tout lieu de le croire ; et, bien que le mot grec correspondant à psaume suppose en général un accompagnement, ce n’est pas ainsi qu’il faut l’entendre ici, non plus que dans Colossiens 3.16 ni dans 1 Corinthiens 14.26. Le mot vous entretenant (littéralement se parlant les uns aux autres), suffirait pour le donner à connaître. Pline le Jeune, écrivant à l’empereur Trajan au sujet des réunions religieuses des chrétiens, parle en ces termes de leur chant : « Ils chantent, en se relevant, un cantique adressé à Christ, qui y est invoqué comme Dieu. » Un seul de ces anciens cantiques est parvenu jusqu’à nous sous le nom de Clément d’Alexandrie ; encore l’authenticité n’en est-elle pas bien démontrée.
Si les trois mots psaumes, hymnes et odes se distinguent par des nuances précises de signification, ces nuances ne sont pas bien connues. Selon Harless, le dernier de ces trois noms embrasse proprement des chants profanes aussi bien que des chants religieux, et les deux premiers, réservés l’un et l’autre au chant religieux, ne diffèrent qu’en ce que le premier était plus familier aux juifs et le second aux païens. Mais peut-être l’Apôtre n’a-t-il voulu que rassembler tous les noms qu’on donnait à la poésie religieuse, sans se mettre en peine de les distinguer nettement les uns des autres.
Chantant et psalmodiant dans votre cœur au Seigneur. Ces mots signifient, d’après les anciens commentateurs, que celui qui chante doit le faire du cœur et non des lèvres seulement ; mais Harless fait observer avec raison que l’Apôtre aurait dû dire alors : chantant du cœur, plutôt que chantant dans votre cœur ; mais le chant intérieur dont il s’agit ici n’est pourtant pas indépendant du premier ; cela nous paraît évident d’après Colossiens 3.16. Tandis que les chrétiens chantent les louanges de Dieu, soit dans leurs réunions religieuses, soit ailleurs, il faut que chacun chante aussi intérieurement, c’est-à-dire qu’il se réjouisse en lui-même dans le Seigneur et le bénisse du fond de son âme.
Rendant grâces en tout temps pour toutes choses. Selon saint Chrysostome, « dans la peine comme dans la joie, et pour la première comme pour la seconde ; » selon Harless, « pour tous les sujets de joie, même pour les plus petits ; car ils viennent de Dieu, comme les grands. » Ce n’est pas que ce dernier commentateur prétende exclure l’application de la maxime de l’Apôtre aux amertumes de la vie ; seulement, il ne lui semble pas qu’elle puisse être sur le premier plan, dans un endroit où l’Apôtre traite de la joie chrétienne et de ses manifestations, par opposition à la joie du monde. Malgré cette remarque, l’application indiquée par saint Chrysostome nous paraît se présenter plus naturellement à l’esprit que l’autre, et elle a pour elle 1 Thessaloniciens 5.17. Au surplus, la pensée de l’Apôtre est conçue en termes si généraux qu’on ne peut douter qu’il n’ait voulu tout embrasser.
Au nom de notre Seigneur Jésus-Christ. Dans cette formule, le nom de Jésus-Christ signifie, selon Olshausen (sur Jean 14.13), « l’essence même de la divinité dans tout l’ensemble (complexus) de ses propriétés ; » et selon Harless, « le Seigneur lui-même, sa personnalité, non telle qu’elle est en soi et pour soi, mais telle qu’elle s’est révélée et qu’elle peut être connue et possédée. » J’avoue que ni l’une ni l’autre de ces explications, qui, du reste, sont à peu près identiques, ne me paraissent suffisamment claires et démontrées. Autre chose est, ce me semble, le nom du Seigneur, autre chose sa personne. Faire une chose au nom du Seigneur, c’est la faire de telle sorte que Christ apparaisse plus en nous que nous-mêmes, et qu’on ne puisse en comprendre l’esprit qu’en substituant son nom au nôtre. Par exemple, si je prie au nom de Jésus-Christ, je prie dans un tel esprit (car il s’agit de l’esprit de la prière et non pas d’un nom qui est placé à la fin), que ma prière puisse être considérée de Dieu comme lui étant offerte, moins par moi qui la prononce que par Jésus-Christ, et qu’il ne puisse refuser de l’exaucer sans repousser en quelque sorte son propre Fils. C’est ce qui arrivera si, me reconnaissant indigne qu’il m’écoute, je n’implore sa faveur que comme due aux mérites, au sacrifice, à l’intercession de son Fils. Alors, je me cache en Christ, je m’enveloppe de Christ ; c’est lui qui paraît et non pas moi ; ce n’est pourtant pas sa personne, c’est seulement son nom, parce que c’est moi qui suis dessous ; c’est, si j’ose ainsi dire, ma personne cachée sous son nom. J’expliquerais de même être outragé au nom de Jésus-Christ (1 Pierre 4.14 ; c’est lui qu’on outrage dans ma personne) ; être sauvé au nom de Jésus-Christ (Actes 4.12 ; c’est à lui que la vie éternelle est donnée dans ma personne) ; commander au nom de Jésus-Christ (2 Thessaloniciens 3.6 ; c’est lui qui commande par mon organe) ; et aussi rendre grâces au nom de Jésus-Christ, c’est-à-dire pour une félicité dont je ne jouis qu’en lui et dont il jouit en quelque sorte en ma personne.
A celui qui est Dieu et Père. Littéralement : au Dieu et Père, que nous ne savons pas comment rendre autrement dans notre langue. Cela peut signifier à notre Dieu et Père ou au Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ, ou l’un et l’autre à la fois ; et ce sens compréhensif nous paraît le véritable. Il répond à l’action de grâces offerte par nous, mais au nom de Jésus-Christ, ainsi que nous venons de l’expliquer. C’est le Dieu et Père de Jésus-Christ, devenu, dans ce rapport, notre Dieu et notre Père (Jean 20.17). Le nom donné ici à Dieu achève de nous convaincre que la traduction que nous avons suivie avec Olshausen, dans 1.3, « le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ, » est préférable à celle de Harless : « Dieu, qui est le Père de notre Seigneur Jésus-Christ », puisqu’il faudrait, par analogie, traduire ici : « à Dieu qui est le Père, » ce qui ne nous paraît pas avoir de sens.
L’habitude constante de l’action de grâces est le dernier trait et le plus haut point de cette élévation que le Saint-Esprit communique à l’âme chrétienne. Aussi n’est-il rien dans la vie chrétienne, ni de plus difficile à pratiquer pour le chrétien, ni de plus impossible à comprendre pour l’homme du monde.