Mais, dit-on, il est écrit: Tous ceux qui sont venus avant le Seigneur sont des voleurs. Tous ceux donc qui ont parlé sans mission avant l’incarnation du Verbe sont compris généralement dans cette parole. Mais les prophètes, comme ayant été envoyés et inspirés par le Seigneur, ne sont pas des voleurs, ce sont des ministres ; c’est pourquoi l’Écriture dit :
« La sagesse a envoyé ses serviteurs ; et, des lieux les plus hauts, elle a convié tout le monde à venir se désaltérer dans la coupe remplie de vin. »
Quant à la philosophie, dit-on encore, elle n’a pas été envoyée par le Seigneur, elle a été dérobée ou elle a été donnée par celui qui l’avait dérobée. Ainsi donc, une puissance ou un ange, n’importe, après avoir appris quelque chose de ce qui constitue le vrai, et avoir déserte la vérité, inspira et enseigna aux hommes les doctrines qu’il avait dérobées ; non pas que le Seigneur l’ait ignoré, lui qui sait la fin des choses futures, avant même qu’elles existent, mais il ne l’a pas empêché. Car le larcin transmis aux hommes leur fut de quelque utilité, non que l’auteur du larcin se proposât un pareil but, mais la Providence donna cette direction utile à son audacieuse entreprise. Je sais que beaucoup de sophistes nous attaquent, en disant que celui qui n’empêche pas un fait en est cause. Ils disent que celui qui ne veille pas à la garde d’une chose ou qui ne s’oppose pas au vol, est la cause du vol ; de même qu’on est la cause d’un incendie, lorsqu’on n’éteint pas le feu dès sa naissance ; de même encore que le pilote est la cause du naufrage, lorsqu’il ne cargue pas les voiles. Or, la loi punit ceux qui causent de pareils malheurs ; car celui qui pouvait empêcher un accident en est responsable. Je réponds : Être cause, s’entend de l’action de faire, d’opérer et d’agir ; mais ne pas défendre, c’est par cela même s’interdire toute action. En outre, la cause a pour objet l’action, comme le constructeur de navires la construction de la carène, et le maçon la construction de la maison ; mais celui qui n’empêche pas est entièrement étranger à ce qui advient. Il suit de là que la faculté de pouvoir empêcher ne constitue ni un acte ni une défense ; car quel est l’acte de celui qui n’empêche pas ? Mais le système des adversaires touche à l’absurde, puisqu’il leur faudrait dire que la cause de la blessure n’est pas le javelot, mais le bouclier qui n’a pas empêché le javelot de traverser les chairs ; puisqu’il faudrait s’en prendre non au voleur, mais à celui qui n’a pas empêché le vol ; dès-lors ce n’est plus à Hector, mais à Achille, qu’il faut imputer l’embrasement des vaisseaux grecs, puisque Achille aurait pu l’empêcher, et qu’il ne l’a pas fait. Sa colère, je l’avoue (car il était en son pouvoir de s’y livrer ou de la vaincre), fut cause qu’il n’empêcha pas l’incendie, et l’en constitua peut-être en partie l’auteur. Mais le démon, puisqu’il avait son libre arbitre, pouvait à son gré ou s’abstenir ou commettre le vol ; il est donc lui-même la cause du vol, non le Seigneur qui ne l’a pas empêché. Et d’ailleurs, il n’y avait pas de raison qui provoquât une défense, puisque le don fait aux hommes par le démon n’était pas nuisible. S’il faut recourir à l’égard des adversaires à des raisonnements plus subtils, nous leur dirons que ne pas empêcher ce qui s’est fait au sujet du vol, n’est point en être cause ; mais que la cause et la faute sont imputables à celui qui empêche ; car celui qui couvre quelqu’un de son bouclier est cause que celui qu’il couvre n’est pas blessé, puisqu’il le défend de toute blessure. Le démon de Socrate était la cause de ses actions; moins en l’empêchant qu’en l’exhortant, si toutefois il eut un démon qui l’ait poussé à agir. Ni les louanges, ni les reproches, ni les récompenses, ni les châtiments ne seraient justes, si l’âme n’était pas libre de se porter vers une chose ou de s’en éloigner, et si le vice était involontaire; c’est pourquoi celui qui empêche est cause ; mais celui qui n’a pas empêché peut juger avec équité le choix volontaire de l’âme ; de sorte que, dans aucun cas, Dieu ne se trouve l’auteur du mal. Comme c’est un libre choix joint au désir qui commence le péché, et que par fois nous laissons par ignorance ou inadvertance régner dans notre esprit une opinion erronée en soi, un faux préjugé dont nous négligeons de nous éloigner, ignorants et inexpérimentés que nous sommes, le châtiment est juste. En effet on pourrait s’affranchir : la fièvre est une souffrance involontaire ; mais si quelqu’un la provoque par sa propre intempérance, la faute retombe sur lui sous un rapport. Le vice aussi est involontaire ; car personne ne choisit le mal en tant que mal ; mais, séduits par la volupté qui l’entoure, nous le prenons pour un bien, et nous le regardons comme digne de notre choix. Mais il est en notre pouvoir de nous délivrer de l’ignorance, et de tout choix qui plait ; et avant tout, de ne pas céder à ces trompeuses chimères qui nous attirent. Or, le démon est appelé voleur, pour avoir mêlé de faux prophètes aux prophètes véritables, comme l’ivraie au froment. Ainsi donc tous ceux qui sont venus avant le Seigneur sont des voleurs ; mais quand ou dit tous, on veut faire entendre tous les faux prophètes, et tous ceux qui n’ont pas reçu de mission spéciale du Seigneur. Les faux prophètes commirent aussi un vol qui leur est propre en se faisant appeler prophètes ; puisque, s’ils étaient prophètes, ils étaient les prophètes de l’imposteur; car le Seigneur dit :
« Le père dont vous êtes nés est le démon, et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il a été homicide dès le commencement, et il n’a point persévéré dans la vérité ; car la vérité n’est point en lui. Quand il profère le mensonge, il dit ce qui lui est propre ; car il est menteur, et père du mensonge. »
À leurs mensonges les faux prophètes mêlaient quelques mots de vérité ; et, lorsqu’ils prophétisaient, ils étaient réellement dans une sorte d’extase, comme les dignes ministres de l’apostat. Le pasteur aussi, l’ange de la pénitence, dit à Hermas, en parlant du faux prophète :
« Il profère quelques mots de vérité ; car le démon le remplit de son esprit, pour qu’il puisse renverser quelque juste. »
Tout, sans exception, tourne à bien entre les mains de la Providence, afin que la sagesse de Dieu, si merveilleuse dans la diversité de ses opérations, soit manifestée par son Église, selon le dessein éternel qu’il a accompli par le Christ ; car rien ne résiste à Dieu, rien ne peut tenir contre lui ; il est le Seigneur, il est le Tout-Puissant. Bien plus, les desseins et les œuvres des anges révoltés ne sont que des incidents particuliers qui naissent d’une disposition mauvaise, comme les maladies corporelles. Mais la Providence universelle les. dirige vers une fin salutaire, bien que la cause en soit corrompue ; c’est pourquoi le trait le plus caractéristique de la divine Providence est de ne pas permettre que le vice né d’une défection volontaire demeure entièrement inutile, ou soit nuisible en tout et pour tous. En effet, le propre de la sagesse, de la vertu, de la puissance divine, est non seulement de produire le bien (car telle est, pour le dire, une fois en passant, la nature de Dieu, comme celle du feu est de répandre la chaleur, et comme celle de la lumière est d’éclairer), c’est encore, et surtout, d’amener à quelque fin bonne et utile les inventions pernicieuses de certains esprits méchants, et de tirer un parti avantageux de ce qui paraît nuisible, comme, par exemple, de faire naître de la tentation et de l’épreuve l’occasion et le mérite du témoignage. Il y a donc aussi dans la philosophie qui a été dérobée comme par un autre Prométhée, quelques étincelles propres à donner la lumière, si on les ranime avec le soin convenable; il y a, dis-je, dans la philosophie, quelques traces de sagesse, quelque mouvement imprimé par la main divine ; mais les philosophes grecs ont été des voleurs qui ont pris dans les prophètes hébreux, avant la venue du Seigneur, quelques parties de la vérité ; et qui, loin d’avouer le fait, se les sont attribuées comme des dogmes leur appartenant en propre ; ils ont altéré les uns, ils ont glissé sur d’autres avec leur misérable adresse sophistique, et ils en ont inventé plusieurs ; car ils eurent peut-être aussi l’esprit d’intelligence. Aristote est d’accord avec l’Écriture, puisqu’il nomme la sophistique l’art de voler la sagesse ; nous avons déjà fait connaître cette expression. L’apôtre dit :
« Et ces dons, nous les annonçons, non avec les discours éloquents de la sagesse humaine, mais avec ceux que l’esprit enseigne ; »
car Jean dit des prophètes :
« Nous avons tous reçu de sa plénitude, »
de la plénitude du Christ ; c’est pourquoi les prophètes ne sont pas des voleurs.
« Et ma doctrine n’est point de moi, dit le Seigneur, mais de mon Père qui m’a envoyé. »
Il dit des voleurs :
« Qui parle de soi-même, cherche sa propre gloire. »
Or, tels sont les Grecs, vains et glorieux. L’Écriture, en les appelant sages, fait la critique non des vrais sages, mais de ceux qui ne le sont pas et qui croient l’être.